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Ernesto Che Guevara. Ombres et lumières d’une mémoire toujours présente.

Dans cet entretien Michael Löwy[1], l’un des premiers à étudier la pensée de Che Guevara, donne les clés pour l’interprétation de l’image du Che, dépassant la perception classique de "guerrillero héroïque" .

Image actuelle du Che et sa mémoire en France

Nul ne peut nier que l’image du Che est devenue actuellement un phénomène de commercialisation, néanmoins, y en a-t-il pour vous des aspects positifs ? Et que pensez-vous des films comme celui de Soderbergh[2] qui jouent sur un double aspect : volonté de faire découvrir le Che au grand public et en même temps générer du profit ?

"Nous ne pouvons pas parler d’aspects positifs, il s’agit simplement du symptôme d’un intérêt, d’une sympathie, d’une attirance, qui n’est pas toujours très politique, mais qui existe et témoigne de quelque chose. Cela n’a des aspects ni positifs ni négatifs, mais c’est intéressant en tant que manifestation d’un certain état d’esprit, surtout auprès des jeunes.

"En ce qui concerne les films de Soderbergh, ils suivent les lois du profit de tout le cinéma. Ces films ne sont pas très politiques. Ils se concentrent sur l’aspect combattant héroïque, le mythe, la biographie. Néanmoins, le combat et les enjeux politiques de la vie du Che sont abordés de façon très limitée. Telles sont les limites du film. En même temps, nous voyons que le cinéaste a de la sympathie pour le Che et, encore une fois, le point le plus intéressant du film est avant tout son succès qui montre, à nouveau, un intérêt du public pour connaître davantage sur le Che, pour mieux connaître sa biographie. Cet aspect demeure un vrai symptôme représentatif d’une certaine manifestation mais qui reste superficielle. Le film en lui-même n’est pas mauvais mais il n’est pas très profond."

Votre dernier livre[3] sur le Che Guevara, peut-il être un éveilleur de conscience ? Et quels sont ses destinataires ? Les jeunes, la classe politique ?

"Il n’est sûrement pas destiné à la classe politique mais à tous les gens qui se politisent, qui s’y intéressent, jeunes ou moins jeunes. Est-ce un éveilleur de conscience ? Les gens qui achètent ce livre ont déjà une conscience sinon ils ne feraient rien ou tout au plus ils achèteraient un tee-shirt. Le livre peut les aider à approfondir cette conscience, à mieux connaître les enjeux politiques au-delà de la biographie, au-delà de ce que fait Soderbergh. Le livre peut avoir ce rôle d’aider à faire un pas de plus dans la connaissance du message du Che, un message révolutionnaire, anticapitaliste, un socialisme différent.

"Nous aimerions que les gens, qui ont lu le livre, aient envie de traduire ces idées dans une pratique et nous espèrons qu’ils aient envie de s’engager politiquement, de militer dans des mouvements sociaux, dans le Nouveau Parti Anticapitaliste. Mais il n’y a pas de rapport direct entre le livre et une pratique politique."

Comment a évolué la perception de la figure du Che en France ?

"Dans les années 60, il y a eu une première réception du Che par la gauche radicale. Notamment, les JCR[4], autour de Bensaïd[5], Jannette Habel[6], pour qui Guevara est aussi important que Trotski et dont ils ont traduit les textes. C’était une référence importante pour les JCR et même pour d’autres, notamment certains qui se revendiquaient du maoïsme. D’aucuns se considéraient comme guévariste, comme Debray[7] par exemple. La réception de Guevara était importante, présente dans Mai 68 et dans les années qui ont suivi. Et pas seulement le Che Guérillero, ils revendiquaient justement sa critique de l’Union Soviétique, sa conception du socialisme. Le Che était appréhendé comme penseur marxiste dans les années 60-70."

Réinterprétation de l’image du Che

Il y a chez Che Guevara, des aspects qui, mal interprétés, peuvent soulever des contradictions, comme c’est le cas de son autoritarisme. Peut-il pourtant être expliqué par les conditions extrêmes de la guérrilla ?

"Je ne pense pas qu’il s’agisse uniquement de la guérilla. L’aspect autoritaire est présent chez le Che, surtout au début, parce qu’une partie de sa formation politique s’est tout de même faite dans la mouvance communiste stalinienne. Dans certains de ses textes, quand il est très jeune, il écrit « Vive Staline », cela montre qu’il acceptait, jusqu’à un certain point, cette vision autoritaire de la politique qui était celle du mouvement communiste stalinien. Au début, il admire l’Union Soviétique, il admire le camp socialiste et il les considère comme un modèle à suivre.

"Cependant, il fait preuve, très tôt, d’une sensibilité antibureaucratique, radicale contre les privilèges. Dès le début, et ce de façon croissante, il est sensible à la question de la liberté d’expression, d’opinion. Il affirme que les divergences ne se règlent pas à coups de matraque. Je ne pense pas que la guérilla soit la cause essentielle même si elle a pu renforcer certaines pratiques du commandement. Ce sont les limites de sa formation politique mais, très tôt, l’autoritarisme cède la place à cette sensibilité démocratique radicale, antibureaucratique, égalitaire. Fidel Castro a connu la même évolution. Avant qu’il ne commence la guérilla, il se définissait comme un jacobin, il y avait également cet aspect autoritaire. La guérilla a pu le renforcer mais ce n’était pas le point de départ."

La réécriture historique négative semble être de mise lorsque l’on parle du Che (UMAP[8], le bourreau de "la Cabaña" [9], le Che sexiste...). Comment peut-on expliquer cette propagande anti-guévariste alors que les écrits du Che, pourtant tracés historiques, semblent nous prouver le contraire ?

LIRE LA SUITE : http://www.contretemps.eu/interviews/ernesto-che-guevara-ombres-lumieres-memoire-toujours-presente

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