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France : la législation antiterroriste foule aux pieds les libertés, par Antoine Lerougetel.


5 décembre 2005


Le 29 novembre, l’Assemblée nationale a voté en faveur du projet de loi antiterroriste du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy.

Le projet de loi accroît considérablement les pouvoirs de l’Etat, allant de la vidéosurveillance des citoyens en permettant l’installation de caméras vidéo dans les lieux publics, à l’enregistrement d’images et le recoupement des fichiers sur Internet tout comme à la conservation de données qui doivent être mises à la disposition de l’Etat.

Le texte fut adopté par 373 voix (par le parti majoritaire de l’Union pour un mouvement populaire, UMP, et le parti de centre-droit l’Union pour la démocratie française, UDF). Le Parti socialiste (PS) s’abstint. Les 27 voix contre furent celles du Parti communiste, de trois Verts et de seulement trois députés du Parti socialiste.

Le refus de la part de la gauche officielle de monter une véritable opposition contre l’instauration de l’état d’urgence par le gouvernement, suite aux émeutes des jeunes déclenchées le 27 octobre et qui s’étendirent à l’ensemble du pays, a enhardi les gaullistes dirigés par le président Jacques Chirac, le premier ministre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy à entreprendre des incursions de plus en plus graves dans les libertés. Les CRS sont stationnés en permanence dans certains quartiers spécifiques, le couvre-feu est appliqué et l’état d’urgence, supprimant tout contrôle judiciaire à l’encontre de la police, décrété pour douze jours avec l’assentiment du Parti socialiste a été prorogé de trois mois en ne rencontrant qu’une opposition de façade de la part du PS.

Un incident particulièrement significatif eu égard le projet de loi de Sarkozy fut la suspension pendant 22 heures, le 9 novembre dernier à Paris, du droit de rassemblement. La police justifia cette mesure en se référant à des messages Internet interceptés appelant à des émeutes.

Le prétexte du terrorisme, notamment les attentats de Londres et de Madrid, au même titre que les émeutes des jeunes en octobre et en novembre derniers sont utilisés afin d’accroître davantage encore la panoplie des pouvoirs de l’Etat dont le but n’est autre que de réprimer la résistance à la destruction par le gouvernement du niveau de vie de la classe ouvrière au nom de la sauvegarde de la compétitivité mondiale.

Le congrès extraordinaire du Parti socialiste qui s’est terminé le 20 novembre, tout en s’opposant, pour la forme, à l’extension de l’état d’urgence a souligné sa propre adhésion aux mesures sécuritaires et à un contrôle de police intensifié. La réponse du congrès au projet de loi antiterroriste de Sarkozy montre que son opposition affichée n’était rien d’autre qu’un moyen de dissimuler le soutien tacite du parti à la loi répressive.

Lors du passage du projet de loi à l’Assemblée nationale, l’Agence France Presse (AFP) releva : « Fait rare dans l’hémicycle, les débats se sont déroulés de manière consensuelle entre le gouvernement, la majorité et le PS, M. Sarkozy n’hésitant pas d’ailleurs à saluer le ’sens de la responsabilité’ des socialistes, tandis que l’ancien ministre PS de l’intérieur, Daniel Vaillant, appelait les responsables politiques à s’abstenir de toute polémique. »

Le Figaro du 23 novembre déclara : « C’est dans un climat étonnamment peu conflictuel que les députés examinent aujourd’hui le projet de loi antiterroriste élaboré par Nicolas Sarkozy après les attentats perpétrés à Londres le 7 juillet Les élus socialistes envisageaient hier de voter le texte du gouvernement, au grand dam du barreau et de plusieurs associations de défense des droits de l’homme. »

La Ligue des droits de l’homme, le syndicat de la magistrature et l’ordre des Avocats de France ont qualifié la loi de liberticide.

Dans une interview accordée le 29 novembre au Parisien, Jean-Marc Ayraud, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, dit : « Pour moi, il est hors de question de voter contre. Les démocraties doivent savoir se défendre face aux risques du terrorisme. Le texte qui est proposé ne comprend pas de dispositions liberticides ni contraires à l’Etat de droit, même s’il est insuffisant sur quelques points. »

Il ne fit que reprendre l’attitude adoptée par le Parti socialiste lors du congrès de la semaine passée, présentant le Parti socialiste comme le principal parti sécuritaire : « La gauche commettrait une grave erreur en abandonnant la fermeté et le respect de la sécurité publique à la droite. »

Le contraste entre la signification de la loi, à savoir la destruction des droits démocratiques et le renforcement des pouvoirs de l’Etat, et la facilité avec laquelle elle fut adoptée démontre l’unité fondamentale parmi les élites politiques, qu’elles soient de gauche ou de droite, et leur détermination à écraser tout mouvement de résistance qui puisse être provoqué par les attaques grandissantes contre le niveau de vie et les droits sociaux. L’AFP décrivit ainsi le caractère superficiel des débats : « Seul Noël Mamère (Verts) épaulé de temps à autres par le communiste Michel Vaxès, a bataillé contre ce projet ’attentatoire aux droits fondamentaux, selon lui. »

Lors de la réunion du groupe des députés socialistes qui précéda le vote et durant laquelle les socialistes décidèrent de s’abstenir, Vaillant figurait parmi la minorité non négligeable qui appelait à voter en faveur de la loi. Certains membres influents s’absentèrent au moment du vote, y compris Arnaud Montebourg qui se qualifie pourtant lui-même de dissident de gauche.

S’exprimant au nom du Parti socialiste, Jean Floch tenta également de dissimuler les pouvoirs arbitraires concédés à l’Etat : « En admettant les mesures prises pour tenter d’assurer la sécurité de nos concitoyens, nous sommes exigeants sur les limites législatives pour respecter l’état de droit En toutes responsabilités, nous nous abstenons sur ce texte. »

Ainsi légitimé, Sarkozy fut en mesure de déclarer à l’Assemblée : « La lutte contre le terrorisme n’est apparue ni comme une affaire de la droite, ni comme une affaire de la gauche, mais au contraire il y a eu une continuité quels que soient les gouvernements pour renforcer l’arsenal juridique. »

Il a été possible d’adopter une loi qui est un pas en avant majeur vers un Etat policier permanent sans quasiment aucun commentaire sérieux de la part des médias. La loi de Sarkozy fut reportée avec un minimum de détails et sans même que ses implications concernant les droits démocratiques ne soient mis en avant.

La loi s’appuie sur des pouvoirs considérables concédés à l’Etat et remontant à la législation relative à la lutte contre le terrorisme qui fut votée après une série d’attentats à la bombe en 1986. Cette loi fut le pivot qui permit la création d’une section spéciale de juges d’instruction antiterroristes dirigée par le juge Jean-Louis Bruguière et basée dans la quatorzième section du parquet de Paris. Les juges sont dotés de pouvoirs arbitraires les autorisant à ordonner des arrestations en masse et de détenir préventivement des suspects en invoquant les termes vagues de lois criminalisant « l’association de malfaiteurs ». Ces pouvoirs ne furent pas seulement utilisés contre des Corses, des Basques, des Iraniens, des Algériens et des Islamistes suspects, mais également contre des Français de métropole et ont permis d’interpeller des centaines de suspects qui furent détenus pendant près de quatre ans sans procès. Les partis de la gauche sont, de manière générale, indifférents à cette violation flagrante des droits de l’homme sur le sol français.

Tony Blair et George Bush regardent avec envie les pouvoirs accordés à l’équipe de Bruguière. L’Etat français quant à lui n’a de cesse de se débarrasser des lois relatives aux droits du citoyen. C’est notamment le cas pour ce qui est de l’utilisation des 60 000 caméras de surveillance actuellement en opération et l’Etat français souhaite imiter la Grande-Bretagne et ses quatre millions d’appareils de vidéosurveillance qui traquent au quotidien les habitants de Grande-Bretagne. L’on estime qu’un habitant de Londres est filmé jusqu’à 300 fois par jour sur le trajet entre son domicile et son lieu de travail.


Voici les principales dispositions de la loi :

Les préfets seront habilités à imposer la mise en uvre de « systèmes de vidéosurveillance dans des lieux tels que des centres commerciaux, des stades ou des musées, indépendamment de la commission d’une infraction, afin de renforcer les moyens de détection des opérations préparatoires à des actes de terrorisme. » Un refus d’installer une caméra est passible d’une amende de 150 000 euros. Un vaste programme prévoyant un équipement des plus sophistiqués est prévu.

Les opérateurs de communications électroniques, internet et téléphone, sont obligés de transmettre à des « agents individuellement habilités des services de la police ou de la gendarmerie nationales » les images et les enregistrements. Les opérateurs sont tenus de conserver les données techniques à savoir l’identification des numéros d’abonnement ou de connexion à des services de communication électronique contactés par l’utilisateur ainsi que les données de localisation des équipements terminaux. Les agents des renseignements de l’Etat sont en mesure d’échapper à tout contrôle juridique : « L’obligation actuelle de s’inscrire systématiquement dans un cadre judiciaire déterminé est trop restrictive. » Les personnels désignés par l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), justifieront, dans le cadre juridique le plus vague, le bien fondé de l’objectif de la surveillance. Le document garantit au public que les messages ne seront pas contrôlés.

Les véhicules et leurs passagers seront soumis à un contrôle électronique et filmés. Les restrictions concernant les contrôles d’identité dans les trains transnationaux seront réduites. Les compagnies aériennes et de transports privées ainsi que les agences de voyage seront tenues de fournir les renseignements sur leurs clients.

Le délit « d’association de malfaiteurs » ou de conspiration, dont les termes sont tellement vagues qu’il est possible de criminaliser des personnes qui ont fréquenté les mêmes cafés, sera réprimé bien plus lourdement : une personne qui serait jugée coupable d’association avec un malfaiteur, verrait sa peine de prison doublée à vingt ans de réclusion alors que le « dirigeant ou l’organisateur de l’association » verra sa peine passer de vingt à trente ans.

La durée de la garde à vue passe de quatre à six jours. Il s’agit là d’une disposition largement ignorée par les juges antiterroristes. En effet, la loi prévoit que toutes les affaires soient référées aux « juges spécialisés et habilités de pouvoirs nationaux », c’est-à -dire donc à l’équipe de Bruguière, de la quatorzième section du parquet de Paris, et qui peut garder à vue des personnes pour une durée indéterminée s’il y a décision d’intenter une poursuite.

Une autre mesure significative de la loi est le prolongement de 10 à 15 ans du délai durant lequel une personne naturalisée française peut être déchue de sa nationalité française. Le caractère vague et fourre-tout des délits qui peuvent conduire à cette peine est claire : un « acte portant une atteinte manifeste aux intérêts fondamentaux de la Nation ; acte de terrorisme ; actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France. »

Le recours à une singularité française mystique et indéfinissable, donne à l’Etat des occasions illimitées de réprimer des Français de longue date en établissant comme délit « l’acte incompatible avec la qualité de Français ». En l’occurrence, ce terme pourrait-il s’appliquer si on refuse de reconnaître le drapeau français, ou si l’on porte un drapeau ou un emblème étranger, si l’on manque de respect à l’hymne national ou si on chante l’hymne d’un autre pays ? Si on n’est pas d’accord avec la politique gouvernementale ? La liste est inépuisable. Aucun commentaire ou résumé de cette loi dans la presse n’en a fait état.

L’introduction de la loi justifie cette disposition : « une fois la nationalité française acquise, l’activiste ne peut plus faire l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire, d’une mesure administrative d’éloignement et se voit, en outre, dispensé de l’obligation d’obtenir un visa pour se déplacer vers de nombreux pays. Il s’agit de faire échec à ces stratégies. »

Parallèlement au durcissement du contrôle de l’immigration et des pouvoirs de police attribués aux maires des 36 000 communes de France qui forment l’administration de base et le bras armé de l’Etat français, les élites dirigeantes se préparent à contrer la colère et la résistance massives qui se forgent au sein de la jeunesse et de la classe ouvrière. Cela équivaut à ériger un état d’urgence permanent ce qui est une bonne définition d’un Etat policier. L’introduction de la loi est claire : « La France doit faire face à une menace terroriste de niveau élevé qui nécessite de nouveaux instruments juridiques, qui sont l’objet du présent projet de loi. Certains d’entre eux ont vocation à être pérennes. D’autres doivent pouvoir faire l’objet d’une nouvelle discussion parlementaire, à horizon de trois ans. »

En l’espace de trois semaines, l’instauration de pouvoirs spéciaux est passée de douze jours à trois mois et puis à trois ans, voire même, à une période indéterminée. A chacune de ces étapes, une mobilisation politique de la classe ouvrière contre cette attaque envers les droits démocratiques aurait pu mettre fin à ces développements. L’absence de toute tentative de mobilisation de la classe ouvrière par la gauche, y compris le Parti communiste, dont les voix contre l’état d’urgence et maintenant contre la loi antiterroriste n’étaient que purement platoniques, a été cruciale car elle a permis à l’élite dirigeante française d’imposer son programme antidémocratique.

Antoine Lerougetel

 Source : www.wsws.org


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