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« Fidel Castro, Biographie à deux voix », interview d’Ignacio Ramonet

« Ce livre est une semence qui va germer »

Paris le 22 février 2007.

Ignacio Ramonet est le directeur du mensuel français de référence Le Monde Diplomatique, mais aussi l’une des personnalités les plus prestigieuses parmi les intellectuels progressistes à travers le monde. Voici un an qu’est sortie en Espagne la première édition de son livre « Fidel Castro, Biographie à deux voix » où il s’entretient longuement et sans réserves avec le dirigeant principal de la révolution cubaine. Le livre se vend massivement à Cuba et des traductions sont en préparation dans différents pays. Cette interview a été réalisée à peine trois semaines après la publication du livre en France.

Hernando Calvo Ospina : Ignacio Ramonet, je renouvelle la question que l’on vous a peut-être déjà posée souvent : Quels objectifs vous ont incité à réaliser ces longs entretiens avec Fidel Castro, entretiens qui ont pris la forme d’un livre l’an dernier ?

Ignacio Ramonet : L’objectif principal de ces conversations avec Fidel Castro était de lui donner la parole. En effet, bien qu’il soit question de lui de façon très régulière dans les médias mondiaux, c’est presque toujours pour l’attaquer, sans que jamais ne lui soit donnée la possibilité de présenter ses arguments, sa propre version des choses.

Fidel Castro est l’un des rares hommes à connaître la gloire d’entrer de son vivant dans l’histoire et la légende universelle. C’est le dernier « monstre sacré » de la politique internationale. On peut penser de lui ce que l’on veut mais objectivement, il est l’un de ces personnages qui se sont lancés dans l’action politique en quête d’un idéal de justice, dans l’espoir de réaliser des changements dans un monde où règnent l’injustice et la discrimination.

Sous son impulsion, les habitants de cette petite île ont résisté à toutes les agressions et pressions des Etats-Unis depuis le début de la révolution. Avec son guide, ce peuple a développé la politique d’une grande puissance mondiale, tout en étant un exemple pour son niveau éducatif, culturel, sanitaire, ainsi qu’en ce qui concerne la solidarité internationale. Dans ce domaine, curieusement, elle dépasse des nations comme la France et les Etats-Unis.

Fidel Castro est dans l’histoire et entrera dans l’histoire. J’ai déjà dit que c’est le latino-américain le plus universel depuis Simon Bolivar.
De sorte qu’il m’est apparu qu’un livre qui serait une synthèse de son oeuvre, de sa pensée, de sa vie faisait défaut, car personne n’y avait songé, ni lui, ni les Cubains. Pour moi, cela représentait un objectif politique et journalistique.

H.C.O. Il m’a semblé que les média qui mentionnent le livre le font de façon méprisante. Tandis que d’autres l’ignorent complètement, comme c’est le cas en France. Pourquoi ?

I.R. Bien que la majorité des journalistes traitent Fidel Castro avec dureté et déforment ses propos régulièrement, tous rêvent de l’interviewer. Pouvoir seulement lui serrer la main les remplirait d’aise. Evidemment, ils ne vont pas le reconnaître publiquement. Mais nombre de mes collègues de par le monde qui sont des « vedettes » sont persuadés qu’ils sont en « droit » d’interviewer Fidel Castro, ils attendent cela depuis des années et ont le sentiment que je leur ai volé leur place. Et bien sûr, ils tentent de discréditer ce travail en disant qu’il n’est pas objectif car Ignacio Ramonet est ami avec Fidel Castro.

La plupart des grands média ont été très habiles, car la meilleure façon d’attaquer un livre est de ne pas l’attaquer. En l’attaquant, ils alerteraient quelques lecteurs. Je savais que j’allais être boycotté, en particulier en France. Et cette intuition s’est précisée quand Fidel a fait sa réapparition fin janvier, en bien meilleure forme, alors qu’ils attendaient tous sa mort. Ils ont été tellement désappointés qu’ils ont reporté tout leur dépit sur le livre.

Mais il ne faut pas oublier non plus qu’au Monde Diplomatique, nous avons toujours critiqué durement les médias et leurs relations avec le pouvoir économique, étatique et politique.
J’ai publié plusieurs livres sur ce sujet. Par conséquent, ils ne peuvent pas voir en moi un ami. Ils ont donc trouvé l’occasion de prendre leur revanche en dénigrant ce livre. Cela démontre le peu de professionnalisme présent dans le journalisme.

S’ils sont vraiment scrupuleux et honnêtes, les détracteurs de Fidel Castro pourront vérifier que lui, il n’a pas menti dans ses réponses, qu’il expose des arguments sérieux et importants à prendre en compte. Et je crois que c’est cela que de nombreux grands médias ne supportent pas : à savoir que dans le livre on ait abordé en toute franchise précisément les sujets sur lesquels Fidel Castro et la Révolution cubaine sont mis en accusation. On pensait que je me montrerais complaisant dans ce travail.

Or, pour réaliser ce travail de façon professionnelle, j’ai pris de la distance avec mon sujet. Jamais je n’aurais pu avoir recours à la pratique malhonnête très courante dans de nombreux médias au monde, qui consiste à manipuler et à déformer les propos de l’interviewé lorsque ceux-ci ne leur conviennent pas politiquement. On le poignarde dans le dos sous prétexte que le journaliste est libre de décider de ce qu’il publie, et c’est sur cela qu’ils fondent la liberté d’expression. De façon parfaitement malhonnête, des déclarations importantes sont donc escamotées ou sorties de leur contexte.

H.C.O. Mais ces médias et ces intellectuels qui cherchent à attaquer ou à ignorer l’oeuvre pour sa soi-disant « partialité », sont liés aux sphères du pouvoir politique et économique.

I.R. De nos jours, il y a en France peu d’intellectuels sérieux et respectables. Les intellectuels les plus renommés, les plus médiatiques ont rejoint à 80% le candidat à la présidence Nicolas Sarkozy, qui représente la droite la plus dure, la plus néo libérale, la plus pro-étasunienne et pro-israélienne. Cela en dit long sur ces intellectuels.

Nous devons aussi considérer que les grands médias français- dont la propagande a propulsé au rang d’ « intellectuels » de nombreux pro Sarkozy, appartiennent à de puissants groupes économiques, y compris à des secteurs de l’industrie de l’armement. Il est logique que ces médias ne se répandent pas en propos élogieux sur les projets politiques développés à Cuba, au Vénézuela, en Bolivie, etc.Ils prônent la mondialisation, celle qui signifie la priorité du marché sur l’Etat.

Sur bon nombre de sujets politiques importants pour les citoyens, voici des années qu’a été érigée en norme ce que j’appelle « la censure du consensus ». C’est à dire qu’une fois qu’un consensus est établi, il fonctionne comme une censure. Actuellement, l’idée véhiculée est qu’il n’y a rien de bon à Cuba, ni au Venezuela, ni chez Fidel, ni chez Chavez. Si tu vas à l’encontre de cela, si tu rames à contre courant, tu sembles être quelqu’un d’étrange, on t’accuse de tout. D’être acheté, vendu, d’être un espion. Et par conséquent, personne ne t’accepte.

L’effort nécessaire au rétablissement de la vérité est si énorme qu’il vaut mieux laisser tomber. Le mieux, le plus commode, c’est de se complaire dans la répétition plutôt que de se lancer dans une démonstration. On voit se répandre aujourd’hui cet esprit goebbelsien (du nom du chef de la propagande nazie, Joseph Goebbels) qui consiste à accepter l’idée que la répétition a valeur de démonstration. Cela ne vaut pas la peine de vérifier la version unique et unilatérale des faits, que certains présentent comme le résultat de « révélations », de « recherches ». Tout cela, c’est la grande misère du journalisme. Et c’est d’autant plus misérable que les mêmes versions de la grande presse et de la droite étasunienne sont répétées depuis des lustres.

H.C.O. Ignacio Ramonet, cet ouvrage, qui est comme un enfant que vous avez en commun Fidel Castro et vous, quel chemin peut-il prendre dans ce monde hostile et agressif, que souhaitez-vous pour lui ?

I.R. Je suis convaincu qu’il aura des prolongements. De quelle manière ? Demain ou un jour prochain, dans un endroit d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, un jeune le lira et ce livre lui donnera des idées, une inspiration pour construire sa vie au service des siens. Ce livre est une semence. Je suis convaincu que l’honnêteté de Fidel Castro tout au long de ces pages et sa pensée imprégnée d’une série de positions éthiques et de projets politiques vont germer là où on s’y attend le moins.

L’objectif de ce livre, ce ne sont pas les médias. Ce sont les esprits de nombreux jeunes mécontents de l’injustice, de l’inégalité et des abus qu’ils subissent en France, aux Etats-Unis, au Mexique, presque dans le monde entier. Ils vont y trouver un projet de transformation de la société car il est bourré de convictions. C’est là tout mon espoir. S’il a un avenir, c’est celui-ci. Ce qui est indispensable, c’est d’avoir des convictions qui aillent dans le sens d’une transformation du monde dans l’intérêt de tous ceux qui sont humiliés, marginalisés et opprimés. Car il y a dans ce livre une force qui s’impose grâce aux convictions de Fidel Castro.

Hernando Calvo Ospina, écrivain et journaliste.

 Traduit de l’espagnol par Simone Bosveuil

 Transmis par Cuba Solidarity Project http://viktor.dedaj.perso.neuf.fr

Présentation de l’éditeur

Résultat de plusieurs semaines d’intenses conversations entre Ignacio Ramonet et Fidel Castro, cette " biographie à deux voix " donne les clés de la révolution cubaine à travers le parcours personnel et politique du dernier " monstre sacré " de la politique internationale.

Quelle a été son enfance ?
Où et quand s’est forgé le rebelle ?
Quelles étaient ses relations avec Che Guevara ?
Comment sa petite guérilla a-t-elle vaincu la puissante armée de Batista ?
Le monde a-t-il été au bord de la guerre nucléaire pendant la " crise des missiles " d’octobre 1962 ?
Combien de fois a-t-on tenté de l’assassiner ?
Quelle impression lui a laissée le pape Jean-Paul Il pendant sa visite à Cuba en 1998 ?
Pourquoi critique-t-il si âprement Felipe Gonzalez et José Maria Aznar alors qu’il vante les qualités du roi Juan Carlos ?
Quels souvenirs garde-t-il de François Mitterrand, de Régis Debray, du commandant Cousteau ?
Comment explique-t-il l’" affaire Ochoa " ?
Que pense-t-il de la globalisation néolibérale, de la guerre en Irak et du président Bush ?
Pourquoi les autorités cubaines ont-elles arrêté quelque soixante-dix opposants non violents en mars 2003, et appliqué, la même année, la peine de mort aux responsables du détournement d’un bateau ?
Le régime souffre-t-il de la corruption ?
Le socialisme cubain est-il vraiment " irrévocable " ?
Quel est le secret de l’alliance avec Hugo Châvez ?
Quelles sont les orientations actuelles de la politique et de l’économie cubaines ?
Qu’adviendra-t-il après Fidel Castro ?

L’entretien exhaustif d’Ignacio Ramonet donne lieu à des réponses inédites, et constitue une démarche que la figure éminemment controversée de Fidel Castro rend passionnante. C’est aussi un récit instructif sur le passé, le présent et l’avenir de la révolution cubaine et de l’Amérique latine alors que prend fin le long règne du comandante.


"Fidel Castro. Biographie à deux voix", Fayard/Galilée est paru à Cuba, en mai 2006, avec le titre : "Cien horas con Fidel". Il s’agit d’un gros volume d’environ 750 pages, enrichi d’un chapitre inédit, par rapport à l’édition espagnole, intitulé : "Fidel Castro et la France".




Cuba : Fidel Castro malade, Miss Monde acnéique, presse métastasée, par Maxime Vivas.

Pourquoi les arrestations à Cuba ? par Wayne Smith, ancien responsable la section des intérêts US à la Havane.

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COMMENTAIRES  

07/03/2007 18:55 par Benito

Brovo M,Ramonet pour votre courrage et votre détermination.

Merci pour garder votre sens de l’honneur malgré les attaques répètés de la part de l’extrême-droite de part le monde.

La bataille des idées....C’est tout ce qui compte !

Un jour viendra d’autre Ernesto Guavara,Camillio Cienfuego pour donner à l’Amérique Latine l’éducation,et les usa,vont devoir rester dans leur court,et faire leurs devoirs et respecter les autres avant de demander aux autres de les respecter !

Un jour viendra ou l’amour vainquera sur l’argent !

Merci mille fois M,Ramonet pour votre excellant travail et s’il vous plait saluer notre Comandante ...

Benoît Rivet Amies de Cuba Québec Canada.

23/03/2007 01:18 par Anonyme

Merci Ignacio Ramonet pour cette "biographie à deux voix", ouvrage passionnant et rigoureux !
Y. Ricard Québec Canada

19/02/2009 19:10 par Anonyme

J’ai enfin terminé ce livre, et je l’ai trouvé excellent. Même en mettant de côté son aversion pour le Lider Maximo, un lecteur objectif ne pourra que saluer la qualité du livre, et surtout l’intelligence remarquable de Castro.

Je suggère à tous ceux qui le vomissent, de mettre leurs préjugés quelques minutes de côté, et de lire le livre, car la finesse d’esprit de Castro est remarquable, c’est un dialoguiste hors-pair et un polémiste redoutable. Sans compter son style, sa langue et sa courtoisie (mais pas du tout mielleuse). Suffit de comparer à Bush et Sarko, les piteux analphabètes que les grandes puissances se coltinent !
C’est le style qui compte dans un livre, peu importe les idées communistes de Castro, si un lecteur n’arrive pas à trouver de l’intérêt parce qu’aveuglé par la propagande US ou ses ropres convictions, c’ets qu’il ne sait pas lire.

Ce qui m’a frappée, comme le dit Romanet, c’est sa franchise vis-à -vis de questions telles que la peine de mort (encore en vigueur à Cuba, et qui est une de mes réserves vis-à -vis de Castro), ses relations avec d’autres hommes politiques, ses opinions sur les divers présidents US (très instructives !), la mise au point sur le coup d’état contre Chavez en 2002, etc. J’ai aussi apprécié le fait que Romanet dans la longue intro, parle des ajouts par rapport à l’édition espagnole précédente (notamment Saddam Hussein, que Castro avait vertement critiqué apparemment, mais avait demandé à être censuré sur ce point en 2006, suite à l’exécution de l’ex-président irakien).
Comparez ce livre à des bouquins style "Ma vie" de Bill Clinton, le gouffre béant qui les sépare, juste en style et en idées !

On savait déjà que Castro était un orateur exceptionnel, l’intelligence et la finesse dont il fait preuve dans ce livre, ses qualités rhétoriques dans un débât, expliquent comment il a pu survivre à l’Empire en 1 demi-siècle d’agressions.

Pourtant, je fais partie de celles qui le vomissait rien qu’à entendre son nom, car j’ai été influencée, dans ma jeunesse, par un correspondant cubain habitant en Europe qui ne cessait de pester ce régime qui a du faire fuir ses parents. Plus tard, j’ai cherché à me documenter, et j’ai remarqué que depuis 2000, la plupart des dirigeants latino-américains ont normalisé leurs relations avec le "Dictateur cubain" (effet Chavez ?).

09/08/2010 12:43 par kounet

J’ai acheté immediatement ce bouquin que j’ai fait lire ensuite à mon fils âgé de 38 ans ( il est d’ailleurs tombé amoureux de Castro ! )et je l’ai conseillé à un tas d’amis .
M’interessant à l’histoire et non à la propagande Américaine reprise en coeur par ces " Européens "" suivistes et aux ordres, j’avais une sympathie particulière pour Castro qui aurait pu, vu son milieu et son intelligence, gagner beaucoup de sous !J’ai aimé ce qu’il a fait et j’ai un mépris amusé pour ses nombreux " ennemis " qui ne savent rien sinon la propagande Américaine, féroce depuis1959 !Il en est de Fidel comme des basanés : on craint ce que l’on ne connait pas , c’est triste .

29/05/2015 00:48 par totor

J’ai lu le livre et il est excellent il me fut offert par ma fille il y a quelques années pour mon anniversaire.Pour le modérateur ou l’administrateur du site, qui va lire ce texte, je dois dire que je n’ai pas beaucoup apprécié que mon commentaire sur "l’arc du curare " de Thephraste R ait été censuré en grande partie sur ce qui concernait ma critique du mouvement espagnol"podemos". Dont il faut savoir que le maintenant petit parti fasciste "Falanje espanola" de Franco a appelé a voter pour eux pour la raison suivante:ils affirment n’être ni de gauche ni de droite comme le disait le fondateur de la Falanje et ils défendent bec et ongles le drapeau de Franco et de la monarchie.

Si la censure s’applique aux progressistes je ne ferai plus de commentaires, je me contenterai de lire les articles qui m’intéresseront.
J’ai bien lu votre avertissement interdisant les règlements de compte au sein de la gauche qui ne sont pas admis.Cependant peut-être prenez vous pour argent comptant les informations de la plupart des grands media(France inter, France télévisions,les grands journaux français ou étrangers)qui présentent "Podemos " comme "gauche radicale".Ces media auraient-ils des journalistes et des actionnaires stupides au point de se tromper de la sorte ?

10/12/2016 16:32 par Assimbonanga

Bonne nouvelle ? Le bouquin en question n’est plus disponible aujourd’hui à la FNAC ni sur Amazon. C’est donc qu’ on n’a pas besoin de passer à la grande librairie ni chez Charline Vanhoeker pour en faire la promotion. Il se vend tout seul. ( Charline et ses copains professent à qui mieux mieux que Castro est un dictateur sanguinaire). Monsieur Ramonet, vous ne pouvez qu’être fier qu’on vous ostracise car cela n’empêche pas votre réussite. C’est même le plus sûr label, votre marque de luxe. J’espère que votre livre va être réédité.

03/03/2018 19:30 par CAZA

Petite publicité pour le DIPLO et MANIERE DE VOIR
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici les publications du Monde Diplomatique et de son supplément Manière de Voir sont de véritables insurrections médiatiques contre la veulerie crasse des merdias
A lire donc les derniers numéros ;CUBA ET PALESTINE COLONISEE de Manière de Voir
Heureusement que le LGS et le NET cassent le bourrage de mou des impérialistes
Les autres peuvent continuer de regarder les journaux télévisés et lire la presse des milliardaires

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