RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

L’endurance du déchet

Dix personnes meurent accidentellement lors du tournage d’une émission de téléréalité.

« Le barbare c’est d’abord celui qui croit à la barbarie ». Gageons qu’à cette barbarie, les producteurs de « Dropped », ils y croient. Et s’il en est ainsi, nous sommes d’emblée justifiés à vouloir saisir ce qu’avec un tel concept, ils essaient, certainement, mais maladroitement, de penser. Les choses sont simples : il s’agit de lâcher des sportifs — que leur endurance a rendus célèbres, de les lâcher donc dans un milieu hostile où ils auront à affronter l’inconditionnelle question de leur survie : à savoir recharger leur téléphone portable et passer un coup de fil au producteur de ladite émission de téléréalité. Soit dit en passant ce que la stylistique anglophone épingle sous le vocable de « name-dropping » : un lâcher de noms, soit un argument d’autorité qui consiste, on l’aura compris, à invoquer un nom célèbre en lieu et place de la garantie d’un acte ou d’un discours — ce que nous-mêmes avons fait en rappelant en ouverture de ce texte un extrait de Race et Histoire de Lévi-Strauss...

Le point de chute, donc, était pour l’occasion un pays d’une Amérique qui fut pré-colombienne. Cette Amérique jadis perçue par les Européens comme une limite extrême du monde civilisé était toute choisie pour devenir le studio où allait se jouer l’expérience extrême de la limite. Et le sort ironique n’en a pas décidé autrement. La téléréalité (qui, bien entendue, se tient à bonne distance de la réalité) a fait l’expérience un instant du réel de la mort. Elle y a touché à ce réel — par mal heurt, elle l’a rencontré son objet. Car c’est bien la mort qui est l’enjeu de la survie, et non comme on le croirait, à trop vite penser, la vie. En témoignent ceux qui, d’être contraints à survivre, endurent la mort, aux abords de la civilisation, rejetés au long des voies périphériques ou des autoroutes qui bordent capitales et autres mégalopoles. Euphémisons encore : habitats informels, surpeuplement, manque d’hygiène, insécurité, insalubrité, défaut de jouissance, défaut de puissance... De ceux-là qui y vivent dans ces bidonvilles, nous pouvons dire qu’ils en savent quelque chose de l’endurance du déchet.

Point n’est besoin de l’écouter pour entendre déjà l’éloge funèbre qu’on ne manquera pas de faire. Liberté, compétitivité, dépassement de soi, engagement, accomplissement, valeur, exemple et république seront les maîtres mots d’un discours public dont la péroraison rappellera la grandeur d’une France endeuillée, mais par là même unifiée. Il s’y agira avant tout — empruntons à Nicole Loraux — de « politiser la mort », en proposant aux rescapés des modèles de vie, comprenons : des modèles de mort. C’est là un des avantages de la mort, elle autorise les idéalisations. Si nous ne craignions l’infamie du name-dropping, nous lâcherions, pour finir, un troisième et dernier nom, celui de François Châtelet. Et avec lui nous avancerions que « la question que ce texte pose, contre la spéculation, est celle-ci : que signifie tué (ici et maintenant ; comment ? pourquoi ?) ».

Ivan CHAUMEILLE

URL de cet article 28219
   
Le Grand Marché Transatlantique : La menace sur les peuples d’Europe
Raoul Marc JENNAR
« Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. » Ces mots confiés par David Rockefeller au magazine américain Newsweek, le 1 février 1999, fournissent la clé pour comprendre ce qui se passe depuis une trentaine d’années et qu’on appelle « mondialisation néolibérale ». Déléguer au secteur privé la maîtrise des choix ou, pour l’exprimer à la manière pudique de journaux comme Le Monde ou Les Echos, « redéfinir le périmètre de (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Lorsque l’on tente, comme ce fut le cas récemment en France, d’obliger une femme à quitter la Burqa plutôt que de créer les conditions où elle aurait le choix, ce n’est pas une question de libération mais de déshabillage. Cela devient un acte d’humiliation et d’impérialisme culturel. Ce n’est pas une question de Burqa. C’est une question de coercition. Contraindre une femme à quitter une Burqa est autant un acte de coercition que l’obliger à la porter. Considérer le genre sous cet angle, débarrassé de tout contexte social, politique ou économique, c’est le transformer en une question d’identité, une bataille d’accessoires et de costumes. C’est ce qui a permis au gouvernement des Etats-Unis de faire appel à des groupes féministes pour servir de caution morale à l’invasion de l’Afghanistan en 2001. Sous les Talibans, les femmes afghanes étaient (et sont) dans une situation très difficile. Mais larguer des "faucheuses de marguerites" (bombes particulièrement meurtrières) n’allait pas résoudre leurs problèmes.

Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.