IPS News, 16 novembre 2006.
Malgré l’optimisme affiché par le Premier ministre irakien pour le secteur agricole, les paysans qui se décarcassent pour survivre racontent une autre histoire.
Dans un discours aux politiciens Irakiens cette semaine, le Premier Ministre Nouri Al-Maliki a loué les succès de son gouvernement en ce qui concerne l’agriculture. Il a souligné le fait, nouveau, que les prix des récoltes sont soutenus par l’Etat, ce qui permet aux agriculteurs de recevoir des subsides et les encourage à continuer à faire pousser leurs récoltes. Il a cependant omis de mentionner les montants qui sont versés pour soutenir les prix.
Haji Jassim, un agriculteur de la région rurale d’Al-Jazeera, près de Ramadi, expliquait à IPS, dans la maison familiale à Bagdad :« Le Premier Ministre n’a pas l’air d’être conscient des vrais problèmes que nous affrontons ici.(...) Ce qu’il (Al-Maliki) a dit aurait été juste si les prix étaient le seul problème, mais quelqu’un devrait lui le mettre au courant des autres difficultés que nous affrontons ».
Selon Jassim, un des principaux problèmes est le manque de main-d’oeuvre, étant donné que la plupart des jeunes hommes qui n’ont pas été tués par les troupes US et irakiennes sont soit en prison, soit ont disparu.
Il a ajouté, dépité, que des obstacles comme le manque d’électricité, de carburant et de sécurité sur le terrain, et « l’homme qui prétend nous soutenir devrait être au courant des dizaines d’autres problèmes auxquels s’affrontent les agriculteurs ».
Sous le régime de Saddam Hussein, qui a été renversé par les forces conduites par les Etats-Unis en 2003, le gouvernement achetait les récoltes aux fermiers pour les encourager à continuer à cultiver. Ainsi, le gouvernement garantissait que les paysans pourraient vendre leurs récoltes, malgré la dégradation qu’a subie le marché suite aux sanctions économiques imposées par les Nations Unies en 1990.
Actuellement, beaucoup de paysans préféreraient même que la dictature de Saddam Hussein restât en place, à cause des privations économiques qui sont devenues si sévères sous l’occupation conduite par les Etats-Unis.
Ali Abdul-Hussein, un fermier de Diwaniya, qui cultivait autrefois du riz, mais qui travaille maintenant comme ouvrier à Bagdad, expliqua à IPS : « Ce qu’ils appellent "le régime condamné" nous fournissait tout ce dont nous avions besoin. Des semences, du carburant, des tracteurs, des moissonneuses, et toutes les autres choses dont nous pouvions avoir besoin. Nous étions heureux d’être débarrassés de Saddam, mais maintenant nous souhaiterions avoir accès ne serait-ce qu’à moitié des services qu’il nous fournissait. »
L’économie irakienne dans son ensemble a subi les effets négatifs de l’occupation et des problèmes qui lui sont liés. Certaines évaluations estiment le taux de chômage à 50%, ce qui est significativement plus haut qu’à l’époque des sanctions.
Selon les Integrated Regional Information Networks (Réseau Intégré Régional d’Information - IRIN), qui est un service d’actualités et d’information humanitaires des Nations Unies : « Jusqu’à moitié de la population du pays est actuellement sans emploi en Irak, où les femmes représentent presque 60% de la population totale. »
En 2005, le Ministère Irakien du Travail et des Affaires Sociales a estimé le taux de personnes sans emploi à 48%.
Un autre obstacle auquel doivent faire face les agriculteurs en Irak est le taux d’inflation qui s’est envolé à presque 70%, selon le ministre de la planification, Ali Baban.
Baban a expliqué aux journalistes en septembre 2006 que les prix avaient augmenté pour tous les produits utilisés pour mesurer l’inflation, y compris la nourriture, les carburants, les transports, les services médicaux et les médicaments, les vêtements, la propriété, l’ameublement et les autres biens essentiels.
Partout en Irak, ce sont le pétrole et l’électricité qui ont subi les augmentations les plus importantes : 374% au cours de l’année dernière. Or, ils sont tous les deux essentiels pour les fermiers irakiens. Autre mauvaise nouvelle pour les agriculteurs : l’augmentation de prix de l’ordre de 218% qu’a connu le secteur des transports.
Ainsi, le coût croissant de la production agricole vient aggraver la hausse générale des prix du marché qui devient de plus en plus insupportable pour les Irakiens, et transforme leur vie quotidienne en un défi permanent.
Un autre problème qui a entravé la productivité agricole est le manque de sécurité.
Un agriculteur, Latif Hameed a dit au cours d’un entretien : « Comment faire pour livrer les récoltes aux entrepôts de Monsieur Maliki ? Des milices sont en train de s’y installer, et si vous êtes sunnite, ils vous tueront et vous prendront votre argent. Si vous êtes chiite, ils prendront votre argent, et vous remettront en liberté sur paiement d’une rançon. »
Une des premières tueries sectaires perpétrées par les milices chiites, et à l’époque la plus célèbre, a eu lieu à Jameela, le principal marché de gros de Bagdad. Des escadrons de la mort ont tué 14 fermiers sunnites de Madaiin alors qu’ils y vendaient leurs légumes aux marchands.
Depuis lors, le marché a été de fait paralysé parce que l’augmentation importante des activités des milices fait que les fermiers ne s’y sentent plus en sécurité.
En outre, quelques experts de la production agricole disent que le travail des fermiers a été entravé par les dysfonctionnements de l’infrastructure. Ainsi, un professeur d’agriculture de l’Université, qui a exigé le strict anonymat, a dit à l’IPS, à Bagdad, que l’agriculture en Irak ne pourrait pas s’améliorer dans un proche avenir « parce que notre sol a été endommagé par la montée du niveau de la nappe phréatique suite aux dysfonctionnements des systèmes de drainage. »
Les systèmes de drainage dépendent des pompes, qui sont presque à l’arrêt à cause des pénuries d’électricité et de carburants.
Ce professeur a ajouté « le manque de matériel comme les fertilisants et les produits pour le traitement du sol ont affecté la production agricole du pays, et même quand on les trouve, ils sont trop chers et de mauvaise qualité. »
Dans une étude qui sera bientôt publiée par l’Institut d’économie de l’Irak, plus de 75% des légumes et des fruits consommés en Irak sont importés depuis la Syrie, la Jordanie et l’Iran.
Dahr Jamail et Ali al-Fadhily
– Publié sur IPS News
– Traduction : A l’Encontre
– Source : A l’Encontre www.alencontre.org
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