INTRODUCTION :
L’Equateur a annoncé officiellement le 8 octobre 2012 qu’il exigera l’annulation de la dernière décision du Centre International pour le Règlement des Différends Relatifs aux Investissements (CIRDI) communiquée le 5 octobre 2012 (décision CIRDI ARB/06/11). Cette décision ordonne à l’Equateur d’indemniser deux entreprises pétrolières étasuniennes pour un montant de 1.769 millions de dollars, considérant que les agissements de l’Equateur constituent une expropriation de fait et qu’ils violent plusieurs articles du traité bilatéral de protection et de promotion des investissement de 1993 entre les Etats-Unis et l’Equateur, entre autres.
UN CONTEXTE DÉLICAT
L’Equateur, qui constitue, avec la Bolivie et le Venezuela, l’un des trois Etats ayant dénoncé la Convention de Washington de 1965 instituant le CIRDI, a annoncé qu’il fondera son recours en annulation contre la décision du CIRDI sur l’opinion dissidente de l’arbitre Brigitte Stern, de nationalité française, laquelle considère dans ses conclusions finales que les limites à la juridiction des arbitrages dans le cadre du CIRDI « ont été complètement ignorées par la majorité du tribunal » (traduction libre du texte anglais : « it is simply the result of the limited access to international arbitration, which the majority has blatantly disregarded » et du texte espagnol : « ya que resulta simplemente de los làmites al acceso al arbitraje internacional, que la mayoràa ha ignorado por completo »). Il est intéressant de noter que l’Equateur avait refusé de désigner un arbitre pour cette affaire, et que l’arbitre Brigitte Stern, de nationalité française, fut désignée par le Conseil d’Administration du CIRDI ainsi que le Président du Tribunal, Yves Fortier, de nationalité canadienne (paragraphe 11 de la décision précitée).
Pour le Président de l’Equateur, Rafael Correa, cette décision constitue un « nouvel abus » de la part du CIRDI. Elle tombe à point pour bon nombre de pays de la région, lesquels, durant ces dernières années, ont affiché une hostilité croissante vis-à -vis du fonctionnement du CIRDI, au regard notamment de la prolifération d’affaires contre les pays d’Amérique Latine. L’annonce de la décision de l’Equateur coïncide avec celle des résultats électoraux au Venezuela, donnant la victoire au Président Hugo Chavez. L’Equateur semble aussi vouloir mettre à l’épreuve la vague de sympathie que lui a signifié l’ « affaire » Assange en Amérique Latine, et qui s’est manifestée au sein de l’Organisation des Etats Américains (OEA) par la présence (quelque peu inusitée) de douze ministres des relations extérieures ayant tenu à faire personnellement le déplacement à Washington en août dernier (Note 1)
LE CIRDI AU SEIN DES PAYS D’AMERIQUE LATINE :
Contrairement à une opinion répandue selon laquelle le CIRDI bénéficie d’un appui généralisé dans les Amériques, de nombreux Etats de la région maintiennent toujours leur distance avec ce mécanisme de la Banque Mondiale. Les statistiques officielles du CIRDI indiquent que 42% des affaires jugées proviennent de l’hémisphère américain (30% pour l’Amérique du Sud, 7% pour l’Amérique Centrale et Caraïbes et 5% pour la zone Canada-Etats Unis- Mexique), mais quelques nuances doivent être apportées. Dans la zone proche de l’Amérique centrale, la République Dominicaine n’est pas partie à la Convention du CIRDI, tout comme le Canada ou Cuba. De même, le Mexique est resté prudent vis-à -vis de ce mécanisme (attitude que certains qualifient entre "sage et rebelle" . Au sein de la communauté d’Etats anglophones des Caraïbes, les États non parties à la Convention du CIRDI sont les suivants : Antigua et Barbuda, Belize, la Dominique (Commonwealth of) et le Suriname. En Amérique du Sud, le Brésil n’a ni ratifié ni même signé la convention et aucun signe ne permet de déceler un intérêt quelconque de le faire de la part de la sixième économie mondiale.
LES TBI OU LA RELANCE DU RECOURS AU CIRDI :
On se soit de rappeler que jusqu’en 1996, le CIRDI avait fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de la première affaire (la seule de l’année), l’année 1974 suivit avec 4 affaires, et de nombreuses années creuses sans aucune affaire (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991) selon les statistiques officielles ( (graphique page 7, Affaires du CIRDI- Statistiques, numéro 2012-1). L’envolée du nombre d’affaires par an depuis 1996 (1997 : 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) et que certains experts qualifient de véritable « prolifération » (voir graphique de l’étude de Patxi Zabalo, p.3) s’explique par l’effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires (graphique page 10, Affaires du CIRDI-Statistiques, numéro 2012-1). Ce pourcentage s’élève a 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l’année 2011. Pour prendre un exemple cher aux investissements français à l’étranger, les 58 TBI signés par l’Argentine dans les années 90 expliquent en partie que ce soit l’Etat avec le chiffre le plus élevé d’affaires portées à son encontre devant le CIRDI : l’Argentine est devenu un cas d’étude objet de nombreuses analyses de la part de spécialistes du droit international des investissement étrangers. Nonobstant, pour certains économistes fins connaisseurs du cas argentin, la conclusion est toute autre : ces traités bilatéraux constituent de véritables obstacles au développement économique des pays de l’Amérique Latine.
L’HOSTILITÉ AFFICHÉE VIS-A-VIS DU CIRDI :
C’est dans ce climat que la Bolivie a décidé de faire un premier pas en dénonçant officiellement la Convention de Washington de 1965 (retrait notifié en mai 2007 au CIRDI, effectif à compter de Novembre 2007), suivie par l’Équateur (dénonciation notifiée en Juillet 2009, effective à Janvier 2010) (Note 2). Le Venezuela a annoncé officiellement son retrait le 24 Janvier 2012, qui a pris effet au mois de Juillet 2012. En Argentine, Etat signataire de 58 TBI (pour la plupart signés entre1990 et 1995) un projet de loi en ce sens circule au sein du Congrès de l’Argentine depuis le 21 mars 2012.
A la différence du Venezuela et de la Bolivie, l’Equateur a parallèlement procédé à dénoncer une dizaine de TBI, notamment ceux conclus avec l’Allemagne et le Royaume Uni. Pour sa part, le Venezuela a précédé sa dénonciation de la Convention CIRDI en janvier 2012 de celle du TBI avec les Pays-Bas en 2008 : on lit que le choix de ce TBI s’explique par le fait que « Le TBI néerlandais a dû être particulièrement gênant pour le pays car il a servi de base à au moins 10 affaires CIRDI contre le Venezuela (les Pays-Bas sont souvent choisis par les entreprises d’autres pays pour enregistrer leurs filiales et structurer leurs investissements) « (Note 3)
PERSPECTIVES D’AVENIR :
Pour l’instant, les Etats de l’Amérique latine sont les seuls au monde à avoir dénoncé la Convention instituant le CIRDI. L’Equateur a annoncé qu’il ferait appel à la solidarité régionale dans son combat contre le CIRDI, lors d’un intervention de son Ministre des Affaires Etrangères pendant une réunion de la Communauté d’Etats d’Amérique Latine et des Caraïbes (CELAC) en date du 10 octobre dernier. Cette annonce renvoie également à plusieurs initiatives tendant à chercher un mécanisme alternatif au CIRDI dans la région. Un récent colloque organisé par les chambres d’arbitrage à Caracas présente l’idée l’utiliser l’Union des Nations Sudaméricaines (UNASUR) comme espace régional pour régler les différends entre investisseurs étrangers et Etats (voir programme) : il s’agit d’une idée lancée il y a quelques années déjà , et qui n’est pas sans poser de sérieux défis à la région. Récemment des universitaires en Colombie ont proposé l’élaboration d’un « Décalogue de propositions conciliatrices » pour tenter d’enrayer l’hostilité croissante vis-à -vis du CIRDI au sein des opinions publiques latino-américaines : l’image récente de l’Eglise Catholique salvadorienne implorant « la pitié » aux arbitres du CIRDI dans l’affaire Pacific Rim (du nom de la société minière canadienne) en 2010 reste fraîche dans bien des esprits (Note 4).
CONCLUSIONS
L’appel récent à la « solidarité régionale » lancé par l’Equateur trouvera sûrement un écho au sein des diverses organisations régionales de Amérique Latine, s’agissant de la seule région du monde qui, dès les toutes premières années 60 s’était montrée extrêmement hostile à la création du CIRDI. A ce sujet, on se doit de rappeler que le premier projet de Convention préparé en 1963 avait été approuvé par le Conseil des gouverneurs de la Banque Mondiale le 10 septembre 1964 lors de la réunion annuelle de la Banque mondiale à Tokyo. Les Etats d’Amérique latine (ainsi que l’Irak et des Philippines) avaient alors voté contre (ce vote est connu dans la littérature spécialisée sous le nom de "Non de Tokyo"), à savoir : l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, la République dominicaine, l’Equateur, El Salvador, le Guatemala, Haïti, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, le Pérou, l’Uruguay et le Venezuela (Note 5).
Nicolas Boeglin
Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit, Universidad de Costa Rica (UCR)