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Etats-Unis contre Julian Assange : Comptes-rendus des audiences - JOUR 6 (15 septembre 2020)

  • Témoignage de Eric Lewis
  • Témoignage de Tom Durkin

Compte-rendu de Craig Murray

Les gants ont été retirés mardi lorsque le gouvernement américain a explicitement fait valoir que tous les journalistes sont passibles de poursuites en vertu de la loi sur l’espionnage (1917) pour avoir publié des informations classifiées, en citant l’affaire Rosen. L’avocat du gouvernement américain a également fait valoir que le célèbre jugement de la Cour suprême des journaux du Pentagone sur le New York Times ne faisait référence qu’à l’injonction de pré-publication et n’excluait pas spécifiquement les poursuites en vertu de la loi sur l’espionnage. Le gouvernement américain a même supposé devant le tribunal que cette poursuite du New York Times en vertu de la loi sur l’espionnage aurait pu être couronnée de succès.

Il m’est difficile de faire comprendre à un public britannique à quel point cela représente une attaque de l’administration Trump contre l’image que les Américains se font de leur propre culture politique. Le Premier amendement est célébré par-delà les clivages politiques et le jugement du New York Times est considéré comme un pilier de la liberté. À tel point que les principales superstars d’Hollywood en font encore des superproductions, dans lesquelles les héros sont les journalistes plutôt que le véritable dénonciateur, Dan Ellsberg (que je suis fier de connaître).

Le gouvernement américain dit maintenant, de manière tout à fait explicite, devant les tribunaux, que ces journalistes auraient pu et dû aller en prison et c’est ainsi que nous agirons à l’avenir. Le Washington Post, le New York Times et tous les "grands médias libéraux" des États-Unis ne sont pas au tribunal pour l’entendre et n’en font pas état, en raison de leur complicité active dans leur distanciation de Julian Assange en tant que sous-homme dont le sort peut être ignoré. Sont-ils vraiment stupides au point de ne pas comprendre qu’ils sont les prochains ?

Ben, oui.

La ligne de l’accusation représente un changement radical par rapport à leur approche précédente qui consistait à prétendre que Julian Assange n’est pas un journaliste et à essayer de distinguer son comportement de celui des journaux. Au cours des trois premiers jours, les experts juridiques avaient déclaré que cette glose sur l’accusation ne résistait pas à un examen des charges réelles de l’acte d’accusation. Des experts en journalisme ont également témoigné que la relation d’Assange avec Manning n’était pas matériellement différente de la culture et de l’encouragement par d’autres journalistes auprès de sources officielles.

De l’avis général, ces premiers jours se sont mal passés pour l’accusation. Il y a eu ensuite un temps mort pour (hum, hum...) une suspicion de Covid au sein de l’équipe de l’accusation. L’approche a maintenant changé et mardi, une approche radicalement plus agressive a été adoptée par le ministère public, qui a affirmé son droit de poursuivre tous les journalistes et tous les médias qui publient des informations classifiées en vertu de la loi sur l’espionnage (1917).

L’objectif de l’approche précédente était clairement de réduire le soutien des médias à Assange en le différenciant des autres journalistes. Il était devenu évident qu’une telle approche courait un risque réel d’échec, si l’on pouvait prouver qu’Assange est un journaliste, ce qui allait bien pour la défense. C’est pourquoi nous avons maintenant comme ligne de conduite du gouvernement américain "tout journaliste peut être poursuivi pour avoir publié des informations classifiées". Je soupçonne fortement qu’ils ont décidé qu’ils n’ont pas à atténuer la réaction des médias, car ceux-ci ne prêtent pas attention à cette audience de toute façon.

Je vais maintenant poursuivre mon exposé sur l’interrogatoire d’Eric Lewis. Je n’en exposerai pas autant en détail qu’hier, mais je le ferai à des moments clés du compte rendu.

James Lewis : Pour en revenir à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Babar Ahmad, vous affirmez que leur conclusion selon laquelle l’isolement cellulaire est autorisé n’a pas tenu compte d’études plus récentes telles que l’étude danoise de Wildeman et Andersen de 2020. Pensez-vous que cette étude aurait annulé la décision de la CEDH ?
Eric Lewis : C’est impossible à dire. J’espère que si la CEDH avait eu devant elle le grand nombre de preuves sur l’isolement cellulaire disponibles aujourd’hui, le jugement aurait pu être différent.
James Lewis : Quelles sont les cinq limites à leur étude que Wildemann et Andersen mentionnent ?
Eric Lewis : Je ne l’ai pas devant moi.
James Lewis : Pourquoi n’avez-vous pas mentionné les cinq limites dans votre rapport ? Ils affirment que leur méthodologie est strictement observationnelle et ne peut être utilisée pour prouver la cause et l’effet.
[Le rapport montre en effet un taux de suicide beaucoup plus élevé après l’incarcération parmi ceux qui ont été soumis à l’isolement, sur un très large échantillon d’anciens détenus].
Eric Lewis : J’aurais pu écrire des centaines de pages sur les récents développements des sciences sociales sur l’isolement cellulaire. Ce rapport n’en est qu’un parmi d’autres.
James Lewis : Vous étiez en train de chercher quelque chose, en omettant des détails qui contredisent votre opinion.
Eric Lewis : Il y a une énorme quantité de données, y compris celles du Bureau américain des prisons. Vous avez juste choisi une mise en garde d’un rapport.
James Lewis : Merci de rester concis dans vos réponses. La situation a changé à cause de la mitigation de Cunningham. Savez-vous de quoi il s’agit ?
Eric Lewis : Oui
James Lewis : Pourquoi ne l’avez-vous pas mentionné dans votre rapport ?
Eric Lewis : Parce que ce n’est pas pertinent. Un certain nombre de recommandations ont été formulées, qui n’ont pas été mises en œuvre dans la pratique.
James Lewis : Gordon Kromberg a produit pour nous la "Cunningham Mitigation". En novembre 2016, en règlement d’une réclamation au titre du 8e amendement, il a été admis que les conditions de traitement de la santé mentale dans le Colorado ADX de Florence sont insatisfaisantes et un grand nombre de mesures ont été convenues. Êtes-vous d’accord avec M. Kromberg pour dire que la Cunningham Mitigation a amélioré les choses ?
Eric Lewis : D’une certaine manière, elle a amélioré les choses, d’une autre manière, les choses ont empiré.

James Lewis a ensuite déclaré, en réponse à la déclaration écrite d’Eric Lewis sur Covid, que Gordon Kromberg a affirmé qu’à partir du 2 septembre, il n’y avait plus de Covid dans le centre de détention d’Alexandra où Assange serait maintenu en détention provisoire. Eric Lewis a répondu que le taux de Covid dans les prisons fédérales américaines est de 18%.

James Lewis : Vous avez déclaré dans la presse que la peine maximale est de 340 ans alors que maintenant vous affirmez qu’elle n’est que de 175 ans. Vous avez fait un mauvais calcul, n’est-ce pas ? Vous avez pris 20 ans par chef d’accusation comme base alors qu’elle devrait être de 10.
Eric Lewis : C’était une erreur dans une interview.
James Lewis : Vous ne croyez pas vraiment à une peine maximale de 175 ans, n’est-ce pas ? C’était juste une phrase accrocheuse.
Eric Lewis a commencé à répondre et James Lewis QC lui a coupé la parole. Edward Fitzgerald se leva et objecta que le témoin devait être autorisé à répondre. Baraitser est d’accord.
Eric Lewis : Le gouvernement américain a qualifié cette affaire de l’une des plus importantes de l’histoire. Les condamnations pour espionnage sont souvent assorties de longues peines. Pompeo a classé Wikileaks comme une agence de renseignement hostile. Le gouvernement a demandé 60 ans pour Chelsea Manning. J’ai examiné les accusations par rapport aux directives officielles de condamnation.
James Lewis : Gordon Kromberg a témoigné que seule une infime partie des accusés fédéraux est condamnée à la peine maximale. Les directives de condamnation ne prévoient aucune disparité injustifiée avec des condamnations similaires. Jeffrey Sterling était un agent de la CIA condamné pour avoir vendu des secrets sur l’Iran à la Russie. Il avait été condamné à une peine maximale de 130 ans, mais n’avait reçu que 42 mois.
Eric Lewis : L’accusation a demandé une peine beaucoup plus longue. En fait, c’était un cas très unique et non comparable...
James Lewis : Pourquoi n’avez-vous pas donné une estimation réaliste au lieu d’une phrase accrocheuse ?

[En fait, la catégorisation par James Lewis de l’affaire Jeffrey Sterling est tout à fait tendancieuse et n’est guère un comparateur sensé. Sterling était officier noir, cad rare, de la CIA, impliqué dans une longue et amère dispute avec son employeur au sujet de la discrimination raciale, condamné sur la base de preuves purement circonstancielles pour avoir donné des informations à un journaliste américain sur une opération de la CIA qui s’est achevée pour faire fuiter de faux plans iraniens vers la Russie. Sterling n’a pas été accusé de fuiter des documents à la Russie. Toute l’affaire était très douteuse].

Eric Lewis : J’ai suivi les directives de condamnation. J’ai donné ce que j’ai calculé comme étant le maximum légal, 175 ans, et une estimation d’après mon expérience de la peine la plus légère à laquelle il pouvait s’attendre, 20 ans. Sterling s’est retrouvé bien en dessous des directives et le juge a expliqué pourquoi.

James Lewis a ensuite examiné deux autres affaires et a déclaré que la plus longue peine jamais prononcée pour divulgation illicite aux médias était de 63 mois - sans doute sans compter Chelsea Manning. Eric Lewis a répondu que les accusations spécifiques portées dans l’acte d’accusation d’Assange concernent la divulgation à une puissance étrangère, et non aux médias, et d’informations utiles à l’ennemi. Les peines prévues pour les chefs d’accusation dont Assange est accusé sont beaucoup plus lourdes.

James Lewis a déclaré que la condamnation a été prononcée par un juge fédéral indépendant qui a été nommé à vie, pour les libérer de toute influence politique. Les circonstances dans lesquelles un juge fédéral pouvait être mis en accusation étaient brièvement décrites. Le juge chargé de l’affaire Assange était Claude Hilton, qui était sur le banc depuis 1985. James Lewis a demandé à Eric Lewis s’il pensait que Claude Hilton était juste, et Eric Lewis a répondu que Hilton avait la réputation d’avoir la main lourde.

James Lewis a ensuite demandé à Eric Lewis s’il acceptait que le ministère américain de la justice ait mis en place des principes de détermination des peines qui évitent spécifiquement les peines de prison inutilement longues. Eric Lewis a répondu que les États-Unis avaient le pourcentage le plus élevé de leur population en prison de tous les pays du monde.

L’avocat du gouvernement américain, James Lewis QC, a ensuite déclaré qu’il se pencherait sur la question du Premier amendement.

James Lewis : Vous suggérez que le Premier Amendement exclut cette poursuite.
Eric Lewis : Oui, il n’y a jamais eu de poursuites contre un éditeur en vertu de la loi sur l’espionnage pour publication d’informations classifiées.
James Lewis : Connaissez-vous l’affaire Rosen de 2006. C’était précisément la même accusation que celle à laquelle Assange est maintenant confronté, 793 (g) de la loi sur l’espionnage, conspiration pour transmettre des informations classifiées à ceux qui n’ont pas le droit de les recevoir. Avez-vous lu l’affaire ?
Eric Lewis : Pas depuis longtemps, parce qu’en fin de compte il n’a pas été donné suite à cette affaire.

[James Lewis a lu de longs extraits du jugement Rosen, que je n’ai pas sous les yeux et que je n’ai pas pu lire mot pour mot. Ce qui suit est donc l’essentiel et non la transcription].

James Lewis : Dans l’affaire Rosen, il est clairement établi que le destinataire, et pas seulement le divulgateur, est passible de poursuites en vertu de la loi sur l’espionnage. Le juge a noté que bien que la loi sur l’espionnage de 1917 ait été critiquée pour son imprécision, le Congrès n’a jamais ressenti le besoin de la clarifier. Il a également noté qu’une grande partie de l’imprécision alléguée avait été résolue dans diverses interprétations judiciaires. Il a noté que le quatrième circuit avait rejeté une défense fondée sur le premier amendement dans l’affaire Morison.
Eric Lewis : Morison est différent. C’était un divulgateur, pas un éditeur.
James Lewis : Le jugement Rosen précise également que le flou n’entre pas en jeu lorsqu’il y a une preuve évidente d’intention.
Eric Lewis : Quand vous considérez la loi sur l’espionnage vieille de 100 ans et qu’il n’y a jamais eu de poursuites contre un éditeur, alors l’intention...
James Lewis : [en interrompant] Je voudrais passer de l’intention au premier amendement. Il y a des jugements de la Cour suprême qui montrent clairement que l’intérêt du gouvernement pour la sécurité nationale doit parfois l’emporter sur le Premier Amendement.
Eric Lewis : En cas de danger imminent et en ce qui concerne les dommages immédiats et directs aux intérêts des États-Unis. C’est une barre très haute.
James Lewis : Le jugement Rosen note également que l’affaire Pentagon Papers du New York Times portait sur une injonction et non sur des poursuites. "Le droit à la liberté d’expression n’est pas absolu".
Eric Lewis : Bien sûr. Les arguments sont bien répétés. Le mouvement des navires de troupes en temps de guerre, par exemple ; les cas de danger grave et immédiat. Dans les documents du Pentagone, Ellsberg était, comme Assange, accusé de mettre en danger des agents américains nommés. La barre pour déroger au premier amendement est placée très haut.
James Lewis : [Lecture d’un jugement qui, je pense, est toujours le jugement Rosen, mais il n’a fait référence qu’à un numéro de page d’une liasse]. Il note également que la divulgation continue et en série de secrets qui nuisent à l’intérêt national ne peut être justifiée. Il s’ensuit donc que les journalistes peuvent être poursuivis. C’est ce qu’il dit, M. Lewis ?
Eric Lewis : Oui, mais il a tort.
James Lewis : Acceptez-vous que le jugement du Pentagon Papers soit le plus pertinent ?
Eric Lewis : Oui, mais il y en a d’autres.
James Lewis : Une lecture attentive du jugement des Pentagon Papers montre que le New York Times aurait pu être poursuivi avec succès. Trois des juges de la Cour suprême ont spécifiquement déclaré qu’une poursuite pour espionnage pouvait être engagée pour publication.
Eric Lewis : Ils ont reconnu la possibilité d’une poursuite. Ils n’ont pas dit qu’elle aboutirait.
James Lewis : Votre analyse selon laquelle il ne peut y avoir de poursuites contre un éditeur sur la base du Premier Amendement est donc incorrecte.

Eric Lewis a donné une longue réponse à ce sujet, mais le son de la liaison vidéo s’était détérioré et était devenu dans la galerie publique une simple série de parasites sonores. Les avocats ont continué, donc peut-être pouvaient-ils entendre, mais je sais que Julian ne pouvait pas, car je l’ai vu essayer de communiquer cela à ses avocats à travers l’écran de verre pare-balles devant lui. Il avait du mal à le faire car il était derrière eux, et ils étaient dos à lui et les yeux fixés sur l’écran vidéo.

James Lewis : Je vous mets au défi de citer un seul jugement qui stipule qu’un éditeur ne peut jamais être poursuivi pour avoir divulgué des informations classifiées ?

Eric Lewis a donné une autre longue réponse qui semblait dérouler une longue liste d’affaires et expliquer leur signification, mais encore une fois je n’ai pu entendre que quelques mots incohérents. Le son s’est finalement un peu amélioré.

Eric Lewis : Il y a eu une ligne ininterrompue de la pratique de non-poursuite des éditeurs pour la publication d’informations sur la défense nationale. Chaque jour, il y a des fuites dans la presse concernant la défense, les affaires étrangères et la sécurité nationale. La presse n’est jamais poursuivie pour les avoir publiées.
James Lewis : La Cour suprême des États-Unis n’a jamais jugé qu’un journaliste ne pouvait pas être poursuivi pour avoir publié des informations sur la défense nationale.
Eric Lewis : La Cour suprême n’a jamais été confrontée à cette question précise. Parce qu’une affaire n’a jamais été portée devant la Cour suprême. Mais il y a des cas étroitement liés qui indiquent la réponse.
James Lewis : Acceptez-vous qu’un initié du gouvernement qui divulgue des informations classifiées puisse être poursuivi ?
Eric Lewis : Oui.
James Lewis : Acceptez-vous qu’un journaliste ne puisse pas aider une telle personne à enfreindre la loi ?
Eric Lewis : Non. C’est une pratique journalistique normale de cultiver une source officielle et de l’encourager à fuir. Seymour Hersh devrait être poursuivi pour une telle idée.
James Lewis : Acceptez-vous qu’un journaliste ne puisse pas avoir un accès non autorisé à la Maison Blanche ?
Eric Lewis : Oui.

James Lewis a alors commencé à citer un jugement sur l’accès à la Maison Blanche, puis a semblé l’abandonner. Il a ensuite dit qu’il se tournait vers la question de savoir s’il s’agissait d’une extradition politique.

James Lewis : Avez-vous des qualifications en sciences sociales ?
Eric Lewis : J’ai un diplôme en affaires internationales publiques de la Woodrow Wilson School of International Relations.
James Lewis : Avez-vous publié des ouvrages évalués par des pairs ?
Eric Lewis : Non.
James Lewis : Vous avez déclaré dans une autre affaire d’extradition, celle de Dempsey, que celle-ci était fondée sur des opinions politiques. La Haute Cour d’Angleterre a qualifié vos preuves de "pure conjecture".
Eric Lewis : Oui, c’était leur opinion. Dempsey était en route pour la Syrie et a été abordé dans un aéroport par des agents du FBI. Il leur a expliqué qu’il se rendait en Syrie pour travailler avec un groupe anti-Assad. Il ne s’est rien passé. Mais en 2016, la politique envers Assad a changé et Dempsey a été inculpé. Mon témoignage portait sur un changement de politique, pas sur des opinions politiques.
James Lewis : En ce qui concerne le témoignage d’expert du professeur Feldstein la semaine dernière, êtes-vous d’accord avec sa déclaration selon laquelle, bien que l’administration Obama n’ait pas pris la décision de poursuivre, il n’a pas pris la décision de ne pas poursuivre. Êtes-vous d’accord avec lui ?
Eric Lewis : Non. Je crois que cela est basé sur un malentendu fondamental sur la façon dont le Département de la Justice fonctionne.
James Lewis : Avez-vous des connaissances de première main ou des sources pour donner votre avis ?
Eric Lewis : Non.
James Lewis : Vos informations proviennent donc uniquement des journaux.
Eric Lewis : Et des interviews et des déclarations à la télévision.
James Lewis : Des déclarations comme celles de Matthew Miller qui avait quitté le ministère de la Justice deux ans avant de parler au Washington Post ?
Eric Lewis : Oui, mais il est resté proche du procureur général Eric Holder.
James Lewis : Êtes-vous d’accord avec Gordon Kromberg pour dire que les décisions de poursuites sont prises conformément aux directives fédérales qui excluent les poursuites politiques ?
Eric Lewis : Non. Pas sous William Barr. Le système est maintenant un système de poursuites politiques du haut vers le bas.
James Lewis : Vous affirmez donc que les lignes directrices ne sont pas suivies ?
Eric Lewis : Oui. Tout comme les 2 600 anciens procureurs fédéraux qui ont demandé la démission de Barr et les 1 000 anciens procureurs qui ont protesté contre la commutation de peine de Roger Stone. Ou le juge Gleeson dans ses rapports sur les décisions politiques de poursuites.
James Lewis : Accusez-vous Gordon Kromberg de mauvaise foi ?
Eric Lewis : Je ne le connais pas. Mais je sais qu’il y a une révélation d’une forte pression politique dans cette affaire.

Il s’en est suivi une discussion sur l’évolution de la relation de Trump avec Wikileaks au fil des ans, ainsi que sur la loi sur la protection des informations classifiées et sur le fait de savoir si elle entrave la défense dans la divulgation et dans l’instruction de l’accusé. Cette question devait être examinée plus en détail avec le témoin suivant.

Edward Fitzgerald a ensuite dirigé le réexamen du témoin. Il a demandé à Eric Lewis de mentionner les interviews télévisées auxquelles il avait fait référence en notant le changement politique d’Obama à Trump. Eric Lewis a cité Sarah Sanders disant "nous avons fait quelque chose" et contrastant avec l’inaction d’Obama, et Eric Holder déclarant qu’ils avaient décidé de ne pas poursuivre Assange en vertu de la loi sur l’espionnage car il n’agissait pas pour une puissance étrangère.

Edward Fitzgerald s’est ensuite enquis des pressions exercées sur les procureurs du district Est de Virginie pour qu’ils engagent les poursuites actuelles. Eric Lewis a fait référence à l’article d’Adam Goldman dans le New York Times à cet effet. Dix jours après cet article, le ministère de la Justice a déclaré qu’il était prioritaire de poursuivre Assange.

Lewis a expliqué que William Barr avait explicitement indiqué que les poursuites étaient soumises à des directives politiques. Il a souscrit à la Théorie de l’Exécutif Unitaire et a soutenu que toutes les décisions en matière de poursuites étaient prises par le président ou en son nom. Barr avait énoncé cela dans un mémo qui déclarait directement que les procureurs étaient "simplement la main" de la présidence. Ce n’était pas de la théorie. C’est ainsi que le département de la justice est désormais dirigé. De nombreux procureurs fédéraux ont démissionné. Nombre d’entre eux ont refusé de participer au procès d’Assange. "M. Kromberg, comme c’est son droit, ne l’a pas fait."

Edward Fitzgerald note ensuite que James Lewis a mis en doute les qualifications d’Eric Lewis pour commenter les conditions de détention. Pourtant, pour l’accusation, le procureur adjoint américain Gordon Kromberg avait soumis de volumineux commentaires sur les conditions de prison. M. Kromberg avait-il les qualifications académiques en pénologie requises par James Lewis ? Eric Lewis a répondu que non, et qu’il ne faisait aucun doute qu’il avait lui-même une expérience beaucoup plus pratique des conditions carcérales que M. Kromberg. L’exposé de la politique officielle de M. Kromberg était sans doute correct, mais il n’avait aucun rapport avec les conditions réelles dans les prisons.

En ce qui concerne l’isolement cellulaire, Edward Fitzgerald a exposé les règles Mandela des Nations unies, selon lesquelles 22 heures ou plus par jour dans une cellule et aucun contact humain significatif constituent un isolement cellulaire. Lewis a répondu que le régime MAS [Mesures Administratises Spéciales] violerait certainement les règles de Mandela.

Le témoin suivant était M. Thomas Durkin. Il est avocat depuis 47 ans, autorisé à comparaître devant la Cour suprême. De 1973 à 1988, il a été procureur adjoint aux États-Unis et, depuis lors, il exerce en cabinet privé. Il enseigne le droit à Loyola et a reçu un prix pour l’ensemble de sa carrière de l’Association des avocats pénalistes de l’Illinois. Il est également apparu par liaison vidéo.

Edward Fitzgerald a interrogé M. Durkin sur les problèmes particuliers que posent les affaires dans lesquelles on travaille avec des documents classifiés. M. Durkin a répondu que le plus gros problème est que vous ne pouvez pas discuter de documents classifiés avec votre client. Vous ne pouvez consulter ces documents que sur un ordinateur spécial situé dans un lieu sécurisé - un SCIF - et vous devez y préparer vos documents. M. Assange ne saura pas ce que ses avocats ont appris, et ils ne pourront pas non plus lui demander à quoi les documents se rapportent ou ce qu’ils signifient. Il s’agit d’une épreuve incroyablement difficile pour prendre des instructions et préparer une défense.

Edward Fitzgerald a demandé à M. Durkin s’il y a une chance réelle que Julian Assange soit effectivement condamné à une peine de prison à vie. M. Durkin a répondu que c’était très probable. En examinant les chefs d’accusation et les renforcements qui pourraient s’appliquer, il évaluerait les infractions à 38, 40 ou 43 points sur l’échelle des peines. Cela porterait la fourchette entre 235 mois et prison à vie, et il y a plusieurs chefs d’accusation qui pourraient être condamnés consécutivement. M. Durkin a déclaré que, compte tenu de sa grande expérience des procès pour atteinte à la sécurité nationale, il s’attendait à une peine de 30 à 40 ans. La position du gouvernement était qu’Assange était plus à blâmer que Manning. Ils avaient demandé 60 ans pour Chelsea Manning.

Edward Fitzgerald s’est ensuite interrogé sur l’effet du système de négociation de la peine. Thomas Durkin a répondu qu’un plaidoyer de culpabilité anticipé réduisait le score de la peine de trois points. Cela pourrait faire une différence de plusieurs années dans la peine. Mais ce qui est beaucoup plus important, c’est la liberté du ministère public de réduire les chefs d’accusation en échange d’un plaidoyer de culpabilité. Cela pourrait faire une énorme différence - potentiellement de 100 ans et plus à dix ans, par exemple. Le système réduit considérablement la liberté de choix et constitue un obstacle majeur à la tenue d’un procès. Les gens ne pouvaient tout simplement pas prendre ce risque. Une grande majorité des clients de Durkin ont maintenant accepté de plaider coupable.

M. Durkin a accepté une suggestion d’Edward Fitzgerald selon laquelle une condition de l’accord de plaidoyer pour Julian Assange serait probablement qu’il donne les noms des sources de Wikileaks.

Edward Fitzgerald demande à M. Durkin s’il y a eu une décision politique de l’administration Trump de poursuivre Assange. M. Durkin a répondu qu’il n’y avait pas de nouvelles considérations de justice pénale à l’origine de ce changement d’approche. Il s’agit très probablement d’une décision politique.

Edward Fitzgerald interroge M. Durkin sur l’affirmation de Gordon Kromberg selon laquelle un Grand Jury est un puissant rempart contre une poursuite politique. Durkin répondit que c’était tout simplement faux. Un grand jury n’a pratiquement jamais refusé d’autoriser une poursuite. Dans l’ensemble des États-Unis, il y avait généralement un refus tous les quatre ou cinq ans.

James Lewis a alors entamé un contre-interrogatoire. Il a demandé si Durkin disait qu’Assange ne bénéficierait pas d’un procès équitable aux États-Unis, ou simplement que c’était difficile ? Durkin a répondu que Julian Assange ne bénéficierait pas d’un procès équitable aux États-Unis.

Lewis suggère que l’exigence de voir les documents classifiés dans un SCIF n’est qu’un inconvénient. M. Durkin a déclaré que c’était bien plus que cela. Vous ne pouviez pas discuter des documents avec votre client, ce qui limitait considérablement votre compréhension de ceux-ci. James Lewis a rétorqué que la déclaration sous serment du procureur adjoint Kromberg indiquait qu’Assange serait en mesure de voir lui-même certains documents classifiés. Il disposerait d’une installation classifiée pour rencontrer ses avocats. Durkin a déclaré qu’il n’acceptait pas cette description. Il n’avait jamais vu une telle chose se produire.

Lewis a ensuite dit que la déclaration de Durkin était qu’un volume sans précédent de matériel classifié serait divulgué dans le cadre de cette procédure. Mais il ne pouvait pas savoir cela. Il n’avait aucune idée de ce qui serait divulgué ou de ce que serait la défense, le cas échéant. Durkin a répondu que l’on pouvait comprendre beaucoup de choses à partir de l’acte d’accusation détaillé et de ce qui s’est passé dans l’affaire Chelsea Manning. Lewis répète que Durkin ne savait pas ce qui allait se passer. Assange pourrait plaider coupable.

Lewis suggère que le système de négociation de la peine est essentiellement le même en Angleterre, où les accusés peuvent obtenir une réduction de peine d’un tiers pour un plaidoyer de culpabilité. Durkin a déclaré que la négociation de peine aux États-Unis allait bien au-delà de cela. Le gouvernement pourrait faire une offre importante en termes de réduction des charges et des chefs d’accusation.

Lewis est ensuite passé à la question d’un changement de politique entre les administrations Obama et Trump. Il a établi que M. Durkin s’était appuyé sur les rapports des médias pour se faire une opinion à ce sujet. Durkin a souligné que le rapport du Washington Post du 25 novembre 2013 selon lequel l’administration Obama ne poursuivrait pas, avait cité de nombreux anciens et actuels employés du ministère de la Justice et, surtout, qu’aucun démenti ou contre-rapport n’avait jamais été présenté. Il n’a jamais été contredit.

C’était la fin de l’audition de mardi. En conclusion, je dois corriger une chose que j’ai publiée hier, à savoir qu’il n’y avait que trois journalistes dans la galerie vidéo pour couvrir le procès. James Doleman m’a montré un autre nid caché et ils sont une dizaine au total. Les titres principaux sont inexcusablement absents, mais les agences de presse sont présentes, même si leurs dépêches sont peu utilisées.

https://www.craigmurray.org.uk/archives/2020/09/your-man-in-the-public-gallery-assange-hearing-day-10/

Traduction "tout ce que les médias ne vous raconteront pas" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

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