Noam Chomsky interviewé par Steven Garbas

L’ère des drones (Znet)

Dialogue entre le Professeur Noam Chomsky et Steven Garbas à Cambridge en mai 2013. Ils parlent de cette nouvelle époque, l’ère des drones, et de la présidence Obama.

Noam Chomsky : En conduisant ce matin j’écoutais les nouvelles sur la National Public Radio (NPR). Ils ont commencé l’émission en annonçant, tout excités, que l’industrie des drones connaît un tel boom que les instituts d’enseignement supérieur font tout pour ne pas rater le coche, ils ouvrent de nouveaux cours dans les écoles d’ingénieurs... ce genre de choses. Pourquoi l’enseignement de la technologie des drones ? C’est ce que les étudiants veulent. À la clé il y a un nombre fantastique de postes de travail.

C’est vrai. Si vous regardez les comptes rendus publics vous pouvez imaginer ce que sont les comptes rendus secrets. On sait depuis quelques années, et on sait de mieux en mieux, que les drones, en effet, sont déjà utilisés par certaines polices pour la surveillance. Et ils sont conçus pour toutes les utilisations imaginables. En théorie, et peut-être en pratique aussi, vous pouvez avoir un drone de la taille d’une mouche qui pourrait bourdonner par là [il montre la fenêtre] et nous écouter parler. Je ne serais pas loin de penser que ce sera une réalité dans pas longtemps.

Et bien entendu on les utilise aussi pour commettre des assassinats. Il y a une campagne globale d’assassinats en cours. C’est assez intéressant si vous regardez la façon de procéder. J’imagine que tout le monde a vu la première page du New York Times où se trouvait ce qui est en gros une fuite de la Maison blanche ; parce qu’ils sont apparemment fiers du déroulement de la campagne globale d’assassinats. En gros, le matin le président Obama voit John Brennan, son conseiller pour la sécurité, aujourd’hui à la tête de la CIA. Apparemment Brennan est un ancien prêtre. Ils parlent de Saint Augustin et de sa théorie de la guerre juste, et ensuite ils décident qui va être tué aujourd’hui. Et les critères sont assez intéressants. Par exemple, si, disons, au Yémen, un drone détecte un groupe de messieurs réunis autour d’un camion, il est possible qu’ils soient en train de planifier quelque chose qui pourrait nous affecter. Pourquoi ne pas assurer le coup, en les tuant ? Et il y a d’autres choses comme ça.

Des questions surgissent quant au droit à un procès juste et équitable, principe fondateur du droit états-unien – c’est un principe vieux de 800 ans, qui remonte en fait à la Grande Charte. Qu’est devenu ce principe de droit ? Le procureur général Eric Holder dit qu’ils reçoivent un procès juste et équitable parce que « c’est discuté au niveau du pouvoir exécutif ». Le roi Jean sans Terre, au XIIIème siècle, qui a été contraint de signer la Grande Charte, aurait adoré cette réponse. C’est vers cela que nous allons. Les principes fondateurs des droits civils sont pulvérisés. Ce n’est pas le seul cas, mais c’est le plus illustratif. Et les réactions sont assez intéressantes, elles vous montrent bien la mentalité du pays. Il y avait une interview, je crois que c’était Joe Klein, un peu le libéral dans l’un de ces journaux, on l’interroge à propos du cas où quatre fillettes ont été tuées par les tirs d’un drone. Et sa réponse en gros c’était « eh bien, il vaut mieux que ce soit leurs fillettes que les nôtres ». En d’autres termes, peut-être que ce bombardement a empêché une action postérieure qui aurait pu être néfaste pour nous.

Il y a une clause dans la Charte de l’ONU qui permet l’emploi de la force sans l’autorisation du Conseil de sécurité, une petite exception dans l’article 51. Mais elle fait précisément référence au cas d’une « attaque imminente », qui serait soit en cours soit imminente, de telle sorte qu’il n’y ait plus le temps de la réflexion. C’est un principe qui remonte à Daniel Webster et à la Caroline Doctrine qui spécifie ces conditions. Cela a été réduit en miettes. Pas seulement pour le cas des attaques de drones, mais bien au-delà. Donc peu à peu les fondements de notre liberté sont réduits en miettes, détruits. En fait Scott Shane, l’un des auteurs de l’article du New York Times, avait écrit une réponse aux différentes critiques exprimées. Sa conclusion était assez pertinente, me semble-t-il. Il disait à peu près : « C’est mieux que Dresde ». N’est-ce pas ? Ouais, c’est mieux que Dresde. C’est donc la limite : nous ne voulons pas tout détruire. Simplement nous allons les tuer parce que peut-être qu’un jour ils pourraient nous causer du tort. Peut-être. En attendant, bien entendu, que faisons-nous ?

Je pense que c’est tout cela, et y compris les systèmes de surveillance, qui va prendre un caractère et une dimension difficiles à imaginer. Et bien sûr maintenant les informations peuvent être collectées sans limite. En fait il paraît qu’Obama a un dispositif de stockage de données qui est en train d’être construit dans l’Utah, un lieu où on fait entrer toutes sortes de données. Qui sait quoi ? Probablement tous vos mails, toutes vos conversations téléphoniques, un beau jour ce que vous dites à quelqu’un dans la rue, où vous étiez dernièrement, vous savez, à qui vous parlez, probablement une tonne d’informations de ce genre se trouvera là-bas. Est-ce que cela veut dire quelque chose ? En fait probablement pas autant que tant de monde le craint. Je ne pense pas que ces données soient effectivement utilisables. En fait, je pense, j’imagine, qu’elles ne sont utilisables que dans un seul but : si le gouvernement pour une raison ou une autre recherche des informations précises sur une personne. Ils veulent savoir quelque chose sur ce gars, ok, là ils pourront trouver des informations à son sujet. Mais au-delà de ça l’histoire et l’expérience suggèrent que cela ne servira pas à grand-chose.

Y compris, il y a quarante ans, il y a cinquante ans – en fait à cette époque j’étais aux procès de la résistance contre la guerre eu Vietnam. J’étais conspirateur non mis en accusation [« unindicted co-conspirator »] dans l’un des procès ; d’autres procès, dont le mien, devaient suivre. J’avais dû regarder d’assez près sur quoi étaient basées les poursuites. Il s’agissait des informations du FBI sur les gens. C’était comique. Écoutez. Il y avait des cas où ils s’étaient trompés de personne. Ils avaient arrêté une personne, mais ce n’était pas la personne recherchée. Dans l’un des procès, ils me confondaient avec un gars appelé Hershel Cominsky. Ils ne pouvaient pas prononcer les noms juifs correctement. Incroyable. En fait lors du procès [Benjamin] Spock ils ont vraiment fait enrager deux personnes : Mark Raskin, qui avait été accusé et qui ne voulait pas être accusé ; et Art Waskow, qui voulait être accusé et qui n’avait pas été accusé. Il est possible que Waskow fût la personne qu’ils voulaient, mais ils ne pouvaient pas faire la différence entre lui et Raskin. Et ils n’arrivaient pas à monter leurs dossiers. Le procès Spock est un cas très intéressant. Je l’avais suivi de près. C’est dans ce procès que j’étais conspirateur non mis en accusation [« unindicted co-conspirator »], et j’étais donc assis avec les avocats de la défense ; je parlais aux avocats, j’ai fait connaissance avec tout le monde. Le procureur, en fait le FBI, présentait un dossier si faible que les avocats de la défense avaient simplement décidé de se reposer. Ils n’ont pas organisé de défense, considérant qu’une défense aurait apporté une logique là où il n’y en avait pas. C’était un procès pour conspiration. Tout ce qu’ils avaient à faire c’était de trouver les liens entre les choses. Et c’était transparent parce que tout se passait publiquement. C’était le point principal. Et le FBI apparemment ignorait tout simplement tout ce qui était public, parce qu’ils n’y croyaient pas. Tout ce qu’ils faisaient : ils recherchaient des connexions secrètes avec Dieu sait qui – la Corée du Nord, ou quelque chose dans ce genre. Cela n’existait que dans leur tête.

Là ils ont un tas de données sous les yeux, mais ils ne savent pas comment les utiliser. Je pense qu’il y a beaucoup de choses de ce genre.

Steven Garbas : Revenons à cet article du New York Times que vous mentionniez. Il aborde la question de la liste des personnes à abattre [« kill list »] et les réunions du Pentagone dans lesquelles ils décident si un nom peu y être ajouté. Traditionnellement les présidents avaient gardé leurs distances vis-à-vis des opérations de la CIA qui sont un peu hors-la-loi. Mais l’article du New York Times dit qu’Obama est l’autorité qui, en dernière instance, dit si un nom est ajouté à la liste. Avez-vous un commentaire quant à l’existence de cette liste et de quelle façon Obama est-il impliqué dans cette procédure ?

Noam Chomsky : Bon. Toute liste de ce genre devrait être sévèrement critiquée, y compris la liste des terroristes. Maintenant il y a une liste de terroristes, vous savez, une liste de terroristes faite par le département d’État. Jetez-y un œil un jour. Il y a encore quatre ans Nelson Mandela se trouvait sur la liste. La raison : Ronald Reagan était un grand soutien de l’apartheid, et l’un des derniers, pratiquement jusqu’à la fin. Et certainement à la fin de sa présidence il a continué de soutenir le régime d’apartheid. En 1988 l’ANC, le Congrès national Africain de Nelson Mandela, avait été déclaré l’un des groupes terroristes les plus importants au monde. C’était simplement la justification pour soutenir le régime d’apartheid. C’est une partie de la guerre de Reagan contre la terreur. C’est lui qui a déclaré la guerre contre la terreur, pas Bush. Entre autres choses il disait : « Nous devons défendre le régime blanc contre les terroristes de l’ANC ». Ensuite Mandela est resté sur la liste. Ce n’est que tout dernièrement qu’il a pu venir aux États-Unis sans autorisation spéciale.

Voilà la liste terroriste. Il y a d’autres cas. Prenez par exemple Saddam Hussein. Saddam Hussein était officiellement considéré comme un terroriste. Il a été retiré de la liste par Ronald Reagan et son gouvernement en 1982 parce que les États-Unis voulaient apporter leur soutien à Saddam – ce qu’ils ont effectivement fait. Puis ils ont essayé de la cacher, pour différentes raisons. Mais bon voilà un cas : on l’enlève de la liste. Ils ont une place libre. Qu’est-ce qu’ils font ? Ils mettent Cuba. En fait Cuba a certainement subi plus de terrorisme international que le reste du monde réuni. Cela remonte à l’époque où Kennedy avait lancé son attaque terroriste contre Cuba. Mais le sommet a été atteint à la fin des années 1970 : l’explosion d’un avion de ligne, tuant 70 personnes, des explosions dans des ambassades, tout un tas de pratiques de ce genre. Voilà le pays qui a été victime de terrorisme, plus que n’importe quel autre. Et ils sont mis sur la liste terroriste pour remplacer Saddam Hussein, qu’on a plus tard dû éliminer, parce que nous ne voulions plus le soutenir.

Ce que cela veut dire est assez incroyable si vous y pensez un peu. Bien entendu on n’en parle jamais, ce qui veut également dire beaucoup. Mais c’est le genre de questions que nous deviendrions nous poser au sujet de la liste des terroristes : qui y est inscrit et pourquoi ? Et en plus quelle en est la justification ? C’est une décision du pouvoir exécutif, rien à voir avec le pouvoir judiciaire, aucun contrôle. Ils disent : « Vous êtes sur la liste terroriste ! ». Bon, vous pouvez être ciblé pour un rien. Et il y a d’autres listes du même genre. Les fameuses listes de McCarthy sont des exemples mineurs. Il y a des exemples plus sérieux, ce sont des listes officielles du gouvernement. Pour commencer, nous ne devrions pas croire que ces listes sont sacrées ou leur donner la moindre autorité. Elles n’en ont pas. Elles ne sont que des décisions d’État dépendant des caprices du pouvoir exécutif, quelles que soient les raisons qu’ils puissent invoquer. Ce n’est pas le genre de chose que généralement on respecte. Certainement pas dans ce cas-là.

Steven Garbas : Est-ce qu’un jour, dans un lointain futur, on pourrait accuser légalement Obama en raison de son étroite association avec la liste des personnes à abattre [« kill list »].

Noam Chomsky : Je suis certain qu’il le sait. Je soupçonne que c’est la raison pour laquelle il a bien pris soin de disculper tous les gouvernements antérieurs. Pas de poursuites contre Dick Cheney ou contre George Bush, ou Rumsfeld, pour torture, encore moins pour agression. Nous ne pouvons même pas parler de cela. Apparemment les États-Unis sont légalement protégés de toute accusation d’agression.

En fait, on ne le sait pas trop, dans les années 1940 les États-Unis se sont protégés légalement. Les États-Unis ont participé à l’instauration du droit international en 1946, mais ils avaient mis une réserve : les États-Unis ne pourraient pas être accusés de violer les traités internationaux. Ce qu’ils avaient à l’esprit bien sûr c’était la Charte de l’ONU, base du droit international moderne, ainsi que la Charte de l’OÉA, la Charte de l’Organisation des États américains. La Charte de l’OÉA comporte une claire stipulation proscrivant aux pays d’Amérique latine toute forme d’interventionnisme. Il était clair que les États-Unis n’allaient pas être tenus par cette limitation. Et la Charte de l’ONU, ainsi que les principes de Nuremberg, qui y ont été introduits, condamnait sans ambiguïté l’agression, elle est assez bien définie. Et ils l’ont compris, bien entendu. Ils pouvaient lire les propos du procureur spécial états-unien à Nuremberg, Justice Robert Jackson, qui parlait éloquemment au Tribunal. Il disait que des condamnations à mort étaient prononcées premièrement parce que ce qui avait été commis c’était « le plus grand crime international », le crime d’agression, et bien d’autres crimes encore ; et on « tendait à ces personnes un calice empoisonné, et si nous nous en servons, nous devons être soumis au même jugement ; ou sinon tous ces procès sont une farce ». Ce n’est pas très bien exprimé, mais ça devrait être évident. Or il y a une clause qui exclut les États-Unis.

En fait les États-Unis se tiennent en dehors d’autres traités. Presque tous. Si vous jetez un œil à quelques unes des conventions internationales qui sont signées et ratifiées, il y a presque toujours une clause qui dit « non applicable aux États-Unis ». On dit que ce n’est pas directement applicable [« non-self executing »]. Cela signifie que la législation doit être spécifiée dans le pays. C’est par exemple le cas de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Les tribunaux ont été confrontés à cela. Après le bombardement de la Yougoslavie en 1999, la Yougoslavie a attaqué l’OTAN en justice, et le tribunal a accepté la plainte. L’une des règles du tribunal c’est qu’un État ne peut être accusé que s’il accepte la juridiction du tribunal. Les pays de l’OTAN acceptent tous la juridiction du tribunal, mais il y a une exception. Les États-Unis ont fait remarqué au tribunal qu’ils ne font pas partie de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. L’une des accusations c’était l’accusation de génocide. Donc, voilà, les États-Unis ne sont pas concernés, en raison de notre habituelle exemption. L’immunité ce n’est pas seulement une pratique. Cela touche aussi bien sûr la culture, cela nous dit beaucoup quant à notre culture. Et c’est également le cas dans la législation.

En fait la même question peut être posée au sujet de la torture. Le gouvernement Bush a été accusé d’organiser la torture. Mais si jamais cela arrivait devant un tribunal je pense qu’un avocat devrait adopter la position suivante : les États-Unis n’ont jamais vraiment signé la Convention contre la torture. Ils l’ont signée et ratifiée mais elle avait d’abord été modifiée par le Sénat. Elle a été réécrite spécifiquement pour exclure les formes de torture qui sont pratiquées par la CIA, empruntées au KGB russe. Alfred McCoy a bien étudié ces questions, c’est l’un des plus importants universitaires sur les questions de torture. Il fait remarquer que les tortures sur le mode KGB/CIA, ils ont apparemment découvert la meilleure façon de transformer une personne en légume, c’est ce qu’on appelle la « torture mentale ». Pas d’électricité sur les parties génitales, mais le genre de choses que vous voyez à Guantanamo et à Abou Ghraïb, c’est ce qu’on appelle des tortures mentales. Elles ne laissent aucune marque sur le corps. C’est la meilleure méthode, c’est ce que nous faisons. En fait c’est ce que nous pratiquons sans arrêt dans les prisons de très haute sécurité. Bref la Convention a été réécrite pour en exclure ce que la CIA fait, ce que nous faisons, et c’est en fait ce que nous faisons habituellement chez nous, bien qu’on n’en parle pas. C’est donc passé ainsi dans la législation nationale, c’était sous Clinton je crois.

Le gouvernement Bush est-il coupable de torture en droit international ? Ce n’est pas si évident. En fait il n’est pas évident de savoir qui pourrait l’être. Pour en revenir à votre question initiale, je pense qu’Obama a de bonnes raisons de s’assurer que, comme il l’a dit, « il est temps de regarder vers le futur, non vers le passé ». C’est la position habituelle d’un criminel.

Steven Garbas : Certains documents ont été connus le mois dernier, ils ont été rendus publics par le New York Times et par McClatchy. La CIA a donc ensuite réduit son utilisation des sites clandestins en partie par peur des poursuites, parce que des officiels pourraient être poursuivis. Considérant ce que vous venez de dire, pourquoi la CIA aurait peur au point de modifier sa façon d’agir ?

Noam Chomsky : Bon. Ce dont ils ont peur, j’imagine, c’est le genre de chose dont Henry Kissinger a peur quand il voyage à l’étranger. Il existe un concept de « juridiction universelle » qui est assez largement admis. Cela signifie que si un criminel de guerre, une personne qui a vraiment commis des crimes de guerre, des crimes graves – pas forcément des crimes de guerre – arrive sur votre territoire, ce pays a le droit de lui intenter un procès. C’est ce qu’on appelle la « juridiction universelle ». C’est un concept assez flou dans les affaires internationales, mais cela a déjà été appliqué. Un cas fameux c’est l’affaire Pinochet à Londres. Le tribunal britannique a décidé que, oui, ils avaient le droit de le renvoyer au Chili pour un procès. Il existe d’autres cas. Récemment par exemple il y a des cas où des officiers israéliens ont eu peur de venir à Londres, et dans certains cas le voyage a été annulé parce qu’ils pouvaient être rattrapés par le principe de juridiction universelle. Et on a dit que cela fait aussi partie des inquiétudes de Kissinger. Et je pense que c’est ce dont il parle. Tu ne peux pas être sûr que... tu sais, les pouvoirs sont de plus en plus diversifiés dans le monde. Les États-Unis sont encore très puissants, mais rien à voir avec leur puissance de jadis. Bien des signes le montrent. Et tu ne peux pas être sûr de ce que les autres pourraient faire.

Une étude récente montre bien combien diminue la puissance des États-Unis. Je pense que l’on n’a pas parlé de ce qui était le plus important – c’est une étude concernant la globalisation de la torture, faite par le Forum pour une société ouverte il y a quelques semaines. Tu peux trouver ça dans la presse. Il s’agissait d’une étude sur l’extradition. L’extradition, d’ailleurs, est un crime majeur, qui lui aussi remonte à la Grande Charte, précisément. Envoyer les gens au-delà des océans pour qu’ils soient torturés. C’est ce qui maintenant se pratique ouvertement. Il s’agissait d’une étude à laquelle plusieurs pays ont participé. Il y avait plus de 50 pays, principalement en Europe, au Moyen-Orient, c’est là que les gens sont envoyés pour être torturés. C’est là que se trouvaient les dictateurs. Un continent était totalement absent. Pas un seul pays ne souhaitait participer à ce crime majeur : l’Amérique latine. Et une personne l’a fait remarquer, Greg Grandin, latino-américaniste de l’Université de New York (NYU). C’est la seule personne qui l’ait fait remarquer que je sache.

C’est extrêmement important. L’Amérique latine était « l’arrière-cour ». Ils faisaient ce que nous disions, sinon nous renversions les gouvernements. Bien. Et d’ailleurs en ce temps-là c’était l’un des endroits du monde où la torture était pratiquée. Mais maintenant le pouvoir états-unien a suffisamment décliné pour que les serviteurs traditionnels, les plus fiables, disent simplement non. C’est frappant. Et ce n’est pas le seul exemple. Bon, pour en revenir à la juridiction universelle, tu ne peux pas être sûr de ce que les autres feront.

Tu sais, je dois dire que je n’attendais pas beaucoup d’Obama, pour te dire la vérité, mais une chose qui m’a surpris ce sont les coups qu’il a portés aux libertés civiles. Je ne comprends pas.

Mercredi 25 septembre 2013

Traduction : Numancia Martinez Poggi

Source : http://www.zcommunications.org/the-era-of-the-drone-by-noam-chomsky.html

COMMENTAIRES  

04/10/2013 04:15 par Quidam

Nos démiurges décadents devraient relire leurs propres classiques : ’Vulcan’s Hammer’ de Philip K. Dick par exemple, ça ne marche pas très longtemps ces délires high-tech de cauchemar face à 7.2 milliards de sous-prolétaires & ça conduit même aux résultats inverses à ceux escomptés ...

Une petite mise en bouche pour ceux qui ne lisent pas l’anglais :

"Arthur Pitt perçut la présence de la populace dès qu’il eut quitté les bureaux de l’Union Terrestre. II traversa la rue, s’arrêta au coin, près de sa voiture, et alluma une cigarette. Tout en ouvrant la portière et en serrant étroitement son porte-documents sous le bras, il observa la foule.
Ils étaient bien cinquante ou soixante des gens de la ville, ouvriers et petits commerçants, employés de bureau insignifiants aux lunettes cerclées d’acier, mécaniciens et camionneurs, quelques ménagères, un épicier avec son tablier blanc. L’habituelle, la toujours semblable petite classe moyenne.
Pitt se glissa derrière le tableau de bord, saisit le micro et appela son supérieur, le directeur pour l’Amérique du Sud.
Maintenant ils se déplaçaient vite, barrant toute la rue et avançant silencieusement vers lui. Sans aucun doute, ils l’avaient identifié à ses vêtements de classe T chemise blanche et cravate, complet gris, chapeau de feutre, porte-documents, chaussures noires bien cirées. Il saisit le tube doré de son brûleur qui dépassait de la poche supérieure de son manteau et le tint prêt.
- Urgence.
- Ici le directeur Taubmann, répondit le micro. Où êtes-vous ?
C’était une voix lointaine et officielle, venant de si haut au-dessus de lui.
- Toujours à Cedar Groves, Alabama. La populace se rassemble autour de ma voiture. Je suppose qu’ils ont bloqué toutes les rues.
- On dirait d’ailleurs que toute la ville se trouve ici.
- Des Sauveurs ?
A l’extérieur sur le trottoir, se tenait un homme à la tête massive et aux cheveux ras. Calme, il se tenait drapé dans une tunique brune, une corde à nœuds autour de la taille, des sandales aux pieds.
- Un seul annonça Pitt.
- Essayez d’effectuer un balayage pour Vulcain III avec votre caméra.
- Je vais essayer.
Maintenant la foule entourait complètement la voiture. Pitt pouvait entendre des mains la tâter, en arracher des morceaux, l’explorer soigneusement avec calme et efficacité. Il se renversa contre le dossier et verrouilla les portes. Les vitres étaient déjà remontées et la capote soigneusement baissée. Il mit rapidement le moteur en marche et renforça le système défensif du véhicule. Au-dessous et autour de lui, le système ronfla tandis que ses éléments recherchaient la moindre faiblesse du blindage.
Sur le trottoir, l’homme en tunique brune n’avait pas bouge II était là, debout parmi les autres, seul à ne pas porter les vêtements habituels de la classe moyenne. Pitt sortit sa caméra et la souleva.
Au même instant, une pierre heurta le flanc de la voiture sous la vitre. La carrosserie en trembla et la caméra dansa entre ses mains. Une seconde pierre frappa directement la vitre, l’étoilant de craquelures. Pitt lâcha la caméra et reprit le micro.
- Je vais avoir besoin d’aide. Ils n’ont pas l’air de plaisanter.
- Une équipe est déjà en route. Essayez d’obtenir un meilleur balayage. Nous avons très mal reçu le premier.
- Je m’en doute. S’exclama Pitt avec colère. Ils ont vu la caméra entre mes mains et délibérément m’ont bombardé avec des pierres.
Maintenant l’une des vitres arrière était brisée, et des mains tâtonnaient à l’aveuglette dans la voiture.
- Il faut que je me sorte d’ici, Taubmann.
Pitt eut un pâle sourire lorsqu’il vit du coin de l’œil le système de la voiture tenter de réparer la vitre brisée. Tenter et échouer, car au fur et à mesure que de la mousse de verre plastique se formait, des mains étrangères l’agrippaient et la repoussaient de côté.
- Pas de panique, lui ordonna la voix grêle du tableau de bord. Gardez la tête froide.
Pitt desserra le frein. La voiture avança d’un mètre environ et s’immobilisa. Le moteur était mort et, avec lui, le système de défense.
Une peur glacée serra le ventre de Pitt. Il renonça à reprendre le balayage, et ses doigts tremblants ressaisirent le brûleur. Quatre ou cinq hommes chevauchaient le capot, lui bouchant la vue d’autres étaient sur le toit au-dessus de sa tête. Soudain Pitt perçut un ronflement ils découpaient le toit avec une perceuse thermique.
- Combien de temps ? demanda Pitt d’une voix altérée. Je suis coincé. Ils doivent avoir une sorte de plasma interférent. Cela a fichu en l’air le système de défense.
- Ils seront là d’une minute à l’autre, reprit la voix placide et métallique, dénuée de toute peur, si éloignée de Pitt et de son problème.
La voix de l’Organisation. Grave, paisible, éloignée de tout péril.
- Ils feraient bien de se dépêcher.
La voiture frémit sous une véritable rafale de pierres et tanga de façon inquiétante. Ils en soulevaient un côté, tentant de la faire basculer. Les deux vitres arrière étaient maintenant brisées, et une main se tendait, cherchant à atteindre le verrouillage de la porte.
Pitt brûla la main. Le moignon s’agita frénétiquement et se retira.
- J’en ai eu un.
- Si vous pouviez nous en prendre quelques-uns dans votre balayage...
D’autres mains apparurent par les vitres arrière. A l’intérieur de la voiture l’air était devenu étouffant la perceuse thermique avait presque terminé son travail.
- Je déteste faire cela, énonça Pitt en dirigeant son brûleur sur on porte-documents jusqu’à ce qu’il fût totalement consumé.
Puis, en hâte, il détruisit le contenu de ses poches et de la boîte gants : carte d’identité, papiers divers, son portefeuille. Tandis que le plastique de ce dernier se transformait en une bouillie noirâtre, il eut le temps d’apercevoir une dernière fois en un éclair la photographie de sa femme avant que l’image disparaisse.
- Les voilà, annonça-t-il doucement, tandis qu’en grinçant tout le côté de la voiture se pliait en accordéon et glissait sous la pression de la perceuse thermique.
- Essayez de tenir, Pitt. L’équipe devrait être auprès de vous dans une...
La voix se tut brusquement. Des mains s’emparèrent de lui son manteau se déchira on lui arracha sa cravate une pierre le frappa en plein visage tandis que son brûleur tombait par terre une bouteille brisée le balafra des yeux à la bouche, et son cri s’acheva en gargouillement. Il sombra sous une véritable mêlée, lacéré par les griffes de cette masse humaine.
Sur le tableau de bord, une caméra, dissimulée sous la forme d’un simple allume-cigare, avait enregistré toute la scène et continuait à fonctionner. Pitt lui-même n’en connaissait pas l’existence. Mais, émergeant de la masse grouillante, une main se tendit, tâtonna habilement sur le tableau de bord, tira une seule fois et avec une grande précision sur un câble, et la caméra camouflée cessa de fonctionner. Comme Pitt, elle avait cessé d’exister.
Au loin, vers la rue principale, retentissaient lugubrement les sirènes de la police.
La main si experte se retira et disparut, se fondant de nouveau dans la masse humaine. (...)"

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