À l’occasion de la 17ième commémoration des attentats terroristes du 11 septembre, nous pleurons la mort de près de 3 000 personnes. Les événements qui ont suivi les attentats ont fini par éclipser la tragédie elle-même, et les ondes de choc émises il y a près de deux décennies résonnent encore dans le monde entier.
Un rapport publié en 2006 - Tendances du terrorisme mondial : Implications pour les États-Unis - qui réunit les conclusions de 16 agences de renseignement étasuniennes différentes, a conclu que la guerre en Irak a conduit à une augmentation du terrorisme international. Le sentiment d’empathie qui a suivi le 11 septembre a été remplacé, dans certaines parties du monde, par un fort sentiment anti-occidental. Les effets à long terme des conflits qui ont suivi le 11 septembre 2001 se feront sentir lorsque les nombreux orphelins ou enfants psychologiquement marqués par les guerres en Irak, en Afghanistan, en Libye et ailleurs seront devenus adultes.
De nombreux habitants de la planète se souviennent des événements du 11 septembre, mais ils sont moins nombreux à se rappeler qu’avant 2001, le 11 septembre avait déjà été une journée tragique pour ceux qui habitaient dans les pays moins riches du Sud. Le 11 septembre 1973, la démocratie en Amérique latine a été durement frappée, le gouvernement démocratiquement élu au Chili a été renversé par un coup d’État appuyé par la CIA, rien de moins. La réaction du président chilien, le Dr Salvador Allende, à cette attaque contre la démocratie chilienne a été on ne peut plus différente de celle de George W. Bush 28 ans plus tard. Le président Allende s’est battu jusqu’au bout pour la démocratie de son pays.
En tant que candidat de l’Unidad Popular (une coalition de partis de gauche), Allende a été élu président en 1970. Conformément à ses idéaux de socialiste et de démocrate, il a rapidement commencé à restructurer l’économie chilienne au profit de la majorité pauvre du pays. Il a nationalisé les mines de cuivre chiliennes rentables appartenant aux États-Unis, alloué des terres aux paysans sans terre, augmenté les salaires des plus pauvres et tenté de créer une société plus juste. Ce programme audacieux a rapidement mis Allende en conflit à la fois avec la classe aisée du Chili et le gouvernement américain.
Les Etats-Unis ont soutenu un coup d’Etat mené par le général Augusto Pinochet, chef des forces armées chiliennes. Le 11 septembre 1973, les événements ont atteint leur paroxysme lorsque les forces de Pinochet ont attaqué la capitale du Chili, Santiago.
Les événements de cette tragédie du 11 septembre sont soigneusement documentés dans le livre Chili : L’Autre 11 septembre, qui décrit heure par heure la journée tragique d’Allende depuis sa course précipitée dans les rues de Santiago pour rejoindre le Palais présidentiel de La Moneda, tôt ce matin-là, après avoir entendu parler d’un coup d’État, jusqu’à son dernier combat dans le palais. Allende et quelques dizaines de ses compagnons ont combattu jusqu’au bout, alors que le palais présidentiel était attaqué par des avions de chasse, des tanks et des troupes fidèles à Pinochet. Le président Allende a brièvement négocié avec les forces belligérantes pour qu’un certain nombre de membres de son gouvernement, de journalistes et d’autres personnes, dont sa fille Isabel, puissent sortir en toute sécurité du bâtiment. Allende lui-même a choisi de rester dans le palais. Quand on lui a offert de le laisser partir à condition qu’il s’exile immédiatement, Allende aurait répondu : ’Je ne traite pas avec les traîtres, et vous, général Pinochet, vous êtes un traître’.
Le président Allende, qui se considérait comme le premier travailleur chilien et le gardien du pays, a décidé de lutter pour la démocratie chilienne jusqu’à la toute dernière seconde de sa vie. Après des heures de combat, il a choisi le suicide plutôt que la reddition. Pendant des heures, Allende et trois douzaines de compagnons ont combattu les forces de Pinochet pendant que la Moneda et la démocratie chilienne s’effondraient dans les flammes autour d’eux. Au cours de ses trois années de présidence, Allende a respecté le droit constitutionnel et, contrairement à certains dirigeants ’socialistes’, il n’a pris aucune mesure de répression contre ses opposants. Jusqu’à la toute fin, Mme Allende est demeurée une combattante passionnée de la démocratie. Ce qui avait commencé des années auparavant comme une lutte politique ardente contre les ennemis de la classe ouvrière chilienne s’est achevé par une lutte armée pour la vie ou la mort contre le fascisme, l’ennemi de tous.
Plus de 3 000 personnes ont perdu la vie dans la répression et les exécutions sommaires qui ont suivi le coup d’État de 1973. Pendant les 17 années de dictature de Pinochet, environ 40 000 personnes ont été emprisonnées et torturées.
Peu avant sa mort, Allende a prononcé un dernier discours qui a été diffusé depuis La Moneda :
’Travailleurs de mon pays, je crois au Chili et en son destin. D’autres hommes surmonteront ce moment sombre et amer où la trahison cherche à l’emporter. Allez de l’avant en sachant que, tôt ou tard, de grandes avenues s’ouvriront à nouveau et que les hommes libres les emprunteront pour construire une société meilleure.’
’Vive le Chili ! Vive le peuple ! Vive les travailleurs !’
’Ce sont mes dernières paroles, et je suis certain que mon sacrifice ne sera pas vain, je suis certain qu’à tout le moins, ce sera une leçon morale à l’aune de laquelle le crime, la lâcheté et la trahison seront jugés.’
Est-ce qu’un dirigeant européen ou nord-américain se battrait aussi courageusement pour la démocratie ? Est-ce qu’un seul aurait même le courage d’honorer ses propres idéaux bellicistes en allant sur la ligne de front de la soi-disant ’guerre contre le terrorisme’ ?
Le sombre héritage de Pinochet pèse encore lourdement sur le Chili, et ce n’est qu’une pierre parmi toutes celles qui composent la mosaïque des dictatures militaires issues des coups d’État commandités par la CIA en Amérique Latine. Les gouvernements démocratiques ont été balayés par des régimes de droite brutaux qui se conformaient au modèle économique néolibéral d’extrême droite adopté par la ‘Chicago School’, très proche de l’idéologue du libre marché Milton Friedman.
Il y a quelques jours, 45 ans après le coup d’Etat de 1973, une marche a eu lieu dans la capitale chilienne, Santiago, pour commémorer les victimes du régime de Pinochet qui a duré 17 ans. Certains manifestants portaient des photographies d’individus que l’appareil de sécurité de l’ancien dictateur avait fait disparaître. Près d’un demi-siècle plus tard, de nombreuses familles chiliennes ne savent toujours pas ce qui est arrivé à leurs proches, ni où ils sont enterrés, et cela les hante. On a toujours pas retrouvé la trace de plus de1 000 ‘disparus’ du régime de Pinochet. Une poignée d’anciens agents des services de renseignement, ayant servi dans différents services de l’armée, ont été arrêtés ou inculpés de crimes commis à l’époque de Pinochet, mais d’autres ont sans aucun doute échappé à la justice et d’autres encore ont été graciés ou libérés rapidement, ce qui a suscité l’indignation des personnes en quête de vérité et de justice.
Pinochet lui-même a échappé à la justice et n’a ’subi’ que 16 mois d’assignation à résidence dans un manoir londonien, tout en recevant le soutien moral de son amie Margaret Thatcher, avant de retourner au Chili où il a vécu ses dernières années dans le confort et est mort sans avoir été condamné pour aucun crime. Pinochet a été le parfait exemple de dictateur célébré par les puissances occidentales, un dictateur dont les atrocités sont passées sous silence tant qu’il sacrifie sa nation sur l’autel du capitalisme de libre marché.
Tomasz Pierscionek
Tomasz Pierscionek est médecin psychiatre. Il a été membre du conseil d’administration de l’association caritative Medact, rédacteur en chef du London Progressive Journal et a été l’invité de Sputnik, de RT et de Kalima Horra d’Al-Mayadeen.
Traduction : Dominique Muselet