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Keynes vs. Néo-classiques : Gauche contre Droite ? (économie et politique)

Pour ceux que les soubassements théoriques des discussions de politique économique intéressent, il existe un auteur passionnant, M. Christophe Darmangeat qui a la générosité d'offrir sur son blog à ses étudiants de l'Université parisienne Denis Diderot (7e), mais aussi au grand public le trésor de ses cours et davantage encore. J'extrais ici le chapitre de son cours de 1ère année de licence intitulé : Keynes vs. Néo-classiques : Gauche contre Droite ? (économie et politique). Mauris Dwaabala

Pour faciliter cette lecture, je prélève (M. D.) quelques lignes de ce qu’il dit ailleurs du courant hégémonique en économie dans notre monde néolibéral : le néoclassicisme encore appelé marginaliste ou micro-économique :

Le courant néoclassique se distingue par son point de départ : il s’agit de l’homo œconomicus, l’homme économique, une fiction désignant un individu abstrait, doté d’un certain nombre de biens, jouissant d’un pleine liberté de décision et poursuivant rationnellement certains buts sous certaines contraintes.

L’univers des néoclassiques est un univers d’individus, dans lequel les institutions, l’Histoire ou les classes sociales se sont évanouis. Tout au plus peut-on dire que le cadre institutionnel n’est là que pour se faire oublier : les institutions doivent permettre le bon fonctionnement du marché, et c’est là leur seul rôle. L’univers des néoclassiques est également un univers d’échanges, et d’échanges marchands. Les individus arrivent sur le marché munis de dotations initiales, que l’économie prend comme des données de départ sur l’origine desquelles elle n’a pas à s’interroger. Ils procèdent aux échanges qui leur procureront la plus grande satisfaction (la plus grande utilité) possible, et c’est là l’objet d’étude de la science économique. Quant à la production, elle se traite, moyennement quelques hypothèses spécifiques, comme un cas particulier d’échange de dotations initiales sur un marché libre.

En guise d’introduction

Je l’a écrit à plusieurs reprises dans les autres pages de ce site : la théorie économique, parce qu’elle explique qui crée la richesse et à qui elle va, ne peut être, même lorsqu’elle s’en défend, que politique. Il n’existe pas de théorie économique neutre — ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas de théorie économique juste !

En ce qui concerne le point de vue marxiste, le lien avec les choix politiques est évident : il est revendiqué haut et fort. Marx lui-même n’a cessé de souligner tout au long de sa vie que sa théorie économique était une arme pour le renversement révolutionnaire du capitalisme (il disait de son ouvrage Le Capital qu’il était « certainement le plus redoutable missile qui ait été lancé à la tête de la bourgeoisie »).

Pour ce qui est des théories néo-classiques et keynésiennes, les choses sont beaucoup moins claires. Les néo-classiques, au contraire de Marx, nient que leurs théories aient un contenu politique : ils affirment qu’en économie, la science commence précisément la où la politique s’arrête. Cette impression est renforcée, au moins au premier abord, par leurs positions libérales : convaincus que le système de l’économie de marché est le plus naturel et le plus performant qui soit, ils cherchent à montrer que toute intervention extérieure (donc, toute action politique sur l’économie) ne peut être que nuisible.

La position de la théorie keynésienne est plus ambigüe ; Keynes, à la différence de Marx, ne prétendait certainement pas construire un mouvement politique à proprement parler. Toutefois, on peut dire qu’en donnant une justification théorique à l’intervention de l’État, ses idées possèdent, directement et de manière plus évidente que chez les néo-classiques, une dimension politique.

Depuis plusieurs décennies, et par suite d’approximations et de glissements successifs, on en est souvent venu à établir une équation simple (trop simple), entre ces théories économiques et les camps politiques tels qu’ils se présentent dans la grande majorité des pays développés. Ainsi, la gauche serait keynésienne, alors que la droite serait néo-classique, c’est-à-dire libérale. Bien sûr, cette appréciation varie selon le point de vue de l’interlocuteur. Un libéral convaincu aura certainement tendance à trouver que si la gauche est effectivement keynésienne, la droite, ou une bonne partie d’entre elle, n’est pas si libérale que cela (et pas assez !). Inversement, les gens qui se situent, comme on dit « à gauche de la gauche », mais en-dehors du marxisme — je pense, en France à un courant comme ATTAC) reprocheront à la gauche traditionnelle d’être trop sensible aux sirènes du libéralisme, et prôneront une gauche inspirée par les idées de Keynes.

Cette manière de voir les choses correspond-elle à la réalité, tant en ce qui concerne les camps politiques que les théories économiques dont ils sont censés s’inspirer ? Il est permis d’en douter, et je voudrais, au cours de ces quelques paragraphes, donner quelques éléments qui jettent le trouble sur ce bel ordonnancement.

Une question qui en recouvre plusieurs

En premier lieu, il faut observer que le problème se décompose en plusieurs questions liées, mais distinctes, et qui doivent donc être traitées les unes après les autres. Ainsi, la proposition A, qui identifie la droite à la théorie néo-classique peut recouvrir les trois propositions suivantes :

A1 - Les idées néo-classiques seraient en elles-mêmes conservatrices de l’ordre social.
A2 - La droite se réclame en paroles de la théorie néoclassique
A3 - Son action se conforme aux préceptes de cette théorie
De même, et inversement, la proposition B, qui identifie Keynes et sa théorie aux partis de gauche, peut se décliner en :
B1 - La théorie keynésienne est en elle-même orientée politiquement à gauche
B2 - La gauche se réclame en paroles de la théorie keynésienne
B3 - Son action se conforme aux préceptes de cette théorie.

De toutes ces propositions, seules A1 et B2 me semblent défendables, avec toutefois quelques nuances importantes. La proposition A2 n’est vraie qu’en si petite partie qu’on peut légitimement la considérer comme fausse. Quant aux propositions A3, B1 et B3, elles me paraissent franchement contraires à la réalité des faits.

Ce qu’on peut tenir comme globalement vrai

A1 - Les idées néo-classiques sont conservatrices
Dans la mesure où les néo-classiques affirment que l’économie de marché correspond à la nature humaine, et que toute entrave au libre fonctionnement de ce marché ne peut être que dommageable à l’intérêt général, il semble clair que cette théorie légitime globalement l’ordre social existant (du moins, celui qui existe depuis que les relations capitalistes se sont effectivement imposées dans la société, ce qui n’était pas le cas au temps de Smith, par exemple). Leur idéal de société se prête ainsi à une critique souvent résumée par la célèbre formule de Lacordaire : « le renard libre dans le poulailler libre ».

Appliquée de manière conséquente, la théorie néo-classique supposerait en effet que soit abolie, par exemple, toute espèce de législation du travail : tout ce qui limite la durée du travail, impose des cadres à l’activité, ou pire, fixe un salaire minimum, y apparaît contraire à l’efficience économique. De telles positions sont évidemment rarement défendues sur la gauche de l’échiquier politique... Et l’on ne doit donc guère s’étonner, de trouver, parmi les grandes figures de la théorie néoclassique, une large majorité de gens qui ne faisaient pas mystère de leurs opinions ancrées à droite (parfois très loin à droite). Il existe toutefois quelques exceptions, dont la plus éminente est sans aucun doute Léon Walras, l’un des fondateurs de ce courant, qui se réclamait du socialisme ( voir cette biographie rédigée par M. Allais). Walras, sur le plan politique, n’est toutefois guère significatif de l’ensemble du Courant marginaliste - école autrichienne. Citons, par exemple, Vilfedo Pareto, son successeur à la chaire d’économie de l’université de Lausanne, qui ne fit jamais mystère de ses opinions très conservatrices, et qui accueillit avec bienveillance l’accession du parti fasciste au pouvoir en 1922. Ce furent aussi Karl Böhm-Bawerk, dont les attaques contre les théories de Marx sont restées célèbres ; le drapeau de l’anticommunisme fut repris avec vigueur par certains néo-classiques du XXe siècle, comme Friedrich Von Hayek, qui n’eut de cesse de dénoncer toute législation économique et sociale comme le premier pas sur La route de la servitude, un de ses ouvrages majeurs.

B2 - La gauche se réclame en paroles de la théorie keynésienne
Bien qu’on ne puisse guère dire que les discours politiques fassent fréquemment référence à des théories économiques (qui, inconnues du grand public, ne diraient pas grand chose à grand monde), il n’est cependant pas rare , dans un pays comme la France, que la gauche de gouvernement se réclame de la pensée ou de l’œuvre de Keynes. Lorsqu’il était encore directeur du FMI, D. Strauss-Kahn avait de manière appuyée et répétée rendu hommage à cet économiste.

On notera cependant que depuis plusieurs années, Keynes est devenue une référence au moins aussi prisée (et sans doute bien davantage) par la « gauche de la gauche » (je pense à des courants comme ATTAC, dans lesquels figurent un certain nombre d’économistes universitaires) que par le Parti socialiste, par exemple.

Ce sur quoi on peut nourrir quelques (sérieux) doutes

A2 - la droite se réclame en paroles de la théorie néoclassique
Le fait de mettre cette affirmation en doute pourra peut-être surprendre. Pourtant, si la droite gouvernementale se réfère souvent à la libre entreprise, à l’efficacité du capitalisme et globalement, au libéralisme, on peut noter à quel point celui-ci est éloigné des modèles que concevaient les théoriciens étudiés dans ce cours. Quelques voix dissidentes à droite fustigent d’ailleurs cet écart, qu’elles interprètent comme une trahison vis-à-vis de l’idéal libéral, et comme l’influence pernicieuse des idées socialistes sur ceux censés les combattre (quitte à se définir comme libertariens afin de se démarquer des faux libéraux).

Toujours est-il que sur quelques point clés, on peut dire que le discours de la droite pèse certes dans le sens d’un libéralisme accru, mais que (hypocrisie ? frilosité ? réalisme ? chacun se fera son opinion) ce libéralisme revendiqué reste très loin des références théoriques en la matière.

La doctrine libérale authentique (néo-classique) prône par exemple :
que l’Etat n’intervienne en aucune manière sur le plan économique.
que le marché du travail, comme tout autre marché, ne soit faussé par aucune entorse à l’atomicité. Pour parler clair, que toute forme d’entente sur ce marché soit proscrite.
que le salaire, comme le prix de toute marchandise, ne soit en aucune manière réglementé, en particulier sous la forme d’un prix minimum.

Il suffit de dresser cette courte liste pour mesurer la distance qui sépare cette référence théorique des discours des hommes politiques de la droite actuelle. Aucun d’eux, même les plus radicaux, ne réclame jamais la fin de toute intervention de l’État, ni l’abolition de toute législation sur le travail. Aucun ne propose l’interdiction des syndicats. Et même si le SMIC est souvent l’objet de dispositifs permettant certains assouplissements (contournements ?) personne ne réclame son abolition. Il en va de même manière pour les allocations chômage, aberration nuisible aux yeux de la théorie néo-classique ; s’il n’est pas rare d’entendre qu’elles devraient être soumises à davantage de conditions, personne ne propose leur abolition pure et simple.
Quelles que soient les raisons par lesquelles on l’explique, on ne peut donc que constater l’écart majeur entre ce que l’on peut appeler le discours politique libéral, celui que nous pouvons entendre (et pour lequel nous pouvons voter) et la théorie économique libérale telle que l’ont élaborée les économistes de cette tradition.

Ce qui est clairement démenti par les faits

B1 - La théorie keynésienne est en elle-même orientée politiquement à gauche
Bien entendu, la réponse à cette question dépend entièrement de ce qu’on appelle « être orienté à gauche ». Si, comme c’est souvent le cas, on assimile cette expression à la simple volonté de l’intervention de l’État dans l’économie, alors, bien sûr, les idées keynésiennes sont de gauche. Mais cette étrange définition obligerait également à considérer comme « de gauche » les régimes fasciste ou nazi... (un pas que certains libéraux franchissent allègrement, tel Von Mises qui n’hésitait pas à déclarer : « Il est important de comprendre que le fascisme et le nazisme étaient des dictatures socialistes. »). Sans même aller jusque là, bien des courants politiques ont prôné et pratiqué un interventionnisme étatique tout en se situant politiquement à droite (qu’on pense à De Gaulle en France).

Mais si l’on entend par « de gauche » des options que l’on qualifiera de « sociales » , une volonté, sinon de supprimer le capitalisme, du moins de l’aménager au profit des plus pauvres et au détriment des plus riches, clairement, telle n’était pas l’optique de Keynes.

Le seul point de sa théorie qui pourrait se laisser interpréter sous cet angle est l’idée de la nécessaire relance par la demande, parfois assimilée (à tort) à la distribution de pouvoir d’achat aux catégories les moins aisées, celui-ci étant plus largement dépensé et possédant donc un effet dynamique important. Mais les recommandations de Keynes sont en réalité assez éloignées d’une simple hausse des salaires ; Keynes s’oppose aux néo-classiques en expliquant qu’une baisse des salaires n’améliore pas forcément, en elle-même, l’activité et le niveau du chômage. C’est très différent que de prêter des vertus bénéfiques à une hausse des salaires (mettre de l’essence dans une voiture ne suffit pas à la faire avancer ; il serait évidemment erroné d’en déduire que c’est en retirant l’essence que les choses iront mieux...). Nulle part, on ne trouve chez Keynes la volonté de modifier durablement le partage de la richesse en faveur des salariés et au détriment des profits. Il raisonne dans le cadre d’un système capitaliste qu’il veut sauver ; s’il prône l’intervention de l’état, c’est pour permettre à la liberté d’entreprendre de perdurer, non pour la restreindre et encore moins pour l’abolir.
On trouve d’ailleurs de multiples citations de Keynes expliquant qu’il se situait, sentimentalement et intellectuellement, dans le camp « de la bourgeoisie et de l’intelligentsia » et non dans celui du « prolétariat grossier ». Keynes fut dans certains de ses écrits tout à fait explicite, expliquant que son objectif n’était nullement l’augmentation des salaires, et qu’un peu d’inflation était selon lui un excellent moyen de rogner le pouvoir d’achat des salariés sans que ceux-ci se rebiffent.

Quant à certaines mesures que Keynes préconisait afin de brider les appétits de la finance, elles n’étaient dans son esprit qu’un moyen de préserver le capitalisme contre certaines de ses dérives, et nullement un moyen pour répartir la richesse de manière plus égalitaire. Il convient de remarquer que le disciple de Keynes auquel reste aujourd’hui attaché le nom d’une telle taxe, James Tobin, n’affichait pas des opinions particulièrement marquées à gauche (prix Nobel d’économie en 1981, il avait été conseiller du gouvernement Kennedy).

Cela dit, le mieux placé pour apprécier les opinions politiques de Keynes reste tout de même... Keynes lui-même ; or, celui-ci fut membre du parti libéral, que l’on pourrait qualifier de centre-droit, et pas particulièrement proche des travaillistes, par exemple, qui représentaient la gauche gouvernementale dans la Grande-Bretagne de l’époque. À moins de supposer que Keynes lui-même n’avait pas compris correctement sa doctrine économique, ce qui serait une hypothèse assez osée, il faut se rendre à l’évidence : le keynésianisme, dans l’esprit de son fondateur, n’avait rien d’une doctrine « de gauche ».

A3 - L’action politique de la droite se conforme aux préceptes néoclassiques
J’ai souligné un peu plus haut l’écart manifeste entre les propos des hommes politiques de droite, quand bien même ils brandissent le drapeau du libéralisme, et la doctrine néo-classique elle-même. Mais l’écart est encore plus grand si l’on juge non par rapport aux discours, mais par rapport aux actes.

Bien entendu, on peut trouver un certain nombre de situations où des gouvernements se réclamant du libéralisme ont effectivement agi en ce sens. Dans les dernières années, les mesures de privatisation et de déréglementation, nombreuses et générales dans les pays développés, participent incontestablement de ce mouvement. Mais le tableau est loin d’être aussi unilatéral. Sans même revenir sur la question des syndicats, ou celle du SMIC, on peut soulever celle du déficit budgétaire (et, par contrecoup, de la dette), tout à fait significative, et d’une ampleur telle qu’il ne soit guère possible de la considérer comme un détail.

La doctrine libérale, outre la non-intervention de l’Etat dans l’économie, professe pour ce dernier l’équilibre budgétaire. Le Courant marginaliste - école autrichienne, dans son expression universitaire, n’a cessé depuis sa naissance de pourfendre les effets néfastes d’un déficit des comptes publics. À cela s’ajoute le fait que ce courant recommande le laisser-faire, et considère comme une faute grave pour un état de perturber le fonctionnement du marché en sauvant, par exemple, des entreprises de la faillite.

Or, les chiffres montrent que dans l’ensemble des pays développés, depuis quelques décennies, la dette publique a connu une croissance tendancielle et très largement indépendante de la couleur politique des gouvernements en place. Les rares périodes de diminution de la dette ont bien davantage coïncidé avec la survenue d’un regain de croissance qu’avec l’arrivée au pouvoir de partis censément plus libéraux.

Le graphique ci-dessous, qui représente le rapport entre le montant de la dette publique française et le PNB, illustre ce fait. Bien malin qui pourrait en déduire quelles étaient les orientations politiques affichées des différents gouvernements durant cette période. On remarquera même que la plus forte montée de l’endettement a eu lieu durant l’actuelle présidence de N. Sarkozy, tandis que la seule période de désendettement (relatif) fut celle qui coïncida avec le gouvernement L. Jospin (1997-2002). On n’en déduira pas pour autant un rapport de cause à effet ; l’endettement, ou le désendettement, furent clairement dictés par les circonstances économiques, et non par l’étiquette politique du parti au pouvoir.

Le même constat s’impose en ce qui concerne les Etats-Unis. Là encore, il apparaît très clairement que les gouvernements républicains, volontiers présentés par eux-mêmes ou leurs adversaires comme libéraux (lorsque ce n’est pas « néo-libéraux » , voire « ultra-libéraux ») ne se sont guère signalés par l’efficacité de leur lutte contre l’endettement public. Les deux présidences de Reagan (1980-1988), souvent décrites comme l’archétype d’une politique économique orthodoxe (les reaganomics) vit s’accroître l’endettement à une cadence soutenue. Et plus près de nous, on doit également parler des mesures interventionnistes qui ont suivi la crise financière ; celle-ci ont aggravé l’endettement public en un laps de temps très court, et dans des proportions considérables (2008-2010). Or, si les effets de ces mesures apparaissent durant la présidence de B. Obama, il ne faut pas oublier que ces mesures ont été élaborées et votées par l’administration de G. W. Bush, qui est de surcroît intervenue directement pour sauver de la faillite plusieurs entreprises majeures du secteur financier.

B3 - L’action politique de la gauche se conforme aux préceptes de la théorie keynésienne

Une fois de plus, cette affirmation soulève des problèmes de définition considérables. Si, dans un pays comme la France, on voit à peu près ce qui signifie « la gauche », ou tout au moins si l’on identifie les partis qui s’en réclament, il est par exemple beaucoup plus difficile de savoir s’il faut apposer le même qualificatif au parti démocrate américain, par exemple. Mais l’adjectif « keynésien », lui non plus, n’est pas exempt d’ambigüité.

Je le répète, souvent employé dans un sens extrêmement large, il en vient à désigner peu ou prou toute politique interventionniste de l’État en matière économique, ou toute volonté d’augmenter les salaires. Muni d’une telle définition, il n’est pas très difficile de trouver des faits appuyant l’idée que « la gauche » serait « keynésienne »... ni d’en trouver qui prouveraient le contraire. Ainsi, certains gouvernements de gauche ont-ils abondamment nationalisé (P. Mauroy, 1981-1982) tandis que d’autres ont tout aussi abondamment privatisé (L. Jospin, 1997-2002). Certains ont encouragé une certaine expansion salariale (P. Mauroy, 1981-1982) avant de bloquer les salaires et de diminuer considérablement leur part dans la richesse nationale (P. Mauroy, 1982-1984).

Rappelons à nouveau qu’il est bien illégitime d’utiliser de tels critères pour définir une politique économique keynésienne. Pour formuler les choses autrement, une politique keynésienne est nécessairement interventionniste, mais toute politique interventionniste n’est pas obligatoirement keynésienne — les mercantilistes prônaient l’action énergique de l’état en matière économique trois siècles avant Keynes ! Et celui-ci n’a jamais mentionné les nationalisations ou le relèvement du salaire minimum comme des moyens d’actions privilégiés (pas plus qu’il ne s’est particulièrement opposé aux privatisations, ou à une politique de diminution des salaires).

Pour traiter du « keynésianisme » réel ou supposé de la gauche, il faut donc en restreindre la définition à des actions explicitement recommandées par Keynes. On se propose d’évoquer ici en quelques mots de la politique monétaire ; on sait que Keynes, en cas de chômage structurel (situation dans laquelle se trouve a priori la France depuis plus de trente ans), préconisait des taux d’intérêt faibles, afin d’encourager l’investissement.

Or, on ne peut que constater l’envol du taux d’intérêt réel en France durant la décennie 1980-1990, c’est-à-dire au moment-même où le chômage connaissait une progression soutenue... et où la gauche gouvernait de manière presque ininterrompue (1981-1986, puis 1988-1993). Celle-ci, durant cette période et sur ce point, a donc mené avec constance une politique qui, au moins au premier abord, contredit donc frontalement les préconisations de la Théorie Générale...

Au passage, ce graphique montre également que cette politique de taux d’intérêts (relativement) élevés est bien antérieure à la signature du traité de Maastricht et de la création de la BCE, souvent rendus seuls ou principaux responsables par ceux qui jugent la politique monétaire trop restrictive.

En guise de conclusion...

Les lignes qui précèdent appelleraient naturellement maints développements et maints arguments supplémentaires. Les contradictions que l’on a relevées sont-elles significatives ? Sont-elles même réelles, ou de simples illusions ? Même si tel ou tel aspect peut être discuté, je crois néanmoins que le tableau d’ensemble que j’ai tenté de présenter n’en serait pas fondamentalement modifié : il n’y a clairement pas de relation simple entre ce que disent et proposent les théories économiques, et ce que disent et proposent les partis politiques (de gouvernement) — et encore moins avec ce qu’ils font.

Ce constat soulève également un certain nombre de questions sur l’action politique, ainsi que sur les théories économiques elles-mêmes. Questions qui, pour être passionnantes, n’en sortent pas moins du cadre limité de cette présentation... mais dont je me ferai un plaisir de discuter avec tous ceux qui le souhaiteront.

Si je puis (Mauris Dwaabala) apporter une remarque, c’est que comme on le voit la gauche, qu’elle soit la gauche ou la gauche de la gauche, a abandonné toute référence au marxisme. Ce qui se conçoit aisément si l’on se rappelle ce que disait Marx lui-même de son Capital.

Le blog de Christophe Darmangeat

Christophe Darmangeat est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était.

»» http://www.pise.info/eco/ecopo.htm
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Bernard GENSANE
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Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse :
renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

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