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Evo, paysan indien devenu cauchemar des USA.


27 mai 2003


Le leader de la gauche bolivienne est à Genève pour demander une enquête sur la répression.


« Evo ». Dans le Tropique de Cochabamba, en Bolivie, le prénom du populaire leader du Mouvement au socialisme (MAS) est synonyme d’espoir. Celui de voir les paysans indigènes sortir de leur état de misère et d’oppression.

Mais depuis les 21% d’Evo Morales à l’élection présidentielle de juin 2002, ce prénom est devenu, pour d’autres, celui d’un dangereux agitateur à combattre par tous les moyens. De passage à Genève, le président du MAS et chef de file des « cocaleros » s’est confié au « Courrier ».

PROPOS RECUEILLIS PAR BENITO PEREZ


Les Etats-Unis appellent le gouvernement à ne pas céder à Evo », « Evo Morales serait lié à la mafia de la cocaïne », « Les USA avertissent que le MAS prépare un coup d’Etat », « La démocratie serait en danger si l’influence d’Evo se renforçait », etc, etc. Sur quatre colonnes à la une, ces titres ont fait le tour de la presse bolivienne ces derniers mois. Dans ce petit pays accroché aux contreforts de la cordillère des Andes, pas un jour ne s’écoule sans que le leader des paysans cocaleros et du Mouvement au socialisme (MAS), Evo Morales, ne soit accusé de toutes les vilenies.

Il faut dire que cet indien aymara de 43 ans, que les Boliviens nomment simplement « Evo », a fait résonner un sacré coup de tonnerre, le 30 juin dernier, en terminant au second rang de l’élection présidentielle avec plus de 20% de voix. Détesté par les élites boliviennes, craint comme la peste par le parrain étasunien, le leader de la gauche radicale de Bolivie est devenu l’ennemi à abattre. Un ennemi d’autant plus dangereux qu’il peut s’appuyer sur une base sociale nombreuse et déterminée.

Evo Morales n’a rien, en effet, d’un aventurier politique. C’est un dirigeant populaire qui a fait ses preuves durant vingt ans de lutte acharnée pour les petits paysans du Tropique de Cochabamba. Originaire de l’Altiplano, le jeune indigène est venu s’installer à la fin des année 70 dans cette région traditionnellement productrice de coca, pour des « raisons économiques », dit-il. S’installant parmi les petits agriculteurs, il devient vite « l’un des leurs » et s’engage au Syndicat San Francisco du Chapare.
Son ascension n’allait plus s’arrêter. Dirigeant paysan et syndical, il prend la tête, en 1993, du Conseil andin des producteurs de coca, puis, en 1994, des Fédérations paysannes de tout le Tropique de Cochabamba, connues pour leurs actions directes (occupations, manifs, blocages des routes) contre les importations vivrières et surtout l’éradication des cultures de feuilles de coca.

En 1995, des organisations paysannes et indigènes décident de lancer le Mouvement au socialisme, afin de « donner un instrument politique aux Quechuas et Aymaras », explique Evo. Le militant du Chapare en sera l’un des premiers députés, en 1997, lorsqu’il rentre au Parlement national avec 70% des voix de sa circonscription (meilleur score national). Avant d’être destitué en janvier 2002, après une plainte patronale suite à des blocages de routes.

Cinq mois plus tard, malgré plusieurs procédures judiciaires à son encontre, il se présente à l’élection présidentielle et obtient 600 000 suffrages - 21% des votants sur l’ensemble du pays - soit dix fois plus que lors du scrutin de 1997 ! Ligués contre lui, droite et centre remportent le second tour en août, le Parlement élisant le libéral Gonzalo Sánchez Lozada à la tête de l’Etat... et faisant du même coup d’Evo le seul leader de l’opposition.

De passage ces jours à Genève pour rencontrer le haut-commissaire onusien aux droits humains (lire ci-contre), Evo Morales nous a accordé un entretien.


Le Courrier : Comment expliquez-vous votre score de la présidentielle de juin 2002 ?

Evo Morales : Les populations voient que les politiques du Fonds monétaire international n’ont pas apporté de réponses à leurs problèmes. On l’a constaté en Equateur, en Argentine et ailleurs. Pour la Bolivie, il faut aussi ajouter le terrible racisme dont sont victimes les indigènes depuis 500 ans. Tout cela a amené les Quechuas, les Guaranis, mais aussi d’autres secteurs de la population à se poser la question d’une alternative. Un grand débat s’est instauré sur deux points. D’abord, la question de la refondation politique. La Bolivie possède un système de République importé d’Europe et incapable de prendre en compte les peuples indigènes. Il y a des différences fondamentales dans leurs conceptions administrative et culturelle de l’autorité, du bien public. C’est pourquoi nous estimons que seule une refondation politique du pays, à l’image de ce qui s’est déroulé au Venezuela avec l’Assemblée constituante, peut sortir la Bolivie de sa position de championne du monde de la corruption et amener les autorités non plus à se servir du peuple mais à servir le peuple.

 »Sur le plan économique, les gouvernements successifs ont vendu aux plus offrants nos ressources naturelles et les entreprises d’Etat, qui apportaient des devises à la collectivité. La richesse du pays, l’or, le pétrole, tout est aux mains des transnationales. Or celles-ci ne réinvestissent même pas 20% de leurs bénéfices en Bolivie. Le reste est rapatrié, parfois illégalement.
 »En fait, la Bolivie aujourd’hui n’exporte plus que deux choses : son capital et ses êtres humains, qui immigrent vers l’Espagne.

 »Nous, nous disons qu’il existe une autre voie pour retrouver un équilibre économique, récupérer nos richesses. D’ailleurs, plusieurs autres pays latino-américains - comme le Brésil, le Venezuela et le Mexique - n’on pas privatisé leurs ressources stratégiques. Dans ce projet, le thème de la terre est central, car celle-ci est très mal distribuée en Bolivie, avec d’immenses propriétés. Selon les chiffres officiels, une vache est mieux lotie qu’un paysan, car on lui garantit vingt hectares par tête, alors que certaines familles n’ont même pas un demi-hectare ! Notre priorité va aussi à garantir des débouchés aux produits agricoles. Sinon, avec le système néolibéral, qui ouvre les marchés aux produits étrangers, les petits producteurs sont condamnés à disparaître.


Pouvez-vous donner un exemple illustrant cette autre façon de faire de la politique revendiquée par les indigènes et le MAS ?

Avant le scrutin présidentiel, les partis de droite avaient voté une loi de financement des partis au prorata des votes. Evidement, nous ne nous attendions pas à remporter autant de votes et avons dépensé le moins possible. Or, en tant que seconde force du pays depuis juin, nous avions droit à 7 millions de bolivianos. Après avoir fait le compte de nos dépenses, nous avons rendu à l’Etat 5 millions de bolivianos. Personne d’autre ne l’a fait. Le comportement du MAS montre aux gens que l’on peut faire de la politique pour changer les choses, et non pas pour obtenir des prébendes.


Répression : « L’ONU doit enquêter »

Le voyage à Genève d’Evo Morales et de sept autres députés du MAS avait pour but une rencontre, hier, avec le haut-commissaire de l’ONU aux droits humains. La délégation bolivienne souhaite en effet que Sergio Vieira de Mello diligente une enquête sur la violente répression des mois de janvier et février dernier, lorsque des dizaines de personnes avaient perdu la vie lors de divers incidents. Dont les plus graves avaient causés la mort de 32 personnes en deux jours. Une fusillade entre policiers grévistes et militaires avait même mis le pays au bord de l’insurrection. « Le gouvernement a demandé une enquête à l’Organisation des Etats américains : son secrétaire Cesar Gaviria est venu un jour en Bolivie, il a rencontré le président, puis il est rentré chez lui pour écrire un rapport mettant la faute sur les policiers... C’est ridicule, nous voulons une vraie enquête ! », s’énerve Evo Morales. Qui accuse les militaires : « Nous avons des éléments, des vidéos notamment, qui prouvent que les responsables sont des francs-tireurs de l’armée. » Surtout, il s’agit pour la délégation du MAS de désigner les responsabilités politiques. « D’août 2002 à février 2003, ce gouvernement a déjà 64 morts sur sa conscience. Le précédent gouvernement en avait 80 en cinq ans. Nous demandons quand s’arrêteront les massacres ?! Le peuple veut en finir avec l’impunité. » Evo Morales accuse : « Il existe dans ce pays une sorte de peine de mort contre les lutteurs sociaux. » Accompagnée d’un harcèlement généralisé : « En Bolivie, si on ne juge pas les assassins, les dirigeants sociaux, eux, sont constamment en procès. » BPz


« Notre objectif : 70% à l’élection de 2007 »


Qu’est-ce qui a changé depuis le 30 juin 2002 ?

Je pense que ce résultat a eu une grande influence dans la victoire du PT au Brésil et de Pachakuti en Equateur. Ca a été comme un volcan. Les bafoués, les plus haïs, les plus discriminés, dépréciés durant 500 ans créent soudain la surprise dans des élections. Cela a renforcé le mouvement social, mais plus largement toutes les victimes du néolibéralisme. Beaucoup de choses ont changé aujourd’hui.
 »La réaction des partis de droite et des USA est symptomatique. Depuis des années, on m’a accusé de tout : de terroriste, de narcotrafiquant. Maintenant, ça augmente encore. On nous traite de « putschistes » (lire ci-contre). Mais cette criminalisation, cette diabolisation ne nous affaiblit pas, elle renforce au contraire le mouvement. En particulier, les gens n’acceptent pas l’ingérence inédite par son ampleur des Etats-Unis.


Ce n’est pas la première fois que Washington s’en prend à vous dans des termes très violents. Vous n’avez pas peur pour votre vie ?

Avec la répression, la peur est devenue omniprésente dans le peuple. Mais, moi, je n’ai pas peur. Moins que mon groupe parlementaire, qui refuse désormais que je voyage seul. L’Etat doit comprendre qu’il n’arrêtera pas le mouvement populaire par la répression, mais en répondant au problème économique.


Des réponses à court terme sont-elles envisageables ?

Avec ce gouvernement ? Impossible ! Il suit une politique néolibérale et signera l’ALCA, soit la légalisation de la colonisation.


En conséquence, quelle est la stratégie du MAS. Faire démissionner le gouvernement ? Miser sur les élections de 2007 ?

Nous attendrons les élections. Et si le président ne gouverne pas correctement, on trouvera une solution constitutionnelle. Il n’y aucune conspiration. Vous savez il y a des opinions diverses dans le mouvement social. Certains parlent de lutte armée. Nous, nous avons fait le choix de devenir une force politique. On voit que ce choix est judicieux car on a avancé par la conscientisation. En 1997, les enquêtes nous donnaient 1% : nous avons fait plus de 3%. En 2002, on nous créditait de 7%, on en a fait 21%. Aujourd’hui, des sondages nous donnent 39% ! On ne pense plus à tripler ce score (sourire) ! On aimerait juste le doubler : ça ferait quand même plus de 70%... BPz


Interventions étasuniennes

Les rapports d’Evo Morales et du MAS avec les Etats-Unis sont plus que conflictuels. Mais leur dernière passe d’armes est digne d’un roman d’espionnage. Le 14 mars dernier, l’ambassadeur étasunien écrit une note au vice-président bolivien lui indiquant qu’une fraction du MAS prépare un coup d’Etat pour le 9 avril et lui demande d’avertir les députés Evo Morales et Filemon Escobar... qu’ils seraient assassinés durant le putsch ! Pour le président du MAS, cette histoire abracadabrante n’a qu’un but : semer la zizanie dans le parti. L’épisode prend du relief lorsque l’on sait les pressions exercées depuis deux ans sur M. Morales. Ainsi au lendemain du 11 septembre, lorsque Evo Morales condamne les attentats mais déclare que la politique des USA en est l’une des causes, il est menacé et se fait traiter de « terroriste » par l’ambassadeur de l’époque ! Puis lors de la présidentielle, le diplomate récidive en menaçant les Boliviens de rétorsions économiques s’ils appuient le candidat du MAS. Depuis, des avertissements publics sont régulièrement dirigés vers le Gouvernement bolivien pour qu’il refuse de négocier avec les forces sociales liées à Evo. BPz


L’exemple vénézuélien


Comment analysez-vous le contexte international, notamment les dernières élections en Amérique latine ?

Il y a des phénomènes très intéressants. Je regarde avec grande attention les expériences de Lula ou de Chavez. Mais il y a plus. La guerre en Irak a démontré que l’anti-impérialisme progresse, notamment en Amérique latine. Maintenant, il nous faut réfléchir à consolider ce mouvement populaire et aux pistes conduisant à l’unité latino-américaine. Surtout que l’Empire va tenter d’écraser le mouvement social, comme il l’a toujours fait, lorsque celui-ci monte en puissance. Et l’on sait que quand la démocratie ne convient plus à l’Empire, celui-ci installe des dictatures. Personnellement, j’ai bon espoir que d’autres pays suivent l’exemple du Venezuela, qui s’est libéré par une révolution pacifique. C’est cela dont la Bolivie a besoin. D’une assemblée constitutionnelle qui refonde le pays.


Vous savez qu’à Genève, des militants s’activent pour organiser ce week-end des manifestations contre le Sommet du G8. Qu’en pensez-vous ?

Ces mobilisations anti-globalisation existent partout dans le monde. Elles sont nos alliées. J’ai participé en 1998 à Genève à la création de l’Action mondiale des peuples ; je me sens partie de ce mouvement qui s’oppose à la concentration du capital entre les mains de quelques-uns.


Vous pensez que les intérêts d’un paysan bolivien et d’un activiste d’un mouvement social suisse sont identiques.

Il peut y avoir des différences mais l’objectif est le même. Je sais par exemple qu’en Suisse les paysans ne sont pas dans la même situation qu’en Bolivie. Ici, ils sont respectés pour leur travail, tandis que là -bas, les paysans sont victimes du racisme, souvent détestés, même menacés de mort par certains groupuscules fascistes. Reste que les paysans suisses sont aussi victimes de la globalisation. Et lorsque nous disons qu’un autre monde est possible, que vivre dans un monde de justice est possible, cela concerne tout le monde. C’est un combat mondial.


Vous êtes à la tête des cocaleros. A l’étranger, on assimile feuille de coca et cocaïne, et on peine à comprendre pourquoi il faudrait maintenir sa production.

La feuille de coca, dans son état naturel, n’est pas dangereuse pour la santé. Il y a une pénalisation de la Mère-Terre, de la plante. Une plante ne commet pas de délits ! Ce n’est pas elle qu’il faut punir mais ceux qui la transforment. Eradiquer la culture de la coca serait comme couper les racines de nos peuples. C’est une partie essentiel de notre culture. Outre le masticage médicinal et traditionnel de la feuille et son utilisation rituelle, on peut faire énormément de choses avec la coca : dentifrice, shampoing, sirop, vin, maté...

 »Cela dit nous sommes conscients qu’il y a un problème. Il existe un marché illégal de la cocaïne, et tant qu’il existera, une partie de la production sera détournée vers ce marché. C’est pourquoi, nous proposons que la culture de la coca soit limitée à une production familiale. Mais le gouvernement le refuse sous la pression des Etats-Unis. Nous avons proposé un pacte de lutte contre le narcotrafic, ni les USA ni le gouvernement ne nous ont répondu. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant puisque les narcotrafiquants sont présents au sommet de l’Etat ! Oscar Eid, le No 2 du MIR (parti allié au président Sánchez Lozada, ndlr), a été condamné par la justice comme « narco ». Ca n’a pas empêché l’ancien ambassadeur des USA de faire appel à lui et à Carlos Sánchez Berzaà­n, dont le secrétaire a été arrêté avec 4 tonnes de cocaïne, pour faciliter une alliance de gouvernement entre le MNR (parti du président, ndlr) et le MIR contre le MAS.

 »En réalité, nous savons bien que la diabolisation de la plante de coca ne sert qu’à criminaliser les paysans et tous ceux qui participent, directement ou pas, à sa culture. Le narcotrafic est une excuse des USA pour garder le contrôle sur les gouvernements latino-américains. Au contraire, nous prônons le retrait de la feuille de coca de la liste des stupéfiants et l’industrialisation de ses produits dérivés non stupéfiants. BPz


Source :http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_415.htm



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