Doctorant en Lettres Modernes à l’Université de Nice Sophia-Antipolis, au Lirces (Laboratoire Interdisciplinaire, Récits, Cultures & Sociétés), Amadou Oury Diallo travaille sur le rapport de l’histoire et de la fiction dans l’épopée traditionnelle. C’est donc un fin connaisseur des cultures africaines dont il incarne au plus haut point les valeurs et l’authenticité. Il est l’auteur d’une traduction d’un récit épique : Epopée du Foûta-Djalon, la chute du Gâbou, l’harmattan, 2009. Amadou Diallo, comme on l’appelle ici, est aussi un Sénégalais : une partie de sa famille vit au Sénégal depuis les années 60 ; lui-même connaît très bien le pays, où il a fait d’ailleurs ses études supérieures jusqu’au DEA à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Animés par la volonté d’accorder une plus grande importance à la liberté d’expression, à la responsabilité et à l’engagement de la Jeunesse africaine qui devra assurer la relève des dirigeants à la fois opportunistes, corrompus, népotistes et autocratiques, nous nous sommes résolus à aller à la rencontre d’un intellectuel guinéen afin d’aborder la situation sociopolitique très difficile, voire chaotique que traverse son pays dont les ethnies instrumentalisées sont pourtant « condamnées à vivre ensemble dans la paix », ne serait-ce que pour remettre le pays à genoux sur les rails. En effet, le « véritable problème » de la Guinée est d’après lui un « problème d’homme, de dirigeant », à partir du moment où les « ethnies ont toujours cohabité ensemble » dans la paix contrairement aux « politiciens qui en ont fait un problème ». Toutefois, l’auteur d’un ouvrage sur l’épopée peule est optimiste sur l’avenir de la Guinée, bien que les dégâts soient incommensurables en nous faisant savoir que la Guinée-Conakry est toujours dans l’attente d’un Messie, même si tous « ceux » qui se sont déjà « révélés » sont pires que le démon.
Enfin dans cet entretien, il a tour à tour répondu à nos questions en pointant du doigt la part de responsabilité des hommes politiques qui ont toujours eu la propension d’exploiter la fibre ethnique à des fins personnelles, tout en espérant qu’un jour son pays se retrouvera sans doute entre les mains d’un homme susceptible « de transcender son propre égo », à l’image de tous les Guinéens malgré un « demi-siècle d’histoire » ponctué de rancoeur et de haine. Autrement dit le profil dressé, quant au Messie qui sauvera son pays ethniquement divisé sur le plan politique, et surtout caractérisé par une animosité sans précédent entre communautés tout au long des différentes échéances électorales, est relatif aux qualités d’un homme capable de considérer les Guinéens au même pied d’égalité, sans arrière-pensées.
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1/Afrique Démocratie : Pourquoi la Guinée n’arrive-t-elle pas à s’accommoder avec l’avènement de la démocratie en 2010, si l’on tient compte de son passé, y compris le prix payé pour l’Indépendance en 1952 (un pays livré à lui-même, sans infrastructures et sans moyens financiers, le tout couronné par une longue dictature de Sékou Touré et de Lansana Conté), sans oublier le règne de Moussa Dadis Camara ? Bref, il y avait eu de violentes répressions contre les Peuls sous Sékou Touré qui craignait des soi-disant complots ourdis par ces derniers.
Amadou Oury Diallo : C’est difficile à dire pourquoi la Guinée a du mal à s’accommoder de la démocratie comme d’ailleurs la plupart des pays africains. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il n’y a pas de culture démocratique vraiment ancrée. Après l’indépendance, le pays a connu la dictature sanglante : les Peuls, l’ethnie la plus nombreuse et qui comptait le plus grand nombre d’intellectuels, furent taxés de multiples complots. Sékou Touré a mené une politique d’exclusion et de suppression systématique de toute personne susceptible de s’opposer à lui. Le plus célèbre de ses victimes est Diallo Telli, premier secrétaire de l’OUA. Après, est venu le multipartisme de façade : Lansana Conté a toujours gagné les élections, mais a su maintenir néanmoins la sécurité dans le pays ; personne ne se sentait stigmatisée par son appartenance ethnique. Aujourd’hui, l’on parle de démocratie, mais à bien regarder les choses, ce n’en est plus une. Le pays a failli connaître la démocratie, mais on est passé à côté. Je m’explique : au premier tour, les élections ont été relativement transparentes, mais durant le second tour, les jeux ont été faussés par le parti pris du président de la transition et de certains de ses ministres en faveur de Alpha Condé. Le résultat, on le connaît : il est dit « élu », ayant pu, avec un score de moins de 20 pour cent au premier, battre son adversaire qui avait pourtant obtenu près de 40 pour cent. Il faut aussi signaler les nombreux incidents qui émaillèrent l’entre-deux-tours, notamment le vol de certains ordinateurs destinés au vote, l’incendie du comptoir où étaient stockés certains matériels pour l’élection, etc. Il y a bien sûr d’autres facteurs de blocage comme la tribalisation de l’échiquier politique (les 70 à 90 pour cent de la population votent par appartenance ethnique ou géographique), l’absence d’Etat de droit, le marchandage des voix, l’immaturité de beaucoup de politiciens, etc.
2/ Le spectre des années Sékou Touré plane-t-il toujours en Guinée, même si le « camp Boiro » ne fait plus parler de lui ?
Amadou Oury Diallo : Oui, malheureusement ! En juillet 1977 Sékou Touré avait dit : « Je déclare la guerre aux Peuls ». On entend encore aujourd’hui des slogans racistes expressément formulés à l’encontre des Peuls. Le 20 mai 2011, le médiateur de la République Facinet Touré affirme publiquement ceci : « Les Peuls ont le pouvoir
économique et ne devraient donc pas chercher à obtenir le pouvoir politique au risque de provoquer une tension dans le pays ». Les Guinéens n’ont jamais été si divisés. Ce ne serait même pas surprenant si une guerre civile ou un génocide s’y produit. Le « Camp Boiro » existe d’une certaine manière mais sous un autre aspect : chaque fois qu’il y a une manifestation, des gens sont tués par les lycaons du régime, beaucoup d’autres sont emprisonnés, sans oublier l’intimidation exercée contre les commerçants dont des hommes en tenue militaire vandalisent ou incendient les échoppes. On raconte que quand on annoncé la mort de Sékou Touré, beaucoup n’y avaient pas cru ; on peut leur donner raison à travers les actes que l’on voit aujourd’hui : il est toujours là , peut-être bien plus présent qu’autrefois !
3/ Avant l’avènement de la démocratie en 2010 qui a pu permettre à Alpha Condé de devenir le premier président démocratiquement élu, la Guinée avait jusque-là plus ou moins connu la « paix » et une certaine stabilité politique, même s’il y avait eu une régression des libertés individuelles, des dérives, des exécutions sommaires, pourquoi donc maintenant l’opposition ne respecte pas les règles du jeu ?
Amadou Oury Diallo : Si les Guinéens devaient faire un choix parmi ceux qui les ont dirigés jusque-là , Lansana Conté serait indubitablement choisi le meilleur président : l’économie n’était pas au top certes, mais il y avait la paix partout, on mangeait à sa faim…. J’ai vécu en Guinée sous son règne, mais je n’ai jamais éprouvé de crainte. Pourtant, j’ai toujours voté pour l’opposition, j’ai participé à des manif, mais jamais je n’ai été menacé. Aujourd’hui, c’est différent. Par le simple fait d’avoir un teint ou un nom de famille qui a eu une consonance ethnique, on est discriminé et menacé.
Le problème n’est pas l’opposition ; au contraire, l’opposition a toujours voulu que les élections législatives soient organisées ; elle s’est opposé au tripatouillage du fichier électoral et au marché pour le moins opaque passé entre le gouvernement et une entreprise sud-africaine. Elle manifeste d’ailleurs pour qu’il y ait un scrutin libre et transparent, mais Alpha Condé a la mémoire longue : sachant qu’il n’a aucune chance de remporter le scrutin s’il fait un franc jeu, il temporise et se complait dans une politique et une gestion caractérisées par l’impéritie et l’exclusion. Le problème de l’opposition est tout autre.
4/ A qui profite le chaos en Guinée ? Au président ou à l’opposition ?
Amadou Oury Diallo : Au président et à sa clique (ses proches, son parti, ses conseillers dont je signale que bon nombre sont des étrangers) puisque ce sont eux qui gouvernent et qui bénéficient des délices du pouvoir. Ce n’est certainement point l’opposition qui n’est pas au sein du gouvernement.
5/ Alpha Condé n’est-il pas pris en otage par l’armée, puisque ce sont les mêmes méthodes répressives qui perdurent ? Autrement dit, qui dirige en réalité la Guinée ?
Pas du tout ! Au contraire, quand Alpha est devenu président, qu’a-t-il fait ? Il a réorganisé l’armée dont il surveille les moindres faits et gestes, ses hommes ayant été nommés à tous les postes stratégiques parce qu’il sait que le peuple a beau rouspété, s’il a l’armée sous ses ordres, il ne craint rien. L’armée est bien sous sa mainmise si bien qu’elle forme une sorte de moutons de panurge. Les méthodes répressives sont l’oeuvre du Ministère de l’intérieur. C’est plutôt le peuple qui est pris en otage par ceux qui sont censés le mener vers le progrès.
6/ Est-ce que ceux qui se dressent aujourd’hui contre le régime qualifié d’ « autoritaire » et « ethnique » du président Alpha Condé savent-ils que l’époque des Messies est finie ? N’est-ce pas la déception qui les pousse à utiliser le prétexte de la fibre ethnique et le despotisme pour plonger davantage le pays dans la violence actuelle ?
Amadou Oury Diallo : Je ne pense pas que l’opposition soit motivée à plonger le pays dans le chaos à travers une instrumentation de la fibre ethnique. Cellou Dalin a accepté sa « défaite » pour éviter le chaos : la plupart des partisans de sa coalition était prête à descendre dans la rue pour refuser le résultat des élections. Mais son appel au calme a été entendu. Aujourd’hui, au sein de l’opposition, il y a aussi des membres de la coalition qui avaient soutenu Alpha Condé. Si vraiment l’opposition voulait plonger le pays dans le chaos, elle l’aurait fait puisqu’elle en avait eu l’occasion.
L’époque des Messies est révolue, c’est vrai pour certains coins du monde, mais dans d’autres non, car on continue à gouverner, je dirais à régenter, comme il y a 30 ou 40 ans. Le monde évolue mais pas au même rythme : certains pays sont au 21e siècle tandis que beaucoup d’autres croulent sous des cieux obscurs que l’on daterait de l’avant l’époque moderne.
7/ Qu’est-ce qui explique selon vous le mutisme de la Communauté internationale, face à cette répression aveugle qui a déjà fait beaucoup de victimes ?
Dame, tu connais bien la Communauté internationale ! Qui est la Communauté internationale ? Du moment que quelqu’un d’accommodant est là , du moment les intérêts des grandes puissances sont sauvegardés, voire promus, tout va bien même si la population vit l’enfer. Les auteurs des massacres du 28 septembre restent impunis ; on continue à en perpétrer d’autres d’ailleurs et ce au vu et au su de tout le monde. On a vu que le plus souvent la Communauté internationale joue le rôle des pompiers : c’est après coup qu’ils arrivent.
8/ Que pensez-vous de la polémique sur la Une de "Jeune Afrique’ (« Les peuls, enquête sur une identité remarquable »), compte tenu du fait que d’aucuns y voient l’idée de xénophobie et d’ethnocentrisme ?
Amadou Oury Diallo : Je suis contre tout ce qui est susceptible de diviser, d’éveiller ou d’attiser la haine. La fameuse enquête sur les Peuls est très mauvaise : un fourre-tout indigne d’un journal sérieux. C’est étonnant qu’un hebdomadaire qui se dit la voix de l’Afrique et qui, de surcroît, se qualifie d’ « intelligent » produise une pareille enquête bâclée et non réfléchie. Cette enquête est comme ces oiseaux de mauvais augures : d’ailleurs il est intéressant de remarquer que la même semaine où Jeune Afrique a sorti son magazine, il y avait des manifestations en Guinée, pays où il y a le plus grand nombre de Peuls et où les tensions ethniques sont très exacerbées. Le journal prétend que les Peuls ont une « identité remarquable ». Fallait-il le dire ? Et par rapport à quel autre groupe ethnique sont-ils remarquables ? Moi, je suis peul d’Adam et d’Eve si on peut dire, mais je sais qu’il y a de très belles identités en Afrique autres que la mienne. J’aime ce que je suis, et j’admire toujours l’autre. Sans le « tu » ou le « il, elle », « je » ne saurais exister. D’ailleurs, l’existence de l’autre m’est salutaire pour prendre conscience de beaucoup de choses, y compris de moi-même. Que ces folliculaires en mal de publicité cherchent d’autres moyens pour vendre leur papier !
9/ Quel est l’avenir de la Guinée ? Etes-vous pessimiste ou optimiste par rapport à l’ancrage de la démocratie, à la situation économique, et surtout à la résolution du problème ethnique ?
Amadou Oury Diallo : Je suis inquiet mais pas pessimiste. La situation du pays me meurtrit, les nouvelles ne sont pas rassurantes, loin de là ! Le véritable problème de la Guinée ce n’est pas tant les ethnies que l’homme, ce n’est pas tant les Peuls, ni les Malinkés, encore moins les autres ; c’est un problème d’homme, de dirigeant, de politique : jusque-là , les messies qu’attend tant le peuple se sont tous révélés pires que le démon. Il nous faut un homme magnanime capable de transcender son propre égo rouillé comme celui de tous les Guinéens par un demi-siècle d’histoire remplie de rancoeur, de haine, etc. Un homme capable de voir plus loin que le bout de son nez, qui prendra tout le monde comme des Guinéens avant et par-dessus tout. Les ethnies ont toujours cohabité ensemble dans la paix, ce sont les politiciens qui en ont fait un problème. L’histoire nous a légué de bons exemples : au temps des empires, les Almâmys du Foûta-Djalon entretenaient d’excellentes relations avec leur voisin Sâmory Toûré qui porta le titre d’Almâmy en honneur à ses maîtres de Timbo ; lorsque l’empire peul fut secoué par la rébellion dite des « Houbbous », ce sont les troupes sâmoriennes qui sont venues au secours du roi du Foûta de l’époque, et quand Sâmory fut coupé des comptoirs de la côte atlantique, où il s’approvisionnait en armes, c’est le Foûta qui allait les lui chercher. Aujourd’hui encore, il y a des quartiers peuls dans les régions mandingues qui portent des noms comme Labé, Timbo, etc. Qui peut compter le nombre de Malinkés qui ont du sang peul et vice versa ? Mais l’histoire nous a appris que ce genre de lien ne suffit si la politique politicienne s’en mêle. « Il n’y a pas de petite querelle » disait le sage Hampâté Ba ; les petites mésententes, les rancoeurs cumulées s’agrègent et finissent par exploser un jour. Les exemples sont nombreux : l’esclavage, le génocide rwandais, la shoa… toute cette tragédie humaine est le produit de la politique.
Je crois qu’une prise de conscience s’impose à tout le monde, plus particulièrement au Président de la République qui est le premier responsable de la Nation. On ne doit pas confondre les moyens et la fin, même s’il arrive que celle-ci soit justifiée par ceux-là . Dans la course au pouvoir, il arrive qu’on emprunte des subterfuges plus ou moins malhonnêtes, mais en est-on vraiment condamné à s’en servir pour régner surtout si l’on veut laisser une bonne trace dans la postérité ? Alpha Condé est aujourd’hui président, c’est le poste suprême. Il ne pourra plus occuper un autre plus élevé en Guinée. S’est-il posé la question du souvenir qu’il veut qu’on garde de lui ? Etant à la dernière tranche de sa vie, il devrait avoir une autre attitude, mais là c’est une affaire de conscience (morale) !
Je ne puis pas dire l’avenir de la Guinée, mais je peux dire que nous sommes condamnés à l’entente : c’est la seule chose qui nous sera profitable à tous. C’est pour cela que l’engagement reste de mise et s’impose à tous !
Propos recueillis par Dr Dame DIOP, Lirces (Laboratoire Interdisciplinaire, récits, Cultures & Sociétés), université Nice Sophia-Antipolis
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