Interview de l’actuel Rédacteur en chef de Wikileaks, Kristinn Hrafnsson, qui a remplacé Julian Assange depuis que ce dernier a été privé de communications - NdT
’Si vous n’êtes pas un journaliste radical, vous n’êtes pas un journaliste ’, nous dit Kristinn au début de notre interview. ’Vous faites partie du problème. Vous êtes dans les relations publiques. Cela ne veut pas dire que ces journalistes sont nécessairement payés directement par les pouvoirs en place ; ils pourraient aussi chercher à éviter les conflits ou se protéger des critiques. Il peut être difficile de s’en prendre au pouvoir, et certaines personnes n’aiment simplement pas les conflits.’
Kristinn n’est pas une de ces personnes. Toute sa carrière journalistique, depuis ses débuts à la radiotélévision publique jusqu’à son emploi actuel à la direction de Wikileaks, reflète cette notion que le journalisme consiste à dire la vérité au pouvoir. Sans surprise peut-être, il cite ses premières influences comme Bob Woodward et Carl Bernstein, les journalistes qui ont révélé l’histoire du Watergate à partir de documents qui leur avaient été divulgués par un dénonciateur, ainsi que des films tels que ’ All The President’s Men ’ et ’ China Syndrome ’. ’Des films qui dépeignent les journalistes comme une force du bien dans la société.’
En tant que rédacteur en chef de Wikileaks, Kristinn est un homme très occupé. La nouvelle arrestation de Chelsea Manning, le témoignage de Cohen, l’enquête Mueller dans son ensemble - toutes ces choses impliquent Wikileaks d’une manière ou d’une autre, à juste titre ou non. Peu importe ce que Kristinn doit affronter, ses convictions sur le rôle de Wikileaks et le journalisme en général restent fortes.
Qu’est-ce qui a amené Kristinn à passer du statut de pigiste dans ses débuts au rôle qu’il joue aujourd’hui ? Pourquoi Wikileaks est-il toujours important ? A l’ère du clickbait [recherche de clics, d’audience – NdT] et des ’fausses nouvelles’, quel est l’avenir du journalisme ? Surtout, comment savoir à quel média se fier ?
De Kompás au krach
La carrière de journaliste de Kristinn a commencé dans les années 80, comme la plupart de ceux qui se lancent dans le journalisme : en travaillant comme indépendant. En 1991, il décroche un emploi à la RÚV, la chaîne publique de radiodiffusion islandaise, à une époque où il y avait beaucoup de choses à raconter, tant dans le pays qu’à l’étranger. Même à ses débuts, Kristinn avait des idées très claires sur ce que devrait être le travail d’un journaliste.
’J’ai senti que le journalisme devait être éthique, mais dur’, nous dit-il. ’Les idéaux que j’avais à l’époque seraient probablement considérés comme radicaux aujourd’hui. L’accusation selon laquelle le journalisme devrait être neutre d’une manière ou d’une autre était un peu absente à l’époque. Étant journaliste en Islande depuis 20 ans, j’ai été accusé de partialité de tous côtés. Comme je le disais à un ami l’autre jour, lorsque des gens de tous les bords politiques vous tapent dessus, il est probable que vous faites votre travail correctement.
’On est inoculé à ce genre de critiques. Tu dois t’engager dans certains idéaux si tu veux avoir le privilège du métier.’
Kristinn aurait l’occasion de mettre ces idéaux en pratique lorsqu’il a rejoint l’équipe de Kompás, une première dans son genre en matière de journalisme d’investigation en Islande. Travaillant avec un personnel réduit et un budget limité, Kristinn décrit son expérience comme ’beaucoup de travail mais très gratifiant’.
Le krach financier de 2008 allait devenir un tournant majeur pour Kristinn. Parmi les conclusions de la Commission spéciale d’enquête, un organe chargé d’examiner les causes du krach, figure une évaluation assez accablante de la manière dont les médias islandais ont été complices par leur silence, et de leur confiance aveugle dans les acteurs financiers pour dire la vérité aux journalistes. C’est une évaluation avec laquelle Kristinn est tout à fait d’accord.
’En général, je pense qu’en tant que journalistes, nous avions beaucoup de comptes à rendre. Je l’ai dit publiquement ’, dit-il en faisant référence à une réunion de l’Union des journalistes islandais environ un mois après le krach. ’J’ai été très critique à mon égard et à l’égard de mes collègues pour avoir abusé de la confiance que nous a accordée le grand public. Nous avons confié toutes les questions financières à des journalistes financiers dévoués, qui étaient souvent en cheville avec les banquiers, experts de l’élite. Pour tous les autres, les questions financières étaient trop compliquées et nécessitaient une spécialisation. Nous avons cru à l’histoire de ces sorciers qui ont créé la richesse à partir de rien ; ces alchimistes modernes du secteur bancaire. On n’a pas vu à travers l’écran de fumée. C’est un échec. Nous avons ignoré les signaux d’alarme, comme beaucoup d’autres. En tant que journalistes, nous avions beaucoup de questions à nous poser ».
Entrée chez Wikileaks
A la suite du krach financier, Kristinn allait croiser le chemin de Wikileaks, en partie à cause d’une publication de données sur le site qui confirmait ce que Kristinn avait publié sur Robert Tchenguiz, un financier profondément impliqué avec la banque Kaupthing en faillite. En fait, la répercussion juridique de l’affaire Tchenguiz est ce qui a commencé à modérer le goût de Kristinn pour le journalisme.
Tout a commencé en janvier 2009, lorsque Kristinn a reçu des informations sur les emprunts de Tchenguiz dans les jours précédant l’effondrement de l’Islande, qui comprenaient des comptes offshore dans des paradis fiscaux. Alors que Kompás avait fermé ses portes au début de l’année pour des raisons financières, l’histoire a été reprise par Kastljós, l’émission de la table ronde de RÚV. Cependant, cela a déclenché une enquête sur Kristinn qui a peut-être violé la loi sur le secret bancaire, la même loi qui, près de dix ans plus tard, sera utilisée pour tenter de réduire au silence la couverture par le magazine Stundin des transactions financières pré-crash du ministre des Finances, Bjarni Benediktsson. L’injonction contre le reportage de Kristinn finira par s’effondrer à l’automne 2009, mais elle aura un effet durable sur lui.
’A la lumière de tout cela, mon goût pour le métier avait commencé à s’estomper’, se souvient-il. ’Ce fut une révélation quand, au début du mois d’août 2009, alors que je travaillais de nouveau à RÚV, on m’a conseillé un site appelé Wikileaks. Je n’en avais jamais entendu parler. Mais voilà, il y avait tout le registre des emprunts de Kaupthing, avec l’évaluation interne quelques jours avant la crise bancaire.’ Robert Tchenguiz était mentionné. C’est ce qui a conduit à ’cet épisode bizarre du journalisme islandais’ lorsque le comité de résolution Kaupthing a demandé une injonction contre RÚV qui faisait un reportage sur ce qui se trouvait dans les publications de Wikileaks. ’J’ai été stupéfait. J’ai eu confirmation très facilement de l’authenticité des documents.’ Il avait envoyé le document en format pdf à un certain nombre d’initiés du monde des affaires. ’En quelques minutes, j’ai reçu un appel de quelqu’un qui m’a demandé : ’Où avez-vous trouvé ça ?’, et j’ai dit : ’Merci d’avoir confirmé.’ Kristinn rit. ’C’était incroyable. J’avais travaillé pendant des mois pour obtenir des informations sur cet individu, alors que tout était là.’
Wikileaks faisait fibrer le fibre journalistique de Kristinn. ’C’était quelque chose qui renforçait la transparence ’, dit-il. ’C’était légalement difficile à arrêter. Sur cette base, j’ai contacté Julian [Assange]. Il avait été invité en Islande à l’automne 2009. On s’est rencontrés, on s’est liés d’amitié, et ça m’a amené à m’engager.’
Une nouvelle dimension
2010 a été une année faste pour Wikileaks. Des fuites telles que « meurtre collatéral », le journal de guerre afghan, un rapport similaire sur l’Irak et les fuites de Cablegate sont autant de faits saillants de l’organisation qui la placeront à la une des médias internationaux. On ne saurait trop insister sur l’importance de ce travail.
’Dans le journalisme, Wikileaks a fait deux choses, dit Kristinn. ’Tout d’abord, il a montré la puissance des fuites massives de cette nature, et que l’on peut vraiment faire bouger les choses en exposant de nombreux aspects de la corruption et des crimes de guerre. Deuxièmement, nous avons mis en commun les ressources des médias grand public. Nous avons exigé que les gens travaillent ensemble, ce qui était souvent difficile.’ L’organisation a créé une alliance médiatique avec des centaines de points de vente dans le monde entier. ’Elle a jeté les bases de la coopération [du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ)] sur les Panama Papers, par exemple. Cela a également inspiré d’autres lanceurs d’alerte. Edward Snowden a confirmé que sans ces fuites en 2010, il n’y aurait pas eu les siennes plus tard.’
Ce travail, cependant, ne s’est pas fait sans attirer des critiques, contre Wikileaks mais aussi contre son fondateur, Julian Assange. L’une des critiques les plus importantes à propos de Wikileaks est qu’ils jettent des documents en pâture sans les filtrer. Une critique que Kristinn qualifie de ’contre-propagande’. Cette critique est devenue la plus fréquente après la publication de la vidéo « meurtre collatéral », à savoir que la divulgation d’informations non filtrées pourrait mettre des vies innocentes en danger. Mais Kristinn ne se laisse pas conter.
’C’était assez extraordinaire de voir le chef d’état-major interarmées à la télévision, presque en larmes à cause des dangers supposés, dire que Wikileaks pourrait déjà avoir du sang sur les mains pour avoir divulgué cette information,’ dit-il. ’Mais rien de tel n’a eu lieu. L’information n’est jamais neutre. Elle peut avoir des effets néfastes, dans une certaine mesure. Tous les journalistes le savent. Mais à ce jour, il n’y a pas eu un seul incident lié à la plus grande fuite de l’histoire militaire qui a révélé tous ces secrets internes de la machine militaire la plus puissante du monde. Personne n’a souffert, personne n’a perdu la vie. Je suis presque sûr que nous en aurions entendu parler si c’était le cas. Cela a été confirmé lors du procès de Chelsea Manning en 2013 par les responsables du Pentagone - la fuite n’avait pas causé de dommages.’
En fin de compte, l’éthique de Wikileaks est assez simple : tout devrait être dans le domaine public sauf les informations personnelles sensibles. ’La transparence devrait être la norme, et les exceptions à la transparence devraient être très rares et justifiées’, explique Kristinn. ’Toutes les lois sur l’accès à l’information étaient fondées sur ce principe, mais pour une raison quelconque, les gens ne comprennent pas. Nous sommes toujours en train de mener cette guerre sans fin contre le secret.’
Sur Assange
Au-delà de Wikileaks, Assange est aussi une figure controversée, et beaucoup de gens rebutés par Wikileaks le sont à cause de lui. Kristinn répond sans détours à ces critiques.
’Bon, l’affaire suédoise a été abandonnée’, dit Kristinn, en référence aux allégations d’agression sexuelle formulées contre Assange. ’Nous avons affirmé pendant très longtemps que les allégations étaient fallacieuses, telles qu’elles étaient présentées. Nous en avons eu confirmation grâce à une journaliste italienne, Stefania Maurizi. Nous avons vu des échanges de courriels entre la Suède et la Grande-Bretagne qui montrent que les autorités suédoises voulaient abandonner l’affaire mais le ministère public à Londres demandait de poursuivre et de maintenir la pression. Tout cela est maintenant dans le domaine public. Les Suédois étaient prêts à clore l’affaire depuis des années.’
Kristinn croit que le cas suédois était, en partie, le prolongement d’une grande campagne contre Wikileaks. ’Nous savions aussi très tôt qu’une enquête du grand jury contre Wikileaks avait commencé, au début de 2010, en raison des fuites de cette année-là, et qu’elle se poursuit encore aujourd’hui, presque dix ans plus tard’, dit-il, ajoutant que l’enquête a été relancée à plusieurs reprises. ’D’une portée et d’une nature inégalées. Il y a des années, nous avons entendu dire que le nombre de documents rassemblés dans le cadre de l’enquête dépassait 40 000. Nous avons toujours su qu’une enquête était en cours et qu’elle se poursuivait. On nous a traités de complotistes pour avoir soutenu qu’il y avait un réel danger d’extradition vers les États-Unis. Jusqu’à la confirmation, il y a quelques mois, par inadvertance et par erreur, qu’un acte d’accusation contre Julian est prêt et scellé, ainsi qu’une demande d’extradition vers les États-Unis.’
Wikileaks, les Russes et les élections de 2016
Wikileaks a également été victime de la fuite de courriels du Comité national démocrate, qui a commencé en juin 2016. Les critiques ont soutenu que la fuite était l’œuvre de pirates russes, travaillant à la demande de l’équipe de campagne de Donald Trump, et que des personnalités telles que Roger Stone et Paul Manafort auraient parlé avec Assange ou l’auraient rencontré, ce qui constitue une conspiration pour voler l’élection à Hillary Clinton, avec la collusion de Wikileaks. Kristinn répond à ces accusations de façon précise.
’Ce que les gens ne comprennent pas, c’est le principe de base, dit Kristinn. ’Que les journalistes sont censés publier des documents sur les politiciens, et en particulier sur les candidats avant les élections. C’est le rôle des journalistes ; c’est pourquoi on l’appelle le quatrième pouvoir. C’est incroyable que même les journalistes me disent : ’Vous n’auriez pas dû publier [les courriels] avant les élections’. Ne sommes-nous pas censés informer l’électorat sur les candidats ? C’est pas notre boulot ? Si vous avez des renseignements internes sur un candidat ou un parti, c’est votre devoir. Ce serait un crime journalistique de ne pas en parler. Puis j’ai entendu : « Tu aurais dû attendre d’avoir quelque chose sur Trump pour être équilibré ». Mais ce n’est pas comme ça que ça marche. Les courriels du DNC contenaient de l’information digne d’intérêt qui aurait dû être publiée avant les élections, point final. Peu importe d’où elle vient. Ce n’est pas le rôle du journaliste que d’ignorer une information parce qu’elle proviendrait d’une source qui pourrait avoir des objectifs personnels. Vous devez toujours évaluer l’information qui se trouve devant vous. Est-il dans l’intérêt public de le publier ? Ce n’est pas compliqué : soit ça l’est, soit il ne l’est pas.’
Kristinn pense qu’au lieu de blâmer Wikileaks, le DNC devrait plutôt faire un examen de conscience.
’Le DNC veut maintenir que [la fuite du courrier électronique] a eu un effet, pour essayer d’effacer l’humiliation de leur défaite au collège électorale’, dit-il. ’Le Parti démocrate doit simplement accepter le fait qu’Hillary Clinton n’était pas une candidate charismatique qui a enthousiasmé les gens. Bien sûr, c’est une chose difficile à avaler, mais c’est nécessaire si le Parti démocrate veut en venir à bout et essayer d’avancer. Je n’ai vu aucune discussion dans leurs rangs sur comment on peut gagner le vote populaire tout en perdant l’élection. Pour nous qui avons de la difficulté à comprendre le collège électoral, quand on vit un moment comme celui-là, il faut faire preuve d’introspection et il faut changer le système. C’est une situation très grave qui exige un examen.
’Plus généralement, le pays qui fut le bastion de la démocratie dans le monde va-t-il persister à croire que quelques dizaines de trolls à Saint-Pétersbourg peuvent bouleverser tout le processus électoral, en travaillant avec un budget qui ne représente qu’une fraction de ce qui est consacré aux campagnes électorales ? Ce serait l’aveu d’une extrême faiblesse du système, je dirais.’
Sur Roger Stone, Paul Manafort et Chelsea Manning
’C’est plutôt pathétique de voir comment les gens essaient d’établir des liens et trouver une sorte de collaboration entre l’équipe Trump et Wikileaks’, dit Kristinn, citant le fait qu’au début, Assange a rompu avec les précédents et a révélé que la source de la fuite du courriel du DNC était un acteur non gouvernemental. ’Je pense que c’était une sorte d’assainissement de l’ambiance. Si vous regardez ce qui s’est passé depuis, avec l’enquête Mueller, rien n’en est sorti qui changerait ce que j’ai dit.’
Roger Stone, qui a magouillé toute sa vie au sein du Parti républicain et qui a été conseiller de la campagne Trump, a déclaré publiquement qu’il avait parlé avec Assange. Cela a également été soulevé dans le témoignage de l’ancien avocat de Trump, Michael Cohen.
’Si vous lisez [l’acte d’accusation de Stone], qui ne fait que 23 pages, c’est essentiellement une confirmation qu’il n’y a eu aucune communication entre Roger Stone et Julian Assange,’ dit Kristinn. ’Stone prétendait qu’il y en avait eu. Il essayait d’élever sa position. C’est un joueur dans ce cercle. C’est Roger Stone.’ En fait, dit Kristinn, ’les seules communications qui ont pu avoir lieu entre eux étaient sans doute un message direct sur Twitter en janvier 2017, où Wikileaks a demandé à Roger Stone de cesser de prétendre qu’il avait accès à Julian Assange et avait communiqué avec lui. Parce que c’était faux.’
En ce qui concerne le témoignage de Cohen, Kristinn souligne que Wikileaks n’est mentionné qu’une seule fois, ’Quand [Cohen] a dit qu’il était présent quand Roger Stone a appelé Trump et a dit qu’il venait de parler à Julian Assange. C’est donc ça la preuve que Trump savait que Stone avait parlé à Julian Assange et qu’il y avait donc un lien direct ? C’est simplement une revendication. Vous allez prendre au pied de la lettre ce que dit Roger Stone, tout en l’accusant de mentir aux enquêteurs ?’
L’idée que Paul Manafort aurait rencontré secrètement Julian Assange à l’ambassade de l’Equateur à Londres, où réside actuellement Assange, est encore plus absurde pour Kristinn.
’Aucune réunion de ce genre n’a jamais eu lieu, dit Kristinn. ’Et le Guardian [qui a publié l’article sur la prétendue réunion] devrait savoir qu’elle n’a jamais eu lieu, car quelques mois plus tôt, le quotidien avait écrit un article sur la façon dont l’ambassade est surveillée par des caméras internes, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et pas seulement par la police. Chaque visiteur qui entre à l’ambassade doit remettre son passeport, signer un registre et être filmé par des dizaines de caméras. L’ambassade d’Equateur derrière Harrods à Londres est probablement l’endroit le plus surveillé dans la ville la plus surveillée du monde. Il est absolument impossible et impensable que quelqu’un puisse se faufiler dans ce bâtiment et tenir une réunion secrète, et le Gardien devrait le savoir. Ils ne défendent pas leur article et ne répondent à aucune question. Tout le monde sait que cette histoire est fausse.’
Une autre figure qui apparaît à nouveau dans le collimateur du gouvernement américain est Chelsea Manning, qui a récemment été à nouveau emprisonnée, cette fois pour avoir refusé de témoigner contre Wikileaks devant un grand jury. La réponse à cela, en particulier de Rachel Maddow de MSNBC, est quelque chose que Kristinn a comparé à ’Alex Jones [journaliste réputé pour conspirationnisme – NdT] à son meilleur’ quand il s’agit de tisser des théories conspirationnistes.
’Je trouve que c’est contraire à l’éthique, dégoûtant et honteux ’, dit-il à propos de ce reportage. ’Cette enquête du grand jury me rappelle le Moyen Âge : ce n’est pas tout à fait conforme à ce que vous considérez comme normal dans une société civilisée et démocratique. Le fait qu’une enquête secrète puisse mené par un tribunal secret pendant des années et des années, et où les personnes faisant l’objet de l’enquête n’ont aucun mot à dire, c’est ce que Chelsea Manning a désigné comme la principale raison de son refus de témoigner. C’est une chose incroyablement courageuse, ce qu’elle fait. Il est incroyable que l’on vous convoque devant tribunal pour quelque chose pour laquelle vous avez été déjà jugé. Elle a témoigné devant un tribunal, elle a été condamnée, elle a purgé sept ans de prison dans des conditions qui relèvent de la torture selon les normes de l’ONU, puis graciée par Obama vers la fin de son mandat, qui s’est peut-être souvenu qu’il avait fait campagne sur un programme de protection des lanceurs d’alerte. Et maintenant, des années plus tard, jetée à nouveau en prison pour avoir refusé de témoigner contre Wikileaks et Julian Assange. Elle a besoin de beaucoup de soutien.’
Où va le journalisme ?
Kristinn est l’un des nombreux journalistes qui pensent qu’une guerre contre le journalisme est déjà en cours et qu’elle s’aggrave.
’Il y a une épidémie silencieuse qui fait partie de ce que j’appelle le néo-McCarthysme ’, dit-il. ’Il est probable que la guerre contre le journalisme s’intensifiera. Je ne m’attends pas vraiment à ce que la communauté journalistique dominante perçoive le danger qui se profile et comprenne pourquoi il est absolument nécessaire de se réveiller maintenant et de soutenir Julian Assange, Wikileaks et Chelsea Manning. Les choses vont probablement empirer avant de s’améliorer. Mais j’essaie d’être optimiste. Il a fallu plusieurs années avant que les médias grand public acceptent le fait qu’on nous ait menti sur les raisons de l’invasion de l’Irak’.
Kristinn souligne que le célèbre journaliste et ami personnel John Pilger a fait remarquer que toutes les principales histoires d’abus de pouvoir - les conséquences du bombardement d’Hiroshima, le massacre de My Lai, les liens entre le trafic de drogue et la CIA - ont été révélées par des médias plus petits et plus indépendants, ce qui indiquerait que ces médias constituerait une sorte de lumière au bout du tunnel.
Cela dit, devant ma multiplications des sources d’information, comment les lecteurs sont-ils censés savoir à qui faire confiance ?
’Les gens doivent simplement être plus critiques’, dit Kristinn. ’Ils doivent apprendre à faire confiance à certains organes d’information, mais jamais complètement. Il faut lire les journaux avec un esprit critique. Tenir compte de l’influence qui pourrait être à l’origine de l’article. Faites-vous confiance à la BBC lorsqu’elle fait des reportages sur la communauté du renseignement britannique ? Faites-vous confiance à Russia Today quand ils font un reportage sur Poutine ? Faites-vous confiance à Al Jazeera quand ils font un reportage sur le Qatar ? Il faut tout prendre avec du recul et apprendre à replacer les pièces d’un puzzle quelque peu désordonné de ce qui se passe dans le monde. Il faut aussi exiger des preuves et dire ’montrez-moi les documents’. Exiger les preuves. Exiger la transparence.’
Alors qu’il continue à se battre, pour ses idéaux et pour la vérité, Kristinn n’est pas particulièrement inquiet de son héritage.
’Je suis assez vieux pour avoir vu la roue tourner’, dit-il. ’Je n’ai aucun doute que l’énorme importance de Wikileaks pour le journalisme sera reconnu en termes historiques. Je ne sais pas si Julian ou moi serons encore là, mais Wikileaks sera reconnu comme tel.’
Interview par Andie Fontaine
Photos par Hörður Sveinsson/Art Bicnick
Traduction "...et les grands médias encore moins" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles