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L’impensé sanitaire haïtien face au COVID19

Voici une tribune pour décrypter les non-dits d'un entretien entre un éditorialiste et un brillant infectiologue autour du COVID19 en Haïti. En cette saison de contagion, une telle affiche fait saliver. Hélas, puisque que cela se passe dans un shithole, lors le signifiant potentiel du chercheur devient insignifiant éclatant dans l'impensé médiatique. Comme pour rappeler que, malgré l'horrible laideur qui les déforme, les shitholes ont des paradoxes qui livrent des enseignements utiles pour leur déconstruction.

Un insignifiant médiatique plein de signification

La communication des autorités haïtiennes sur le COVID19 est affreusement lacunaire. Portée par des messages officiels contradictoires, documentée par un bulletin épidémiologique aux statistiques imprécises, alimentée par des données confuses et peu fiables, elle reste, dans le fond, manifestement douteuse. Énigmatique. Même dans sa forme infographique, en apparence, « digitalement recherchée et numériquement cartographiée », elle ne fait pas illusion, tant elle est globalement insignifiante. Foireuse serait même le meilleur adjectif pour qualifier une telle production en période sanitaire exceptionnelle ! Toutefois, par-delà son caractère désinvoltement énigmatique, cette insignifiance médiatique est pleine de sens.

Encore un de ces paradoxes inouïs de pertinence dont les échos rythment les légendes indigentes des shitholes. En effet, quoi de plus révélateur qu’une insignifiance significativement opportune ! C’est indéniablement instructif de comprendre que derrière le non-sens il y a toujours un sens estompé, comme une porte dérobée, qui révèle en filigrane un non-sens plus grand encore ! C’est en tout cas l’impression qui se dégage en analysant la communication officielle et la médiatisation des activités du comité multisectoriel haïtien en charge de la riposte stratégique face au Coronavirus. Au-delà de l’impuissance du pouvoir politique, cette insignifiance communicationnelle dit surtout l’insignifiance académique et l’insignifiance médiatique qui sont les principaux vecteurs de l’indigence politique triomphante en Haïti. Car avec des universitaires éthiques et des professionnels de médias compétents, il eut été possible de déjouer les pièges de la médiocrité en amenant l’opinion publique à être plus exigeante vis-à-vis de ses droits, de ses intérêts.

Dans cette tribune, nous nous proposons de décrypter le VIDE qui voile les activités du comité en charge de la riposte nationale face au Coronavirus mais aussi la bulle médiatique qui lui sert d’enveloppe. Il y a lieu de retenir trois moments dans ce vide stratégique tapis derrière l’insignifiance communicationnelle. Il y a :

• Le temps de l’intronisation, acté par la publication d’un rapport stratégiquement insignifiant.
• Puis, le temps du silence : il laisse croire à un temps de méditation. Si bien que certains se sont demandé s’il s’agissait d’une une communication maitrisée relevant d’une diplomatie de la discrétion.
• Et enfin, le temps béni de l’apocalypse : il révèle la prédiction de la catastrophe qui guette Haïti par la menace du COVID19.

L’unité de ces trois moments dans la stratégie de riposte des autorités sanitaires haïtiennes permet de lever le voile sur l’insignifiance communicationnelle pour acter de la signification de l’impuissance politique face à cette crise. Tout dans cette communication suggère la probable existence d’une mission dissimulée que seule la pensée critique qui n’est pas subventionnée peut aider à révéler.

Misère et indigence des éditollahs courtisans

Est-il besoin de rappeler que toute communication est stratégique et donc en conséquence au service du sens et de l’action ? Est-ce nécessaire de préciser que toute distorsion informationnelle ne peut que plomber l’efficacité du processus décisionnel qui sous-tend une stratégie de communication en période de crise ? Voilà la corrélation, entre communication et stratégie, qui va nous guider pour analyser le vide qui gonfle démesurément la bulle médiatique entourant les activités de ce dit comité. Un comité qui, rappelons-le, semble travailler sous fausse bannière, tant il donne l’impression de n’avoir point d’autre rôle que de servir de « caution scientifique » pour valider, en temps opportun, les choix sanitaires calqués sur les injonctions venues d’ailleurs que le leadership politique haïtien, blasé et décrié, aurait du mal à endosser.

Et c’est pour faciliter le comité dans la réussite de cette mission, aux objectifs inavouables et conséquence surement préjudiciables pour la majorité, que les « grands médias » haïtiens laissent retentir en chorale liturgique ces élogieux Habemus Papam. N’avez-vous pas remarqué avec quelle flagornerie, quel renoncement d’amour propre, quelle soumission assumée et surtout quelle médiocrité éditoriale, les médias huppés haïtiens mettent en avant, non pas le travail du comité en lui-même, puisque de travail, il n’y en a point, mais le succès du plus influent de ses membres ? N’avez-vous pas lu ces éditoriaux, ces messages et écouté ces entretiens, postés sur les réseaux sociaux, dans lesquels des journalistes haïtiens font passer pour des divinités et des oracles livrant la prophétie épidémiologique, des hommes qui sont certainement de grands médecins, sans offrir la moindre effronterie médiatique par une question capable de laisser percevoir une once de compétence, un soupçon d’éthique professionnelle ?

En effet, un mois après la création de ce comité, sans aucune activité à valeur ajoutée, on s’étonne qu’un tel vide stratosphérique soit gonflé par une bulle éditoriale si élogieuse et des entretiens médiatiques si complaisants et insignifiants. On dirait des éloges, des cantiques et des psaumes tressés pour mieux étoffer le nœud papal qu’on cherche à passer autour du cou du peuple haïtien. La stratégie est si bien chronométrée, si bien orchestrée que certains n’ont même pas vu passer, par le même canal médiatique insignifiant, l’intervention de la professeure Louise Yvers de l’Université de Harvard qui révèle l’existence de plusieurs petites épidémies en Haïti. Serait-ce la voix américaine autorisée qui a donné le feu vert pour la révélation de la prédiction papale d’une catastrophe sanitaire en Haïti à coup de milliers de morts ? Il est navrant et frustrant que le rédacteur en chef d’un journal centenaire qui se veut par ailleurs prestigieux n’ait pas eu la décence minimale de demander à son bienveillant interlocuteur sur quel modèle mathématique se basent de telles prédictions alarmistes ?

Peut-être que ce super journaliste, dans sa dévote admiration envers son auguste interviewé, n’a pas cru nécessaire de mettre à l’épreuve l’infaillibilité papale de son hôte en rappelant que la propagation d’une contagion dans un pays, qu’importe que ce soit une pandémie, obéit à un modèle mathématique qui fait intervenir des paramètres dépendant de facteurs endogènes, c’est-à-dire propres à chaque pays. Et parmi ces facteurs, il y en a un qui s’appelle la résistance naturelle à la maladie qui joue un rôle clé dans la propagation ou la maitrise de toute contagion. De sorte qu’il est impossible de faire des prévisions épidémiologiques et de proposer des solutions si on ne dispose pas d’un modèle mathématique, de données fiables et pertinentes sur la santé de la population, notamment sur sa résistance naturelle face à certains virus pour lesquels on connait rigoureusement le comportement. Or, non seulement, dans le cas du Coronavirus, les pays qui disposent de moyens sanitaires et d’outils épidémiologiques sophistiqués ne comprennent pas encore totalement le comportement du virus ; mais, en plus, en Haïti, il n’y a aucune donnée sur la santé de la population qui permettrait de connaitre les paramètres propices à la formulation d’une modélisation mathématique apte à faire des prévisions. En outre, il n’y a ni études ni tests qui ont été réalisés en Haïti pour générer des données permettant d’éprouver le modèle mathématique formulé et s’autoriser confirmer les prédictions pour approcher la réalité et riposter pour maitriser la maladie.

S’il n’y a pas de modèle englobant dans une équation, entre autres facteurs, la compréhension du fonctionnement du virus, la réalité sanitaire locale et la résistance naturelle de la population, s’il n’y a pas de données contextuelles sur la validation du modèle, on est dans une situation de réchauffé médiatique et d’insignifiance académique. Autrement dit, nos experts du comité scientifique ne font que reprendre ce qui se dit ailleurs, sans aucune contextualisation, sans aucune donnée factuelle, pour mieux adopter les injonctions qui leur seront dictées pour le shithole dont ils sont les pontifes mandatés. On s’étonne d’ailleurs que ces prévisions ne tiennent pas compte d’une réalité climatique assez proche de la nôtre : l’immunité relative des populations, notamment africaines, exposées de manière chronique à des foyers de malaria. Le simple bon sens pousse déjà à se demander s’il n’y aurait pas un lien entre l’exposition aux agents pathogènes de la malaria et les recherches médicamenteuses qui curieusement semblent majoritairement basées sur des antipaludéens ?

L’indignité dans la conscience ou l’Intelligence Adaptative de l’indigence

Devant tant d’insignifiance académique manifeste, quand on voit les bassesses éditoriales et les génuflexions médiatiques devant sa sainteté papale, on se demande si c’est vraiment le parcours du médecin qui est célébré ou si ce sont les accointances diplomatiques lui donnant de l’influence, laquelle ouvre toutes les portes dans un shithole, qui sont mises à contribution ? Qui peut oublier que, par le passé, en 2010, ces mêmes éditorialistes avaient enfumé la population en présentant le chanteur Michel J. Martelly, disposant du soutien de puissantes accointances diplomatiques, comme l’idole de la jeunesse haïtienne ? Qui peut ne pas se souvenir qu’en 2016, ces mêmes médias, avaient vendu au peuple haïtien, contre de grasses subventions médiatiques, sous forme de publicité, le projet Argitrans, soutenu par les mêmes influenceurs diplomatiques, comme un gigantesque succès bananier aux ramifications mondiales ? Alors, on est en droit de se demander si ces inflexions médiatiques ne sont pas davantage dictées par l’incapacité de certains journalistes, de certains universitaires, de certains professionnels à avoir de la hauteur, de la dignité et de la verticalité devant ceux qui ont l’appui indéfectible du Blanc ? Il est un fait dans un shithole qu’on ne peut plus passer sous silence : tous ceux qui sont médiatisés sont ceux qui ont les accointances diplomatiques internationales et jouissent notamment du soutien diplomatique du puissant voisin nord-américain. Tous ceux qui sont promus à des succès construits sur les défaillances du shithole sont ceux qui gèrent, en bon serviteurs dévoués, les projets par lesquels transitent les millions de dollars prétendument dédiés au soulagement des malheurs du peuple haïtien. Lui qui, pourtant, ne finit pas de gober la merde que d’autres concoctent et vendent pour leur propre réussite. Lui qui, hélas, n’en finit pas de vivre, en peuple résilient martyrisé, ce chemin croix à travers milles stations shitholiques inventées pour que d’autre méritent et portent leur croix d’honneur.

Faut-il rappeler que les puissances étrangères ne donnent des médailles et ne récompensent que ceux qui sont dévoués et font allégeance à leurs intérêts ? Si tel n’était pas le cas, on aurait vu les Lumumba, Sankara, Allende, Chavez, Castro, Morales et autres leaders du tiers monde, véritables héros de la souveraineté de leur pays et dignes défenseurs de la liberté et des droits de leur peuple, recevoir aussi de ces puissances diplomatiques d’innombrables médailles. Mais hélas, tous ont été combattus, dénigrés et parfois même tués, ou exécutés par les services secrets ou les hommes de mains de ces puissances. Cette diplomatie ambivalente de la récompense est si bien tatouée dans la mémoire des peuples et dans les faits historiques qu’elle a été immortalisée par l’homme d’État Guinéen Sékou Touré : « Quand un Nègre en charge d’imposantes responsabilités dans son pays est félicité par un colon, c’est que ce Nègre est mauvais pour son peuple ».

Empressons-nous de dire qu’il ne s’agit pas de contester, de minimiser, de nier les efforts et d’enlever tout le mérite individuel de ceux qui encensés. Il s’agit simplement de rétablir, dans un contexte exceptionnel, une vérité historique qu’on tend à oublier : les titres honorifiques, les distinctions diplomatiques sont aussi des armes géopolitiques et géostratégiques. Comme telles, elles sont à double sens : elles récompensent les alliés et punissent les infidèles. C’est pour nous une manière de rappeler que les succès des héros, surfant sur les mythes improbables récompensés par les puissants et plébiscités par les médias dominants, ne sauvent pas que des vies, ils en détruisent aussi beaucoup, sinon davantage, dans leur trajectoire, au travers des expériences toujours dommageables pour ceux qui n’ont pas les passe-droits. C’est d’ailleurs le même modèle que l’on trouve dans les mythes chrétiens : Dieu a dû détruire sa création (Genèse 7 à 8) avant de proposer un deal aux élus pour passer l’éponge (Genèse 1 verset 4) et se reprendre. Si même Dieu doit ses légendes à cette ambivalence entre la vie et la mort, entre le crime et la repentance, que dire de ses papes et de ses fidèles qui ne sont, après tout, que des pécheurs parmi les pécheurs ?

Voilà l’insignifiance signifiée qui va nous permettre dans un prochain article de démontrer que cet impensé actif est au service d’une mission dont l’objectif ne peut qu’apporter un nouveau lot de malheurs pour Haïti. Nous nous en voudrions de ne pas souligner que cette insignifiance a de quoi étonner certains, et ce doublement. D’une part, on pouvait se laisser dire que le profil académique et professionnel, plutôt reluisant de quelques-uns des membres de ce comité, enfin profil tel que vendu par les médias haïtiens, pourrait conduire à une résurgence de la dignité nationale par la flamme académique vivifiée. D’autre part, on pourrait espérer qu’une exigence certaine de résultat et qu’un certain souci d’exemplarité auraient pu animer, sinon l’ensemble, du moins les plus influents membres, de ce comité placé au chevet de 11 millions d’habitants survivant et agonisant dans une épaisse obscurité en attendant des perspectives probantes, rassurantes et éclairantes dans cette nouvelle faille activée par le Coronavirus. Une attente légitime après les fiascos retentissants la CIRH (commission pour la reconstitution d’Haïti après le tremblement de terre du 12 janvier 2010), de Matthew (ouragan dévastant le Sud d’Haïti en 2016) et de PetroCaribe. de la CIRH, de Matthew et de PetroCaribe.

Mais, le bon sens devrait relativiser et réfuter ces espérances. Toutes choses étant déformables sous le poids de la précarité, il faut accéder à cette intelligibilité qui veut que dans un shithole les couches sociales, au sommet de la hiérarchie, obéissent non à une logique d’excellence et de dignité, mais à une logique d’indigence et de médiocrité. Elles ne sont habitées par aucune autre intelligence sinon que par celle qui les relie aux injonctions supranationales dont la rationalité dépend des intérêts géostratégiques auxquels elles vouent allégeance. C’est dans ce contexte que l’impuissance et l’insignifiance des couches dominantes dans le shithole haïtien doivent être perçues. Au-delà de la médiocrité qu’elles laissent retentir, elles ne sont qu’une forme d’acclimatation aux turbulences et aux défaillances qui structurent le domaine problématique de l’écosystème national : une IA fonctionnant comme l’Intelligence Adaptative de l’indigence.

Quoi qu’il en soit, une telle indigence dans la conscience, ne saurait ne pas préoccuper un Haïtien intègre et authentique qui n’a ni vocation à quitter son pays ni disposition à se laisser coopter, corrompre ou même intimider par la perspective certaine de la mort qui attend ceux qui osent dire la vérité dans les shitholes. C’est même sur cette voie éthique, éminemment risquée que se trouve l’espérance de la régénération. Il faut donc du courage et de l’intelligence pour éclairer les contours merdiatiques et montrer que c’est à travers leur insignifiance qu’on laisse flotter, à dessein, les vents mauvais mettant en scène les drames qui font vivre la légende des shitholes. Pour autant, il faut aussi se dire que cette insignifiance n’est pas une fatalité, elle n’est qu’un écran de fumée qui masque un immense opportunisme méthodologique au service d’intérêts financiers et d’autres réussites qui hypothèquent l’avenir de la majorité des Haïtiens. Plus objectivement, il faut la claire conscience que cette impuissance des acteurs étatiques, académiques et sociaux est le raccourci que prend l’indigence pour promouvoir la médiocrité comme modèle de réussite pour le shithole.

Si au sommet de la hiérarchie académique et sociale, cette indigence est célébrée comme l’intelligence du lettré et de l’homme de bien cons-finés dans un éternel marronnage ; à la base de la hiérarchie, elle est vécue comme une forme de débrouillardise individuelle qui permet de survivre au-delà de la laideur. Voilà encore une fois révélée la vérité sur la méthodologie de fabrication des shitholes : la rencontre de deux faiblesses qui, s’appuyant l’une sur l’autre, l’une au sommet et l’autre à la base, finissent par se structurer pour générer un immense vide dans lequel retentit un effondrement total. Effondrement qui sera transformé en facteur de réussite pour la minorité au sommet et en motif de résilience pour la majorité au centre et à la base par l’effet combiné de leur déshumanisation respective. Comme disait Simone Weil, l’effondrement ne subsiste que là où se rencontrent des êtres déshumanisés. Voilà pourquoi il faut magnifier l’intelligence pour relever les consciences en laissant éclater d’innombrables foyers d’étincelles pour éclairer l’enfumage.

Erno Renoncourt

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