Discours du Caire du président Obama le 5 juin 2009 :
« Je suis venu chercher un nouveau commencement entre les Etats-Unis et les musulmans du monde entier, qui se fonde sur un intérêt et un respect mutuels ; qui se fonde sur le fait que l’Amérique et l’islam ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et ne sont pas voués à se faire concurrence. Au lieu de cela, ils se chevauchent et partagent des principes communs : justice et progrès ; tolérance et dignité de tous les êtres humains. »
Une interview d’Obama dans la revue The Atlantic donnant d’une certaine façon le testament du président, nous a offert l’occasion de donner à notre tour notre appréciation des deux mandats d’Obama. Voilà ce que nous écrivions à propos d’Obama qui succédait aux deux mandats désastreux de Bush : « Il semble que Barack Obama ait beaucoup de chances de devenir le prochain président des Etats-Unis. Son réel talent d´orateur lui a permis de venir à bout – jusqu´à présent – de toutes les intrigues et embûches sur le difficile itinéraire vers la Maison-Blanche. Souvenons-nous que le 4 juin 2008, Barack Obama avait déclaré que « Jérusalem resterait la capitale d´Israël et devrait rester indivisible ». Il a provoqué la colère des Palestiniens. Se présentant comme un « vrai ami » d´Israël, M. Obama s´est félicité des « liens indestructibles » entre les Etats-Unis et Israël. Il s´est rendu en 2007 devant l´Aipac où il a déclaré vouloir « préserver un engagement total pour la relation unique de défense qui lie les États-Unis à Israël « . Azmi Bishara, issu d´une famille chrétienne palestinienne, ancien député au Parlement israélien (Knesset), n´est pas tendre avec les Arabes. Pour lui, « le phénomène Obama est une nouveauté majeure dans la vie politique des Etats-Unis... Il est lisse. Il est très intelligent dans le choix de son ton. Il suscite l´admiration et il ne menace personne... Quant à l´individu Obama, il est parfaitement maîtrisé, au sein de ladite élite. En tant que personne, Obama n´a assurément rien de bien nouveau. C´est un homme politique ambitieux, un homme jeune qui a eu besoin d´une énorme quantité d´opportunisme, d´une épaisse carapace et de principes ultra-flexibles, pour arriver là où il est. Obama proclame donc sa foi chrétienne haut et fort à la moindre occasion. » (1) Lors de sa campagne pour son second mandat, Obama se démarque encore plus de la cause palestinienne. On l’aura compris, Obama ne veut pas compromettre la possibilité d’être réélu s’il se met à dos l’Aipac, beaucoup de sénateurs ont payé leur franchise par une élimination de la politique. Obama le 21 mai 2008 a enterré le projet des réfugiés et le statut de Jérusalem. En définitive, chacun sait qu’un Etat palestinien « viable » n’est depuis longtemps plus possible. Ce faisant, il est dénié le droit de vivre et de grandir sur moins de 20% de la Palestine originelle. S’agissant de l’élimination de Ben Laden, Obama en mai 2011 s’est distingué par un discours urbi et orbi : « Ce soir, je suis en mesure d’annoncer aux Américains et au monde que les Etats-Unis ont mené une opération qui a tué Oussama Ben Laden, le dirigeant d’Al-Qaïda, un terroriste responsable du meurtre de milliers d’innocents. (...) : justice est faite. » Cela nous rappelle la posture de Bush en mai 2003 sur le porte-avions pour annoncer la fin de la guerre en Irak ou encore celle de Paul Bremer le proconsul américain en Irak :« Nous l’avons eu » quand Saddam, aux abois, a été arrêté.
Que peut-on retenir d’autre des deux mandats ?
Que pourrions-nous encore retenir dans le même ordre ? Sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton a eu, sur CBS, les mêmes mots, sans compassion pour Mouammar Kadhafi, tué d’une façon abjecte. Elle déclare en direct en paraphrasant approximativement Jules César : « We came, we saw, he died » (« Nous sommes venus, nous avons vu, il mourut ! ») Hillary Clinton confirme à son insu la thèse d’une hyperpuissance étasunienne qui s’envisage comme le nouvel Empire romain. Justement, dans la tragédie libyenne Obama a beau jeu de charger Sarkozy : « Dans un entretien paru jeudi dans le magazine The Atlantic, le président des Etats-Unis critique ouvertement les dirigeants européens sur l’intervention militaire en Libye en 2011. « La Libye est plongée dans le chaos », constate le président. « Lorsque je me demande pourquoi cela a mal tourné, je réalise que j’étais convaincu que les Européens, étant donné la proximité de la Libye, seraient plus impliqués dans le suivi », affirme-t-il. Le président français Nicolas Sarkozy « voulait claironner ses succès dans la campagne aérienne alors que nous avions détruit toutes les défenses anti-aériennes », dit-il encore. » (2)
« Nous reviendrons l’année prochaine avec un accord qui amènera un nouvel Etat membre aux Nations unies, un Etat palestinien indépendant et souverain, qui vivra en paix avec Israël. » C’est par ces mots que le président Obama le 24 septembre 2010, à l’Assemblée générale des Nations unies avait pris date avec l’histoire. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et beaucoup de sang a coulé. Il y a eu Plomb durci, une colonisation accélérée et un enlisement quasi définitif de la cause palestinienne, Obama ayant compris qu’il ne pouvait rien faire face à l’intransigeance d’Israël et même son discours de juin 2009 qui a fondé beaucoup d’espoir est resté lettre morte.
Pour ce qui nous concerne, nous retenons la réforme de la sécurité sociale, « l’Obamacare » qui a permis à près de 40 millions d’Etasuniens de pouvoir se soigner. Comme le pense Anne Deysine, professeur de droit à l’université de Nanterre : « Dans son dernier message sur l’état de l’Union le 13 janvier Obama a lancé son discours sur une idée optimiste de progrès vers l’avenir. Il a parlé d’avancer, d’innover. Le président a ensuite identifié quatre priorités, des points vitaux pour les Etats-Unis. En premier lieu, donner à chacun des chances, avec une sécurité économique et sociale, donc en créant des emplois. Deuxièmement : mettre la technologie au service de l’innovation, pour les énergies alternatives par exemple. Ensuite vient la sécurité, avec la lutte contre le terrorisme. Il faudra assurer la sécurité des Américains, sans que le pays soit le gendarme du monde. Le quatrième point du discours a été l’un des regrets d’Obama : ne pas avoir réussi à changer cette atmosphère complètement polarisée, qui l’empêche d’avancer au Congrès et de faire adopter une réforme de l’immigration ou du port d’armes. Obama a déjà sauvé les Etats-Unis de la dépression. Le déficit est réduit, neuf-cent-mille emplois ont été créés, l’industrie automobile va bien. Quand il est arrivé au pouvoir, les maisons ne se vendaient plus, les gens étaient mis à la rue, il y avait des dizaines de milliers de chômeurs en plus chaque semaine. Le système bancaire a failli exploser, l’industrie automobile a failli être rayée de la carte. L’accord avec l’Iran est signé, malgré les critiques des républicains. Obama a réussi à retirer toutes les troupes d’Irak et d’Afghanistan, comme il s’y était engagé dans sa campagne électorale de 2008. En ce qui concerne Guantanamo, le président a jugé utile de se justifier, il reconnaît que cette promesse n’a pas été tenue »(3)
Pour ce qui est de l’ environnement, c’est un fait qu’Obama arrive graduellement à sortir du tout-fossile. En aidant à la mise en place d’une politique vigoureuse de développement du solaire et de l’éolien.Pour la première fois en 2015, les énergies renouvelables ont dépassé les énergies fossiles dans la génération d’électricité. Beaucoup d’emplois ont été créés.
Le mensuel étasunien The Atlantic a récemment publié, sous le titre « The Obama doctrine », un long article du journaliste Jeffrey Goldberg écrit à partir de dizaines de rencontres avec notamment le président : « Obama apparaît d’abord, comme un homme paradoxal, mélange de convictions humanistes et de froid pragmatisme. (...). Pour autant, cela ne modifie rien au précepte numéro un d’Obama : préserver la vie d’un seul de ses concitoyens prime sur tout autre considération. Il est donc un grand adepte des ’assassinats ciblés’’, menés à partir de drones depuis les États-Unis au Pakistan, en Afghanistan ou au Yémen, avec leur cortège de victimes ’collatérales’’. L’homme apparaît aussi très convaincu de sa supériorité intellectuelle, se montrant assez méprisant pour les dirigeants du monde, à part Angela Merkel pour laquelle il exprime un profond respect. Il doit ainsi résister aux pressions ’huntingtoniennes’’ (de type ’guerre des civilisations’’) de François Hollande et de David Cameron sur la question de ’l’islam radical’’, s’irrite-t-il. (...) Quant aux services étasuniens de renseignement, il a peu confiance en leur capacité à appréhender le Proche-Orient. Ainsi, note-t-il, le général Lloyd Austin, chef du Central Command (Centcom) qui y supervise les opérations étasuniennes, lui affirmait-il encore début 2014 que l’organisation de l’État islamique (OEI) n’avait qu’une ’importance marginale’’ en Syrie. Mais qui sait si Obama ne se défausse pas ainsi sur ses sources pour éviter les critiques ? » (4)
La remise en cause des chasses gardées
Obama n’hésite pas à remettre en cause, du moins intellectuellement, des dogmes durs de la diplomatie étasunienne. Leon Panetta, ex-patron de la Central Intelligence Agency (CIA) et secrétaire à la Défense, rapporte que le président s’est interrogé devant lui : pourquoi faudrait-il qu’Israël bénéficie dudit « avantage militaire qualitatif » qui lui donne un accès aux armes les plus sophistiquées auxquelles ses adversaires n’ont pas droit ? (...) Il a souvent montré « son irritation devant la doxa qui implique de traiter l’Arabie saoudite comme un allié » en toutes circonstances, écrit Goldberg. (...) Il a vu en Indonésie comment « dans les années 1990, des écoles coraniques massivement financées par des Saoudiens » ont commencé d’ébranler l’islam local très tolérant de son enfance. L’ex-patron du renseignement saoudien, le prince Turki Al-Fayçal, dans un article d’une rare agressivité verbale intitulé « M. Obama, nous ne sommes pas des ’resquilleurs’ » (un terme utilisé par le président pour évoquer les Saoudiens), allait d’ailleurs montrer combien la relation américano-saoudienne était désormais tendue. Entre les quatre grandes options de la diplomatie étasunienne moderne que sont l’isolationnisme, le réalisme, l’interventionnisme progressiste (et l’internationalisme – dans le sens étasunien du terme, c’est-à-dire agir par le biais des organisations internationales, Obama est plus proche des « réalistes » Il juge, écrit Goldberg, que « le multilatéralisme modère l’arrogance » qui pèse sur la politique internationale américaine. » (4)
Retour en arrière : si Obama a cru au début du soulèvement populaire en Syrie que Bachar Al-Assad tomberait vite, le débat sur la nécessité ou pas de s’investir directement dans le conflit en Syrie s’engage dès que la guerre s’enlise. Il oppose pro et anti-interventionnistes. Afin d’« envoyer un message à Assad », Kerry presse de bombarder des « sites névralgiques » militaires en Syrie (...) Hollande, note Goldberg, s’avèrera « l’Européen le plus enthousiaste en faveur d’une action militaire ». (...) À ses yeux, seule « une menace directe pour la sécurité nationale » étasunienne justifie en dernier recours une action armée. Or, il juge que la guerre en Syrie n’en constitue pas une. (...) Quant à l’intervention à Benghazi, en Libye, Obama, c’est clair, ne souhaitait pas s’y engager. Joe Biden et le ministre de la Défense d’alors, Robert Gates, non plus. Mais à la Maison Blanche, une coalition emmenée par Hillary Clinton a fortement poussé vers l’intervention. Obama a fini par s’y résoudre, Il dit aujourd’hui : ’ça n’a pas marché’’. (...) Sur l’OEI, justement, on constate une nette divergence entre lui et son secrétaire d’État John Kerry. Pour Obama, l’OEI est une menace directe, quoique ’pas existentielle’’ pour les États-Unis. ’Le changement climatique, ça oui, c’est une menace existentielle, et pour le monde entier’’, dit-il à Goldberg ».(4)
« Bref, Goldberg confirme ce que chacun a compris depuis un moment : pour Obama, le Proche-Orient est passé au second plan dans l’ordre des priorités stratégiques américaines, dont la première est d’abord en Asie (...) Depuis, « l’émergence de Daech a renforcé la conviction d’Obama que le Proche-Orient ne pourra être remis en ordre ni sous son mandat, ni dans la génération à venir ». Du discours du Caire à sa ligne politique en Syrie, un profond pessimisme en est venu à dominer la pensée stratégique du président vis-à-vis de la région. Pourquoi, s’interroge-t-il, les jeunes Asiatiques, malgré leurs régimes très corrompus et parfois l’immense pauvreté dans laquelle ils vivent, ’se projettent-ils dans un futur positif’’, alors que tant de jeunes Proche-Orientaux sont attirés par des démons destructeurs ? (...) Pourquoi Obama a-t-il accepté ces nombreuses et longues conversations avec Jeffrey Goldberg (...) Vraisemblablement parce qu’Obama éprouve le besoin de se justifier et qu’il avait plus besoin, pour ce faire, d’un adversaire empathique que d’un adorateur acquis – ce qui lui ressemble. Sans doute, aussi, pour préparer sa sortie dans dix mois, et son testament politique. Car désormais, la plus grande probabilité qui se profile, c’est une accession d’Hillary Clinton à la Maison-Blanche. (...) Hillary Clinton, qui a soutenu l’invasion de l’Irak en 2003, celle en Libye en 2011 et un bombardement de la Syrie en 2013, serait accueillie avec grand espoir du côté des monarchies du Golfe, l’Arabie saoudite en premier lieu. Et aussi, ce qui n’est plus un paradoxe depuis longtemps, par Israël. » (4)
« Barack Obama doit faire face, écrit Sylvain Cypel, à de nombreuses pressions internes pour fermer son pays aux migrants venus du Proche-Orient et pour y envoyer des troupes au sol. Il refuse de se laisser entraîner sur ce terrain. (...) Dans cette atmosphère délétère, Barack Obama apparaît bien seul. (...) Enfin, alors que l’islamophobie n’était jusqu’ici qu’un thème récurrent, mais relativement marginal aux États-Unis, on sent poindre un nouveau prurit en ce sens, alimenté par les Éric Zemmour et les Robert Ménard médiatiques locaux. Obama, lui, semble résister aux vents contraires. Il reste hostile à l’envoi de troupes régulières sur le terrain en Syrie (...) Reste que, dans le concert des propos délirants tenus quotidiennement par des élus républicains et face au comportement de François Hollande et Manuel Valls à la remorque des propositions de la droite, son discours apparaît comme un rappel rafraîchissant de ce que le respect de la dignité humaine implique. » (5)
Ni Obama ni Bush ne sont pas maîtres de leurs pensées, de leurs idées, de leurs décisions. Cependant, Barack Obama a tenté d’ouvrir une porte universelle. C’est un fait, son élection en tant que Noir fut un miracle ! Nous voulons continuer à croire à l’Amérique d’Armstrong, à celle de Martin Luther King à l’American way of life et non à l’Amérique de Bush, celle de « Bin Laden dead or alive », et de l’American way of war. Ce qui va arriver par la suite, Trump, et pire encore Clinton, n’augure rien de bon. Nous allons certainement renouer avec les années de feu et le chaos n’en sera que plus grand. Mais ceci est une autre histoire.
Chems Eddine CHITOUR