Le premier décembre 2018, je viens de terminer le tournage de séquences de mon nouveau film et je reprends la route. De Quimperlé à Toulouse en passant par Rennes, Bordeaux et Agen, j’ai rencontré des Gilets Jaunes en colère, amers, parfois joyeux, mais bien décidés à tout mettre en œuvre pour être écoutés. De bien belles personnes promptes à vous demander si avec 600 euros vous pouvez atteindre la fin du mois, tout en précisant que la plupart des politiques aux affaires ne se sont pas rendu compte que ça venait de basculer, que le peuple avait retrouvé le sens de sa souveraineté.
Ils le clament clairement, les Gilets Jaunes ne mendient pas et demandent que l’on cesse d’entendre un peu partout, dans les médias surtout, que les GJ ne comprennent rien. Au contraire, ils ont compris que la fracture entre Macron et une grande partie du peuple est le fruit d’une ligne de conduite libérale, mondialiste, qui les laissera sur le bord de la route, dans le fossé. Comment ne pas être à leurs côtés, comment ne pas parler avec eux, comment ne pas veiller avec eux, comment ne pas barrer et filtrer avec eux et vivre ainsi sur les plages de la démocratie. Pas celle qui suinte des paroles de Macron qui avoue lors d’une interview diffusée sur TF1, depuis le porte-avions Charles-de-Gaulle, qu’il n’a pas réussi à réconcilier le peuple français et ses dirigeants. « Ses dirigeants ? » Oui ! Il a bien dit « ses dirigeants ». Mais la France n’est pas une entreprise. C’est, me semble-t-il une République où les citoyens votent pour élire leurs représentants et non pas leurs dirigeants. Il est venu le temps de préciser qu’en Démocratie, la légitimité, c’est le peuple qui la donne et qui est en droit de la reprendre, notamment lorsqu’il constate que les élus le mènent en radeau : le peuple n’a pas choisi son appauvrissement et les Gilets Jaunes jouent les donneurs d’alerte contre le danger de l’ingestion ravageuse d’une mentalité de dirigeants venue de l’ENA et de la Banque.
Il n’est pas mauvais que le peuple s’insurge et les révoque, en tout cas les rappelle à l’ordre. Mais, que la tâche est rude face à des relations de pouvoir qui lient certains politiques aux médias où des diseurs de nouvelles touchent autour de 40 000 euros par mois et qui, sans la moindre idée de la misère, émettent des doutes sur la nature même des Gilets Jaunes. Il paraît que ça grogne, nous dit Nathalie Saint-Cricq, rédactrice en chef du service politique et éditorialiste de France 2. Je ne sais si ces personnes sont proches des sangliers ou des cochons, mais ce que je peux écrire c’est qu’ils ne manifestent pas leur mécontentement par de sourdes protestations, ils articulent une pensée claire sur le malaise grandissant des producteurs de richesses et pour défendre les principes de la République. Je ne les ai jamais entendus dire que Jean-Michel Apathie caquetait, que Nathalie de Saint-Cricq chevrotait, même si... Mais je les ai entendus rêver de policiers qui retourneraient leurs armes contre ceux qui les manipulent, car ils ne sont plus les gardiens des valeurs de la République, mais bien les gardiens de la bourse contre la vie.
Et gardons-les bien en mémoire ces gardiens de la Fraternité, car ils se trompent de sens en apprenant l’obéissance à plus de cent jeunes Lycéens, humiliés, avec leurs mains menottées dans le dos, le visage face à un mur, d’autres à genoux, les mains sur la tête. Je n’ai pas le souvenir de scènes aussi violentes qui cristallisent là, l’intensité de la répression décidée par un gouvernement aux abois qui a pris peur, jusqu’à emprisonner près de 300 Gilets Jaunes. Ce geste humiliant va laisser des traces qui surgissent déjà dans certaines manifestations par la reprise du mouvement des mains sur la tête comme le symbole d’un refus de se plier à toute force aveugle. Il y a de quoi avoir la trouille, car un gouvernement qui ne respecte pas la jeunesse de son pays prépare des lendemains difficiles. Tout cela au moment où la bobopolitique débat des méfaits de la fessée, sans empêcher la caresse des coups de matraque et la douceur des menottes de tomber à tour de bras pour dresser nos enfants qui ont l’outrecuidance de penser à leur avenir. Et la température monte. Alors je me dis que si Emmanuel Macron ne rétablit pas l’ISF, d’une part, et s’il n’incurve pas sa politique sociale, la colère pourrait ne plus être contenue. « On essaie qu’il y ait zéro violence ici, mais il faut vite qu’il y ait des annonces, sinon ça va se compliquer » confie Nicolas dans Le Monde du samedi 9 décembre.
Malheureusement, le discours d’Emmanuel Macron du 10 décembre ne sera qu’une litanie soporifique des impératifs qu’imposent la mondialisation et le destin de son Europe, saupoudrée de quelques miettes de promesses. Il n’a nullement pris la mesure de la protestation qui réclame un nettoyage du sol au plafond ou bien s’il l’a sentie, elle lui a fait peur au point de tenter un désamorçage. Mais face au boulet jaune incandescent des Gilets Jaunes en colère, notamment réduits, pour certains, à la faiblesse abyssale de leurs salaires, lui qui a fait l’ENA va faire l’ANE comme si de simples cataplasmes d’oseille suffisaient à calmer la fièvre.
Il dit que nous vivons un Moment historique de notre pays. Oui, sans doute ! Mais grâce à qui ? Qu’aurait-il fait sans le pic de violence tant reproché ? Aurait-il proposé un large débat national ?
Certes, il fait son mea culpa et reconnaît les blessures crées par ses propos (... Gaulois réfractaires au changement ... les gens qui ne sont rien ...) et déclare qu’il aime son pays, mais ne peut s’empêcher d’ostraciser ceux qui ne respecteraient pas les lois ; il veut une France où chacun vivrait de son travail, ce qui est au centre des revendications des Gilets Jaunes. Alors il recule sur la taxe, il propose cent euros par mois, pour les plus démunis (avec un mode de répartition qui verra la somme fondre comme une glace au soleil), il offre les heures supplémentaires sans impôts ni charge et une prime de fin d’années au bon soin des patrons. Mais il ne remet pas en question la suppression de l’Impôt Sur la Fortune. Alors, il a beau déclarer que ses Ministres iront au plus près du terrain, il a beau dire qu’il s’engage à mieux considérer ses concitoyens, le symbole de l’inégalité de traitement, lui, ne tremble pas. Et les yeux sur le prompteur et non les yeux dans les yeux des citoyennes et des citoyens, il continue de besogner sa parole qui manque de sincérité, de chaleur et de compassion. Il ose même dire qu’il veut les services publics dans tous les territoires au moment même où dans certains de ces territoires sa politique fait un vide social qui progresse avec des écoles rurales et des bureaux de postes qui ferment sans cesse. En réalité il a fait une promesse, et il y tient ferme, c’est une transformation pro-business de la société française.
Ce qui se confirmera avec ses vœux pour la nouvelle année dont le souvenir me fait déjà défaut. Il me semble pourtant qu’il est debout et agite ses mains qu’il ne sait pas où mettre. Visiblement, elles ne sont pas en accord avec l’articulation des mots, c’est donc une parole incomplète ou bien qui nous cache quelque chose. C’est vrai, le choix des mots n’est pas une affaire facile car, lorsque les idées ne sont pas claires, les mots ont du mal à les articuler. Il déclare qu’il écoute, mais il est dans la continuité de son refus et ce qui me gêne c’est une absence récurrente de clarté. Par exemple, il dit qu’il va poursuivre les réformes pour rendre le service public plus efficace en profondeur, mais de quelle profondeur s’agit-il ? De la rentabilité extrême ou de la répartition des richesses qui est la mission historique du service public pour que chaque citoyenne et chaque citoyen en bénéficie à parts égales à Paris, Maubeuge, Laguiole, La Réunion, Guéret ou Agen ? C’est de ce service public là dont il est question sur les jaunes ronds-points qui sont de fertiles agoras, redoutables forums de la fraternité que le pouvoir s’emploie aujourd’hui à réduire.
Il veut tout changer pour vivre mieux... bâtir un avenir meilleur... il parle d’égoïsme nationaux, d’intelligence artificielle... d’une année décisive... ça défile telle une guirlande de promesses pour la Saint-Sylvestre.
Oh ! Arrête ton char Manu et viens voir de près, loin du Tchad, tout simplement sur les ronds-points où ça parle vraiment de ce que tu ne veux pas entendre et que tu évites d’écouter. Mais, tu es vraiment trop têtu, puisque tu ne trouves pas mieux que de reposer ta question fétiche « Qui peut gagner plus sans travailler » ? Tu devrais mesurer un peu mieux tes propos, car je sais qui gagne plus sans travailler : les actionnaires du CAC quarante. Vous vouliez des vœux de vérité, cher Président, et bien vous en avez là et un peu plus lorsque vous appelez à respecter la mémoire de ceux qui se sont battus pour la France, ce qui vous honore, il serait bon de ne pas oublier ceux qui se sont battus, parfois violemment, pour que la France fraternelle des services publics soit la France et demeure la France des services publics, c’est-à-dire celle d’une gestion des richesses à l’avantage de tous.
Enfin, ce que vous appelez malaise, malaise par-ci, malaise par-là, les Gilets Jaunes l’appellent confiance, car progressivement, en se regroupant ils ont repris confiance en eux-mêmes et pris conscience qu’ils avaient pris place parmi les décideurs, activateurs réels d’une Histoire populaire qui ne tait pas la souffrance ni le courage ni l’intelligence de Gaulois, non réfractaires à une grande réforme pour une vraie justice sociale.
Guy Chapouillié