RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Etats-Unis contre Julian Assange : Comptes-rendus des audiences - JOUR 2 (8 septembre 2020)

  • Le contre-interrogatoire de l’accusation induit en erreur sur les accusations
  • Feldstein donne le contexte historique du journalisme de WikiLeaks
  • Les "poursuites pour motifs politiques" de l’administration Trump
  • Témoignage de Clive Stafford-Smith
  • Témoignage de Mark Feldstein

Le Compte-Rendu de Craig Murray (plusieurs jours)

CLIVE STAFFORD SMITH

Ce matin, nous sommes allés directement à la déposition de #CliveStaffordSmith, un avocat britannique/américain ayant la double nationalité et autorisé à exercer au Royaume-Uni. Il a fondé Reprieve en 1999, à l’origine pour s’opposer à la peine de mort, mais après 2001, il s’est diversifié dans les affaires de torture, de détention illicite et de restitution extraordinaire en relation avec la "guerre contre le terrorisme".
Clive Stafford Smith a témoigné que la publication des câbles par Wikileaks avait été d’une grande utilité pour les litiges au Pakistan contre les frappes illégales de drones. Comme le dit le témoignage de Clive :

"86. L’une de mes motivations pour travailler sur ces affaires était que la campagne américaine de drones semblait être horriblement mal gérée et qu’elle avait pour conséquence que des informateurs payés donnaient de fausses informations sur des personnes innocentes qui étaient ensuite tuées lors des frappes. Par exemple, lorsque j’ai partagé le podium avec Imran Khan lors d’une "jirga" avec les victimes des frappes de drones, j’ai dit dans mes remarques publiques que la salle contenait probablement une ou deux personnes à la solde de la #CIA. Ce que je n’ai jamais deviné, c’est que non seulement c’était vrai, mais que l’informateur ferait plus tard une fausse déclaration sur un adolescent ayant participé à la jirga, de sorte que lui et son cousin ont été tués lors d’une attaque de drone trois jours plus tard. Nous savions, d’après le communiqué de presse officiel qui a suivi, que les "renseignements" donnés aux États-Unis impliquaient quatre "militants" dans une voiture ; nous savions, d’après sa famille, que seuls lui et son cousin allaient chercher une tante. Il y a une règle assez constante que l’on peut voir à l’œuvre ici : il est, bien sûr, beaucoup plus sûr pour un informateur de faire une déclaration sur quelqu’un qui n’est "personne", que sur quelqu’un qui est vraiment dangereux.

87. Ce genre d’action horrible provoquait une immense colère, faisant chuter le statut de l’Amérique au Pakistan, et rendait la vie plus dangereuse pour les Américains, et non moins dangereuse.

Une action en justice s’appuyant sur des preuves, révélées par Wikileaks, de la politique américaine de frappe par drones avait conduit à un jugement contre l’assassinat par le juge en chef du Pakistan et à un changement radical de l’attitude du public face aux frappes de drones au Waziristan. L’un des résultats a été l’arrêt des attaques de drones au Waziristan.

Wikileaks a également révélé les efforts diplomatiques des Etats-Unis pour bloquer les enquêtes internationales sur les cas de torture et de restitutions extraordinaires [enlèvements - NdT]. Cela va à l’encontre de l’obligation légale des États-Unis de coopérer aux enquêtes sur les allégations de torture, comme le prévoit l’article 9 de la Convention des Nations unies contre la torture.

Stafford Smith a poursuivi en disant qu’un document méconnu publié par Wikileaks était la JPEL, ou Joint Priority Effects List de l’armée américaine pour l’Afghanistan, en grande partie une liste de cibles d’assassinat. Cela révèle un mépris impitoyable envers la légalité des actions et une attitude puérile à l’égard du meurtre, avec des surnoms puériles donnés aux personnes ciblées pour assassinat, certains surnoms employés semblent indiquer que des agents britanniques ou australiens ont participé à la rédaction de la liste.

Stafford Smith a donné l’exemple de Bilal Abdul Kareem, citoyen et journaliste américain qui a fait l’objet de cinq tentatives d’assassinat différentes aux ÉtatsUnis, à l’aide de missiles Hellfire tirés par des drones. Stafford Smith était engagé dans un litige en cours à Washington sur la question de savoir si "le gouvernement américain a le droit de cibler ses propres citoyens qui sont journalistes pour les assassiner". [voir article dans le Grand Soir - NdT]

Stafford Smith a ensuite parlé de Guantanamo et de l’émergence de preuves que de nombreux détenus là-bas ne sont pas des terroristes mais ont été enlevés en Afghanistan en vertu d’un système de paiement de primes. Les "Detainee Assessment Briefs" publiés par Wikileaks n’étaient pas des informations indépendantes mais des dossiers internes du gouvernement américain contenant les pires allégations que les États-Unis avaient réussi à "concocter" contre des prisonniers, y compris les clients de Stafford Smith, et les faisaient souvent avouer sous la torture.

Ces documents étaient des allégations du gouvernement américain et lorsque Wikileaks les a publiés, il a pensé pour la première fois que c’était le gouvernement américain qui les avait fuités pour discréditer les accusés. Ces documents ne pouvaient pas constituer une menace pour la sécurité nationale.

A l’intérieur de Guantanamo, un noyau de six détenus sont devenus informateurs et ont été utilisés pour faire de fausses allégations contre d’autres détenus. Stafford Smith a déclaré qu’il était difficile de les blâmer - ils essayaient de sortir de cet endroit infernal comme tout le monde. Le gouvernement américain a révélé l’identité de ces six personnes, ce qui en dit long sur leur souci de protéger les informateurs dans le cadre de leurs accusations contre Wikileaks.

Clive Stafford Smith a déclaré qu’il avait été "profondément choqué" par les crimes commis par le gouvernement américain contre ses clients. Ces crimes comprennent la torture, l’enlèvement, la détention illégale et le meurtre. Le meurtre d’un détenu à l’aéroport de Baghram en Afghanistan avait été justifié comme une technique d’interrogation autorisée pour faire peur aux autres détenus. En 2001, il n’aurait jamais cru que le gouvernement américain aurait pu faire de telles choses.

Stafford Smith a parlé de l’utilisation de techniques de l’Inquisition espagnole, comme le strapado, ou la pendaison par les poignets jusqu’à ce que les épaules se disloquent lentement. Il a raconté les tortures subies par Binyam Mohammed, un citoyen britannique à qui on coupait les parties génitales quotidiennement avec une lame de rasoir. Le gouvernement britannique s’est soustrait à ses obligations légales envers Binyam Mohammed et, afin de le discréditer, a communiqué à la BBC la déclaration qu’il avait été forcé d’avouer sous la torture .

A ce moment, Baraitser est intervenue pour prévenir qu’il ne restait plus que 5 minutes de la "guillotine" de 30 minutes pour le témoignage oral de Stafford Smith. Interrogé par MarkSummers pour la défense sur l’aide apportée par Wikileaks, Stafford Smith a déclaré que de nombreux documents divulgués révélaient des enlèvements illégaux, des restitutions et des tortures et avaient été utilisés lors de procès. La Cour pénale internationale vient d’ouvrir une enquête sur les crimes de guerre en Afghanistan, dans laquelle la décision de Wikileaks de divulguer des documents a joué un rôle.

Mark Summers a demandé quelle avait été la réponse du gouvernement américain à l’ouverture de cette enquête de la CPI. Clive Stafford Smith a déclaré qu’un décret avait été pris pour sanctionner tout citoyen non américain qui coopérerait avec l’enquête de la CPI sur les crimes de guerre commis par les Etats-Unis ou qui en ferait la promotion. Il a suggéré que M. Summers serait désormais soumis à une sanction américaine pour avoir posé ces questions.

Les 30 minutes de M. Stafford Smith sont maintenant écoulées. Vous pouvez lire l’intégralité de sa déclaration ici. Le premier témoin n’aurait pas pu donner un exemple plus clair de la raison pour laquelle tant de temps a été consacré hier à essayer d’empêcher les témoins de la défense d’être entendus. Le témoignage de Stafford Smith était époustouflant et illustrait clairement l’objectif de la guillotine temporelle sur les témoins de la défense [la Juge Baraitser a limité le temps d’expression des témoins de la défense à 30mn - NdT]. Ce n’est pas un sujet que les gouvernements souhaitent voir largement diffusé.

James Lewis [accusation] QC a ensuite contre-interrogé Clive Stafford Smith au nom de l’accusation. Il a noté que les références à Wikileaks dans le témoignage écrit de Stafford Smith étaient peu nombreuses. Il a suggéré que les preuves de Stafford Smith avaient tendance à soutenir que les divulgations de Wikileaks étaient dans l’intérêt public ; mais il n’y avait spécifiquement aucune défense d’intérêt public autorisée dans le UK Official Secrets Act.

Stafford Smith a répondu que c’était peut-être le cas, mais il savait que ce n’était pas le cas en Amérique.

Lewis a ensuite déclaré que dans le témoignage écrit de Stafford Smith, aux paragraphes 92-6, il avait énuméré des câbles Wikileaks spécifiques qui concernaient la divulgation de la politique en matière de drones. Mais la publication de ces câbles particuliers ne faisait pas partie de l’acte d’accusation. Lewis a lu une partie d’une déclaration sous serment de l’assistant du procureur américain Kromberg, selon laquelle Assange n’était inculpé que pour des câbles contenant la publication de noms d’informateurs.

Stafford Smith a répondu que Kromberg pouvait le dire, mais que dans la pratique, ce ne serait pas le cas aux États-Unis. L’accusation est celle de conspiration, et la manière dont ces accusations sont définies dans le système américain permettrait d’inclure le plus grand nombre de preuves possible. Le premier témoin au procès serait un "expert en terrorisme" qui dresserait un tableau large et approfondi de l’histoire de la menace contre les États-Unis.

Lewis a demandé si Stafford Smith avait lu l’acte d’accusation. Il a répondu qu’il avait lu le précédent acte d’accusation, mais pas le nouvel acte d’accusation qui le remplace.

Lewis a déclaré que les câbles cités par Stafford Smith avaient été publiés par le Washington Post et le New York Times avant d’être publiés par Wikileaks. Stafford Smith a répondu que c’était vrai, mais il a compris que ces journaux les avaient obtenus de Wikileaks. Lewis a ensuite déclaré que le Washington Post et le New York Times n’étaient pas poursuivis pour avoir publié les mêmes informations ; comment la publication de ces documents pourrait-elle donc être pertinente dans cette affaire ?

Lewis cita à nouveau Kromberg :

"Le seul cas dans lequel l’acte d’accusation qui remplace l’acte d’accusation englobe la publication de documents, est celui où ces documents contiennent des noms de personnes mises en danger".

Stafford Smith a de nouveau répondu que, dans la pratique, ce n’était pas ainsi que l’affaire se déroulerait aux États-Unis. Lewis demande si Stafford Smith traite Kromberg de menteur.

A ce moment, Julian Assange s’est écrié depuis le banc des accusés : "C’est absurde. Le premier chef d’accusation répète tout au long une "conspiration pour publier". Après un bref ajournement, Baraitser prévient Julian qu’il sera renvoyé du tribunal s’il interrompt à nouveau la procédure.

Stafford Smith a déclaré qu’il n’avait pas dit que Kromberg était un menteur, et qu’il n’avait pas vu le document complet que Lewis lui citait de manière sélective. Le chef d’accusation #1 de l’acte d’accusation est la conspiration pour obtenir des informations relatives à la sécurité nationale et il est fait référence à la diffusion au public dans un sous-paragraphe. Cela ne se limite pas à ce que suggère Kromberg et son affirmation ne correspond pas à l’expérience de Stafford Smith sur la manière dont les procès pour atteinte à la sécurité nationale se déroulent aux États-Unis.

Lewis a réitéré que personne n’était poursuivi pour publication à l’exception d’Assange, et cela ne concernait que la publication de noms. Il a ensuite demandé à Stafford Smith s’il avait déjà occupé un poste de responsabilité dans la classification d’informations, ce à quoi il a obtenu une réponse négative. Lewis a ensuite demandé s’il avait déjà été en position officielle de déclassifier des documents. Stafford Smith a répondu par la négative, mais il était titulaire d’une habilitation de sécurité américaine lui permettant de voir des documents classifiés relatifs à ses affaires, et avait souvent demandé à ce que des documents soient déclassifiés.

Stafford Smith a déclaré que l’affirmation de Kromberg selon laquelle l’enquête de la CPI constituait une menace pour la sécurité nationale était absurde [j’avoue que je ne sais pas d’où vient cette affirmation ni pourquoi Stafford Smith l’a soudainement abordée]. Lewis a suggéré que la question du préjudice causé à l’intérêt national américain par les activités d’Assange était mieux décidée par un jury aux États-Unis. L’accusation devait prouver le préjudice causé aux intérêts des États-Unis ou l’aide apportée à un ennemi des États-Unis.

Stafford Smith a déclaré qu’au-delà de l’adoption par le gouvernement de la torture, de l’enlèvement et de l’assassinat, il pensait que la manie de sur-classifier des informations gouvernementales après 2001 était une menace encore plus grande pour le mode de vie américain. Il a rappelé son client Moazzam Begg - les preuves de la torture de Moazzam ont été classées "secrètes" au motif que le fait de savoir que les États-Unis utilisaient la torture porterait atteinte aux intérêts américains.

Lewis a ensuite s’est ensuite intéressé à un passage du livre "Wikileaks ; Inside Julian Assange’s War on Secrecy", dans lequel Luke Harding déclare que David Leigh et lui-même sont très soucieux de protéger les noms des informateurs, mais que Julian Assange a déclaré que les informateurs afghans sont des traîtres qui méritent d’être punis. "Ils étaient des informateurs, donc s’ils ont été tués, ils l’ont mérité." Lewis a essayé à plusieurs reprises d’impliquer Stafford Smith dans cette affaire, mais Stafford Smith a déclaré à plusieurs reprises qu’il comprenait que ces faits présumés étaient contestés et qu’il n’avait aucune connaissance personnelle.

Lewis a conclu en répétant une fois de plus que l’acte d’accusation ne couvrait que la publication de noms. Stafford Smith a déclaré qu’il mangerait son chapeau si c’était tout ce qui était présenté au procès.

En réexamen, Mark Summers a déclaré que Lewis avait qualifié la divulgation de la torture, du meurtre et de l’enlèvement comme étant "dans l’intérêt public". Cette description était-elle suffisante ? Stafford Smith a répondu que non, il s’agissait également de fournir des preuves de crimes, de crimes de guerre et d’activités illégales.

Summers a demandé à Stafford Smith d’examiner l’acte d’accusation en tant qu’avocat américain (Stafford Smith l’est) et de voir s’il était d’accord avec la caractérisation de Lewis selon laquelle elle ne couvrait que les publications où des noms étaient révélés. Summers a lu à haute voix cette partie de l’acte d’accusation remplaçante

et souligne le "et" qui fait que les documents mentionnant des noms ne forment pas une catégorie à part et font bien partie des catégories énumérées précédemment. Vous pouvez lire l’acte d’accusation complet ici ; soyez prudent en parcourant ce site car il existe des actes d’accusation antérieurs ; le gouvernement américain change son acte d’accusation dans cette affaire à peu près aussi souvent que Kim Kardashian change de sac à main.

Summers a également indiqué que les chefs d’accusation 4, 7, 10, 13 et 17 ne se limitent pas à la désignation des informateurs.

Stafford Smith a de nouveau répété son point de vue assez différent, à savoir qu’en pratique, l’affirmation de Kromberg ne correspond pas vraiment à la manière dont ces affaires se déroulent aux États-Unis de toute façon. En réponse à une autre question, il a répété que le gouvernement américain avait lui-même communiqué les noms de ses informateurs de Guantanamo Bay.

En ce qui concerne le passage cité de David Leigh, Summers a demandé à Stafford Smith "Savez-vous que M. Harding a publié des contre-vérités dans la presse". Lewis s’y est opposé et Summers a retiré sa question (bien que cela soit certainement vrai).

Ceci conclut le témoignage de Clive Stafford Smith. Avant le témoin suivant, Lewis a fait valoir au juge qu’il était incontestable que le nouvel acte d’accusation ne concernait que la publication des noms des accusés. Baraitser avait répondu que cela était clairement contesté et que l’affaire serait débattue en temps utile.

LE PROFESSEUR MARK FELDSTEIN

L’après-midi a repris le témoignage du professeur MarkFeldstein, commencé sporadiquement lundi au milieu de pépins techniques. C’est pourquoi je n’ai pas encore signalé le faux départ ; je le présente ici comme un seul et même témoignage. La déposition complète du professeur Feldstein se trouve ici.

Le professeur Feldstein est titulaire de la chaire de journalisme de radiotélévision à l’université du Maryland et a vingt ans d’expérience en tant que journaliste d’investigation.

Feldstein a déclaré que les fuites d’informations classifiées se produisent couramment aux États-Unis. Les fonctionnaires du gouvernement le font fréquemment. Une étude universitaire a estimé que ces fuites se comptaient par "milliers". Il y avait des journalistes spécialisés dans la sécurité nationale qui ont reçu des prix Pulitzer pour avoir reçu de telles fuites sur des questions militaires et de défense. Les informations divulguées sont publiées quotidiennement.

Feldstein a déclaré que "le premier amendement protège la presse, et il est essentiel que le premier amendement le fasse, non pas parce que les journalistes sont privilégiés, mais parce que le public a le droit de savoir ce qui se passe". Historiquement, le gouvernement n’a jamais poursuivi un éditeur pour avoir publié des secrets ayant fait l’objet d’une fuite. Il avait poursuivi des dénonciateurs.

Il y a eu des tentatives historiques de poursuivre des journalistes individuels, mais toutes n’ont abouti à rien et toutes ont été une attaque spécifique contre un ennemi présidentiel perçu. Feldstein a énuméré trois cas de tentatives de ce type, mais aucun n’a été porté devant un grand jury.

[C’est ici que la technologie a fait défaut lundi. Nous reprenons maintenant avec mardi après-midi].

Mark Summers a interrogé le professeur Feldstein sur l’affaire Jack Anderson. Feldstein a répondu qu’il avait fait des recherches à ce sujet pour son livre "Poisoning the Press". Nixon avait prévu de poursuivre Anderson en vertu de la loi sur l’espionnage mais avait été informé par son procureur général que le premier amendement rendait la chose impossible. En conséquence, Nixon avait mené une campagne contre Anderson qui comprenait des diffamations contre les homosexuels, l’installation d’un espion dans son bureau et la falsification de documents sur lui. Il avait même été question d’un complot d’assassinat par le poison.

Summers a abordé le témoignage de Feldstein sur des articles de journaux "Blockbuster" basés sur les publications de Wikileaks :

  • Une vidéo troublante de soldats américains tirant sur une foule depuis un hélicoptère au-dessus de Bagdad, tuant au moins 18 personnes ; les soldats riaient en prenant pour cible des civils non armés, dont deux journalistes de Reuters.
  • Les responsables américains ont recueilli des preuves détaillées et souvent macabres qu’environ 100 000 civils ont été tués après l’invasion de l’Irak, contrairement aux affirmations publiques de l’administration du président George W. Bush, qui minimisait le nombre de morts et insistait sur le fait que de tels chiffres n’était pas crédibles. Environ 15.000 meurtres de civils n’avaient jamais été divulgués auparavant.
  • Les forces américaines en Irak fermaient régulièrement les yeux lorsque le gouvernement soutenu par les États-Unis brutalisait les détenus, les soumettant à des coups, des fouets, des brûlures, des chocs électriques et la sodomie.
  • Après la publication par WikiLeaks de récits compilés par des diplomates américains sur la corruption rampante du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali et de sa famille, les manifestations de rue qui ont suivi ont forcé le dictateur à fuir en Arabie saoudite. Lorsque les troubles en Tunisie se sont étendus à d’autres pays du Moyen-Orient, WikiLeaks a été largement salué comme un catalyseur clé de ce "printemps arabe".
  • En Afghanistan, les États-Unis ont déployé une unité secrète de forces spéciales "noires" pour traquer les chefs talibans "de grande valeur" afin de les "tuer ou les capturer" sans procès.
  • Le gouvernement américain a étendu la collecte de renseignements secrets par ses diplomates aux Nations unies et à l’étranger, en ordonnant à des envoyés de recueillir les numéros de cartes de crédit, les horaires de travail et les numéros de vol fréquents des dignitaires étrangers - érodant ainsi la distinction entre les agents du service extérieur et les espions.
  • Le roi Abdallah d’Arabie saoudite a secrètement imploré les États-Unis de "couper la tête du serpent" et d’empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires, alors même que les donateurs privés saoudiens étaient la première source de financement des groupes terroristes sunnites dans le monde.
  • Les douaniers ont surpris le vice-président de l’Afghanistan en train de transporter 52 millions de dollars en espèces inexpliqués lors d’un voyage à l’étranger, un exemple parmi d’autres de la corruption endémique aux plus hauts niveaux du gouvernement afghan que les États-Unis ont contribué à soutenir.
  • Les États-Unis ont libéré des "combattants ennemis à haut risque" de leur prison militaire de Guantanamo Bay, à Cuba, qui ont ensuite réapparu sur les champs de bataille du Moyen-Orient. Dans le même temps, les prisonniers de Guantanamo qui se sont avérés inoffensifs - comme un villageois afghan de 89 ans souffrant de démence sénile - ont été maintenus en captivité pendant des années.
  • Les responsables américains ont classé le service de renseignement pakistanais comme une organisation terroriste et ont découvert qu’il avait comploté avec les talibans pour attaquer les soldats américains en Afghanistan - même si le Pakistan reçoit plus d’un milliard de dollars par an en aide américaine. Le président civil du Pakistan, Asif Ali Zardari, a confié qu’il avait un contrôle limité pour arrêter cela et a exprimé sa crainte que sa propre armée puisse "m’éliminer".

Feldstein a reconnu que beaucoup de ces événements avaient révélé des actes criminels et des crimes de guerre, et qu’ils constituaient des sujets importants pour les médias américains. Summers a interrogé Feldstein sur le fait qu’Assange était accusé d’avoir sollicité des informations classifiées. Feldstein a répondu que la collecte d’informations classifiées est une "procédure opérationnelle standard" pour les journalistes. "Toute ma carrière a consisté à solliciter des documents ou des dossiers secrets"

Summers a souligné qu’une des accusations était qu’Assange avait aidé Manning à couvrir ses traces en cassant un mot de passe. "Essayer d’aider à protéger votre source est une obligation journalistique" a répondu Feldstein. Les journalistes fournissent aux sources des téléphones, de faux comptes de courrier électronique et les aident à supprimer leurs empreintes digitales, réelles ou numériques. Ce sont des techniques journalistiques standard, enseignées dans les écoles de journalisme et les ateliers.

Summers s’est enquis de la divulgation des noms et du préjudice potentiel pour les personnes. Feldstein a répondu que c’était "facile à affirmer, difficile à établir". Les réclamations des gouvernements concernant les dommages causés à la sécurité nationale sont régulièrement exagérées et doivent être traitées avec scepticisme. Dans le cas des documents du Pentagone, le gouvernement avait affirmé que la publication permettrait d’identifier les agents de la CIA, de révéler les plans militaires et de prolonger la guerre du Vietnam. Ces affirmations se sont toutes révélées fausses.

Sur les bandes audio de la Maison Blanche, Nixon avait été enregistré disant à ses assistants de "se payer" le New York Times. Il a déclaré que leurs publications devraient être "présentées en termes d’aide et de confort pour l’ennemi".

Summers s’est interrogé sur l’attitude de l’administration Obama à l’égard de Wikileaks. Feldstein a déclaré qu’il n’y avait eu aucune poursuite après les principales publications de Wikileaks en 2010/11. Mais le département de la justice d’Obama avait lancé une "enquête agressive". Cependant, ils ont conclu en 2013 que le Premier Amendement rendait toute poursuite impossible. Le porte-parole du ministère de la Justice, Matthew Miller, avait écrit qu’ils pensaient que ce serait un dangereux précédent qui pourrait être utilisé contre d’autres journalistes et publications.

Avec l’administration Trump, tout avait changé. Trump avait déclaré qu’il souhaitait "mettre les journalistes en prison". Pompeo lorsque le chef de la CIA avait qualifié Wikileaks d’"agence de renseignement hostile". Sessions avait déclaré que la poursuite d’Assange était "une priorité".

James Lewis s’est ensuite levé pour contre-interroger Feldstein. Il a adopté une approche particulièrement hautaine et agressive, et a commencé par demander à Feldstein de se limiter à des réponses très courtes et concises à ses questions précises. Il a déclaré que Feldstein "prétendait être" un témoin expert, et avait signé pour affirmer qu’il avait lu les règles de procédure pénale. Pourrait-il dire à la Cour ce que ces règles disent ?

Cela avait clairement pour but de faire trébucher Feldstein. Je suis sûr que j’ai dû accepter les termes et conditions de WordPress pour pouvoir publier ce blog, mais si vous me défiez en me rappelant ce qu’ils disent, je vais avoir du mal. Cependant, Feldstein n’a pas hésité, mais il est revenu directement en disant qu’il les avait lues, et qu’elles étaient assez différentes des règles américaines, stipulant l’impartialité et l’objectivité.

Lewis a demandé quelle était l’expertise de Feldstein. Feldstein a répondu la pratique, la conduite et l’histoire du journalisme aux États-Unis. Lewis a demandé si Feldstein était légalement qualifié. Feldstein répondit que non, mais qu’il ne donnait pas d’avis juridique. Lewis a demandé s’il avait lu l’acte d’accusation. Feldstein a répondu qu’il n’avait pas lu le dernier acte d’accusation.

Lewis a déclaré que Feldstein avait déclaré qu’Obama avait décidé de ne pas engager de poursuites alors que Trump l’avait fait. Mais il était clair que l’enquête s’était poursuivie depuis les administrations Obama et Trump. Feldstein a répondu par l’affirmative, mais le fait est qu’il n’y a pas eu de poursuites sous Obama.

Lewis a fait référence à un article du Washington Post que Feldstein avait cité dans son témoignage et inclus dans ses notes de bas de page, mais dont il n’avait pas joint de copie. "Est-ce parce qu’il contenait un passage que vous ne souhaitez pas que nous lisions ?" Lewis a déclaré que Feldstein avait omis la citation selon laquelle "aucune décision formelle n’avait été prise" par l’administration Obama, et une référence à la possibilité de poursuites pour des activités autres que la publication.

Feldstein était manifestement un peu secoué par l’accusation de distorsion portée par Lewis. Il a répondu que son rapport indiquait que l’administration Obama n’avait pas engagé de poursuites, ce qui était vrai. Il avait noté l’article en bas de page ; il n’avait pas pensé qu’il devait également en fournir une copie. Il a fait preuve de sélection éditoriale en citant l’article.

Lewis a déclaré que, d’après d’autres sources, un juge avait déclaré au tribunal de district qu’une enquête était en cours et le juge de district Mehta avait déclaré que d’autres poursuites contre des personnes autres que Manning étaient envisagées. Pourquoi Feldstein n’avait-il pas inclus cette information dans son rapport ? L’avocat d’Assange, Barry J Pollock, avait déclaré "nous n’avons pas été informés s’ils veulent clore l’enquête ou ont décidé de ne pas engager des poursuites ". Ne serait-il pas juste d’ajouter cela à son rapport ?

Le professeur Feldstein a répondu qu’il serait difficile de convaincre M. Assange et ses avocats que les poursuites ont été abandonnées, mais nous savons qu’aucune nouvelle information n’a été portée devant le Grand Jury en 2015/16.

Lewis a déclaré qu’en 2016, Assange avait proposé de se rendre aux États-Unis pour faire face aux accusations si Manning bénéficiait de la clémence. Cela ne montre-t-il pas que l’administration Obama avait l’intention de porter des accusations ? Cela n’aurait-il pas dû figurer dans son rapport ? Feldstein a répondu que non, car cela n’était pas pertinent. Assange n’était pas en mesure de savoir ce que faisait le ministère de la Justice d’Obama. Les témoignages ultérieurs des initiés du ministère de la justice d’Obama ont été beaucoup plus précieux.

Lewis a demandé si l’administration Obama avait décidé de ne pas engager de poursuites, pourquoi le Grand Jury resterait-il ouvert ? Feldstein a répondu que cela arrivait très fréquemment. Cela pouvait être pour de nombreuses raisons, notamment pour collecter des informations sur les présumés co-conspirateurs, ou simplement dans l’espoir d’obtenir de nouvelles preuves.

Lewis a suggéré que le plus que Feldstein pourrait honnêtement dire est que l’administration Obama avait laissé entendre qu’ils ne poursuivraient pas pour des informations obtenues passivement, mais cela ne s’étendait pas à une décision de ne pas poursuivre pour piratage informatique avec Chelsea Manning. "Si Obama n’a pas décidé de ne pas engager de poursuites, et que l’enquête s’est poursuivie sous l’administration Trump, alors votre diatribe contre Trump tombe à plat."

Lewis a poursuivi en disant que le "problème du New York Times" [thèse selon laquelle si on poursuivait Assange et Wikileaks, il faut le faire aussi pour le New York Times - NdT] n’existait pas car le NYT n’avait publié que des informations qu’il avait reçues passivement.

Contrairement à Assange, le NYT n’avait pas conspiré avec Manning pour obtenir illégalement les documents. Le professeur Feldstein convient-il que le premier amendement ne défend pas un journaliste contre une accusation de cambriolage ou de vol ? Feldstein a répondu qu’un journaliste n’est pas au-dessus de la loi. Lewis a ensuite demandé à Feldstein si un journaliste avait le droit de "voler ou d’obtenir illégalement des informations" ou de "pirater un ordinateur pour obtenir des informations". Chaque fois, Feldstein a répondu "non".

Lewis a ensuite demandé si Feldstein acceptait que Bradley (sic) Manning ait commis un crime. Feldstein a répondu "oui". Lewis a ensuite demandé "Si Assange a aidé et encouragé, consulté ou fourni ou participé à un complot avec Bradley Manning, n’a-t-il pas commis un crime ? Feldstein a répondu que cela dépendait de certains "détails".

Lewis a ensuite réaffirmé qu’il n’y avait aucune allégation selon laquelle le NYT aurait conspiré avec Bradley Manning, seulement avec Julian Assange. Sur l’acte d’accusation, seuls les chefs d’accusation 15, 16 et 17 concernent la publication et ceux-ci ne concernent que la publication de documents non expurgés. Le New York Times, le Guardian et le Washington Post s’étaient unis pour condamner la publication par Wikileaks de câbles non censurés contenant des noms. Lewis a ensuite lu à nouveau la même citation du livre de Leigh/Harding qu’il avait remis à Stafford Smith, indiquant que Julian Assange avait déclaré que les informateurs afghans mériteraient leur sort.

Lewis demanda : "Un journaliste responsable publierait-il les noms non censurés d’un informateur sachant qu’il est en danger alors qu’il n’est pas nécessaire de le faire pour les besoins de l’histoire". Le professeur Feldstein a répondu "non". Lewis a ensuite énuméré des exemples d’informations qu’il serait bon que le gouvernement garde secrètes, comme "les mouvements de troupes en temps de guerre, les codes nucléaires, le matériel qui pourrait nuire à un individu" et a demandé si Feldstein était d’accord pour dire qu’il s’agissait de secrets légitimes. Feldstein a répondu "oui".

Lewis a ensuite demandé rhétoriquement s’il n’était pas plus juste de permettre à un jury américain de juger du préjudice. Il a ensuite demandé à Feldstein : "Vous dites dans votre rapport qu’il s’agit d’une poursuite politique. Mais un grand jury a soutenu l’accusation. Acceptez-vous qu’il y ait une base probante pour l’accusation ?". Feldstein a répondu : "Un grand jury a pris cette décision. Je ne sais pas si c’est vrai." Lewis a ensuite lu une déclaration du procureur adjoint américain Kromberg selon laquelle les décisions de l’accusation sont prises par des procureurs indépendants qui suivent un code qui exclut les facteurs politiques. Il a demandé à Feldstein s’il était d’accord avec le fait que les procureurs indépendants étaient un solide rempart contre les poursuites politiques.

Feldstein a répondu : "C’est un point de vue naïf".

Lewis a ensuite demandé si Feldstein affirmait que le président Trump ou son procureur général avait ordonné ces poursuites sans fondement factuel. Le professeur a répondu qu’il n’avait aucun doute sur le fait qu’il s’agissait de poursuites politiques, ceci étant basé sur 1) sa nature sans précédent 2) le rejet des poursuites par Obama mais la décision de poursuivre maintenant sans nouvelles preuves 3) le cadre extraordinairement large des accusations 4) L’hostilité du président Trump à l’égard de la presse. "C’est politique".

Mark Summers a ensuite réexaminé le professeur Feldstein. Il a déclaré que Lewis avait laissé entendre qu’Assange était complice de Manning dans l’obtention d’informations classifiées, mais que le New York Times ne l’était pas. Comprenez-vous que chercher à aider une fuite officielle est un crime ? Le professeur Feldstein a répondu "Non, absolument pas".

"Les journalistes demandent-ils des informations classifiées ?"
"Oui."
"Les journalistes sollicitent-ils de telles informations ?"
"Oui."
"Avez-vous connaissance de poursuites judiciaires antérieures pour ce genre d’activité ?"
"Non. Absolument pas."
"Pourriez-vous prédire que ce serait criminalisé ?"
"Non, et c’est très dangereux."

Summers a ensuite demandé au professeur Feldstein ce que le New York Times avait fait pour obtenir les documents du Pentagone de Daniel Ellsberg. Feldstein a répondu qu’ils ont été très actifs dans la sollicitation de ces documents. Ils avaient une clé de la pièce où se trouvaient les documents et avaient aidé à les copier. Ils ont joué un rôle actif et non passif. "Les journalistes ne sont pas des sténographes passifs."

Summers a rappelé au professeur Feldstein qu’on lui avait posé des questions sur le piratage informatique. Et si le but du piratage n’était pas d’obtenir l’information, mais de déguiser la source ? C’est l’allégation spécifique énoncée dans le mémorandum 4 de Kromberg, paragraphes 11 à 14. Le professeur Feldstein a répondu que la protection des sources est une obligation. Les journalistes travaillent en étroite collaboration avec leurs sources, conspirent avec elles, les cajolent, les encouragent, les guident et les protègent. C’est ça le journalisme.

Summers a demandé au professeur Feldstein s’il émettait toujours des réserves quand aux dommages que le gouvernement prétend avoir subi. Feldstein a répondu par l’affirmative. Les antécédents du gouvernement exigent de la prudence. Summers a souligné qu’il existe déjà une loi qui rend spécifiquement illégale la révélation des sources de renseignement, la loi sur la protection des identités des services de renseignement. Le professeur Feldstein a déclaré que si c’était le cas, le fait que l’accusation n’ait pas été portée en vertu de cette loi sur la protection des identités des services de renseignement prouve que les poursuites se limitent pas à la révélation d’identités mais sont en fait beaucoup plus larges.

Summers a conclu en disant que Lewis avait déclaré que Wikileaks avait diffusé les câbles non censurés dans une publication de masse. Cela changerait-il l’évaluation du professeur si le matériel avait déjà été publié par d’autres. Le professeur Feldstein a déclaré qu’il ne voulait pas laisser entendre que ses réponses pouvait être des acceptions de la version du gouvernement.

Edward Fitzgerald QC a ensuite pris la relève pour la défense. Il a indiqué au professeur Feldstein qu’il n’y avait pas eu de poursuites contre Assange lorsque Manning a été poursuivi, et qu’Obama avait accordé la clémence à Manning. Ce sont des faits importants. Feldstein est d’accord.

Fitzgerald a ensuite déclaré que l’article du Washington Post, dont Lewis s’est plaint que Feldstein l’avait cité de manière sélective, contenait beaucoup plus d’éléments que Feldstein n’avait pas cités non plus, mais qui soutenaient fortement sa cause, par exemple "Des fonctionnaires ont dit au Washington Post la semaine dernière qu’il n’y avait pas d’acte d’accusation scellé et que le ministère avait "tout sauf conclu qu’ils ne porteraient pas d’accusation". Il a également déclaré que lorsque Snowden a été inculpé, Greenwald ne l’a pas été, et la même approche a été suivie avec Manning/Assange. Dans l’ensemble, l’article confirme donc la thèse de Feldstein, telle qu’elle figure dans son rapport. Feldstein était d’accord. Il a ensuite été question d’autres éléments qui auraient pu être inclus pour soutenir sa thèse.

Fitzgerald a conclu en demandant si Feldstein connaissait l’expression "un grand jury inculperait un sandwich au jambon". Feldstein a répondu qu’il s’agissait d’un langage courant et a indiqué que les grands jurys étaient malléables et faisaient presque toujours ce que les procureurs leur demandaient de faire. Il y avait beaucoup d’études sur ce point.

REFLEXIONS

Ainsi s’est conclue une autre journée extraordinaire. Une fois de plus, nous n’étions que cinq dans la galerie publique (sur 42 sièges) et les six personnes autorisées dans la galerie vidéo du tribunal 9 ont été réduites à trois, car trois sièges ont été réservés par le tribunal pour les "VIP" qui ne se sont pas présentés.

Les contre-interrogatoires ont montré la faiblesse de la limite de trente minutes imposée par Baraitser, avec des témoignages de la défense vraiment intéressants coupés court, puis un temps illimité accordé à Lewis pour son contre-interrogatoire.

Cela a été particulièrement pernicieux lors du témoignage de Mark Feldstein. Lors de l’extraordinaire contre-interrogatoire de Feldstein par James Lewis, ce dernier a prononcé entre cinq et dix fois plus de mots que le témoin. Certaines des "questions" de Lewis duraient de nombreuses minutes, contenaient d’énormes passages de citations et étaient souvent formulées avec un double négatif alambiqué. Trois fois, Feldstein a refusé de répondre parce qu’il ne comprenait pas où se trouvait la question. L’exposé initial des preuves par la défense étant limité à une demi-heure, le contre-interrogatoire de Lewis a duré près de deux heures, dont 80 % pour Lewis.

Feldstein a été intimidé par Lewis et a cru que lorsque Lewis lui a dit de répondre de manière très brève et concise, il avait le pouvoir de le lui ordonner. En fait, Lewis n’est pas le juge et il s’agissait du témoignage de Feldstein, pas celui de Lewis. Baraitser n’a pas protégé Feldstein ni expliqué son droit de formuler ses propres réponses, alors que c’était de toute évidence une décision qu’elle pouvait prendre.

Aujourd’hui, nous avons entendu deux témoins experts, qui avaient tous deux soumis un long témoignage écrit relatif à un acte d’accusation, qui était maintenant examiné en relation avec un nouvel acte d’accusation qui le remplace, échangé à la dernière minute, et qu’aucun des deux n’avait vu. Tous deux ont déclaré expressément qu’ils n’avaient pas vu le nouvel acte d’accusation. En outre, ce nouvel acte d’accusation a été spécifiquement préparé par l’accusation, qui a eu l’avantage d’entendre les arguments de la défense et de voir une grande partie des preuves de la défense, afin de contourner le fait que l’acte d’accusation sur lequel l’audience a commencé était manifestement défaillant.

En outre, la défense s’était vu refuser un ajournement pour préparer sa défense contre le nouvel acte d’accusation, ce qui aurait permis à ces témoins et à d’autres de voir l’acte d’accusation qui le remplace, d’adapter leurs preuves en conséquence et d’être prêts à être contre-interrogés à ce sujet.

Clive Stafford Smith a déclaré aujourd’hui qu’en 2001, il n’aurait pas cru les crimes scandaleux qui allaient être perpétrés par le gouvernement américain. Quant à moi, je suis obligé de dire que je ne peux tout simplement pas croire l’abus de procédure flagrant qui se déroule sous mes yeux dans cette salle d’audience.

https://www.craigmurray.org.uk/archives/2020/09/your-man-in-the-public-gallery-assange-hearing-day-7


Clive Stafford-Smith explique comment utiliser les documents de WikiLeaks dans les affaires juridiques

Témoignage de Clive Stafford-Smith

Clive Stafford Smith, qui a la double nationalité américaine et britannique et qui est le fondateur de Reprieve qui défend les prisonniers détenus par les États-Unis à Guantánamo Bay et d’autres dans des lieux de détention secrets à travers le monde, a témoigné de l’importance du matériel de WikiLeaks dans leur litige. Il a d’abord discuté de l’utilité des révélations de WikiLeaks dans les litiges au Pakistan concernant les frappes de drones et le "changement radical" d’attitude à l’égard des frappes de drones américains au Pakistan.

En ce qui concerne les restitutions forcées, les assassinats et la torture exposés dans les documents de WikiLeaks, Stafford-Smith a déclaré :

"En tant que citoyen américain, il est extrêmement important que cela cesse... J’ai le sentiment que la réputation de mon pays a été sapée et que des délits criminels ont été commis.

"Le litige au Pakistan aurait été très, très difficile et différent" sans les révélations de WikiLeaks.

"Le plus troublant est que le programme d’assassinat concernant les terroristes a fait l’objet d’une fuite vers les narcotiques....ils visaient à tuer des gens pour leur implication dans le commerce de la drogue parce que cela était considéré comme un financement du terrorisme. Je pourrais continuer..."

Les programmes d’assassinat "sont non seulement illégaux mais aussi moralement et éthiquement répréhensibles", a-t-il déclaré, et le fait que des journalistes soient pris pour cible dans des zones de guerre par les États-Unis est "profondément troublant, un délit criminel monumental".

L’interrogatoire de la défense a ensuite porté sur l’importance des communiqués de WikiLeaks sur Guantanamo.

"C’est parfois difficile et hostile - c’est un des cas où j’ai reçu des menaces de mort pour avoir représenté ces personnes... mais votre problème est toujours double, les prisonniers de Guantanamo ne savent pas de quoi ils sont accusés... deuxièmement, malheureusement les gens ne rencontrent jamais les prisonniers de Guantanamo et ne jugent pas de leur crédibilité, donc prouver ce qui s’est passé implique plus que de le dire mais de voyager à travers le monde et de rassembler des preuves"

M. Stafford-Smith a expliqué qu’il est compliqué de savoir si les communiqués du GTMO sont positifs ou négatifs selon lui :

"Ces fuites sont les pires que les autorités américaines confessent à propos des prisonniers que j’ai représentés. Mais d’un autre côté, elles sont vraiment importantes car le monde ne connaissait pas les allégations qui étaient faites contre mon client".

Le meilleur exemple que je puisse vous donner, c’est que j’étais frustré lorsque j’ai lu pour la première fois ces documents de WikiLeaks parce que je pensais qu’ils divulgueraient ce que je voyais déjà... ce qui était utile, c’était les 13 pages que le gouvernement américain reprochait à mon client, dont je ne pouvais jusqu’alors parler à personne, et finalement j’ai pu déclassifier leurs affirmations et prouver que chacune de leurs allégations était totalement absurde. Personne n’a été être libéré pour autant, mais il était certainement utile de pouvoir le réfuter".

"J’ai trouvé immensément frustrant que le monde ne soit pas au courant du manque de fiabilité des preuves contre mes clients... ce que d’autres ont fait en prenant les documents de WikiLeaks, et je crédite ici Andy Worthington, c’est d’analyser le nombre de fois où certains informateurs ont été cités pour détenir des prisonniers."

"Bien qu’il soit important de représenter le client, et cela ne montre pas au monde ce qui se passe réellement là-bas. Mon expérience avec Guantanamo est que si nous pouvons l’ouvrir à l’inspection publique pour voir ce qui s’y passe réellement, alors ils le fermeront parce que ce n’est tout simplement pas ce qu’on en dit".

"Je dis cela avec plus de tristesse que de colère. Avant 2001, je n’aurais jamais cru que mon gouvernement ferait ce qu’il a fait. Nous parlons d’infractions pénales de torture, d’enlèvement, de restitution, de détention de personnes sans État de droit et, malheureusement, de meurtre".

Sur les techniques d’interrogatoire renforcées :

"J’ai eu un projet de comparaison des méthodes utilisées par mon gouvernement sur mes clients avec celles utilisées par l’Inquisition espagnole... pendre les gens par le poignet alors que leurs épaules se disloquent lentement... la première chose que je fais est de m’excuser."

"En parcourant la documentation que Wikileaks a divulguée, on découvre toutes sortes de choses, y compris les endroits où les gens sont emmenés et restitués... et c’était le cas dans l’affaire Binyam."

Clive Stafford-Smith affirme que WikiLeaks et les personnes associées pourraient faire l’objet de sanctions américaines dans le cadre du nouveau régime de sanctions de la CPI en raison du rôle que WikiLeaks a joué dans les efforts de responsabilisation des fonctionnaires américains impliqués dans des crimes de guerre.

"Menacer et imposer des sanctions est illégal, et ce que vous faites ici aujourd’hui pourrait justifier une sanction selon les termes du décret".

Toute personne qui cherche à aider dans une enquête qui pourrait mener à une enquête de la CPI, ce que fait Wikileaks, peut être sanctionnée, ce qui est couvert par le régime de sanctions américain".

Le contre-interrogatoire de l’accusation induit en erreur sur les accusations

Le procureur américain James Lewis a tenté à plusieurs reprises de faire admettre à Stafford-Smith qu’aucun des câbles de WikiLeaks mentionnés dans sa déclaration de témoin ne fait l’objet d’accusations. Lewis tente d’établir que l’acte d’accusation d’Assange ne porte que sur des câbles qui citent des noms précis d’informateurs. Mais la défense souligne que l’accusation affirme à tort qu’il n’y a aucune référence à la publication - Assange est en fait accusé d’avoir "communiqué" et "obtenu" des informations classifiées, et ces accusations portent sur tous les documents, pas seulement sur les câbles spécifiques mentionnés dans les chefs d’accusation de publication pure.

En outre, Stafford-Smith a expliqué à plusieurs reprises au procureur que Lewis ne comprend pas comment les États-Unis poursuivent ces affaires - ce n’est pas parce qu’elles ne figurent pas dans l’acte d’accusation qu’elles seront utilisées contre lui. Lewis n’a pas cessé de dire qu’il n’est accusé que de citer des noms et que les autres câbles diffusés sont donc sans importance.

Fatigué de ce va-et-vient, Assange lui-même s’est exprimé depuis le quai pour dire : "C’est un non-sens", la prétention des États-Unis qu’il n’est pas accusé de publier des informations classifiées, mais seulement de citer des noms, est "un non-sens".

"Apparemment, mon rôle est de m’asseoir ici et de légitimer ce qui est illégitime par procuration", a déclaré M. Assange.

Le juge a interrompu Assange pour le réprimander d’avoir parlé sans y être autorisé.

"Je comprends bien sûr que vous entendrez probablement beaucoup de choses que vous n’aimez pas et que vous voudriez intervenir, mais ce n’est pas votre rôle.

"Votre maintien au tribunal est une chose que le tribunal souhaiterait. Mais le tribunal pourrait procéder sans vous."

L’accusation a clôturé son contre-interrogatoire en citant le livre de David Leigh en référence aux commentaires d’Assange sur les informateurs. Elle demande si Stafford-Smith est d’accord avec le point de vue de Leigh ou d’Assange sur les informateurs. Stafford-Smith dit qu’il ne jugerait personne en se basant sur un livre.

Feldstein donne le contexte historique du journalisme de WikiLeaks

Le professeur de journalisme Mark Feldstein a pris la barre pour poursuivre son témoignage commencé hier, reprenant là où il s’était arrêté sur la longue histoire des journalistes utilisant des informations classifiées dans leurs reportages.

Feldstein a confirmé que la sollicitation d’informations est un "comportement journalistique standard". Lorsqu’il enseigne le journalisme, Feldstein parle de demander des preuves aux sources, de rechercher activement des informations, de travailler avec elles pour trouver des documents qui méritent d’être publiés dans les journaux et de les orienter sur ce qu’il faut découvrir. "Tout cela est de la routine", dit-il.

Les efforts pour dissimuler l’identité des sources sont également courants. "Essayer de protéger votre source est une obligation journalistique", a déclaré M. Feldstein, ajoutant : "Nous utilisons toutes sortes de techniques pour les protéger, y compris les cabines téléphoniques, l’anonymat, le cryptage, la suppression des empreintes digitales des documents, les reporters font cela tout le temps".

Par la suite, l’accusation a tenté d’établir des différences substantielles entre le New York Times et WikiLeaks, en suggérant que les journalistes ne volent pas ou n’obtiennent pas d’informations illégalement. Tout en admettant que les journalistes ne sont pas au-dessus de la loi, Feldstein affirme qu’il s’agit d’une "pente glissante" quant à ce qui constitue une "sollicitation" d’informations.

"Nous, les journalistes, ne sommes pas des sténographes passifs", a-t-il déclaré. "Recevoir anonymement par courrier, c’est ce qu’il ne faut surtout pas faire".

Lorsqu’on lui a demandé s’il avait lui-même publié ce type d’informations, il a répondu : "Oui, je n’ai pas publié beaucoup de documents classifiés, mais toute ma carrière a pratiquement consisté à solliciter et à publier des informations secrètes".

Sur la question des allégations selon lesquelles la publication de noms cause nécessairement un préjudice, M. Feldstein a déclaré qu’il est facile pour le gouvernement de revendiquer un éventuel préjudice car il est impossible à prouver. "Peu de preuves que la sécurité nationale est mise à mal" par les divulgations, a-t-il dit, et "la sécurité nationale est souvent utilisée comme un bouclier pour cacher" des actions embarrassantes ou illégales.

Feldstein a utilisé les documents du Pentagone comme exemple, où les procureurs du gouvernement de l’époque sont allés au tribunal en alléguant que ces documents exposaient des plans de guerre, identifiaient des responsables de la CIA, et pouvaient même prolonger la guerre. Les procureurs ont déclaré au tribunal que cela causerait "un préjudice immédiat et irréparable", et ce n’est que des années plus tard qu’un de ces procureurs a admis qu’il ne voyait pas de préjudice dans ces documents. Mais pourquoi mentir à ce moment-là ? Nous savons maintenant que le président Nixon lui-même a donné instruction à son procureur général de salir le New York Times comme étant "déloyal", de toutes les manières possibles.

Les "poursuites pour motifs politiques" de l’administration Trump

Le ministère public a fait des efforts répétés pour qualifier l’enquête sur WikiLeaks de 2010 à 2020 comme une affaire en cours, qui s’est finalement soldée par des accusations avec le président Trump au pouvoir. Mais Feldstein a témoigné de son opinion que l’administration Obama a explicitement décidé de ne pas poursuivre Assange, citant cet article de 2013 sur la décision de l’administration Obama de ne pas poursuivre, alors que "tout a changé" sous l’administration Trump.

L’article de 2013 commence ainsi : "Le ministère de la Justice [de l’administration Obama] a pratiquement conclu qu’il ne portera pas plainte contre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, pour avoir publié des documents classifiés, car les avocats du gouvernement ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas le faire sans poursuivre également les organisations de presse et les journalistes américains".

En 2017, en revanche, le FBI voulait une "tête sur une pique", le président Trump voulait des journalistes en prison, le directeur de la CIA de l’époque, Mike Pompeo, a qualifié WikiLeaks d’"agence de renseignement hostile non étatique", et le procureur général de l’époque, Jeff Sessions, a fait de l’arrestation d’Assange une "priorité".
Même dans cette administration, la décision a été controversée. Cet article du 2019 Post nomme explicitement James Trump et Daniel Grooms comme procureurs fédéraux qui n’étaient pas d’accord avec la poursuite d’Assange en vertu de la loi sur l’espionnage, parce qu’elle était "très susceptible de faire l’objet du premier amendement et d’autres contestations juridiques et factuelles compliquées".

L’accusation a tenté de montrer que WikiLeaks, Assange et ses avocats pensaient que des accusations allaient encore être portées, mais Feldstein a déclaré que si les avocats défendraient bien-sûr leur client et que WikiLeaks pouvait toujours craindre des accusations, le fait est que l’administration Obama n’a pas porté d’accusations et que Trump, lui, l’a fait, sans qu’aucune nouvelle preuve ne soit apportée entre-temps.

En répondant aux questions finales, Feldstein a été très clair sur les raisons pour lesquelles il pensait que la poursuite d’Assange était politiquement motivée, citant plusieurs raisons : l’ampleur sans précédent de ces accusations, le fait qu’une poursuite ait été rejetée par l’administration Obama, l’élaboration de l’acte d’accusation remplaçant, et le "vitriol connu du président Trump envers la presse". Enfin, il a déclaré que les seules tentatives de poursuite de journalistes dans le passé étaient "évidemment très politiques".

L’accusation a laissé entendre que Feldstein spéculait et est revenue à l’idée que les noms publiés dans les documents causeraient un préjudice et qu’un grand jury objectif pourrait le constater. Feldstein a répondu que si telle était la véritable intention, les États-Unis auraient pu inculper Assange en vertu de l’Intelligence Identities Protection Act de 1982, beaucoup plus étroite, qui criminalise la divulgation de certaines figures du renseignement.

Développant les dangers de cette large portée dans l’acte d’accusation, Feldstein a déclaré : "le recrutement et la conspiration sont des termes effrayants, utilisés pour les terroristes". En revanche, les journalistes dirigent les sources, disent ce dont ils ont besoin, relancent pour obtenir plus d’informations. "Donc si cela devient un crime, si cela devient une conspiration, alors la plupart de ce que font les journalistes d’investigation serait criminel."

https://defend.wikileaks.org/extradition-hearing/

Traduction "tout ce que les médias ne vous raconteront pas" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

Etats-Unis contre Julian Assange : Comptes-rendus des audiences
URL de cet article 36490
   
Même Thème
La traque des lanceurs d’alerte
Stéphanie Gibaud
Préface de Julian Assange Les lanceurs d’alerte défrayent l’actualité depuis une dizaine d’années. Edward Snowden, Chelsea Manning et Julian Assange sont révélateurs des méthodes utilisées pour faire craquer ceux qui ont le courage de parler des dysfonctionnements et des dérives de notre société. Pourtant, ces héros sont devenus des parias. Leur vie est un enfer. Snowden est réfugié en Russie, Assange dans une ambassade, Manning était en prison, Stéphanie Gibaud et bien d’autres sont (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

L’une des choses les plus étonnantes dans le coup monté contre Assange, c’est son audace. Ils savent qu’ils peuvent s’en tirer parce que les grands médias refusent d’en parler.

Matt Kennard

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.