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Dien Bien Phu ou le colonialisme terrassé

Ho Chi Minh (centre) et le général Vo Nguyen Giap (droite) préparent la bataille de Dien Bien Phu

En mai 1941, alors que les troupes japonaises occupaient le Vietnam, se tint le 8ème plénum du Comité central du Parti Communiste Indochinois. Considérant la situation du Vietnam, les dirigeants du Parti donnèrent la priorité à la lutte de libération nationale et créèrent la Ligue pour l’indépendance nationale, appelée Front Viet Minh. Les principaux mots d’ordre étaient : unir tout le peuple, résister aux Japonais et aux Français, reconquérir l’indépendance.

Expliquant cette politique d’unité nationale contre l’invasion japonaise et le colonialisme français, Vo Nguyen Giap affirmait : « Le Parti s’est consacré tout entier à ce travail, au rassemblement de toutes les forces nationales, à l’élargissement et à la consolidation d’un front national unifié, le Front Vietminh puis le Front Lien Viet qui fut un magnifique exemple de la plus large union des couches populaires dans la lutte anti-impérialiste dans un pays colonial. Ce front rassemblait en effet les forces patriotiques de toutes les classes et de toutes les couches sociales, voire des propriétaires terriens progressistes, toutes les nationalités du pays, majoritaires comme minoritaires ; les croyants patriotes de toutes les confessions religieuses » [1].

Après la défaite de l’Allemagne et du Japon, en août 1945, le Viet Minh mit sur pied un programme d’action, comprenant l’ordre d’insurrection générale et une Assemblée des délégués de la nation pour lutter contre le colonialisme français. La « Révolution d’Août » était en marche. Le 2 septembre 1945, Ho Chi Minh, à la tête du gouvernement, proclama l’indépendance de la République Démocratique du Vietnam.

Le 12 septembre 1945, alors que les Vietnamiens avaient livré une dure bataille contre l’occupant japonais, Ho Chi Minh, proclamait l’insurrection contre le colonialisme français. Dans son appel au soulèvement, le leader vietnamien rappelait l’iniquité de la colonisation : « pendant plus de quatre-vingts années, les colonialistes français, abusant du drapeau de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, ont violé notre terre et opprimé nos compatriotes. Leurs actes vont directement à l’encontre des idéaux d’humanité et de justice. Dans le domaine politique, ils nous ont privés de toutes les libertés. Ils nous ont imposé des lois inhumaines » [2].

Avec cet appel à l’insurrection, le temps de la domination française était définitivement révolu. Ho Chi Minh affirmait : « notre peuple a brisé toutes les chaînes qui ont pesé sur nous durant près d’un siècle, pour faire de notre Viêt-nam un pays indépendant […]. Pour ces raisons, nous, membres du gouvernement provisoire, déclarons, au nom du peuple du Viêt-nam tout entier, nous affranchir complètement de tout rapport colonial avec la France impérialiste […]. Tout le peuple du Viêt-nam, animé d’une même volonté, est déterminé à lutter jusqu’au bout contre toute tentative d’agression de la part des colonialistes français » [3].

Enfin, Ho Chi Minh concluait son appel à l’insurrection en affirmant la résolution du peuple vietnamien à lutter pour son indépendance : « nous, membres du gouvernement provisoire de la République démocratique du Viêt-nam, proclamons solennellement au monde entier : Le Viêt-nam a le droit d’être libre et indépendant et, en fait, est devenu un pays libre et indépendant. Tout le peuple du Viêt-Nam est décidé à mobiliser toutes ses forces spirituelles et matérielles, à sacrifier sa vie et ses biens pour garder son droit à la liberté et à l’indépendance » [4].

Après cet appel, sous prétexte de désarmer les troupes japonaises, les armées étrangères aidèrent les français à reconquérir le pays. Les forces armées anglaises envahissaient le Sud du Viet Nam alors qu’au Nord, les troupes du Kouo-Min-Tang chinois faisaient leur entrée en territoire vietnamien. Leur but était de briser le Viet Minh et toute forme de résistance à l’impérialisme.

Face à cette offensive, le gouvernement vietnamien lança le mot d’ordre : « Résistance de longue durée ». Toutefois, l’insurrection du Viet Minh n’éclata véritablement que le 19 décembre 1946, à la suite du bombardement par la France du port d’Haiphong le 23 novembre de la même année et de l’entrée des troupes françaises à Hanoi. Ho Chi Minh lança la reconquête de la ville mais l’affrontement tourna rapidement à la guerre de guérilla. Le Général Vo Nguyen Giap prit la tête d’une armée de 60 000 hommes. Ce fut le combat du tigre et de l’éléphant annoncé par Ho Chi Minh. Le tigre tapi dans la jungle harcelait l’éléphant figé qui peu à peu se vidait de son sang et mourrait d’épuisement.

Selon Ho Chi Minh, « la guérilla n’a pas pour but de gagner de grands combats, mais plutôt de grignoter les forces de l’ennemi, de lui couper l’appétit et le sommeil, de l’éreinter, l’user moralement et matériellement pour finir par l’anéantir. Faire en sorte que, partout où il met les pieds, l’ennemi soit aux prises avec nos guérilleros, qu’il tombe sur une mine, essuie quelques coups de feu » [5].

Durant cette guerre de guérilla, Ho Chi Minh appelait les hommes en arme à rester liés à la population pour y demeurer comme des « poissons dans l’eau » : « Rester étroitement uni à la population, c’est travailler à gagner son coeur, sa confiance, c’est faire en sorte qu’elle vous estime et vous aime. A cette condition, tout travail, si difficile soit-il, pourra être mené à bien et nous remporterons sans faute la victoire. Pour cela, il faut défendre la population, l’aider et l’éduquer » [6]. Toutefois, pour le leader vietnamien, le révolutionnaire ne devait pas seulement éduquer le peuple mais s’auto-éduquer au contact du peuple. L’action quotidienne, la lutte, devait être des sources permanentes d’éducation pour les militants.

Cette défense de la population, cette volonté d’éducation populaire et d’auto-éducation reposaient sur des impératifs moraux exigeants. Dans un texte sur la moralité révolutionnaire, Ho Chi Minh expliquait : « Dans l’ancienne société, les féodaux et les propriétaires terriens, les capitalistes et les impérialistes opprimaient et exploitaient sans merci les autres couches sociales, notamment les ouvriers et les paysans. Ils accaparaient le bien public produit par la société pour mener une vie oisive et dorée. Mais ils n’avaient à la bouche que les vocables de « moralité », de « liberté », de « démocratie », etc. Excédés de l’oppression et de l’exploitation, les ouvriers, les paysans et les autres travailleurs se sont dressés pour faire la révolution afin de se libérer et de transformer l’ancienne société si laide en une société nouvelle meilleure où tous les travailleurs connaîtront une vie heureuse et d’où sera bannie l’exploitation de l’homme par l’homme » [7].

Sur le plan moral, pour Ho Chi Minh, « l’aspect le plus négatif et le plus dangereux en est l’individualisme. L’individualisme est l’antipode de la moralité révolutionnaire. Pour aussi peu qu’il reste en vous, il attend l’occasion propice pour se développer, pour éclipser la moralité révolutionnaire, afin de nous empêcher d’être entièrement dévoués à la lutte pour la cause révolutionnaire. L’individualisme est quelque chose de fourbe et de perfide : il engage insidieusement l’homme sur une pente fatale » [8].

Ho Chi Minh ajoutait : « Celui qui possède la moralité révolutionnaire n’a pas peur, ne se laisse pas intimider et ne recule pas devant les difficultés, les épreuves et les échecs. Pour l’intérêt commun du Parti, de la révolution, de la classe, du peuple et de l’humanité, il n’hésite pas à sacrifier tout intérêt personnel. S’il le faut, il fait sans regret le sacrifice de sa vie. C’est là la manifestation la plus évidente, la plus noble de la moralité révolutionnaire. […] Celui qui possède la vertu révolutionnaire reste simple, modeste, prêt à accepter de nouvelles épreuves, même quand les circonstances lui sont favorables ou qu’il remporte des succès » [9].

Cette morale révolutionnaire devait s’incarner dans l’action de militant du Viet Minh mais l’encerclement du Vietnam rendait difficile leur lutte contre l’armée française. La prise du pouvoir par Mao Zedong, en Chine en 1949, permit au Viet Minh, jusque là isolé sur le plan diplomatique et militaire, de recevoir l’aide de Pékin dans sa lutte pour l’indépendance. L’Armée Populaire du Vietnam reçut des équipements militaires lourds, tel que des pièces d’artilleries et des camions. Du fait de l’appui de la Chine, la France transforma sa guerre coloniale en croisade anticommuniste, pour la « Défense de l’Occident sur le Rhin et le Mékong », recevant l’aide des Etats-Unis.

L’aide chinoise permit au Viet Minh de libérer la zone nord en 1950, rendant l’acheminement d’armes plus aisé. Ainsi, le Viet Minh avait l’initiative des opérations sur tous les fronts dans le Nord Vietnam. En février 1952, après la libération de Hoa Binh où plus de 20 000 hommes combattaient depuis novembre 1951, les bases de guérilla du delta du Fleuve Rouge s’étaient élargies. Le Viet Minh avait récupéré l’une après l’autre, de vastes régions du Nord-Ouest.

Devant les victoires répétées de la résistance vietnamienne, l’armée française était sur la défensive. Selon le Général Vo Nguyen Giap, l’armée française et ses soutiens américains étaient contraints de réagir : « Réduit à la défensive, l’ennemi se trouvait dans une situation qui ne cessait d’empirer. Les impérialistes français et américains se rendaient compte de plus en plus que, pour sauver la situation, il leur fallait amener des renforts, changer de commandement, réviser le plan de guerre » [10].

Dans cette perceptive, le Général Henri Navarre mit au point un plan visant à anéantir en dix-huit mois la majeure partie des forces régulières du Viet Minh et à reconquérir l’ensemble du territoire vietnamien qui devait être transformé en base arrière de l’impérialisme occidental en Asie. Dans un premier temps, le plan prévoyait de regrouper des unités mobiles de l’armée française pour attaquer et épuiser les forces régulières du Viet Minh dans le delta du Fleuve Rouge et l’occupation de Dien Bien Phu pour transformer la zone occupée du Nord-Ouest en une solide base opérationnelle. A l’automne 1954, le général Navarre commença à mettre en oeuvre son ambitieux plan stratégique.

Le Général Navarre fit déclencher de violentes opérations de ratissage dans la zone occupée du delta. Il lança une série d’attaques dans les régions de Ninh Binh et Nho Quan, menaça Thanh Hoa et Phu Tho et parachuta des troupes à Lang Son.

A la tête de 15 000 hommes, le Général Henri Navarre décida d’attirer les troupes vietnamiennes sur un terrain de son choix en vue de les détruire. Le 20 novembre 1954, commença l’offensive dans la région montagneuse du haut Tonkin. Les parachutistes français sautèrent derrière les lignes du Viet Minh et installèrent un camp retranché à Dien Bien Phu, comme le prévoyait le « plan Navarre ». Face à ce déploiement de force, le Général Vo Nguyen Giap mit au point une contre-offensive visant à « concentrer nos forces pour passer à l’offensive sur des secteurs stratégiques importants où l’ennemi se trouvait relativement à découvert, anéantir ainsi une partie de ses forces vives tout en l’obligeant à disperser ses effectifs pour parer à nos coups en des points névralgiques qu’il devait conserver à tout prix » [11].

Les Vietnamiens qui avaient évacué le gros de leur troupe du delta pour les concentrer dans le Nord-Ouest, commencèrent à encercler le camp de Dien Bien Phu en transportant à travers la jungle de l’artillerie lourde et du ravitaillement pour des milliers de combattants. 260.000 hommes de main et 20.000 bicyclettes furent ainsi mis à contribution. Les Vietnamiens ceinturèrent le camp Dien Bien Phu en creusant 350 kilomètres de tranchées. Expliquant cette stratégie, le Général Giap affirmait : « Nous avons encerclé l’ennemi et poursuivi nos préparatifs durant trois mois sans désemparer » [12]. Finalement, le 13 mars 1954 le Général Giap se décida à lancer l’offensive contre les troupes françaises.

Les combattants vietnamiens assiégèrent le camp et prirent les fortins qui l’entouraient un à un. Le Général Giap, expliquant le problème tactique auquel il devait faire face, écrivait : « Nous l’avons résolue en appliquant la tactique des attaques progressives, concentrant chaque fois nos forces de façon à obtenir la suprématie en un point, tout en neutralisant autant que possible l’action de l’artillerie et des groupements mobiles ennemis. Nous créions ainsi les conditions pour enlever un à un les centres de résistance ou pour annihiler dans une seule attaque une portion du système défensif comprenant plusieurs de ces centres à la fois » [13]. L’assaut final fut donné le 7 mai 1954 et le cessez le feu fut déclaré à 17h 30. Ce jour là , les troupes coloniales françaises furent littéralement écrasées par l’Armée Populaire du Vietnam.

Cette victoire eut un retentissement dans l’ensemble des pays colonisés et soumis à l’impérialisme. La victoire de Dien Bien Phu transforma le Vietnam en ce que Frantz Fanon appelait un « territoire-guide », c’est-à -dire un territoire en lutte ou libéré qui devient un modèle de résistance pour l’ensemble des peuples opprimés. La victoire d’un peuple colonisé en un point déterminé devient une invitation à la lutte pour l’ensemble des peuples dominés. Ainsi toute victoire d’un peuple colonisé renforce l’ensemble des mouvements anti-impérialistes en raffermissant la volonté de libération nationale des peuples des Trois Continents. Relatant l’influence de la victoire du Viet Minh sur les nationalistes Algériens, Benyoucef Ben Khedda rappelait que le 7 mai 1954 « l’armée d’Ho Chi Minh inflige au corps expéditionnaires français au Vietnam l’humiliant désastre de Dien Bien Phu […]. Cette défaite, cuisante pour la France, agit en puissant détonateur sur tous ceux qui pensent que l’option de l’insurrection à court terme est désormais l’unique remède, la seule stratégie possible […]. L’action directe prend le pas sur toutes les autres considérations et devient la priorité des priorités » [14].

Ainsi, dans la lutte de libération nationale contre l’oppresseur occidental, les peuples colonisés découvrent, par delà leurs différences culturelles et leur éloignement géographique, la solidarité concrète qui les unis et la nécessaire interdépendance des mouvements de lutte contre le colonialisme et l’impérialisme. Commémorant la victoire de Dien Bien Phu, le Général Vo Nguyen Giap expliquait l’exemplarité de la victoire vietnamienne sur l’impérialisme français : « Dien Bien Phu nous a appris qu’une nation faible, qu’une armée populaire qui se dressent unies et résolues dans la lutte pour l’indépendance et la paix sont capables de vaincre toute les formes d’agression quelles qu’elles soient, même celle d’une puissance impérialiste telle que la France épaulée par les Etats-Unis » [15]. Le Général Giap concluait en rappelant la valeur symbolique de la victoire de Dien Bien Phu pour l’ensemble des peuples victimes de l’impérialisme et du colonialisme : « Dien Bien Phu est non seulement une victoire pour notre peuple, elle est encore une victoire pour tous les peuples faibles en lutte pour se débarrasser du joug des impérialistes et des colonialistes » [16].

Youssef Girard

[1] Giap Vo Nguyen, Guerre du peuple, armée du peuple,

[2] Ho Chi Minh, L’appel à l’insurrection, 12 septembre 1945

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ho Chi Minh, Sur la guerre de guérilla, juillet 1952

[6] Ibid.

[7] Ho Chi Minh, De la moralité révolutionnaire

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] Giap Vo Nguyen, Dien Bien Phu

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] Ben Khedda Benyoucef, Les origines du premier Novembre 1954, Ed. CNER, Alger, 2004, page 237

[15] Giap Vo Nguyen, Dien Bien Phu

[16] Ibid.

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