« Dans le nord, les maires FN ont l’accent jaurésien. Dans le sud, plutôt maurrassien », disait, il y a un an, Elsa Di Méo, opposante PS à Fréjus (84), la ville du sénateur-maire frontiste David Rachline. Depuis, le discours de la patronne de la cellule « anti-FN » du PS a changé : « Vu leurs pratiques, leur discours, il n’y a plus de différence entre FN du Nord et du Sud. » Qu’en est-il ? Petite tentative de comparaison entre le Front de Marine et celui de Marion.
L’idéologie et les thématiques locales du FN
« J’t’en foutrai du vivre ensemble » : cette saillie du sénateur-maire FN marseillais Stéphane Ravier résume l’ADN du Front en Paca. On est sur les terres de Jean « Marius » Le Pen, face à un parti qui a fait, depuis l’origine, de l’immigration son fonds de commerce. Les tracts de Marion Maréchal sont sans ambiguïté : « Immigration, communautarisme, islamisme, stop ! » C’est d’ailleurs elle qui a fait la paix avec grand-père...
Dans le Nord, le discours « social » du FN prospère sur les divisions entre pauvres, sur fond de pseudo-frontière national/étranger. Et qu’importe si ce discours social est mis en œuvre par des libéraux comme l’économiste Jean-Richard Sulzer, officiant à la Région et à Hénin-Beaumont (62). Quant au maire de cette ville, Steeve Briois, il a gommé les outrances xénophobes du MNR par lequel il est passé. Sauf que, à peine les valises posées, le FN a viré la LDH des locaux municipaux, pris un arrêté anti-mendicité (qui vient d’être annulé), adhéré aux « Voisins vigilants » et multiplié les caméras. Pour Marine Le Pen, aux régionales de 2010, la sécurité était, vieux slogan orwellien, « la première des libertés ». Mais ses propos sur la « jungle » à Calais et la suppression des subventions aux associations d’aide aux migrants laissent peu de doute sur son substrat idéologique...
Les pratiques au pouvoir
Plus question de faire des villes FN des « laboratoires ». Le but est d’avoir un bilan. Et donc un marchepied. Mais quand ils ne sont pas dans l’opposition systématique (rebaptisée « harcèlement démocratique »), les frontistes du Sud retrouvent vite les vieux démons : « Négation des droits de l’opposition, fermeture d’une épicerie solidaire, coupes sombres dans le budget des centres sociaux et, bien entendu, lutte contre les mosquées », dénonce Elsa Di Méo. Sans oublier la « fête du coq » à Cogolin (84) ou la conférence sur « la vie sociale et culturelle sous l’Occupation » chez Ravier. Mais, aux manettes, les élus FN souffrent des maux qu’ils dénonçaient jadis : recrutements « familiaux », recyclage des « perdants », recours à des entreprises « amies » et bien sûr, cumul des mandats.
Même chose dans le Nord. Mais après tout, Briois n’est-il pas l’un des principaux auteurs du « Guide de l’élu FN » ? Un an après leur victoire, les frontistes héninois arborent le style du cumulard satisfait. Conseiller régional, Briois est maire et député européen. Sur neuf adjoints, cinq émargent désormais au département (accompagné par François Vial, un parisien parachuté à Oignies (62)). Quant à ses deux âmes damnées, non contentes de pointer à Nanterre, elles ne chôment pas. Jean-Richard Sulzer œuvre à la Région et Bruno Bilde voit son nom tourner dans l’affaire des rémunérations loufoques des assistants FN à Bruxelles. Autre travers du parti « antisystème » : la distribution « genrée » des mandats. Front national, ordre patriarcal...
Stratégie militante et électorale
Autoproclamé « premier parti de France » (notamment « chez les jeunes »), le FN se dit « 1er » dans le « 13 », la « fédé » du Var étant, elle, la plus grosse de France. Mais pas question pour « la France plein Sud » de rester sur ses bases. D’où une myriade de collectifs dont certains sont ancrés dans le Sud, comme « Nouvelle Ecologie » ou Racine. Et si, jadis, le FN a fait la courte échelle à la droite pour s’emparer de la région, c’est désormais à couteaux tirés entre droite extrême et extrême droite. D’où des transfuges voire des « prises »... Avec toutefois, comme aux Saintes-Maries-de-la-Mer (13) ou au Pontet (84), quelques échanges de bons procédés, les digues et autres cordons étant, en Paca, tombés depuis longtemps.
Se sachant sous haute surveillance médiatique, Briois incarne au niveau local la stratégie de « dédiabolisation » défendue par Marine Le Pen. Il a donc troqué ses vieux habits de militant d’extrême-droite pour le costume du notable apolitique refusant d’entendre parler d’« idéologie » pour donner dans la « proximité ». L’idée ? Prospérer sur les divisions entre pauvres, tout en gommant les aspérités pour aller chercher – avec un succès mitigé – les anciens électeurs ou d’anciennes figures de gauche. Dans le Nord, le FN, ce n’est pas plus de 2000 militants. Le programme ne sera connu qu’à la mi-novembre (Le Pen misant sur une campagne courte) et Bilde refusera de répondre à La Brique – ce « journal d’extrême-gauche ». Mais l’audience médiatique de Le Pen suffit à assurer une prime quotidienne à son positionnement « antisystème ».
Les réseaux
Marion à l’université des cathos intégristes, des anciens de l’Action Française autour de Ravier, quelques identitaires dans l’entourage de Rachline, ayant lui-même été proche de Soral. Sans parler des anciens de l’OAS... En Paca, le FN peut s’appuyer sur une bonne partie de la galaxie de l’extrême droite hexagonale. Mais ce n’est pas sans tiraillement, comme avec Jacques Bompard, le maire d’Orange (84) qui conduit aux régionales une liste de la « Ligue du Sud ». En outre, « normalisation » oblige, les édiles du Sud auront vu quelques « technos » du parti débarquer pour leur prêter main forte. Sans oublier le recours aux entreprises proches du parti. En Paca, le FN, ça reste une affaire de famille, même élargie !
Côté Nord, l’implantation identitaire n’est pas la même. Elle se focalise essentiellement sur le folklore flamand avec un goût certain pour le survivalisme. Figure de proue, Claude Hermant, un ancien du service d’ordre du FN (actuellement poursuivi pour son implication présumée dans la fourniture d’armes à Amedy Coulibaly) avait fondé la « Maison du Peuple Flamand » à Lambersart (59). Depuis sa fermeture, ses ex-membres sont régulièrement présents dans le « SO » des manifs d’extrême-droite (la Manif pour Tous, Jour de Colère...). Ils reprennent du service pour faire les campagnes de Briois et de ses amis. Et, quoique défendant des thèses plus radicales, il n’est pas rare de les voir discrètement dans les événements du FN local. Qui, même s’il profite de cette allégeance, prend soin de ne jamais afficher son soutien aux actions de ces groupuscules. Les cravates devant, les crânes rasés derrière.
Sébastien Boistel (le Ravi), Diolto & Harry Cover (La Brique)
« Des configurations diamétralement opposées »
Spécialiste du vote FN, le sociologue Joël Gombin analyse les différences nord/sud.
Qu’est-ce qui caractérise Paca et le Nord-Pas de Calais ?
Les configurations sont diamétralement opposées. Le seul point commun, c’est la pauvreté. Pour le reste, Paca, c’est une région peu industrialisée, traumatisée par la fin de l’empire colonial, de plus en plus à droite et où le FN a très vite trouvé un terreau favorable. A contrario, dans le Nord, on est dans une région qui fut jadis très industrielle, avec un fort électorat ouvrier, un PS et un PC très ancrés mais qui a subi de plein fouet la désindustrialisation.
Les bases électorales du FN sont-elles différentes ?
Dans le Sud, la base électorale, c’est celle du poujadisme – les commerçants indépendants, une petite bourgeoisie économique... – et les tenants de l’Algérie française. Dans le Nord, les premiers à se rallier au FN, c’est cette part non négligeable de l’électorat ouvrier qui vote traditionnellement à droite. Et désormais, ce sont les « enfants » de la désindustrialisation, séduits en outre par le travail d’implantation de personnalités comme Steeve Briois, une figure locale qui est en quelque sorte « née » au FN. L’électorat frontiste est donc un peu plus populaire dans le Nord qu’en Paca : en 2012, les ouvriers et employés représentaient plus d’un tiers du vote FN dans le Sud et plus de la moitié dans le Nord.
D’où des stratégies et des discours différents ?
A la base, les stratégies ne sont pas forcément très élaborées. Et il y a toujours eu au FN différents courants. Notamment une frange venant d’une droite très traditionnelle, plutôt catholique et poujadiste, qui se veut la « vraie droite » face à celle qui a trahi – un courant dont est proche Marion Maréchal – mais aussi cette autre tendance qui, refusant le clivage gauche/droite, prétend incarner une « troisième voie » à laquelle se rattache plutôt Marine Le Pen. Mais aujourd’hui, avec le discours sur l’immigration, on a peut-être affaire à un FN plus idéologiquement homogène que jamais. C’est au Front la question qui fait l’unanimité. Voire l’unité. Et qui est le principal motif de vote FN.
Il n’y a donc plus de différence entre FN du nord et du sud ?
Certes, la pratique de la politique au niveau local est facteur d’homogénéisation. Mais les configurations restent différentes. Marion Maréchal est sur un territoire où la réorganisation de la droite autour du FN est largement effective : elle n’a donc qu’à s’adresser à l’électorat de droite. Marine Le Pen, elle, doit composer avec d’un côté une posture d’autorité et, de l’autre, un discours économique plutôt antilibéral. Or, si elle peut ainsi faire le plein au premier tour, elle devra, au second, changer de discours économique. Une gageure qui va se poser avec acuité en 2017.
Entretien réalisé par Sébastien Boistel