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DSKas d’école du baromètre politique

On reparle de la gauche dans ce pays. En ces temps minés par l’extrême-droite décomplexée, ses injures et ses méfaits, voilà un sondage apparemment réjouissant pour ceux qui se sentent encore membres de ce courant. Le sondage en question a pris une forme aujourd’hui commune : le baromètre. Il a été concocté par Viavoice, pour Libération. Viavoice, institut analogue à l’IFOP, en moins connu. Fondé par un ex de l’institut Louis Harris, il sort son « baromètre » chaque mois pour mesurer la « popularité ». Une notion pour le moins floue, si l’on songe que Charles Manson est plutôt populaire.

C’est facile de réjouir le peuple de gauche aujourd’hui. Entre les flics, Ruquier et les racistes on dirait que son univers a explosé comme un ballon à la fête foraine. Un ordinaire petit sondage suffit à son bonheur. Il vient opportunément lui rappeler que la France l’aime de nouveau et que Sarkozy c’est le placard. Nouveautés ébouriffantes s’il en est, préparant le scoop du baromètre : l’élu en 2012, c’est lui. Il n’en restera qu’un, DSK.

La candeur est un sentiment particulièrement émouvant qui m’émeut beaucoup, mais ne m’interdit nullement de regarder sous les jupes des filles, avec une légère circonspection voire une grosse suspicion.

Mais foin de petite culotte blanche et renflée chez Viavoice, comme on pouvait le redouter. Les phrases et les chiffres tristement déroulés dans le baromètre ne dévoilent qu’une insipide pelletée de questions et pourcentages à vocation fonctionnelle. Aucune vérité-en-soi, pas de corrélation lumineuse, pas un seul atôme de cette substantifique magie propre aux petites culottes. Ils sont au mieux des faire-valoir, ces pourcentages qui nous répètent ce que nous voyons et entendons gronder tous les jours un peu plus. Ils ne servent qu’à faire briller la question.terminale.

Qui sera candidat au présidentielle 2012 ? Qui sera la Gauche en 2012 ?

Le radio-crochet porte sur mille personnes, à qui on a montré 18 candidats avant de leur soumettre une interrogation un brin usée : « si tel candidat/telle équipe, était aux manettes aujourd’hui, est-ce qu’il/elle ferait moins pire ? ». Le sondeur n’en a en vérité pas grand-chose à faire de sa question pour chaîne sportive, du moment que cette ritournelle lui permet d’en venir bientôt au fait. Mais qui sera donc tête de gondole dans deux ans ?! Comme on le comprend, il ne reste plus que 22 mois avant les présidentielles et il faut bien s’occuper quand on est sondeur.

Le deus ex machina précise, dans une sorte de parenthèse au début du baromètre, qu’il a posé la question suivante : « De quel parti politique vous sentez-vous le plus proche ou le moins éloigné ? » en citant l’ensemble des partis depuis le FN jusqu’à LO.

J’avoue ne pas comprendre l’utilité de cette question précisée en annexe et n’apparaissant dans les questions "officielles" du baromètre. Le sondeur, admirablement sybillin, ne s’en explique pas.

J’aurais tendance à penser qu’il s’en servi pour corroborer les réponses nominatives, les réponses "personnalités". Il est nécessaire, tout de même, de savoir si une personne votant Marine le Pen pense être ainsi servir le PCF.

Quoiqu’il en soit, ce qui importe aux français et au sondeur en particulier, c’est évidemment de faire émerger le Kennedy 2012. Il dort au creux de chacun des mille votes. Vite, vite, dépouillons, barométrons !...

Y a pas photo. DSK prend la tête. Bon dieu mais c’est bien sûr, c’est toujours de lui qu’on parle en terme de « grande inconnue » de la course à la présidentielle !...En que « grande inconnue », soit arrivée en tête des « personnalités » est une totale suprise d’une logique imparable..

Voilà enfin un sondage qui conforme complètement l’opinion qu’ont les français de l’opinion des français que leur donne les médias.

Moi je suis complètement avec DSK, mais obligé de continuer à poser des mots sur la feuille. C’est contractuel, rien de personnel. C’est donc à titre purement accessoire et collatéral que je me permets de mentionner que le compte n’y est pas tout à fait. Pierre Laurent, nouveau dirigeant du PCF n’y est pas, justement, dans la liste. Les dirigeant(e)s du PT et de LO n’y sont pas non plus, Gollnisch pareil. Miquet-Marty (M.M.), patron de Viavoice définit ses "personnalités" comme des "leaders ". Il n’est pas question de candidats obligatoirement déclarés à la présidence de la République. Pourquoi donc ne pas inclure les absents ? Après tout, ce ne sont pas des Roms, à ma connaissance. Serait-ce seulement Médiamétrie qui fait l’envergure, la qualité de la représentation, la légitimité d’un élu politique ?

Dans son costume rassembleur et en chiffres ronds, M.M a également nettoyé tout le monde. Exit les mentions partidaires. Encore moins d’ajouts d’un qualificatif « gauche » ou « droite ». A sa décharge, certaines personnalités ont l’appartenance un tantinet indéterminée.

Quoiqu’il en soit nous sommes dans un amalgame idéologique qui oblitère le politique, sciemment. L’influence des coupures partisanes dans la désignation des « personnalités », sans parler de la structure bi-polaire de la représentation et de son empreinte persistante dans les esprits sont évacuées dans les limbes, dans l’ombre des projecteurs. Les notions plus fines de courants et tendances sont renvoyées à des années-lumière du paradigme « jetsetteur » sous-tendant ce baromètre. Sans parler de l’effet dissous de la chronologie, qui veut qu’à l’instant où est posé la question du présidentiable (quasiment deux ans avant l’élection), elle est parfatement théorique et reléguée par les ancrages politique légitimes du moment, les questions qui font parler à table et descendre dans la rue, ici et maintenant..

Nous avons en poignée de questions et une volée de pourcentages dessinant une vision du monde à la Voici. C’est l’individu dans une singularité apolitique qui est sous le projecteur du sondeur, au dépend des programmes et des collectifs naturellement, au dépend finalement des citoyens qu’il est censé informer, alors qu’il brouille les repères.

Deuxième effet idéologique, le baromètre devient l’arène d’une espèce de match où la compétence « pure » du nom, la popularité parfaite car parfaitement vide devrait faire la différence. L’élection du plus important représentant des citoyens sur Nintendo.

Construire ce type de sondage, y participer et en annoncer les résultats, c’est alimenter le pipôle. Evidemment le Figaro, le Monde et autres ont répété à qui mieux les résultats. Tout en sachant pertinemment qu’ils ne disent rien sur demain, sur les luttes et les hommes, la politique et la citoyenneté qui résistent toujours.

Ca ne peut que rien dire. Et non pas en fonction en fonction des voies de l’avenir par nature impénétrables. Viavoice exige des réponses « fermées », « oui » ou « non », à des questions si ouvertes qu’elles en sont indéfinies. Dans cette optique, Viavoice pourrait aussi bien demander « Vous êtes plus Aubry ou plus sushi, plutôt Besancenot ou plutôt chocolat ? ».

Le baromètre comme un instrument dépolitisant par abus de non-langage. Aucun critère n’étant proposé pour préciser « opinion » positive ou négative, il décourage, mieux, il interdit les appréciations politiques, vouées à disparaître si on programme suffisamment de reset périodiques.

Ce baromètre, comme d’autres, donne vraiment l’impression d’être l’ultime résultat de milliers d’expériences biaisées menées par des apprentis sociologues/statisticiens. Il pose pose de vagues questions qu’on attendrait d’une analyse qualitative. Par exemple, sur un tout autre sujet. « Jugez-vous positive ou négative la fermeture de l’usine Molex ? » Dans ce cas le sondeur/enquêteur cherche à obtenir des répondants qu’ils developpent et explicitent leur pensée, leurs choix et leurs non-choix.. Et il leur a naturellement donné un objet de réflexion concret. La fermeture ce sont des choses pratiques qu’ils ont vécu - si l’enquête porte sur les employés de l’usine - et des conséquences aussi pratiques ; mais également théoriques, directes et indirectes. Bref, il y a tout un matériau de connaissance et de vécu qui viennent nourrir, définir, valider le "positif" ou le "négatif", parce que on a posé une question qui donne un objet à la réponse, tout simplement. .

Le baromètre pose une question tout à fait désincarnée. Une question dont l’objet n’est pas défini, car pas vécu, peu ou pas connu, pas installé dans un réel citoyen, politique, par une décision concrète, un discours spécifique. les termes - positif, négatif - , de plus, ne pondèrent nullement la nature déjà indéfinie de l’objet et de l’opinion qu’a le répondant sur le candidat dont il ne sait pas, ou plutôt quoi évoquer, penser qui serait « positif » ou « négatif", sans parler de ce qui serait, ou pas politique.

A découvrir les résultats barométrés, on ne sait donc qui parle, ni sur qui et encore moins de quoi il s’agit réellement . Victor Hugo verrait sans doute là une moderne illustration de sa fameuse définition du monde.

Viavoice, à la suite du numéro « personnalités », propose un sondage dans le sondage, amené par quelques digressions sur la « gauche » et la « droite » devant l’emploi, la retraite, etc.

Sondage dans le sondage qui est la véritable culmination de ce baromètre. Là est donnée la hiérarchie qui compte, la hiérarchie que nous devons emmagasiner, celle de la présidentielle. Viavoice propose sept candidats, dont l’opportunité est la légitimité semblent plutôt auto-référentielles. Parmi les sept, seule Eva Joly s’est clairement déclarée pour la présidentielle, ce qui « force la main » des politiques et impose à l’esprit des répondants un univers de candidature tout à fait contingent. De plus, on ignore si la liste des sept a été concoctée par les répondants. Viavoice aurait pu, par exemple, leur proposer d’extraire septs noms de présidentiables de la listes des « positifs/négatifs ». Difficile, long...Plus sûrement, c’est l’institut lui-même qui a fait sa petite simulation des présidentielles. Si c’est le cas, nous sommes encore dans une projection tout à fait gratuite qui correspond aux attentes d’une « opinion publique » en forme de mirage.

Les commentaires de M. M. ne donnent aucune information là -dessus.

Pipolisation, propulsion d’un candidat au dépend des autres sur des bases pour le moins friables. Viavoice a fait le baromètre qu’elle souhaitait en enrôlant mille volontaires pour bâtir du rien avec pas grand-chose, mais faire passer le message.

Miquet-Marty, patron de Viavoice le voyait d’ailleurs très clairement, son message, quand il déclarait au Nouvel Observateur, début Juillet, que « « La gauche « antilibérale » (celle de Mélenchon et Besancenot pour aller vite) côtoie désormais une gauche « sociale-libérale » (proche de Strauss-Kahn). »La gauche, c’est une grande fraternité finalement, aux affrontements bien arasés.

Il ne faut pas s’étonner outre mesure de cette vision amalgamante de la gauche, Miquet-Marty étant affligé d’un syndrome sociologique spécifique : le fonctionnalisme en transat. La maladie apparaît clairement dans cette partie de l’interview : « le paysage s’est recomposé en cinq pôles. La gauche « antilibérale » (celle de Mélenchon et Besancenot pour aller vite) côtoie désormais une gauche « sociale-libérale » (proche de Strauss-Kahn), une gauche « interventionniste » (hier proche de Jospin, aujourd’hui d’Aubry), ainsi qu’une gauche morale « anticonsumériste » (celle que Ségolène Royal a tenté de conquérir) et enfin une gauche « antisystème et écologiste » (qui se reconnaît particulièrement en Daniel Cohn-Bendit)."

On le voit, M.M. n’a besoin pour comprendre que de quelques adjectifs - antilibéral, interventionniste, anticonsumériste..- et d’une bonne pelle à gâteau. Ainsi, sans perdre son sang-froid ou sa flute à champagne et sans laisser la gauche aller semer la zizanie dans tout l’appartement, on arrive à un produit différencié et étiqueté, prêt à être livré.LA gauche, LE candidat.

La meilleure recette pour avoir un bon baromètre Viavoice, ou autre, consiste donc, sans conteste à prendre un sondeur d’expérience, excité intellectuellement par son sujet et tout à fait certain du confort et de l’éminence de sa position pour ne pas douter une seconde de son regard éloigné. Notre Bocuse du baromètre mélangera tout et n’importe qui en écrasant soigneusement les grumeaux politiques au fond du wok, ou en les dissolvant dans une sauce rhétorique d’aspartame mélangée à du ketchup de synthèse. Saisir sur le feu à vif. Déposer devant le client. Sourire, bonjour, au-revoir, merci.

TAIMOIN

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Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

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