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L ’heure de la reconquête mapuche.


Le Courrier, mercredi, 24 août 2005.


Argentine - Ecrasés militairement en 1879, les Mapuches de la Patagonie argentine ont traversé le XXesiècle comme des ombres. Parqués, acculturés, réprimés, appauvris, nombre de Mapuches voient dans l’Etat argentin et la société occidentale au mieux un corps étranger au pire un implacable ennemi. Sous l’impulsion de mouvements sociaux déterminés, les Mapuches tentent depuis une vingtaine d’années de reprendre en main leur destinée. Notamment en reprenant le contrôle de leurs terres ancestrales. Rencontre avec Hermenegildo « Chacho » Liempe, l’un des dirigeants du CAI, important mouvement basé dans la province du Rio Negro.


Chapeau de feutre sur ses boucles grisonnantes, la démarche assurée dans son habit de travail, Chacho Liempe est exact au rendez-vous. Dans cet élégant café du centre d’El Bolson, le charpentier mapuche n’est, à l’évidence, pas sur des terres familières. Mais il n’a pas l’habitude, non plus, de se laisser impressionner. Tout juste est-il curieux de ces deux Suisses venus jusqu’aux contreforts des Andes patagoniennes s’enquérir de sa lutte.

Notre intérêt s’explique pourtant aisément. Depuis plus de vingt ans, Chacho et ses camarades du Consejo asesor indà­gena (Conseil assesseur indigène, CAI) tiennent en respect tout ce que le Rio Negro compte de grands propriétaires et autres spéculateurs terriens. D’actions musclées en inlassable travail politique, les activistes du CAI ont fait de cet immense territoire de steppes, s’étendant de l’Atlantique à la cordillère, la bête noire des latifundistes. « Plus aucun Mapuche ne meurt aujourd’hui d’avoir voulu défendre sa terre », dit fièrement Chacho.

Une façon de souligner qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Spoliés de leur territoire ancestral après la défaite militaire de 1879 , sédentarisés de force, écartés du commerce et du pouvoir, les Mapuches argentins ont subsisté en s’accrochant à leurs fermes et à leurs troupeaux. « Sous la menace, beaucoup de petits éleveurs ont dû vendre leur terre, accuse Chacho. Ceux qui résistaient, disparaissaient un matin sans laisser de trace. » D’autant plus facilement que nombre de Mapuches n’existaient pas pour les listes de l’état civil. D’aveugle, l’Etat pouvait aussi se faire complice, avalisant de faux titres de propriété ou envoyant des troupes intimider les récalcitrants.
Quand Chacho Liempe raconte, ses traits s’affûtent encore. L’apparente timidité s’efface ; les mots sont froids comme du métal. Froids comme ce café oublié par la passion.


Du Conseil au mouvement

La révolte surgit quand on ne l’attend plus. En 1984, alors que la démocratie renaissante se cherche une « législation autochtone », des Conseils indigènes apparaissent un peu partout en Argentine. Le Gouvernement du Rio Negro prend langue avec une poignée de notables amérindiens pour qu’ils composent un groupe consultatif. « Nous sommes arrivés à 120 à leur première réunion ! », s’amuse encore Chacho.
Du Conseil espéré par les autorités ne reste que le nom. « Le CAI est un vrai mouvement de base », insiste le militant. Avec un horizon également élargi : le respect des droits du peuple mapuche.

Le premier d’entre eux, la terre, est défendu avec un acharnement particulier. Malgré les distances gigantesques -le Rio Negro est cinq fois plus grand que la Suisse, mais treize fois moins peuplé- le CAI n’hésite pas à regrouper des centaines de militants pour s’opposer physiquement à une expulsion ou occuper une estancia.
Des actions radicales que le CAI sait marier à un travail plus politique, cherchant l’appui d’autres organisations sociales ou la présence des médias pour contenir la répression. Avec l’aide d’avocats, les activistes mapuches ont aussi appris à retourner l’arme juridique « contre les Blancs ». Depuis une dizaine d’années, près de 90000 hectares de terres ont ainsi retrouvé leurs propriétaires ancestraux.
« Ces récupérations juridiques sont importantes, souligne le militant mapuche, mais surtout d’un point de vue symbolique. Ce que nous voulons, en tant que peuple, c’est reprendre en mains notre destin. Et par conséquent, le contrôle de notre territoire. »


« Comprendre le monde »

Chacho Liempe voit dans ces « succès partiels » le fruit d’une démarche spécifique au mouvement : « Dès le départ, on a ressenti le besoin de comprendre le monde dans lequel on vit. » Une gageure pour des paysans peu instruits, mais pour qui rien ne semble impossible. Au point que les termes de globalisation, jurisprudence, capitalisme ou impérialisme jaillissent chez eux avec le plus grand naturel... « Ce monde nous a été imposé de force, rappelle Chacho. Ce n’est pas, et ce ne sera jamais le nôtre. Mais si nous ne le comprenons pas, nous ne pouvons le combattre. »

Le propos est franc, direct. Le regard ne cherche pas l’approbation. Au CAI, les institutions « blanches » n’ont que très peu de crédit, on ne jure que par l’auto-organisation. Le fruit de l’expérience, assure le militant, qui met en avant les houleuses relations entretenues par le mouvement et son ancien soutien financier hollandais. « Cette ONG jugeait nos positions trop radicales. Elle a essayé de nous mettre des bâtons dans les roues. Lorsqu’elle a voulu salarier des militants -pour mieux les contrôler- nous avons rompu. »

Le Conseil a repris désormais sa « totale indépendance ». S’inspirant des anciens, le mouvement ne reconnaît qu’un seul organe décisionnel, l’assemblée ou Trawm. Souveraine, celle-ci peut immédiatement révoquer tout dirigeant. Au niveau financier, le seul apport extérieur provient d’une ONG suisse qui soutient notamment le CAI dans l’arène juridique.

Cette autonomie fièrement reconquise n’est pas sans conséquences. A El Bolson, le dernier pick-up à disposition, légué en son temps par deux routards solidaires, donne d’évidents signes de fatigue. « On n’a plus rendu visite à certains de nos camarades depuis plus de cinq ans », se désole Chacho.
Lui-même avoue consacrer l’essentiel de son temps au CAI sans espérer la moindre compensation financière. « Mais dès que j’ai un moment, j’essaie de travailler pour la maison », sourit-il brièvement. Puis son regard se fige à nouveau : « Vous savez, nous vivons dans des conditions que vous n’imaginez même pas possibles... Et pourtant, nous vivons, c’est comme ça. Mais, ajoute-il, notre pauvreté est aussi une chance : nos besoins sont minimes, on s’entraide avec nos moyens. »

Après un bref silence, Chacho tranche dans le vif : « Avec de l’argent, on peut bien sûr aider une association. Mais on peut aussi la détruire. »

Benito Perez en collaboration avec Sarah Scholl


Le discrédit du monde des Blancs


Dans la bouche du charpentier mapuche, son histoire personnelle se confond perpétuellement avec celle de son peuple. Il n’y a là aucune mystification. « Ma famille vivait dans l’actuelle province de Buenos Aires, témoigne Chacho Liempe. Mes abuelos (grands-parents mais aussi ancêtres, ndlr) ont du fuir l’avancée des Blancs. »
La blessure est béante. La relation avec les Blancs irrémédiablement entachée. « Ce sont leurs grands-parents qui ont chassé et assassiné les nôtres », insiste Chacho.


Génocide culturel

La culture orale des Mapuches a conservé vif le souvenir de la tragédie. Les pillages, les massacres, la longue fuite devant les armées chilienne et argentine (lire ci-dessus). « Les pays ne sont pas des réalités intangibles comme on essaie souvent de le faire croire. L’Etat argentin s’est bâti sur un génocide. »

Le terme n’est pas galvaudé. Territoire, autonomie, mode de vie, religion, langue, solidarités... tout le patrimoine mapuche a été systématiquement brisé un siècle durant. Un processus totalitaire qui a impliqué l’ensemble des institutions nationales.

Les chrétiens jouèrent un rôle déterminant, selon Chacho Liempe. « Pour mieux s’implanter, affirme-t-il, l’Eglise, ou plutôt les Eglises se sont appropriées une part de notre culture. C’est leur stratégie coloniale de toujours : vider un héritage culturel de sa substance pour le détruire. »


Tout à reconstruire

Depuis une vingtaine d’années, la tendance semble s’inverser. A l’instar des Quechuas et des Aymaras andins, les Mapuches argentins et surtout chiliens ont su constituer de puissants mouvements politiques et revitaliser leur culture millénaire.

La reconstruction sera longue, tempère Chacho Liempe. Au Sud plus qu’ailleurs, estime-t-il, « tout doit être réinventé ». A l’image des anciennes solidarités tribales à traduire dans un quotidien sédentaire et éclaté. « On doit se débarrasser de l’individualisme qui nous a été inculqué », dit Chacho.
Loin de lui, toutefois, l’idée de rejeter tout ce qui a changé en un siècle. « Nous devons pouvoir choisir ce que nous voulons conserver. Etre maîtres de notre destin. »

Autonomes ? Le mot n’est pas prononcé. Consciemment. Mais l’idée enveloppe le propos. Sauver le mapudungun, la langue mapuche ? Bien sûr, mais sans passer par l’école publique, discréditée par des décennies de propagandisme. Faire adopter des lois protégeant l’environnement ?
« Pourquoi pas. Mais, on devra quand même se mobiliser pour préserver notre territoire. » Passer des alliances avec d’autres mouvements sociaux, avec les progressistes blancs ? « C’est indispensable, seuls nous ne parviendrons à rien. Mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés, les conflits d’intérêt... »

Le sujet est sensible. « Pour la gauche, poursuit-il, c’était plus confortable avant, lorsque les Mapuches ne comptaient pas. La réforme agraire, par exemple, consistait juste à prendre des terres et à les répartir entre les paysans. Mais ces terres sont aussi notre territoire. Nous sommes bien sûr favorables à repenser la propriété de la terre et travaillons à cela avec d’autres mouvements. Mais, aujourd’hui, on ne peut plus la distribuer sans prendre en considération les droits et les aspirations de notre peuple. »

Benito Perez

 Source : Le Courrier www.lecourrier.ch


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 Lire la suite sur RISAL :
http://risal.collectifs.net


Les nouvelles forces des Indiens, par Claude Dupontier.


Et aussi :


 Réseau d’information et de soutien du peuple Mapuche.
http://mapuche.free.fr

 Dossier Mapuches sur RISAL :
http://risal.collectifs.net

 Cinq siècles d’ expropriation et de résistances
Les Mapuches chiliens tués à petit feu.
www.monde-diplomatique.fr


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