RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Des nouvelles de prison de la guerre au terrorisme : un Américain explique ce qui l’a conduit à l’extrémisme (The Intercept)

En 2010, un citoyen américain né dans l'Alabama a formé le projet avec un informateur du FBI infiltré de rejoindre le groupe armé Al-Shabbaab en Somalie. Aujourd'hui, il explique pourquoi. (Ceci est une traduction de l'article de Murtaza Hussain initialement publié sur The Intercept_ le 22 mars 2017.)

En 2010, Shaker Masri, un citoyen américain de 26 ans né en Alabama, a été arrêté sous l’inculpation de terrorisme après avoir formé avec un informateur du FBI infiltré le projet de quitter le pays et de rejoindre le groupe armé Al-Shabbaab en Somalie. Pendant des mois, Masri avait parlé avec l’informateur de son désir de partir à l’étranger et de se battre. Quand il lui a parlé de son désir de partir en Somalie, les deux hommes ont commencé à mettre leurs ressources en commun en préparation de leur voyage. Masri a été arrêté rapidement après avoir commencé ses préparatifs pour quitter le pays.

À la suite de son arrestation, les représentants du parquet dans l’affaire de Masri l’ont décrit comme partisan d’une « idéologie violente et extrémiste ». Les procureurs ont aussi cité la présence de littérature jihadiste dans son ordinateur ainsi que l’empressement qu’il avait manifesté pour mourir à l’étranger comme des preuves de sa dangerosité pour le public.

En 2012, Masri a plaidé coupable pour l’accusation de tentative de fournir un soutien matériel à une organisation terroriste. Il a été condamné à un peu moins de 10 ans de prison. À sa condamnation, un juge a affirmé que des circonstances atténuantes dans la vie personnelle de Masri, y compris le récent décès de sa mère et son âge relativement jeune, avaient contribué à réduire la durée de sa peine. Aujourd’hui, Masri purge le reste de sa peine dans une prison fédérale dans le Minnesota.

Masri se décrit comme quelqu’un qui était un fervent de l’idéologie jihadiste au moment de son arrestation. Mais après plus de cinq ans d’incarcération, il dit que ses opinions ont changé. Ayant développé auparavant un véritable engouement pour des groupes extrémistes, il dit qu’il veut désormais aider à éloigner d’autres jeunes de la voie qu’il a suivie, et aussi expliquer au public américain ce qui peut pousser quelqu’un à soutenir des groupes extrémistes.

Voici une interview de Masri menée au téléphone et par emails depuis la prison, dans laquelle il parle de son cas, donne son point de vue sur la radicalisation et donne sa perspective sur la manière de désamorcer le soutien aux groupes terroristes. Par souci de clarté, l’interview a été éditée et condensée.


Pourriez-vous décrire brièvement le contexte dans lequel vous avez grandi et l’éducation que vous avez reçue.

Mes parents sont originaires de Syrie mais ont déménagé au Nigeria dans les années 70 pour permettre à mon père d’échapper à la conscription obligatoire dans l’armée syrienne. Au début des années 80, mon père a été accepté dans un programme pour ingénieurs dans une école de l’Alabama, et je suis né pendant cette période. Mais j’ai passé presque toute mon enfance au Nigéria. J’ai grandi dans un milieu très privilégié. La qualité de vie qui m’était offerte était très bonne, même pour les standards occidentaux. Dans notre maison à Jos (une ville au centre du Nigéria), j’ai eu un ordinateur avec accès à internet dès mon jeune âge et je recevais aussi de l’argent de mon père pour acheter et m’occuper de nombreux animaux domestiques. Je suis resté au Nigéria jusqu’à mes 18 ans, je suis alors venu aux États-Unis pour faire mes études.

Quelles étaient vos convictions religieuses de jeune homme ?

J’avais pour règle de détester toutes les figures d’autorité, mais les figures d’autorité que je détestais par-dessus tout étaient les gens de la mosquée et les religieux. La plupart des enfants avec lesquels je vivais au Nigéria étaient des expatriés syriens comme ma famille, alors la plupart des filles qui atteignaient la majorité avaient été plus ou moins mes amies d’enfance. Chaque fois qu’une de ces filles se mettait à porter le hijab, je le ressentais comme une trahison, parce que je savais que ce qui allait suivre était une séparation d’avec elle. Mes parents m’envoyaient à l’éducation religieuse le week-end. Je détestais ces cours, parce qu’il y avait une certaine discipline qui était attendue de nous et qu’on devait passer du temps à mémoriser des choses que l’on ne comprenait pas. La façon dont l’enseignement était mené nous faisait aussi sentir que toute insubordination serait un péché, et il y avait là quelque chose de très oppressant. J’ai essayé de nombreuses fois d’être un musulman pieux, mais j’ai échoué, et au bout d’un moment j’ai tout simplement abandonné. Je croyais toujours en Dieu et je voulais la consolation de la foi, comme je pouvais l’observer pour d’autres, mais cela exigeait une forme d’engagement pour lequel je n’étais simplement pas prêt.

Comment avez-vous commencé à forger vos opinions politiques ?

Je viens du monde arabe, dans lequel tout le monde s’intéresse aux affaires du monde. C’est une région qui est affectée par les événements globaux. Dans mon enfance, nous avions la télévision par satellite à la maison, et de nombreuses chaînes diffusaient des informations au sujet de personnes dont je partageais l’ethnicité ou la religion et qui étaient persécutées dans le monde entier. Je me souviens d’avoir regardé dans ma jeunesse un documentaire sur la guerre civile au Liban, et le sujet ce jour-là était le massacre de Sabra et Chatila. J’ai été traumatisé ce jour-là. Après cet épisode, je suis allé voir nos voisins palestiniens et j’ai demandé à leurs enfants, qui étaient mes amis, s’ils avaient entendu parler de ce massacre. Quand ils m’ont dit qu’ils n’en avaient pas entendu parler, je me suis senti en colère contre eux parce que j’avais l’impression qu’ils avaient trahi la mémoire des victimes en ignorant tout d’elles.

L’histoire de ma famille en Syrie et les craintes qui se sont manifestées à cet égard ont aussi eu une forte influence sur mes opinions. Pendant les vacances d’été, nous retournions souvent du Nigéria en Syrie pour rendre visite à notre famille éloignée. Avant de monter dans l’avion, mon père demandait à ma mère de s’assurer que lorsque l’avion aurait atterri à Damas, mon frère et moi ne parlerions plus de politique, ou ne ferions plus aucun commentaire sur les milliers de portraits de Hafez al-Assad qui jonchaient le pays. Aux dîners avec la famille en Syrie, je me souviens à quel point les voix baissaient tout à coup et à quel point il y avait une tension sourde dans l’air dès que quelqu’un commençait à parler de politique. Quand quelqu’un en parlait, c’était comme s’ils se mettaient tous à marcher pieds nus sur du verre cassé. En tant qu’enfant, je me tournais vers mon père pour être rassuré. Pendant ces voyages en Syrie, je me revois encore le regarder et m’inquiéter du fait qu’il pourrait être arraché à moi tout en n’ayant pourtant commis aucun crime. Je sentais une forme d’oppression dans ma poitrine qui ne se dissipait que quand nous revenions au Nigéria.

Comment vos opinions ont-elles été influencées par le début de la guerre au terrorisme ?

Au moment du 11 septembre, j’étais aux États-Unis et j’allais à la fac dans l’Illinois. Comme beaucoup de Musulmans, j’ai pensé que ce qui arrivait était mal, mais je ne trouvais pas juste d’avoir à m’excuser pour quelque chose avec quoi je n’avais rien à voir. Quand Oussama Ben Laden a publié ses cassettes, j’ai compris ses griefs au sujet des dictateurs arabes et de la détresse palestinienne mais j’ai pensé qu’il avait pris les choses par le mauvais côté. Quand je suis allé à la mosquée, l’imam se contentait de dire que l’Islam signifiait la paix et que l’Islam s’opposait à ce qui s’était passé. J’ai rencontré des étudiants musulmans qui avaient grandi aux États-Unis et j’ai pris l’habitude de les regarder débattre avec d’autres étudiants sur ces sujets. J’ai appris les grandes lignes de leurs arguments, mais après ça, c’est surtout par moi-même que j’ai été éduqué à la religion et à la politique.

Si vous voulez combattre le jihadisme, il est nécessaire de voir ces gens comme des êtres humains qui sont mus par des motivations humaines normales

Après l’invasion américaine en Irak, je me suis mis à visiter des sites web islamiques et à suivre l’actualité de la rébellion qui se battait contre les États-Unis. À l’époque je croyais leur propagande, je pensais que tout était vrai, et je les soutenais comme des gens qui se battent contre un oppresseur. Je n’étais toujours pas religieux d’une façon vraiment pieuse. Je soutenais le Parti Vert (Green Party) quand j’étais étudiant parce qu’ils s’opposaient à la guerre et parce que je sentais que c’était eux qui correspondaient le mieux à mes valeurs.

Comment avez-vous commencé à vous intéresser à l’idéologie jihadiste ?

En 2007, alors que je cherchais des discussions sur le net, j’ai trouvé des groupes religieux. D’abord, j’ai été impressionné par ceux qui étaient sur leurs forums et par leur connaissance de la religion. Mais quand j’ai commencé à parler de politique, ils disaient en gros qu’il fallait obéir à tous les régimes arabes et que se rebeller contre eux n’était pas autorisé par la religion. J’ai été choqué quand je les ai entendu dire qu’il fallait obéir à ces régimes, parce que tout le monde sait combien ils sont brutaux et corrompus. J’ai commencé à chercher d’autres informations afin de pouvoir réfuter leurs arguments. Et j’ai rapidement rejoint des chat-rooms qui faisaient l’apologie de la création d’un État islamique, ce qui me semblait être une bonne solution.

Finalement, c’est la mauvaise situation politique au Moyen-Orient et dans l’ensemble du monde Musulman qui m’a orienté vers l’idéologie jihadiste. Pour moi, un État islamique, cela voulait simplement dire libérer le peuple et renverser les régimes corrompus. Je ne me préoccupais pas spécialement du côté « charia » ; l’Islam pour moi ça voulait dire la justice et l’indépendance, et c’est ce que je voulais. J’ai commencé à visiter des sites et à lire de la littérature jihadiste, particulièrement des ressources écrites dans les années 80, 90 et au début des années 2000. Je suis devenu très érudit sur ces sujets et j’en débattais en ligne avec d’autres personnes qui partageaient la même idéologie. Mon expérience avec ces personnes, c’est qu’elles sont très ouvertes pour le débat et pour partager des idées. Ça avait beaucoup d’attrait pour moi. Ils laissaient les autres les remettre en question. Ils étaient très au fait des événements récents, et ils prenaient le temps de s’expliquer, eux et leurs opinions. Ce n’étaient pas les jihadistes d’aujourd’hui qui me semblent très intolérants par rapport aux opinions différentes des leurs.

Vous avez dit que vous vouliez la justice et l’indépendance, mais pendant l’enquête du FBI, vous avez aussi dit à un informateur infiltré que vous vouliez allez à l’étranger pour mourir en martyr.

Je savais que j’allais dans un endroit dangereux (la Somalie) mais je croyais aussi que sans sacrifice, il n’y a pas de succès. Je pensais qu’il s’agissait d’un combat comme celui de David contre Goliath, et que des sacrifices devaient être faits. Et aussi, je diffusais des arguments jihadistes sur internet et je me suis rendu compte que si je ne suivais pas ce que je prêchais, je serais un hypocrite. En grandissant, j’ai réfléchi au nationalisme arabe qui avait fini par créer des États totalitaires au Moyen-Orient. Moi, je voulais créer l’égalité et je croyais qu’un État Islamique pourrait nous la donner. Je pensais aussi que ceux qui propageraient un tel État devaient nécessairement être des Musulmans sincères et honnêtes. À l’époque, j’étais idéaliste et je n’ai jamais pris en considération la nature humaine et les motivations humaines.

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’opinions en prison ?

Pendant les premières années de mon incarcération, j’ai pas mal étudié l’Islam. Plus j’étudiais, plus je me rendais compte que les textes étaient ouverts à de multiples interprétations dans un spectre très large et que les jihadistes interprétaient les textes de façon opportuniste pour faire avancer leur agenda. J’ai fini par comprendre que les gens qui commencent à penser qu’ils parlent au nom de Dieu deviendront très fatalistes et qu’ils parleront comme des robots auxquels il manque le remords et l’empathie. Ils s’arrangent avec leur conscience en fonction de leur propre interprétation du texte. Je suis opposé à un État qui serait gouverné par des théologiens, parce qu’ils finiront toujours par justifier toutes leurs actions, y compris le fait de tuer des gens, comme émanant d’un mandat divin. Aujourd’hui, je veux juste un endroit où les gens seraient libres de pratiquer leur religion et auraient la liberté de parole et d’association sans être persécutés.

C’est ironique mais un groupe peut se trouver légitimé quand une superpuissance mondiale le reconnaît en se déclarant publiquement en guerre contre lui.

Et aussi, l’expérience de la vie en prison m’a beaucoup influencé. J’ai rencontré beaucoup de gens, je suis entouré par des gens tout le temps. J’éprouve de la curiosité par rapport à la psychologie humaine, et plus j’ai observé les gens autour de moi, plus je suis devenu convaincu qu’il y a des gens qui commettent des actes horribles et s’efforcent ensuite de se mentir à eux-mêmes en se persuadant qu’ils font quelque chose de bien. J’ai participé à un programme ici, organisé par le personnel, où les détenus peuvent discuter de différents sujets ensemble. J’abordais toujours des questions sociales et politiques, et je pense que la plupart du personnel m’a d’abord détesté parce qu’ils avaient l’impression que c’était anti-américain de ma part de rejeter la faute sur le « système ». Cependant, ils n’ont jamais essayé de me faire taire ou de me jeter hors du programme. Ils respectaient le fait que c’est le pays où chacun a le droit de s’exprimer et où même les plus faibles et les plus vulnérables ont des droits aussi. Et je pense que ma tendance enfantine à me défier des figures d’autorité m’est revenue comme un boomerang en plein visage.

En tant que personne qui a été à un moment prête à mourir pour un groupe armé étranger, à votre avis qu’est-ce qui rend certains jeunes susceptibles d’avoir ce même désir ?

Quand de jeunes Musulmans dans le monde entier écoutent les informations et assistent à des scènes où les peuples du Moyen-Orient et de l’ensemble du monde musulman souffrent et meurent, ils ne voient pas seulement en eux des « autres ». Ils voient des gens qui ressemblent à leurs frères, leurs soeurs, leurs mères, leurs grand-mères. Ils voient des gens qui pourraient être eux. Il n’est pas anormal pour les citoyens d’une nation de vouloir prendre part à un conflit dans un autre pays. L’histoire en offre plein d’exemples. Ces jeunes gens ne sont pas tous des solitaires qui ne se sentent pas à leur place dans leur communauté. Si vous voulez combattre le jihadisme, il est nécessaire de voir ces gens comme des êtres humains qui sont mus par des motivations humaines normales. Nous devrions faire attention à ne pas pathologiser le problème, ou le traiter comme quelque chose qui nous est complètement étranger.

La plupart de ceux qui rejoignent ces causes sont jeunes et sans expérience, ils ont un fort désir de prendre part à quelque chose de plus grand qu’eux. Les jihadistes, y compris quelqu’un comme Anwar al-Ankwar qui traduit l’idéologie dans les langues occidentales, font croire à des jeunes naïfs que tous les problèmes qui accablent le monde musulman disparaîtront et que tout le monde vivra heureux pour toujours s’ils se contentent de suivre leur programme.

Pensez-vous qu’il soit possible simplement d’éloigner les gens de l’extrémisme par la discussion ?

Oui, mais pour cela, il est important que les gens puissent aborder avec d’autres des sujets politiques et religieux dans un environnement libre et honnête. Bien souvent, les jihadistes ne se rendent pas compte que la raison pour laquelle les autres Musulmans les rejettent n’est pas qu’ils ont peur de l’autorité, de la coercition, ou qu’ils manquent de piété – c’est parce que leur idéologie et leurs tactiques sont en fait condamnables pour la plupart des Musulmans. Ces jeunes qui sont susceptibles d’extrémisme ont besoin de connaître les vraies raisons pour lesquelles les autres les rejettent. Ils ont aussi besoin d’entendre des narrations qui affrontent la réalité et les vrais problèmes qui existent dans le monde. Mais cela implique de les traiter comme des êtres humains ouverts au dialogue et pas simplement comme des monstres. Cela signifie aussi que les communautés musulmanes doivent être traitées comme des partenaires par les gouvernements et non comme des ennemis, de sorte que les jeunes puissent parler de sujets politiques sans craindre d’être espionnés ou sans surveillance intrusive. Si un jeune aspirant jihadiste voit d’autres jeunes rejeter l’extrémisme comme réponse aux problèmes sans pour autant se désintéresser des questions politiques, il commencera à douter de sa propre position.

Que pensez-vous que les gouvernements puissent faire pour réduire le pouvoir de séduction de ces groupes armés ?

Puisque les jihadistes sont conscients que la plupart des Musulmans sont contre leur idéologie, ils pensent que leur seule chance de réussir consiste à rendre le monde entier hostile et inhospitalier pour les Musulmans. Si cela se produit, ils pensent que les Musulmans s’uniront derrière eux dans un combat apocalyptique dans ce qu’ils appellent une croisade des temps modernes contre les Musulmans. Les jihadistes aiment dire aux Musulmans que les non-Musulmans ne seront jamais leurs amis. Malheureusement, la rhétorique politique actuelle confirme leurs paroles de façon significative. Aujourd’hui aux États-Unis, beaucoup de Musulmans ont l’impression qu’ils ne sont qu’à une attaque terroriste majeure d’être déportés en masses ou internés dans des camps. On dirait que ça n’a pas d’importance que les Musulmans américains partagent ou non l’idéologie des jihadistes, ils sont de toute façon coupables par association.

L’approche du gouvernement pour lutter contre l’extrémisme aujourd’hui ne se pose même pas la question de son efficacité.

La façon dont le terrorisme a été approché par les gouvernements et la société a aussi aidé les jihadistes dans leur stratégie. C’est ironique mais un groupe peut se trouver légitimé quand une superpuissance mondiale le reconnaît en se déclarant en guerre contre lui. Une autre stratégie stupide est l’utilisation excessive des attaques « ciblées » (« targeted » killings), et ensuite le fait d’annoncer ces meurtres comme s’il s’agissait d’une sorte de trophées de chasse. Face à une idéologie qui se nourrit de l’immortalisation de ses martyrs, ce type d’annonces est désastreux. Mieux vaudrait présenter ces morts comme le résultat des luttes de pouvoir intestines d’une organisation terroriste. Enfin, un autre grand problème, c’est qu’en Amérique, nous avons tendance à glorifier l’infamie et le gangstérisme dans notre culture médiatique. Quand la couverture du terrorisme recherche le sensationnel, on finit par donner des terroristes exactement l’image qu’ils veulent : des figures mystérieuses, énigmatiques et effrayantes. Nous devrions plutôt les dépeindre comme des gens égarés qui sont trompés et manipulés, afin de supprimer le facteur « cool ». Une fois que nos « experts en terrorisme » auront compris qu’ils ont pour la plupart affaire à des êtres humains égarés, ils seront plus efficaces.

Pensez-vous que l’approche du gouvernement actuel soit efficace ?

L’approche du gouvernement pour lutter contre l’extrémisme aujourd’hui ne se pose même pas la question de son efficacité. Le gouvernement place des milliers d’informateurs et d’espions au sein des communautés musulmanes, tout en demandant en même temps à ces communautés d’être des partenaires pour lutter contre le terrorisme. En agissant ainsi, il a créé les conditions qui empêchent un dialogue ouvert et honnête entre les gens, ce qui est pourtant la seule façon d’affronter le problème de l’idéologie jihadiste. Le gouvernement pousse aussi de nombreux jeunes Musulmans à se sentir comme s’ils étaient des ennemis. Les procureurs et les agents des forces de l’ordre semblent plus intéressés par faire des arrestations et faire avancer leurs carrières que par gagner ce qui est en réalité une bataille des coeurs et des esprits. La punition devrait être utilisée comme un outil pour détromper les gens, non pour apaiser le désir de vengeance du public, particulièrement quand il n’y a pas de victimes. À mon avis, cette approche a fini par créer plus de terroristes qu’elle n’en a dissuadé.

S’il n’y a pas de changement de stratégie, et que la seule stratégie est de continuer à avoir une approche sécuritaire du problème, que se passera-t-il ? Si le sentiment anti-musulman continue à grandir dans l’Occident et si la persécution des Musulmans continue, alors quoi ? S’il n’y a aucun plan pour arrêter la violence dans les pays à populations musulmanes, que se passera-t-il ? Le jihadisme continuera à s’étendre. Partout où les jihadistes arriveront au pouvoir, cela provoquera une riposte globale contre eux. Des nations commenceront à les bombarder, et en réponse à ces bombardements, les jihadistes commettront ou inspireront des attaques contre les nations qui les bombardent. La riposte contre les jeunes Musulmans continuera, et ils finiront par se sentir persécutés et exclus. Ils développeront du ressentiment, et certains agiront en fonction de ce ressentiment. Le cercle vicieux continuera.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de parler de votre expérience ?

Quand Daesh est arrivé au pouvoir en 2014, les dernières illusions qui me restaient sur les groupes jihadistes se sont dissipées. Ces gens montrent tous les signes de la psychopathie : la manipulation, le manque de remords, le manque d’empathie, et une incapacité à apprendre des erreurs passées. Ils mettent un point d’honneur à tuer les gens de la façon la plus spectaculaire. Ils oppressent les populations locales jusqu’à ce qu’elles se retournent contre eux. Ce ne sont pas des combattants, ce sont des gangsters. Le mouvement jihadiste actuel est dominé par des groupes de ce type dont la perspective est une vision d’apocalypse et de fin du monde. Leur but n’est pas d’aider le peuple syrien, ni aucun peuple qui souffre. Ils utilisent ces conflits comme une opportunité pour obtenir des ressources et des volontaires. Le jihadisme est devenu sa propre cause.

J’espère que mes expériences personnelles et mes observations pourront être utiles pour dissuader les jeunes de rejoindre des groupes comme Daesh et de devenir des jihadistes. Je suis convaincu que la lutte contre le jihadisme ne se réglera pas sur le champ de bataille. Depuis le début de la guerre au terrorisme des trillions de dollars ont été dépensés et des centaines de lois ont été passées au nom du combat contre le terrorisme, et nous n’avons pas avancé d’un pouce vers une résolution de cette guerre. En réalité, les choses ont empiré. Tant qu’il n’y aura pas une stratégie différente, il continuera à y avoir des « fous » dans tous les camps qui continueront à s’entre-tuer au nom de leurs convictions religieuses, de cultes de la personnalité, du nationalisme et de l’honneur racial.

Murtaza HUSSAIN

SOURCE : https://theintercept.com/2017/03/22/prison-dispatches-from-the-war-on-terror-american-explains-what-drove-him-to-extremism/

Traduction  : L’histoire est à nous (mars 2017)

»» https://historiaesnuestra.wordpress...
URL de cet article 31685
   
Même Thème
Propagande impériale & guerre financière contre le terrorisme
Ibrahim WARDE
« Après chaque attentat, des experts autoproclamés dénoncent les réseaux de financement du terrorisme. Les enquêtes ont beau démontrer que ces attentats nécessitent en réalité très peu de fonds, pour les idéologues endurcis qui forment les bataillons des "guerriers de la finance", l’absence de preuve ne signifie rien : il faut multiplier les attaques contre l’argent caché des terroristes. Or les frappes financières, si elles sont le plus souvent sans effets réels sur leurs (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Croire que la révolution sociale soit concevable... sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira "Nous sommes pour le socialisme", et qu’une autre, en un autre lieu, dira "Nous sommes pour l’impérialisme", et que ce sera alors la révolution sociale !

Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution.

Lénine
dans "Bilan d’une discussion sur le droit des nations", 1916,
Oeuvres tome 22

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.