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Insurrection du 22 au 23 août 1791 à St-Domingue, révolution et... liquidation

Insurrection générale des esclaves de Saint-Domingue, révolution et… liquidation

Dans la nuit du 22 au 23 août 1791, se déclenche l’insurrection générale des esclaves de Saint-Domingue, provoquant l’éclatement du système colonial esclavagiste. Cette insurrection n’était pas le fruit du hasard, ou d’un coup de chance, mais le résultat d’une organisation émanant d’un culturel, décidé à éliminer trois siècles d’exploitation sauvage de l’homme par l’homme. Elle a débordé les frontières de Saint-Domingue grâce à l’apport des révoltés aux guerres d’émancipation en Amérique Latine et aux Etats-Unis, menant à l’éclatement du premier ordre mondial, l’ordre colonial esclavagiste.

Quelles sont les circonstances dans lesquelles ce cheminement a pu se réaliser ?
Une rencontre organisée le 14 août 1791, appelée Cérémonie du Bois-Caïman vient sceller une entente entre différents chefs militaires, formant par là l’armée indigène, embryon d’un nouvel Etat en formation, issu du culturel de la majorité de la population.

La culture de la majorité de la population haïtienne est une synthèse de différents apports culturels : fusion de diverses ethnies africaines et indiennes d’une part, friction de ces dernières avec le système esclavagiste imposé par l’occident, d’autre part. Elle s’est élaborée au cours d’une longue période pour conduire, à un ensemble organisé d’appréhension de la vie, de l’univers.

Le créole et la tradition vodou sont les deux piliers de la culture haïtienne et le vodou est omniprésent dans tous les aspects de la vie culturelle. Parmi ces facteurs citons :

- La connaissance du territoire par les marrons et chefs de guerre ;
- La médecine traditionnelle, avec l’utilisation de plantes appropriées, employées jusqu’à présent par 80% de la population ;
- La nourriture créole ;
- Les objets utilitaires de la vie courante ;
- Les différents rites utilisés dans les cérémonies ;
- Les danses, chants, instruments de musique ;
- Les objets mystiques, magiques ;

Et plus tard apparaissent :

- Les costumes traditionnels ;
- La peinture, la poterie, la sculpture ;

Comment expliquer cette explosion dans la colonie réputée la plus riche de la France esclavagiste ?

Les besoins d’expansion des sociétés européennes dominantes du XVe siècle (espagnols, anglais, français, et autres) les amenèrent dans le "Nouveau Monde" à la recherche de nouveaux marchés et d’enrichissement rapide. Les indiens, premiers habitants de l’île, réduits en esclavage furent les victimes d’un premier génocide. Un million d’indiens environ furent exterminés et pour les remplacer, les colons esclavagistes instituèrent la traite des noirs. Des millions d’africains moururent d’épuisement, de mauvais traitements et de tortures. C’est dans cet enfer colonial, par nécessité de communiquer, que le créole est né.

"A la veille de 1791 la colonie constitue les 2/3 du commerce extérieur français généré par 500 000 esclaves ; à cette population s’ajoutent 40 000 affranchis et 30 000 blancs. L’exportation de coton, d’indigo, de café, de tabac, de cuir et de sucre a rempli les cales de 4 000 navires pour cette seule année 1791" (Cf. Vodou de Wade Davis, Presses de la Cité, 1987). Durant cette période, les esclaves et particulièrement ceux qui s’enfuirent dans les mornes (indiens et noirs) organisèrent une économie de subsistance. La quête pour la satisfaction de leurs besoins élémentaires comme le boire et le manger, le gîte, mais aussi la santé, la reproduction en général subit une longue maturation ; les rapports conflictuels d’avec l’ordre esclavagiste les obligea d’élaborer des techniques de résistance et des tactiques de lutte (guerilla), de créer des lwa de guerre au sein des "Bizango" , des "Champwèl" et autres sociétés secrètes. Cet ensemble de connaissances et de croyances se concrétisa au cours des temps dans le vodou, permettant aux esclaves de vaincre les troupes les plus aguerries de l’armée la plus puissante de l’époque, en l’occurrence celle de Napoléon Bonaparte, dépêchées dans la colonie pour rétablir l’ordre colonial esclavagiste. L’indépendance fut proclamée en 1804 après 12 ans de luttes féroces, et Saint-Domingue reprit son ancien nom indien : Haïti ou terre haute.

Un extraordinaire réseau de défenses composé de citadelles, de forts, de redoutes fut construit à travers le pays, s’ajoutant aux forts français et espagnols de l’époque coloniale, pour résister à un éventuel retour de troupes ennemies. Ordre fut donné aux généraux sur tout le territoire de résister et même de pratiquer la technique de la terre brulée qui consistait à reculer à l’intérieur des terres et à tout brûler sur son passage.
Les grandes puissances esclavagistes virent cette indépendance d’un très mauvais oeil, d’autant plus que le système esclavagiste était toujours à l’ordre du jour dans d’autres pays. Haïti était un mauvais exemple qu’il fallait étouffer, car les révolutionnaires des pays d’Amérique Latine comme ceux du Vénézuela, ceux des Etats-Unis d’Amérique encore esclavagistes à l’époque, venaient en Haïti chercher de l’aide en hommes de troupe et matériels pour leur propres luttes, aides dont ils bénéficièrent.

Entretemps, la lutte existant depuis l’époque coloniale entre affranchis (libérés par leur maître) et esclaves mise en veilleuse par les accords entre les chefs de guerre unis pour l’indépendance, reprit de plus belle ; elle se cristalisa par le face-à -face entre anciens et nouveaux affranchis. Les anciens affranchis qui se croyaient les héritiers directs des colons prirent le contrôle du pouvoir en assassinant Dessalines et les chefs révolutionnaires les plus radicaux. La classe dominante naissante avec Boyer en tête (qui, ainsi que Alexandre Pétion est rentré à Saint-Domingue avec le corps expéditionnaire français) signa, de connivence avec la France, la reconnaissance de la double dette de l’indépendance. Cette double dette consiste en une indemnité à payer aux anciens colons et un emprunt (qui devait être contacté en France), pour payer cette indemnité. Lors de l’occupation du pays en 1915 par les Etats-Unis d’Amérique cette dette a changé de main et le peuple haïtien continue à la payer jusqu’à nos jours, plus de 200 ans après l’indépendance. Et c’est justement le paiement de cette dette qui permet de comprendre notre impossible accumulation de capital et notre état de sous-développement perpétué par nos différents dirigeants, car notre bourgeoisie marchande complètement inféodée aux intérêts extérieurs, est incapable d’une position nationale. La résistance tentée contre la pénétration étrangère a abouti à l’élimination des mouvements Goman et Accau, à la trahison et à l’assassinat de Charlemagne Péralte et de Benoît Batraville. Avec l’occupation américaine, la bourgeoisie compradore liée à l’Europe a été remplacée par une bourgeoisie attachée aux intérêts américains tandis que, des mesures de prévention on été prises contre la population avec le phénomène des "rejetes" , les vêpres dominicaines. Et après le 7 février 1986, on n’en finit pas avec les massacres, coups d’Etat et nouvelles occupations militaires…

Le problème de l’accumulation des capitaux est donc toujours présent à travers ces phénomènes malheureux et nous renvoie à l’exemple du roi Henry Christophe. Il a prouvé qu’il a été capable de redresser l’économie du Nord, dix ans après la guerre et que son accumulation du capital avait réussi. La formation d’une bourgeoisie nationale était en cours avec l’intention d’un pays à construire dans un environnement international pourtant défavorable ;

Aujourd’hui, on comprendra mieux, la résistance dans les pays islamistes à la pénétration étrangère militaire, culturelle, religieuse par l’existence d’une bourgeoisie nationale, liée au reste de la population pour bloquer la mainmise étrangère sur leur sol.

En Haïti, au fil des ans, un système de deux cultures fut mis en place, l’une dominante héritée de la culture esclavagiste, l’autre dominée, culture de la majorité de la population qui préfigurera les grandes persécutions du vodou et la situation d’appartheid et d’exclusion dans lesquels se trouvent le peuple haïtien.

La culture dominante se caractérise par :

 La liquidation de la révolution (par les anciens affranchis et plus tard par l’élite des nouveaux affranchis) et l’établissement du néo-colonialisme dont Haïti fut le terrain d’expérimentation et qui servira plus tard contre tout un continent, l’Afrique et puis aujourd’hui le Moyen-Orient.

 La grande propriété cachée sous la forme de petites propriétés ;

 Les produits d’exportation prenant le pas sur les denrées alimentaires ;

 L’établissement du Code rural, nouveau Code Noir ;

 La signature du Concordat de 1860 et la religion catholique devenue religion d’état ;

 L’école haïtienne est confiée au colonisateur : culture du dénigrement et du reniement de soi ;

 L’emploi d’une langue étrangère dominante et d’un créole francisé ;

 La médecine occidentale primant sur la médecine traditionnelle que l’on refuse de mettre à un niveau scientifique ;

 Les séquelles de l’esclavage à travers les "restavèk" ;

 Les lois du pays en français facilitant l’arbitraire ;

 Complicité avec les dirigeants dominicains souvent tacites notemment pour la zafra (coupe de la canne à sucre en république dominicaine) ;

 L’attraction des élites pour la France ;

 La préférence accordée au diplôme étranger par rapport au diplôme local ;

 Le racisme aussi bien noiriste que mulatriste et faisant corps avec le racisme dominicain.

Ainsi donc, l’insurrection aboutit à une révolution populaire suivie d’une liquidation d’un pays, allant à l’encontre des intérêts de toute une population et justement cette liquidation a à sa base un culturel dominant, appartenant à une bourgeoisie bien spécifique, une bourgeoisie compradore ; c’est ce type de bourgoisie prisé par l’impérialiste désireux d’avoir une élite sous son contrôle, liée à ses intérêts propres.

Ne perdons pas de vue cependant, le processus de nationalisation entamé dans plusieurs pays de l’Amérique Latine, Vénézuela, Bolivie, Équateur entre autres, ne pouvant plus tolérer le pillage de leurs ressources naturelles et humaines.

Jean-Hénoch Trouillot

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