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La mutation du système d’intervention militaires des Etats-Unis.

L’illusion de la maïtrise impériale du chaos* (2ème et dernière partie) (Rebelion)

Dépenses militaires

les dépenses militaires des Etats-Unis semblent sous-estimées par les statistiques officielles. En 2012 les dépenses du Département de la Défense atteignaient 700 000 millions de dollars. Si nous y ajoutons les dépenses qui apparaissent intégrées (diluées) à d’autres lignes budgetaires (Département d’Etat, USAID, Département de l’ !Energie, CIA et autres agences de sécurité, paiement d’intérêts, etc...) ce chiffre atteint les 1,3 billions (millions de millions) de dollars (18). Ce chiffre équivaut à quasiment 9 % du PIB, à 50% des revenus fiscaux prévus, à 100 % du déficit fiscal.

Ces dépenses militaires réelles représentent quasiment 60 % des dépenses militaires mondiales. Si nous y ajoutons les dépenses militaires des pays alliés de l’OTAN et de quelques pays vassaux hors-OTAN comme l’Arabie Saoudite, Israël, ou l’Australie, on arrive à un minimum de 75% .(19)

A partir du grand essor du début, lors de la Deuxième Guerre Mondiale, et de l’accalmie de l’immédiat après-guerre, les dépenses militaires américaines réelles ont oscillé autour d’une tendance ascendante en traversant quatre grandes vagues bellicistes : la guerre de Corée au début des années 50, la guerre du Vietnam des années 60 à la moitié des années 70, la "guerre des étoiles" de l’époque Reagan dans les années 80 et les "guerres humanitaires" et "guerres contre le terrorisme" d’après la Guerre Froide.

Le keynesianisme militaire appartient au passé mais l’idée que guerre extérieure et prospérité intérieure sont liées continue à dominer l’imaginaire de vastes secteurs aux Etats-Unis. Ce sont des reliquats idéologiques sans fondements réels dans le présent mais bien utiles pour donner une légitimité à des aventures guerrières.

Néstor Kirchner, ancien président de l’Argentine, a révélé lors d’une entrevue avec Oliver Stone pour son documentaire “South of the Border” que l’ex-président des Etats-Unis George W. Bush était persuadé que la guerre était la façon de faire croître l’économie des Etats-Unis. La rencontre entre les deux présidents se produisit lors d’un sommet à Monterrey, au Mexique ; en janvier 2004, et la version de président Argentin est celle-ci : "J’ai dit que la solution aux problèmes du moment, je l’ai dit à Bush, c’est un Plan Marshall. Et il s’est mis en colère. Il a dit que le Plan Marshall est une idée déraisonnable des Démocrates et que la meilleurs façon de revitaliser l’économie, c’est la guerre. Et que les Etats-Unis sont devenus plus forts avec la guerre." (20).

Récemment, Peter Schiff, président de la société de conseils financiers "Euro Pacific Capital” a écrit un texte délirant, amplement diffusé par les publications spécialisées, et dont le titre dit tout : "Pourquoi pas une autre guerre mondiale ?" (21). Il commence son article en signalant que les économistes sont tous d’accord sur le fait que la Deuxième Guerre Mondiale a permis aux Etats-Unis de surmonter la Grande Dépression et que si les guerres d’Irak et d’Afghanistan ne parviennent pas à ranimer de manière durable l’économie américaine c’est du à ce que ("les conflits en question sont trop petits pour être économiquement importants".

Si nous nous centrons sur l’analyse de la relation entre dépenses militaires, PIB et emploi, nous constatons que :

 les dépenses militaires sont passée de 2 800 000 000 de dollars en 1940 à 91 000 000 000 en 1944
 cela a fait grimper le PIB de 101 000 000 000 de dollars en 1940 à 214 000 000 000 en 1944 (le PIB a doublé en seulement 4 ans)
 le taux de chômage avait à peine baissé de 9 % à 8 % entre 1939 et 1940, alors qu’en 1944 il avait chuté à 0,7 %

Le premier bond important dans les dépenses militaires s’est produit entre 1940 et 1941 quand celles-ci passèrent de 2 800 000 000 de dollars à 12 700 000 000, ce qui équivalait à 10 % du PIB (22), proportion assez semblable à celle de 2012 (1,3 billions de dollars, soit approximativement 9 % du PIB).

Cela veut dire que les dépenses militaires de 1944 étaient 7 fois plus élevées que celles de 1941. Si on transcrit ce bond en chiffres actuels, cela signifie que les dépenses militaires réelles des Etats-Unis devraient atteindre en 2015 quelques 9 billions de dollars, l’équivalent par exemple de 7 fois le déficit fiscal de 2012.

Une succession de bonds dans la dépense publique entre 2012 et 2015 serait cause d’une accumulation gigantesque de déficits que ni les épargnants américains ni le reste du monde ne seraient à même de couvrir en achetant des titres à un empire devenu fou.

Schift rappelle dans son texte que les épargnants Américains ont acheté pendant la Deuxième Guerre Mondiale 186 000 000 000 de dollars en bons du trésor, ce qui constitue l’équivalent de 75 % de la totalité des dépenses du gouvernement fédéral entre 1941 et 1045, concluant qu’une telle "prouesse" est impossible aujourd’hui.
C’est simplement, nous explique Schift en poussant à l’extrême son raisonnement sinistre, qu’il n’y a pas où obtenir l’argent qu’il faudrait pour mettre en œuvre une stratégie militaire-réanimatrice analogue à celle de 40 - 45.

En réalité, cette impossibilité est bien la plus forte. L’économie des Etats-Unis de 1940 était dominée par la production, principalement industrielle, alors qu’actuellement la consumérisme, toute une série de services parasites (à commencer par les "bouquets" financiers), la décadence généralisée de la culture de la production, etc...nous indiquent que même si on appliquait une injection de fonds publics équivalente à celle de 40 - 45, on ne pourrait pas atteindre une réanimation de cette envergure. Le parasite est trop gros, sa vieillesse est très avancée, et aucune médecine keynesienne ne peut le soigner ou faire au moins qu’il soit capable de recouvrer une partie importante de sa force juvénile.

L’illusion de la maîtrise impériale du chaos

On peut établir une convergence entre l’hypothèse de l’ "économie de guerre permanente" et celle du "keynesianisme militaire", cette dernière exprimant la première étape du phénomène (approximativement entre 1940 et 1970). Ce furent les années de la prospérité impériale dont les dernières années déjà mêlées à des symptômes évidents de crise se sont prolongées jusqu’à la fin de la Guerre Froide. A cette période florissante a succédé une seconde, post-keneysienne, caractérisée par la domination financière, la concentration des revenus, la baisse salariale, la marginalisation et la dégradation culturelle en général, période durant laquelle l’appareil militaire a opéré comme un accélérateur de la décadence, provoquant déficits fiscaux et endettement public.

Le choix de la privatisation de la guerre est apparu comme une réponse "efficace" à la baisse de l’esprit combatif de la population (difficultés croissantes dans le recrutement obligatoire de citoyens à partir de la défaite du Vietnam). Cependant le remplacement de citoyens-soldats par des soldats-mercenaires, ou bien la présence prédominante de ceux-ci finit tôt ou tard par provoquer de sérieux dommages dans le fonctionnement des structures militaires : ce n’est pas la même chose que de gérer des citoyens normaux et une troupe de délinquants.

Quand les basses classes, les bandits, prédominent dans une armée, celle-ci devient une armée de bandits, et une armée de bandits n’est pas une armée. Le potentiel de division des mercenaires est à long terme quasiment impossible à contrôler et leur peu d’ardeur au combat ne peuvent être compensées que très partiellement par des déploiements technologiques extrêmement coûteux et aux résultats incertains.

La conformation de forces clandestines d’élite et non-mercenaires , appuyées sur un appareil technologique sophistiqué, capables de porter ponctuellement des coups dévastateurs à l’ennemi, comme c’est le cas du Joint Special Operations Command (JSOC), sont de bons outils terroristes mais ne remplacent les fonctions d’une armée d’occupation et à moyen terme (souvent à court terme), elles finissent par renforcer l’esprit de résistance de l’ennemi.

On pourrait résumer de manière caricaturale la nouvelle stratégie militaire de l’Empire en s’appuyant sur diverses formes de "guerre informelle" utilisant ensemble des mercenaires (beaucoup de mercenaires) et des escadrons de la mort (type JSOC ), des bombardements massifs, des drones, le contrôle des médias, des assassinats de dirigeants technologiquement sophistiqués. La guerre devient celle d’une élite, se transforme en un ensemble d’opérations mafieuses, s’éloigne physiquement de la population américaine et ceux qui la mènent commencent à la considérer comme un jeu virtuel dirigé par des gangsters.

Par ailleurs, l’utilisation majoritaire de structures à la fois mercenaires et clandestines pour les interventions extérieures a des effets contre-productifs pour le système institutionnel de l’Empire, aussi bien du point de vue du contrôle des opérations que du point de vue des changements (et de la dégradation) dans les relations de pouvoir internes. Le comportement de gangster, la mentalité mafieuse, finissent par s’emparer.des hauts commandements civils et militaires et se traduit au début par des actions vers l’extérieur, les autres pays, puis (rapidement) par des règlements de comptes, par des conduites habituelles à l’intérieur du système de pouvoir.

Le but objectif (au delà des discours et prises de position officielles) de la "nouvelle stratégie" n’est pas l’établissement de solides régimes vassaux , ni l’installation d’occupations militaires durables qui contrôleraient les territoires de manière directe mais c’est bien de déstabiliser, de briser les structures de la société, les identités culturelles, de diminuer ou éliminer les dirigeants. Les expérience de l’Irak et de l’Afghanistan (et du Mexique) et, plus récemment, celles de la Libye et de la Syrie confirment cette hypothèse.

Il s’agit de la stratégie du chaos périphérique, de la transformation des pays et des régions les plus vastes en aires désorganisées, balkanisées, dotées d’états-fantômes, de classes sociales (hautes, moyennes et basses) dégradées en profondeur, incapables de se défendre, de résister, face aux pouvoirs politique et économique d’un Occident qui peut ainsi s’emparer impunément de leur ressources naturelles, de leurs marchés et de leurs ressources humaines (de ce qui en reste).

Cet impérialisme fanatique du XXI° siècle correspond à des tendances à la désintégration dans les sociétés capitalistes dominantes, en premier lieu celle des Etats-Unis. Ces économies ont perdu leur potentiel de croissance vers 2012 après 5 années de crise financière. Elles oscillent entre la croissance anémique (Etats-Unis), la stagnation tournée vers la récession (Union Européenne) et la contraction de la production (Japon).

Les états, les entreprises, et les consommateurs, sont écrasés par les dettes. La somme des dettes publiques et privées représente plus de 500 % du PIB au Japon et en Angleterre et plus de 300 % en Allemagne, en France et aux Etats-Unis dont le gouvernement fédéral était en 2011 au bord du défaut [de paiement]. pour comble de dettes et de systèmes productifs financés, il existe une masse financière mondiale équivalant à une vingtaine de fois le Produit Brut Mondial. Ce moteur dynamisant, cette drogue indispensable au système, a cessé de croître il y a approximativement 5 ans et les gouvernements des principales puissances tentent d’empêcher sa récession.

Alors se présente l’illusion d’une sorte de maîtrise stratégique depuis les hauteurs, depuis les sommets de l’Occident, sur les basses-terres, sur la périphérie, où pullulent des milliers de millions d’êtres humains dont les identités culturelles et les institutions sont vues comme des obstacles à la rapine. Les élites de l’Occident, tout l’empire dirigé par les Etats-Unis, sont chaque jour davantage persuadés que la rapine en question aura une vieillesse prolongée et éloignera le fantasme de la mort.

Le chaos périphérique apparaît à la fois comme le résultat concret d’interventions militaires et financières (produit de la reproduction décadente des sociétés) et comme le fondement de féroces pillages. Le géant impérial cherche à profiter du chaos pour finir par introduire ce chaos dans ses propres rangs ; la destruction souhaitée du monde extérieur n’est pas autre chose que l’auto-destruction du capitalisme comme système mondial, sa perte rapide de rationalité. Le fantasme autour de la maîtrise impérialiste du chaos dans le monde extérieur représente une profonde crise de perception, la croyance que les désirs du puissants deviennent facilement des réalités. L’imaginaire et le réel se confondent en formant un énorme bourbier psychologique.

En réalité, les formes opératives de la "stratégie" de la maîtrise impériale du chaos la transforment en un enchevêtrement de tactiques qui essaient de donner une forme à une masse de plus en plus incohérente, prisonnière du court-terme. Ce qui avait la prétention de devenir la nouvelle doctrine militaire, la pensée stratégique innovante qui répondait à la réalité du monde actuel en facilitant sa domination par le capitalisme n’est pas autre chose qu’une illusion désespérée engendrée par le mouvement de la décadence.

Derrière l’apparence d’ "offensive stratégique" font irruption les gestes de la main défensifs, historiquement, d’un système dont la direction impériale est en train de perdre la capacité d’appréhender la totalité du réel. La raison d’état est en train de devenir un délire criminel extrêmement dangereux compte tenu du gigantisme des Etats-Unis et de ses alliés Européens.

Jorge Beinstein

(*), Cette conférence a été donnée au Seminario Nuestra América y Estados Unidos - Défis du XXI° Siècle - à la faculté des Sciences Economiques d’Equateur, à Quito les 30 et 3I janvier 2013.

Source : La ilusión del metacontrol imperial del caos

Traduction : A. M. 

»» http://www.rebelion.org/noticia.php?id=165092

Notes :

(17), Paul Kennedy, Auge y caída de las grandes potencias, Plaza & James, Barcelona, 1989.

(18), Chris Hellman, $ 1,2 Trillon : The Real U.S. National Security Budget No One Wants You to Know About, Alert Net, March 1, 2011.

(19), Fuentes : SIPRI, Banco Mundial y cálculos propios.

(20), El video de la entrevista Kirchner-Stone publicado por Informed Comment/Juan Cole está localizado en : -angrily-said-war-would-grow-us-economy.html&ei=BYYCUYCnC4P88QSX3oGACA

(21), Peter D. Schiff, Why Not Another World War ?, Financial Sense, 19 Jul 2010.

(22), Vance T. N, 1950, artículo citado en (14).

(23), Dilip Hiro, The Cost of an Afghan ’Victory’, The Nation, 1999 February 15.

(24), Una delegación de la oposición siria viajó a Kosovo, en abril de 2012, para la firma oficial de un acuerdo de intercambio de experiencias en materia de guerrilla antigubernamental. Red Voltaire, Protesta Rusia contra entrenamiento de provocadores sirios en Kosovo, 6 de Junio de 2012.

(25), William S. Lind, Colonel Keith Nightengale (USA), Captain John F. Schmitt (USMC), Colonel Joseph W. Sutton (USA), and Lieutenant Colonel Gary I. Wilson (USMCR), The Changing Face of War : Into the Fourth Generation, Marine Corps Gazette, October 1989.

(26), David Isenberg, Contractors and the US Military Empire, Rise of the Right, Aug 14th, 2012.

(27), David Isenberg, Contractors in War Zones : Not Exactly Contracting, TIME U. S., Oct. 09, 2012.
(28), Dana Priest and William M. Arkin, Top Secret America. A hidden world, growing beyond control, Washington
Post, July 19, 2010.

(29), Dana Priest and William M. Arkin, Top Secret America, A look at the military’s Joint Special Operations
Command, The Washington Post, September 2, 2011.

(30), Andrew Bacevich, Uncle Sam, Global Gangster, TomDispatch.com, February 19, 2012.

(31), Narciso. Isa Conde, Estados neoliberales y delincuentes, Aporrea, 20/01/2008, http://www.aporrea.org/tiburon/a49620.html.
Karen DeYoung and Karin Brulliard, As U.S.-Pakistani relations sink, nations try to figure out a new normal, The Washington Post /National Security, January 16, 2012.


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