Election présidentielle au Chili : une campagne à rebondissements.


L’élection présidentielle de décembre 2005 semblait devoir se dessiner sur le même modèle, ou à peu près, que celle de 2000, qui avait vu la victoire de l’actuel président, Ricardo Lagos : d’un coté, une coalition de droite, l’Alliance pour le Chili, formée de l’Union Démocatique Indépendante (UDI) et de Rénovation Nationale (RN), et de l’autre, une coalition de gauche libérale, la Concertation, regroupant la Démocratie Chrétienne (DC), le Parti Pour la Démocratie (PPD) du président sortant, le Parti Socialiste (PS) et le petit Parti Radical Social-Démocrate (PRSD). Le candidat naturel de l’Alliance, que personne ne contestait il y a quelques mois, était Joaquà­n Lavà­n, battu en 2000, ancien maire de Santiago-centre et qui, en fait, n’a jamais cessé d’être candidat depuis 5 ans. Le candidat, ou plutôt la candidate, de la Concertation devait être déterminée lors d’une primaire en juillet. A noter, à ce propos, la curiosité de ces primaires. Il ne s’agit pas d’un vote interne aux militants puisque tout électeur qui n’est pas inscrit à un parti de l’opposition peut y participer, ce qui peut permettre aux électeurs de droite d’influer sur le choix du candidat de gauche... Cette primaire devait donc opposer Michelle Bachelet (PS), ancienne ministre de la Santé, puis de la Défense, et Soledad Alvear (DC), ancienne ministre des Affaires Étrangères. Dans tous les cas, la candidate de la Concertation aurait été alors élue au premier tour, très nettement pour Bachelet, un peu moins pour Alvear. Entre autres curiosités électorales, on peut aussi noter que les chiliens résidant à l’étranger ne peuvent pas voter alors que les étrangers possédant la résidence définitive au Chili depuis au moins cinq ans le peuvent.

Premier coup de théatre : en mai, Sebastián Piñera (RN) annonce sa candidature. Lavà­n lui propose une primaire qu’il refuse. D’entrée, Piñera est crédité de quelques 18% d’intentions de vote contre 23% pour Lavà­n. Sebastián Piñera est un homme d’affaires à succés (il vient d’acheter une chaine de télévision, ce qui pourrait lui être très utile pour la campagne), pragmatique, excellent orateur et sachant séduire. En face, Joaquà­n Lavà­n fait souvent figure de petit roquet populiste et sans grande envergure. Son éternelle candidature l’a desservi et il n’a pas vraiment convaincu à la mairie de Santiago-centre, où ses décisions ont été assez souvent contestées. Ils sont aujourd’hui donnés au coude à coude dans les sondages avec toujours un léger avantage pour Lavà­n, 20 contre 19 %. Un autre désavantage pour Lavà­n est aussi sa trop grande proximité avec Pinochet, même s’il s’est déclaré déçu par l’ancien dictateur pour ses 125 comptes à l’étranger et ses quelques 15 millions de dollars à son profit et à celui de membres de sa famille.

Deuxième coup de théatre : une semaine après la déclaration de candidature de Piñera, Soledad Alvear annonce son retrait et laisse le champ libre à Michelle Bachelet. Michelle Bachelet était alors donnée très largement gagnante, y compris au deuxième tour, contre Joaquà­n Lavà­n, à 60 contre 40 %. Sans doute, y a-t-il aussi derrière, des accords tacites pour des portefeuilles ministériels.

L’entrée en scène de Sebastián Piñera n’est pas sans conséquences car la RN a très largement pris ses distances avec Pinochet et se situe aujourd’hui sur l’échiquier politique comme un parti de droite libérale modérée. Il est donc possible que des voix de l’aile droite de la DC ne se portent pas sur Bachelet mais sur lui. Un autre avantage pour Piñera est, qu’en cas de deuxième tour, ce qui est aujourd’hui pratiquement certain dans cette configuration, sa défaite devant Bachelet serait beaucoup plus serrée que celle de Lavà­n. Il se peut donc que des électeurs de l’UDI votent « utile » au premier tour. Fille d’un général opposé au coup d’État et assassiné par ses pairs au début de la dictature, la notoriété de Bachelet est cependant importante, notamment pour ses excellentes relations avec l’Armée et son actuel Commandant en Chef, le Général Juan Emilio Cheyre. Elle jouit du soutien inconditionnel du président Lagos qui, lui même fervent opposant à Pinochet, bénéficie de 60 % d’opinions favorables. En fin de mandat, c’est assez remarquable. Par contre, on reproche quelquefois à Bachelet son manque de charisme. Les coups-bas ne sont pas non plus exempts de la campagne puisque revient régulièrement sur le tapis sa relation présumée entre 1985 et 1987 avec un des dirigeants du Front Patriotique Manuel Rodriguez (FPMR), mouvement qui avait attenté contre la vie de Pinochet et qui l’avait d’ailleurs raté de peu.

Un écueil vient aussi de se faire jour dans la Concertation : la DC demande une sur-représentation parlementaire (les élections législatives et sénatoriales ont aussi lieu en décembre) au détriment de ses alliés, ce qui, bien évidemment, provoque des frictions.

En fait, derrière tous ces avatars, se tourne véritablement une page de l’histoire du Chili. Le retour à la démocratie en 1990 a donné naissance à ces deux blocs droite-gauche. Or, les nombreuses révélations d’atteintes aux Droits de l’Homme sous la dictature et les détournements de fonds de Pinochet font qu’aujourd’hui, aucun chilien ne peut se voiler la face et dire « ce n’est pas vrai ». Le clivage pro et anti-Pinochet est lentement en train de disparaître et le vieux dictateur malade - surtout quand il reçoit une convocation chez un juge d’instruction- ne fait plus figure, pour certains, de « sauveur » contre le marxisme, mais simplement d’un piètre barbare qui a profité du pouvoir pour s’enrichir. Il est fort possible qu’il ne soit jamais jugé et qu’il meure tranquillement dans son lit, mais son image s’est considérablement ternie aux yeux de ceux qui, il y a encore peu, étaient ses plus fidèles défenseurs. Ce n’est donc que 15 ans après son éviction du pouvoir que le Chili retrouve cette maturité démocratique qui en faisait un exemple pour toute l’Amérique Latine.

Il est donc fort possible que, dans les années qui viennent, s’effectue une autre recomposition politique où l’on pourrait assister à une nouvelle alliance DC-RN, marginalisant ainsi l’UDI et fragilisant ce qui resterait de la Concertation. Il est toutefois très peu probable que celà se fasse dans l’immédiat, mais il n’en sera peut-être pas de même pour la présidentielle de 2010, et Michelle Bachelet devrait logiquement se convertir en décembre en la première Présidente de la République Chilienne.

Notons également la présence d’un quatrième candidat à l’élection, Tomás Hirsch de la coalition « Juntos Podemos (Ensemble nous Pouvons) qui regroupe son propre parti, le Parti Humaniste (PH), le Parti Communiste (PC), le Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) et d’autres petites formations d’extrême-gauche. Il espère atteindre 10% des voix mais il est beaucoup plus probable qu’il fasse moins de 5%. Il est en fait le seul candidat anti-libéral et reprend le flambeau laissé par la regrettée Gladys Marà­n (PC), figure emblématique de la vie politique chilienne, farouche opposante à Pinochet, décédée en mars dernier d’une tumeur cérébrale et à qui ces quelques lignes sont dédiées.


Bolivie, 18 décembre : Evo Morales premier Président Indien ? L’Amérique Latine dit "No mas", par Jason Miller, 8 décembre 2005.



COMMENTAIRES  

31/07/2005 15:27 par uclides

monsieur, les elections presidentielle au chili ce font dans des conditions de une democratie protege, sur le contexte de la constitution de 1980 cree pendant la dictature de pinochet, que à mise en plaçe un sisteme binominal, une legislation social du travail que empeche les organisations des travailleurs à exercer c’est droits les plus elementales (la journee legal de travail au chili est fixe a 45 heures semaine ) nul dirigeant faisant partie de quelconte org. de travailleurs ne peut se porter candidat a un poste politique, les tribunaux militaires continuent à juger des civils dans certains matieres, la loi d’ammistie qu’empeche de juger les violations des DDHH et des crimes contre l’humanite, est toujours d’acutalite au chili.

05/08/2005 01:53 par J. M. Hureau

Oui, le contexte actuel est la constitution de 1980 de Pinochet. Oui, le système est binominal. Oui, la durée hebdomadaire de travail est de 45 heures. Oui, il y a encore beaucoup à faire.

Mais vous n’êtes sans doute pas sans savoir que :

1) Il n’y aura plus désormais de sénateurs nommés selon la Constitution de 80, ce qui en permet une révision puisqu’il faut l’accord des deux chambres et que le Sénat pourrait avoir en 2006 une majorité de gauche, certes libérale, mais au moins opposée à la droite pinochetiste.

2) On peut contester le système binominal mais il assure néanmoins une certaine stabilité politique.

3) La durée hebdomadaire de travail a été réduite de 48 à 45 heures il y a un an sous la présidence de Ricardo Lagos.

Par contre, il est faux que des tribunaux militaires continuent à juger des civils, il est faux qu’on ne juge pas les violations aux Droits de l’Homme, même si, il est vrai, le temps est compté.

Je pense qu’il faudrait vous mettre à jour.

Cordialement

JMH

17/10/2005 13:33 par edouard

Bonjour,

je suis tout à fait d’accord avec votre dernière phrase. Le Chili est un pays qui, depuis le retour à la démocratie,a énormément changé et, qui plus est, très rapidement. Je suis souvent déçu par le diagnostic de certains qui nous disent que peu de choses ont changées depuis la dictature. Certes il reste beaucoup à faire mais on doit reconnaitre à sa juste valeur le travail accompli par La Concertation depuis 1990. Cependant j’ai parfois l’impression que certains ne veulent pas voir la réalité et préfèrent caricaturer la situation afin de la simplifier et d’assimiler libéralisme économique (ou néo-libéralisme ou ultra-libéralisme le mot libéralisme signifiant bien d’autres choses il me semble) et fascisme .... ce serait aller bien trop vite à mon goût.

08/12/2005 23:30 par Gilles

Très intéressant article. A mon avis vous avez en partie raison sur les changements apportés par les trois gouvernements de la concertation(+ de 15 ans tout de même) mais il ne faut pas se voiler la face : le pays est bien bloqué et tout changement (jusqu’à maintenant au moins) n’a pu se faire qu’avec l’accord du sénat ( et à l’intérieur du Sénat, du parti pinochettiste). Même si la réforme de la constitution voit disparaître les sénateurs désignés, le système binominal permet une parodie de démocratie où les partis désignent les sénateurs qui seront "validés" par l’élection. Les universités, les médias, les entreprises sont entre les mains des partisans de la droite, les collèges sont privés et ne permettent pas une mixité sociale des élèves, le système de retraite est privatisé et totalement injuste, les militaires conservent des "droits" qu’aucun autre pays ne pourrait justifier. La répartition du PIB (qui est important)est l’une des pires du monde, les syndicats n’ont pas droit à la parole, le salaire minimum est de 220 dollars. Le taux d’endettement des ménages est astronomique. Les rares normes de protection de l’environnement et du travail ne sont pas respectées, etc. Au point de vue des valeurs la (récente) loi sur le divorce est particulièrement "encadrée" , chaque avancée (sur la distribution du préservatif, la lutte contre le Sida,la pilule...) est accompagnée de reculs et de réactions très dures des médias et de l’église...
Par contre il est vrai que la pauvreté a reculé, des infrastructures ont été construites qui améliorent la qualité de vie (métro, autoroutes, centres commerciaux...), des efforts ont été fait pour les transports, la santé publique, le logement social, la réforme de la justice. Il y a aussi un peu plus de culture...
En fait, j’ai l’impression que comme il y a très peu d’impôts et qu’il est impossible de mettre en place une politique de redistribution des richesses, le gouvernement ne peut compter que sur les bénéfices des entreprises publiques (donc la surexploitation des mines) pour développer une politique sociale. Il ne peut donc agir qu’à la marge...

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