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Des saints, pour quoi faire ?

Ces remarques portent sur le traitement, par la télévision (en l’occurrence le journal de 13 h de France 2 et celui de 19 h 30 de France 3, présenté par Marie Drucker - mais je suppose que les autres chaînes ont fait des présentations similaires), des canonisations de Jean XXIII et de Jean-Paul II.

Remarque liminaire. L’interprétation qui suit est effectuée à la lumière d’un ouvrage paru en 1987, aux éditions Champ Vallon. Cet ouvrage s’intitule L’image de Rome. Une arme pour la Contre-Réforme 1534-167, par Gérard Labrot, ancien membre de l’Ecole française de Rome et, à l’époque, professeur à l’Université de Grenoble.

La thèse de l’auteur - à tous les sens du terme, car ce livre fut d’abord une thèse - est que les papes de cette époque aménagèrent Rome comme une scène (par les multiples constructions d’églises et travaux d’urbanisme) en vue du spectacle permanent qu’ils donnaient lors des jubilés, canonisations, processions, célébrations du calendrier liturgique, élections et réceptions d’hôtes de marque. Cette "mise en scène", cette "théâtralisation" valorisait les points précisément contestés par les protestants (existence d’un clergé, hiérarchie ecclésiastique, prééminence du pape, magnificence des bâtiments, culte des saints, culte des reliques, extériorisation de la foi, exaltation des œuvres, des indulgences, etc.) Et tout cela en vue de faire pièce au protestantisme - avec, il est vrai, un certain succès, notamment en France et dans le Saint-Empire romain germanique.

J’interprète donc ces canonisations dans l’esprit d’une mise en scène qui emprunte ses moyens et ses finalités au spectacle par excellence qu’est le cinéma, mais un cinéma où seraient "mis en vedette(s)" non seulement les acteurs de premier plan (les canonisés, le pape, les cardinaux, les évêques), mais toute une communauté - ici le monde catholique. Une mise en scène effectuée par les papes du XXIe siècle dans l’esprit de leurs prédécesseurs de l’époque baroque, mais avec des moyens énormément démultipliés.

1. Les vues de la cérémonie sont scénarisées comme celles d’un film : plans larges, plans rapprochés, vues plongeantes (depuis les sommets du Vatican), mais aussi contre-plongées (depuis la place Saint-Pierre), panoramiques depuis cette place, zooms sur les portraits des papes canonisés, gros plans, plans rapprochés, plans moyens du pape régnant, de ses assistants, des officiels, de la foule. Ces diverses vues, qui changent d’une minute à l’autre, sont symboliques à plusieurs titres

 Par leur multiplicité de points de vue (l’ensemble et le détail - ou, plutôt, les ensembles et les détails), par leur rapide succession, elles suggèrent, certes d’infiniment loin, l’idée de ces attributs de Dieu que sont la transcendance et l’immanence.

 Par le choix des prises de vues : les officiels (Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, le roi Juan Carlos, la reine Sophie, son épouse) sont pris en plan rapproché, et la caméra s’attarde sur eux le temps qu’on les reconnaisse. La foule des fidèles, en revanche, est prise en plan large, de loin, avec parfois balayage de la caméra, ce qui leur confère un caractère d’anonymat, et, partant, de piétaille. La hiérarchie est ainsi symbolisée : les visages des papes canonisés sont représentés par des portraits immenses, ceux du pape actuel et des officiants occupent, en hauteur, entre le tiers et la totalité de l’écran, ceux des officiels n’en dépassent pas un cinquième, ceux des fidèles sont de minuscules points clairs.

2. Cette cérémonie n’est donc pas loin, par son spectaculaire, de faire penser à cette autre "cérémonie" (c’est le mot) qu’est le festival de Cannes et sa remise des prix. Il n’y manque pas même les marches, recouvertes d’un tapis rouge (comme à Cannes), que gravit le cardinal préfet de la Congrégation pour les causes des saints, à l’issue de la canonisation, comme les vedettes gravissent les marches, couvertes du tapis rouge, du palais des festivals. On pourrait aussi dire (si l’on osait le calembour...) qu’il n’y a entre les promus de Cannes et ceux de Rome, que la différence d’un "n", les papes étant canonisés et les acteurs ou réalisateurs "cannonisés" (comme leurs semblables sont "oscarisés" à Los Angeles).

3. Par ailleurs on sait que les acteurs célèbres sont habituellement surnommés "monstres sacrés". Mais, en un certain sens, les papes canonisés ne le sont-ils pas aussi ? Ne le sont-ils pas étymologiquement, en ce que [comme le dit le Robert historique de la langue française] le "monstrum" (en latin), est ce qui est l’objet du verbe "monere", c’està-dire ce à quoi on "fait penser", ce sur quoi on "attire l’attention", d’où les dérivés "moniteur,montrer, monument" ?

Or, lorsqu’on canonise un individu, que fait-on d’autre que "d’attirer l’attention sur lui", que d’en faire un "moniteur" ou un "monument" ? Et lorsqu’on dresse des portraits des papes de plusieurs mètres de haut, retransmis dans le monde entier par les caméras, ne les montre-t-on pas - et de quelle manière ! - ? Quant au "sacré", s’il n’est pas le synonyme de "saint", il n’en appartient pas moins au même registre sémantique.

4. Les prix, au cinéma, récompensent habituellement des acteurs - ou des genres - très différents, de façon à satisfaire tous les milieux - tous les genres et tous les publics. En distinguant deux papes différents par leur histoire, leur formation, leur caractère, leur tempérament, leur politique, n’a-t-on pas voulu satisfaire, dans les attentes du public catholique, les aspirations - simultanées et cependant non contradictoires - à la bonté (Jean XXIII) et à l’énergie (Jean-Paul II) ? Comme lorsqu’on récompense à la fois un film d’auteur et un film à grand spectacle, un réalisateur intimiste et un réalisateur de "blockbusters", Ingmar Bergman et Jean-Paul Belmondo...

5. Ces canonisations n’ont pas seulement valeur spectaculaire mais aussi spéculaire (de"spéculum", le miroir), en ce que c’est toute une communauté qui, par la télévision, par les écrans (géants ou familiaux), se voit en direct (ou en différé) comme dans un miroir, ce dont, évidemment, ne pouvaient bénéficier les fidèles des XVIe et XVIIe siècle. Cette communauté - y compris celle qui n’était pas présente à Rome - peut ainsi contempler son importance, sa puissance, en considérant les drapeaux de tous les pays qui s’agitent et la foule qui emplit la Via della Conciliazione, de la place Saint-Pierre au Tibre. Le journaliste du journal de 19 h 30 de France 3 ne s’y trompe d’ailleurs pas, lorsqu’il évoque la "démonstration de force" de l’Eglise catholique.

["Démonstration" manifestée par le défilé, auprès du pape, des rois, présidents, premiers ministres et ministres des délégations étrangères, comme lorsque, au Moyen Age, le pape revendiquait la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, du Sacerdoce sur l’Empire].

6. Les athées, libres-penseurs et laïcs de stricte observance auront certainement été choqués par cette place démesurée accordée (on n’ose pas dire "consacrée"...) à une religion que ne pratiquent plus, en France, que 4,5 % des baptisés (qui ne représentent plus, eux-mêmes, que 64 % des Français). Ils auront aussi été heurtés de constater que la France (officiellement laïque) a envoyé son premier ministre la représenter à cette cérémonie. On sent toutefois les symptômes d’une déchristianisation en ce qu’il s’introduit une distance* (qui n’aurait pas existé dans les années 1950, voire, encore, jusqu’au milieu des années 1960, date du concile Vatican II), entre le commentateur et l’image.

A cette époque, il n’aurait sans doute pas été nécessaire de fournir certaines explications sur le culte ou la liturgie (alors considérées comme élémentaires pour des gens ayant fréquenté le catéchisme ou assisté régulièrement aux offices). Et la disparition du latin, dans l’enseignement comme dans la liturgie, n’a pas été un des moindres éléments de ce décalage. Les cérémonies catholiques sont vues comme des manifestations folkloriques à l’instar du carnaval de Rio (ou des danses pour la pluie de telle tribu reculée), où, pendant un certain temps, une foule de gens portent des accoutrements bizarres, parlent une langue étrange et se livrent à des pantomimes incompréhensibles. Sauf que la peuplade en question n’est pas exotique mais indigène et qu’elle s’appelle catholique…

[*Cette distance, cette indifférence à l’événement sont rendus évidentes par l’absence, dès le Journal de 13 h de France 2 du lundi 28 avril, de toute allusion à la canonisation, alors que, pas plus tard que la veille, l’événement était qualifié "d’historique". Pas moins ! On ne saurait mieux montrer qu’il n’avait, aux yeux des journalistes, que le statut d’un événement folklorique].

7. Ce sentiment de décalage, au demeurant, s’insinue de manière subliminale après la présentation des premiers rôles par celle des figurants (les fidèles). Ceux-ci ressemblent tout à fait aux portraits-types des catholiques pratiquants, caricaturés depuis les années Jean-Paul II, et qui en font un biotope particulier au sein de la sylve française :

 Jeunes gens minces, un peu asthéniques, avec col de chemise blanche rabattu sur le pull bleu marine,

 Mères de famille (avec famille - nombreuse - associée) de 30/40 ans,
cheveux sagement peignés en arrière, et lunettes dressées dans les cheveux, en lieu et place du traditionnel bandeau de velours marron, vert bouteille ou bleu marine,

 Récents manifestants de "La Manif pour tous", n’ayant même pas pris le temps d’ôter leur pull orné de la ribambelle familiale (un-papa-une-maman-des-enfants-bien-sexués).

 Et, bien entendu, groupes de fidèles chantant en chœur, quelquefois accompagnés de guitares, en frappant dans les mains, avec l’imperturbable niaiserie immortalisée par Patrick Bouchitey et Hélène Vincent dans "La vie est un long fleuve tranquille" : "Jé-é-sus est là-à, Jé-é-sus reviens parmi les tiens..."

Philippe Arnaud

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Eric Hazan. Changement de propriétaire. La guerre civile continue. Le Seuil, 2007
Bernard GENSANE
Très incisif et très complet livre du directeur des éditions La Fabrique (qui publie Rancière, Depardon, Benjamin etc.), ce texte n’est pas près de perdre de son actualité. Tout y est sur les conséquences extrêmement néfastes de l’élection de Sarkozy. Je me contenterai d’en citer le sombrement lucide incipit, et l’excipit qui force l’espoir. « Dimanche 6 mai 2007. Au bureau de vote, la cabine dont on tire les rideaux derrière soi pour mettre son bulletin dans l’enveloppe s’appelle un (…)
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(CUBA) "Tant qu’il y aura l’impérialisme, nous ne pouvons nous permettre le luxe du pluri-partisme. Nous ne pourrions jamais concurrencer l’argent et la propagande que les Etats-Unis déverseraient ici. Nous perdrions non seulement le socialisme, mais notre souveraineté nationale aussi"

Eugenio Balari
in Medea Benjamin, "Soul Searching," NACLA Report on the Americas 24, 2 (August 1990) : 23-31.

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