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Est-ce ainsi que les hommes changent ?

On peut sourire des symboles, et leur préférer, à juste titre, l’aspect concret d’une politique. Pour autant, on s’en souvient, la journée d’investiture du premier septennat de François Mitterrand -avec tout le mal qu’on est en droit de penser du personnage et de sa froide ambition- avait été marquée par une visite au Panthéon, rhétorique et régalienne jusqu’à l’obscènité, mais dirigée pour le moins vers des dépouilles respectables : celle de Jean Jaurès et celle de Jean Moulin.

Le parcours de Jean Jaurès n’a pas été sans tache, on le sait, et l’on trouvera ici ou là tel article de jeunesse fortement teinté d’antisémitisme, qu’un soutien sans faille au capitaine Alfred Dreyfus, comme la défense précoce du peuple arménien, sauront faire pardonner. Plus qu’une image sainte, Jean Jaurès demeure l’exemple d’un homme, comme d’autres figures socialistes de sa génération, dont la conscience et le courage ont grandi avec les années, tout comme la force de conviction. Le Jaurès qu’il nous reste est celui des mineurs de Carmaux, et plus encore l’infatigable pourfendeur de la loi des 3 ans, assassiné le 31 juillet 1914. Sa mort, on le sait, fut la dernière étape vers quatre années et demi de folie meurtrière, suivies de décennies de haine et de ressentiment. Je n’ai pas le goût du tragique, mais la fin de Jean Jaurès, comme celle de Rosa Luxembourg, n’auront jamais laissé de m’émouvoir.

De Jean Moulin, radical-socialiste, on ne saurait trouver dans son parcours un instant où il manqua de courage, de son soutien aux Républicains espagnols à sa mort sous la torture en 1943.

Tout cela n’en rend que plus terne -pour ne pas dire inacceptable- l’hommage inaugural du 15 mai 2012 du Président de la République François Hollande, qui sera certes moins rhétorique et régalien, mais n’en sera pas moins obscène, aux figures de Jules Ferry et de Marie Curie. Jules Ferry l’« opportuniste » -c’était ainsi qu’on appelait son courant de républicains « modérés », à l’origine de la droite libérale française, et donc historiquement infiniment plus proche de l’austère Antoine Pinay que de Pierre Mendès-France-, Jules Ferry le Versaillais -comme Émile Zola pourra-t-on dire, mais pas pour les mêmes raisons-, Jules Ferry, surtout, l’un des petits pères français de la course à l’Afrique et à l’Asie du Sud-Est -et je m’étonne que personne ne remette en avant son célèbre échange avec Georges Clémenceau, en 1885, à la Chambre des Députés. Mais laissons-la les anaphores. Quoiqu’il en soit, si Jules Ferry est un symbole, c’est sans aucun doute de cette France « juste milieu » de la Troisième République, qui n’apprit à lire et à écrire à ses enfants que pour mieux les faire tuer, trente ans plus tard, ivres de Paul Déroulède et de Colline inspirée, dans les tranchées de la Somme et de Verdun.

Quant à Marie Curie, au-delà de l’exceptionnelle scientifique d’origine polonaise -évidemment citée, au passage, sous le nom bien français de son mari-, on peut y voir, là encore, une façon bien opportune de répondre au débat sur le nucléaire civil. A moins de rappeler, plus que l’oeuvre de Maria SkÅ‚odowska, sa mort tragique elle aussi. Une mort qui sera celle, qui peut encore en douter, des enfants de Fukushima.

Article initialement publié le 13 mai 2012 sur le site On ne dormira jamais.

Pour aller plus loin :

La journée d’investiture de François Mitterrand le 21 mai 1981, dans les Archives de l’Ina. On lira aussi avec profit le beau livre de Benjamin Stora et François Mayle, François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Calmann-Lévy, 2010.

Sur la mort de Jean Jaurès : Jean Rabaut, 1914, Jaurès assassiné, Complexe, Bruxelles, 2005 (première édition 1984). Sur celle de Rosa Luxembourg, Sebastian Haffner, Allemagne 1918, Une révolution trahie, Complexe, 2001.

Le "célèbre échange" entre Jules Ferry et Georges Clémenceau en juillet 1885 à la Chambre des Députés.
Sur la question, l’ouvrage de référence reste celui de Gilles Manceron, 1885, le tournant colonial de la République, Paris, La Découverte, 2007.
On complétera par le documentaire diffusé sur Arte en 2011, Berlin 1885, la ruée sur l’Afrique, ou par le très beau livre d’Henri Wesseling, Le partage de l’Afrique (1880-1914), Paris, Gallimard, « Folio Histoire », 2002.
Fukushima, zéro mort, etc. Un article du blog Fukushima.

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