La Crise boursière à la roulette américaine
Même si les experts ne parlent pas encore de krach, le paysage économique et le quotidien des Français risquent d’être bousculés.
Libération, jeudi 16 août 2007.
Le spectre de la crise liée aux prêts à risque américains (« subprimes ») rôde toujours sur les Bourses mondiales. Sans avoir fait trop de dégâts, hier, au final. « On est encore loin d’un krach boursier », affirmait hier l’économiste Jean Pisani-Ferry. Hier, la Réserve fédérale américaine (Fed) ayant à nouveau injecté 7 milliards de dollars dans la journée, le Dow Jones a rebondi et perdait seulement 0,26 % à la mi-séance, quand le CAC 40 clôturait en baisse de 0,66 %. A l’image de la volatilité extrême des cours, les économistes divergent sur les scénarios possibles sur l’économie réelle. Ils identifient les conséquences potentielles de la crise.
Baisse ou hausse pour les taux d’intérêt ?
La crise financière a ravivé la question de l’évolution du taux d’intérêt qui permet aux grandes banques centrales de fixer le « loyer de l’argent ». Et qui influe directement sur la croissance. Les marchés anticipaient une hausse des taux de la BCE en septembre. C’est désormais moins évident. Dilemme : faut-il les baisser afin d’éviter un gros trou d’air, voire pire, une récession ? Ou, au contraire, agir avec prudence pour éviter la formation de nouvelles bulles, comme dans l’immobilier. Les paris vont bon train ces derniers jours sur ce que décideront les banquiers centraux. « Notre sort est à 100 % entre leurs mains, explique l’économiste Marc Touati. Si les Etats-Unis ne baissent pas leurs taux, il y a un risque sérieux que la crise actuelle ne dégénère en krack et provoque une récession. La baisse permettra de soutenir la croissance à un moment où elle montre des signes de ralentissement outre-Atlantique et une reprise moins vigoureuse que prévue en Europe. » En France, par exemple, les derniers chiffres tombés mardi ne sont pas bons : 0,3 % seulement de croissance pour le deuxième trimestre. « Il y a actuellement un excès d’épargne et non de liquidités dans le monde, autrement dit une insuffisance de la demande, estime Jean-Paul Fitoussi, directeur de l’OFCE, le centre de recherche en économie de Sciences-po. Si l’on veut éviter que cette crise de liquidités ne dégénère en crise d’insolvabilité, il faut continuer à injecter de l’argent et baisser les taux. »
L’analyse d’Olivier Pastré, économiste à Paris-VIII, est bien différente. « Il y a certes une crise, mais sur un marché précis qui n’est qu’un sous-segment du marché immobilier américain. L’environnement général reste marqué par une surabondance de ressources financières. En baissant les taux, on risque de provoquer un accident cardiaque, alors que l’on cherchait simplement à soigner une grippe. C’est ce qui s’est passé au moment de la crise russe en 1998, l’afflux de liquidités a fini par provoquer un krach. » Economiste à Paris-I, Christian de Boissieu considère que la BCE ne devrait pas finalement augmenter ces taux en septembre. « Il n’y a pas de menace inflationniste et cela risque de renforcer l’euro face au dollar si la Fed baisse ses taux. » L’attitude des marchés les jours prochains sera « déterminante », estime pour sa part Philippe Waechter de Natixis. « Si les marchés parviennent à se rééquilibrer sans la béquille des banques centrales, il est probable que les taux n’évoluent guère. Dans le cas contraire, les banques centrales devront les assouplir. »
Un accès au crédit plus difficile ?
Les prévisions ne sont guère réjouissantes : les conditions d’octroi risquent de se durcir dans les prochains mois et les ménages seront probablement moins enclins à s’endetter dans un environnement économique fragilisé. « Le véritable risque, souligne Mathilde Lemoine de HSBC, serait qu’un regain de frilosité des banques et des investisseurs provoque une contraction du crédit. » Avec le risque d’un ralentissement de l’activité des entreprises, déjà peu enclines à l’investissement - 0 % ce trimestre. Une crainte partagée par l’ancien ministre des Finances Thierry Breton, désormais enseignant à Harvard, qui pronostique une possible « disparition » des prêts promotionnels à taux zéro lorsque l’on achète un téléviseur ou un appareil électroménager. Traditionnellement très élevé outre-Atlantique, l’endettement des ménages (135 % par rapport au revenu contre 67 % en France) pourrait se réduire et provoquer une baisse de la consommation. « Le fait que certains achats soient différés d’un mois ou deux n’a aucune importance », estime pour sa part Charles Wyplosz de l’Institut des hautes études internationales de Genève.
Autre secteur clé, le marché du logement, qui se maintenait grâce au soutien de la politique de crédit des grandes banques de réseau, pourrait bien être affecté, entraînant dans son sillage le bâtiment, activité moteur ces dernières années en France. Enfin, s’il sera plus difficile d’accéder au crédit, ceux qui ont opté pour des prêts à taux variables, bien plus avantageux que les prêts à taux fixe en période de taux bas comme ces dernières années, vont connaître des jours difficiles, voire dramatiques. « Ils sont justement de plus en plus nombreux, fait remarquer l’économiste Marc Touati, particulièrement chez les moins favorisés qui ont accédé récemment à la propriété. De l’ordre de 10 % en France. »
Vers plus de transparence dans la finance ?
« On ne sait pas où est situé le risque et qui est exposé aux pertes », souligne Jean Pisani-Ferry. L’occasion est trop belle de tirer quelques leçons sur cet univers opaque. « Il faut profiter de la crise pour réfléchir aux réglementations sur les hedge funds, au niveau européen et mondial », estime Christian de Boissieu. Cette proposition a déjà été soumise au G8 de juin dernier par l’Allemagne. Sans grand succès. « Cette fois, les Américains, premières victimes, pourraient nous rejoindre. »
Christophe Alix et Laureen Ortiz
– Source : Libération www.liberation.fr
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