La pensée unique parle du déclin de l’Europe pour préparer l’austérité
Les discours anxiogènes de l’économie orthodoxe et du néolibéralisme conduisent à entériner les régressions sociales voulues par les élites financières. Sous l’effet de la concurrence, les économies occidentales seraient victimes de la montée en puissance des nouveaux pays émergents.
Au Quai d’Orsay on parle volontiers de changement d’époque mais on oublie de parler de la redistribution des sièges au Conseil de Sécurité de l’ONU. Dans son discours à l’école Polytechnique sur la puissance de la France, Laurent Fabius déclarait ainsi, « nous ne vivons pas seulement un moment de crise, voire une série de crises, mais bien un changement de monde ».
Pour mieux décrypter les communications gouvernementales, on peut s’intéresser aux travaux de Christian Salmon. Le contributeur à Médiapart affirme dans son livre Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, que « le monde de demain sera le résultat d’une lutte entre les narrations imposées et les contre-narrations libératrices ».
Une discussion encore parfaitement d’actualité, alors que le co-fondateur du pure player, Laurent Mauduit relayait début février, sur son fil Twitter, la pétition de l’Association française d’économie politique, présidée par André Orléan. Une fois encore, en renonçant à la création d’une nouvelle section de recherche en économie, le gouvernement (Geneviève Fioraso et Najat Vallaud-Belkacem) fait obstacle à l’expression du pluralisme au profit des thèses néolibérales.
Dans un courrier à la ministre de l’enseignement supérieur, le récent prix Nobel et adepte de l’économie classique Jean Tirole évoquait le danger d’un « relativisme des connaissances, antichambre de l’obscurantisme ». Un discours avec une résonance particulière alors qu’Alexis Tsipras s’oppose à la Troïka et « n’accepterait pas de prolonger le programme d’aide financière dont [la Grèce] bénéficie »...
La mondialisation heureuse existe-t-elle vraiment ?
La fameuse expression d’Alain Minc, sur « la mondialisation heureuse » démontre avec quel cynisme on peut encourager à renoncer à « la tentation des manipulations monétaires » et à lever « les tabous de la flexibilité et du smic pour combattre le chômage »... Pour beaucoup aujourd’hui, la mondialisation heureuse peut effectivement se traduire comme la course à l’austérité qui conduit à l’aggravation de la situation économique.
Face à la lente dépréciation de la condition européenne, certains opposeront l’émergence de nouvelles puissances géostratégiques. Ainsi, dans son livre Le choc des empires, l’essayiste Jean-Michel Quatrepoint nous explique que « la Chine poursuit méthodiquement sa longue marche, pour redevenir la première puissance mondiale, qu’elle était au XVIIIè siècle, avant la première révolution industrielle ».
Il est vrai que depuis 1995 la présence chinoise en Afrique témoigne de la nouvelle distribution des cartes dans l’espace des relations internationales. Toutefois, le spécialiste du continent Jean-Yves Ollivier rappelle que le succès de ces nouveaux aventuriers de la mondialisation n’est pas dû au hasard. En effet, « ces gens-là sont habitués à travailler dur et souffrir en Chine (où l’on appelle cela "manger amer", chi ku) ».
Malgré les innovations langagières comme l’acronyme des BRICS ou les rapports de la Banque Mondiale et du FMI, l’Afrique reste victime d’une extrême pauvreté. Selon le Chef économiste pour la région Afrique à la Banque mondiale, Luc Christiansen, « la croissance est bonne mais, pour réduire la pauvreté, il faut changer la nature de cette croissance ».
Une situation analogue à celle que nous aurions pu décrire en Amérique latine ou dans certains pays d’Asie et qui pose beaucoup de questions... Pour éviter de « chi ku », l’Europe va-t-elle finir par revenir sur les dogmes qui lui sont imposés ? A l’heure du traité transatlantique, le Buy American Act fera-t-il par exemple l’objet d’un débat ?
Florian Dessat