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En finir avec la gratuité, par Jean-Pierre Berlan.





Mars 2006.


En rédigeant une lettre à mon député sur la coexistence entre chimères
génétiques et cultures ordinaires (que le Parlement va discuter), je me
suis rendu compte que nous sommes confrontés à une offensive
soigneusement coordonnée de l’Etat, des transnationales des
nécrotechnologies, et bien entendu, de la Commission. Il n’y a guère de
doute que cette offensive ne concerne pas seulement la France et qu’elle
est planétaire.

Cette offensive dont la dernière manifestation est l’envoi d’huissiers
au domicile de Gilles Lemaire (et certainement à celui des autres
faucheurs volontaires), vise à disperser les opposants aux nécro sur une
série de fronts (étiquetage et taux de contamination tolérable ;
coexistence avec ses différents leurres comme les distances devant
séparer les cultures, le taux de pollution génétique admissibles pour
les semences (comme par hasard sort une étude Inra/Union Européenne qui
montre que la coexistence peut-être aisément organisée !) ,
l’indemnisation des victimes des contaminations, la transparence et
l’information du public ; les controverses interminables sur les
risques, comme si dans un domaine où la science est ignorance, il
fallait s’en remettre aux opinions de scientifiques sous influence et
comme s’il s’agissait d’une question de « sound science » comme le
voudrait le gouvernement US ; les procès à répétition, les poursuites
des faucheurs, les amendes à la Conf’ ; la campagne de publicité pour
les agrotoxiques, etc).

Pendant que nous nous dispersons et nous épuisons sur des questions
importantes mais périphériques, le complexe génético industriel avance
en catimini
son projet central mortifère de confiscation du vivant.

L’office européen du brevet a accordé le brevet Terminator (octobre
2005) dans l’indifférence générale, les entreprises qui avaient
prétendu abandonner cette technique si prometteuse y travaillent
maintenant officiellement d’arrache-pied (j’avais écrit un article en
2000 « Terminator ne mourra jamais ! » pour expliquer que jamais les
entreprises de nécro technologies ne renonceraient à cette arme décisive
contre la vie), l’Assemblée Nationale conduite par le poisson pilote PS
des nécro-technologies, le député Le Déaut, a transposé la directive
européenne de brevetabilité des soi disant « inventions
biotechnologiques » (décembre 2004) et s’apprête après le Sénat (où
sévit une autre créature du complexe génético-industriel, le sénateur
Bizet) à ratifier la nouvelles version (1991) de la Convention de
l’Upov, qui crée le privilège sur la reproduction des êtres vivants
pour les fabricants d’agrotoxiques. ( Le moratoire sur Terminator est maintenu !, 24 mars 2006 - Ndlr.)

Ne nous y trompons pas. Le dispositif état/industriels des sciences de la
mort pour mettre fin à la gratuité de la vie est un tournant de
civilisation
avec, au bout, des catastrophes inouïes. Et cette guerre à 
la gratuité du vivant fait partie d’un processus plus général et
dément, celui de la disparition progressive de tous les espaces de
gratuité, ceux qui ne sont pas régis par la marchandise, par la création
de privilèges aux dépens des peuples et des générations à venir. Là est
fondement du projet néo-libéral - exactement à l’opposé du libéralisme
économique.

En tout cas voici le texte que j’ai écrit et diffusé sur Internet. Le
journal de la Conf’ souhaite le publier et je lui ai donné mon accord.
D’autres journaux le publieront, je l’espère.

Vous pouvez le diffuser librement et le publier ou le faire publier, le
piller en le citant ou pas.

Il est libre !

Jean-Pierre Berlan
Directeur de Recherche Inra


En finir avec la gratuité !


En 1845, le lobby des Fabricants de Chandelles, Bougies, Lampes,
Chandeliers, Réverbères, Mouchettes, Éteignoirs, et des Producteurs de
Suif, Huile, Résine, Alcool, et généralement de tout ce qui concerne
l’Éclairage avaient pétitionné les députés dans les termes suivants :

«  Nous subissons l’intolérable concurrence d’un rival étranger placé,
à ce qu’il paraît, dans des conditions tellement supérieures aux
nôtres, pour la production de la lumière, qu’il en inonde notre marché
national à un prix fabuleusement réduit ; car, aussitôt qu’il se montre,
notre vente cesse, tous les consommateurs s’adressent à lui, et une
branche d’industrie française, dont les ramifications sont
innombrables, est tout à coup frappée de la stagnation la plus complète.
Ce rival, qui n’est autre que le soleil, nous fait une guerre (si)
acharnée.

Nous demandons qu’il vous plaise de faire une loi qui ordonne la
fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets,
rideaux, vasistas, oeils-de-bouf, stores, en un mot, de toutes
ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du
soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles
industries dont nous nous flattons d’avoir doté le pays, qui ne saurait
sans ingratitude nous abandonner aujourd’hui à une lutte si inégale.

Et d’abord, si vous fermez, autant que possible tout accès à la
lumière naturelle, si vous créez ainsi le besoin de lumière
artificielle, quelle est en France l’industrie qui, de proche en
proche, ne sera pas encouragée ? »

Le lecteur aura reconnu des extraits du pamphlet célèbre de Frédéric
Bastiat, qui ferraillait contre les protectionnistes de son temps. Ce
libéral conséquent avait pressenti le principe économique néo-libéral
d’une croissance illimitée, quelqu’en soit le coût : toute activité
gratuite, parce qu’elle lèse le secteur marchand correspondant, devra
être soit interdite soit taxée à son profit.

Les êtres vivants commettent un crime impardonnable : ils se reproduisent
et se multiplient gratuitement. Certains en éprouvent même du plaisir.

Depuis plus de deux siècles, notre société livre à cette gratuité une
guerre longtemps secrète dont la dernière bataille est en cours.

Depuis 1961, l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV)
signée par les six pays fondateurs du Marché commun, protège les
sélectionneurs du pillage de leurs « variétés » (de blé, d’orge, etc.)
par leurs concurrents. En interdisant à un semencier de vendre sous son
nom une « variété » pillée, cette convention moralise le marché des
semences et protège l’obtenteur (le créateur) d’une nouvelle « variété
 ». Précisons : ce que l’on appelle « variété » (« le caractère de ce qui
est varié, diversité ») en est précisément le contraire puisque
constitué de copies identiques d’un modèle (ou génotype) unique de
plante. C’est donc un clone. Homogène et Stable, un clone conserve ses
caractères individuels d’une génération à la suivante dans le cas des
plantes « autogames ». L’agriculteur peut donc semer librement le grain
qu’il récolte, et l’UPOV n’entrave nullement cette liberté. De plus,
tout clone reste une ressource génétique disponible pour poursuivre le
travail de sélection.

La version originale de l’UPOV satisfaisait les sélectionneurs de
l’époque, de grands agronomes agriculteurs passionnés par la plante et
travaillant avec les généticiens/sélectionneurs de l’Inra. Ce système
fonctionnait, en dépit de sa lourdeur administrative. L’Inra pouvait
faire respecter ce qu’il jugeait être l’intérêt public. Mais maintenant
qu’un cartel de fabricants d’agrotoxiques contrôle les semences, l’Inra
ne pèse pas lourd. De plus, les gouvernements successifs ont mis
directement les chercheurs au service de transnationales qui n’entendent
pas se contenter des profits, somme toute modestes, que la redevance
UPOV et la réglementation administrative offre aux
agronomes-sélectionneurs. Le cartel exige maintenant d’en finir avec
cette injustice de la reproduction gratuite des êtres vivants d’autant
plus vite qu’il se heurte à une résistance populaire mondiale. Son but
est de les stériliser par un moyen quelconque, administratif,
réglementaire, biologique, ou légal.

En 2001, le gouvernement Jospin a pris une mesure inédite de lutte contre
la gratuité de la nature, la « Cotisation Volontaire Obligatoire »
(George Orwell aurait aimé cette expression) pour les semences de blé
tendre. Que l’agriculteur sème le grain qu’il récolte ou qu’il achète
des semences, il doit payer une redevance à l’obtenteur ! Ce dispositif
sera étendu à d’autres espèces. Une commission estimera le prix de cette
marchandise nouvelle, le « droit à semer ». Comment, puisqu’il y a
pléthore et donc pas de marché ? Pourquoi pas un « droit à respirer » ?

On ne pourra même plus dire comme Mme du Deffants au temps de Louis XV :
« On taxe tout, hormis l’air que nous respirons ».

On connaît la technique emblématique des industriels des « sciences de la
vie », Terminator, la production de semences transgéniques dont la
descendance est stérile - le triomphe de la loi du profit sur la loi de
la vie. En 1998, Terminator avait soulevé une vague d’indignation telle
que Monsanto avait dû annoncer qu’il abandonnait cette technique de
stérilisation. En octobre 2005, l’Office Européen du Brevet a accordé
le brevet Terminator dans l’indifférence. Monsanto et ses
concurrents/alliés travaillent d’arrache-pied à cette méthode jamais
abandonnée - c’est l’arme absolu contre la Vie - qui cible en priorité
les paysans du Tiers-Monde
- pour les soulager de la faim, nous
affirment le cartel et ses affidés.

En novembre 2004, l’Assemblée Nationale unanime (sauf le groupe
communiste) avait transposé la Directive Européenne 98/44 de soi disant
« brevetabilité des inventions biotechnologiques ». Tout ce qui
transgénique est brevetable (article 4), ce qui, comme le montre
l’exemple nord-américain mettra fin à la pratique fondatrice de
l’agriculture
, semer le grain récolté. Les gènes eux-mêmes sont
brevetables. Une « variété » (en réalité : un clone) transgénique ne
peut donc être une ressource génétique pour poursuivre le travail de
sélection. Il est piquant que les communistes défendent maintenant les
valeurs libérales - et significatif qu’ils soient seuls à le faire.

La version 1991 du traité de l’UPOV confère à l’obtenteur le « droit
exclusif de produire, reproduire, conditionner au fins de la
reproduction ou de la multiplication, offrir à la vente sous toute autre
forme, exporter, importer, détenir à une des fins ci-dessus mentionnées
du matériel de reproduction et de multiplication de la variété protégée.
 » Semer le grain récolté n’est possible que par dérogation accordée par
le Conseil d’Etat. On voit la cohérence de ces mesures successives.

L’Assemblée Nationale discutera prochainement de la ratification de
l’UPOV 1991 adoptée le 23 février par le Sénat. L’Union Européenne, le
lobby des agrotoxiques et le gouvernement font passer pour une opération
de routine technique la stérilisation légale et gratuite du vivant au
profit d’un cartel de fabricants d’agrotoxiques exemptés ainsi dans les
pays industriels des coûts de la mise au point de techniques biologiques
aléatoires de stérilisation comme Terminator ou les Gurts - les méthodes
de restriction de l’utilisation des gènes, la fabrication non pas de
plantes stériles mais des plantes handicapées.

En somme, le gouvernement demande au législateur de créer un privilège
sur la reproduction des êtres vivants. Contre l’intérêt public. Contre
celui des agriculteurs Au profit de producteurs de poisons. Au nom du
libéralisme !

Un privilège incite ceux qu’il lèse à tricher. La prochaine étape sera
donc de créer une police génétique pour le faire respecter. En Amérique
du Nord, Monsanto engage des entreprises de détectives privés pour
débusquer les éventuels "pirates" et offre aux agriculteurs qui
voudraient dénoncer leurs voisins une ligne téléphonique gratuite (!).

En Europe, la police génétique sera-t-elle privée ou publique ? C’est le
choix que la Commission Européenne et le gouvernement imposeront au
législateur. Est-ce un choix honorable ?

Dans le même temps, la création d’un catalogue alternatif pour les
variétés paysannes dites « de conservation » qui les protégerait de
l’expropriation par le cartel, est au point mort.

Dernière pierre du dispositif gouvernemental, le projet de loi sur la
coexistence entre clones chimériques brevetés et clones traditionnels
organise la pollution génétique. Il s’agit de créer le fait accompli en
accélérant encore la destruction déjà catastrophique de la biodiversité.

Il s’agit d’euthanasier l’agriculture biologique dont le seul tort est
d’utiliser la gratuité de la Nature plutôt que des pétro-intrants
marchands ruineux pour les humains, les sols, l’eau, bref, notre milieu
de vie, au moment même où se ferme la parenthèse d’une pétro-agriculture
industrielle condamnée car relevant de la thermodynamique du XIXè siècle
 !
Une société totalitaire de délation est en gestation. De vote en vote, de
règlement en règlement, de mesure en mesure, insensiblement, le
législateur est aspiré dans une spirale funeste et détestable dont il ne
voudrait à aucun prix si la propagande du cartel des chandelles
transgénique ne le trompait pas.

Mesdames et Messieurs les Députés, ouvrez les yeux ! Nos libertés sont en
danger. Ne confiez pas l’avenir biologique de nos enfants et de notre
planète aux fabricants d’agrotoxiques !

Jean-Pierre Berlan, Directeur de Recherche à l’Inra.


- Source : ATTAC Info n° 546 du mercredi 29 mars 2006.
http://attac.org


[ 8 avril 2006 - Journée internationale d’opposition aux OGM http://altercampagne.free.fr.]

Le rejet des semences Terminator : une victoire pour les peuples. Le moratoire sur Terminator est maintenu !


Sur le site de la Confédération Paysanne : Contre les OGM, la lutte continue.

Contre-information importante sur OGM médicamenteux après le reportage de France 2 mettant en scène un enfant atteint de mucoviscidose face aux faucheurs.


Grippe aviaire : l’industrie avicole mondiale est à l’origine de la crise, par Grain.

« Kyoto mon amour », par Daniel Tanuro.


Pourquoi il n’y a plus de gorilles dans le Grésivaudan. Le téléphone portable, gadget de destruction massive, par PMO.











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