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Depuis l’Iran : Lettre de Lauren Booth à Tony Blair

Félicitations pour le succès de tes mémoires politiques. Je suis en Iran avec l’unique exemplaire disponible dans tout le pays. Je peux te dire qu’on se l’arrache ici et qu’il vaut largement son poids en armes de destruction massive. Une petite remarque en passant à la maison d’édition : faites traduire «  A Journey » (titre des mémoires récemment publiées par Tony Blair - NdT) en farsi et en arabe le plus vite possible. Par ici, les exemplaires partiront comme des petits pains.

Tony, hier je suis allée à la manifestation de protestation lors de la Journée d’Al Quds (Jérusalem - NdT) ici à Téhéran. Tu en as peut-être entendu parler. C’est le rassemblent où les Iraniens se retrouvent pour protester contre l’occupation illégale de la Palestine par Israël, y compris la ville sainte de Jérusalem.

Je suis ironique lorsque je te demande si tu en as entendu parler parce que je sais bien que oui. Car c’est, après tout, ton pire cauchemar, n’est-ce pas ? Cela doit être terrifiant pour toi, avec ta «  vision globale » que tu décris dans tes mémoires, d’assister à des scènes retransmises par la BBC du lieu de ralliement entre la politique et l’Islam.

Personnellement, je n’ai jamais compris cette peur de «  l’Islam politique ». Il me semble que les croyants devraient toujours être éduqués à la marche des affaires du monde plutôt que d’être maintenus dans l’ignorance, comme les Chrétiens Sionistes du Mid West des États-Unis qui sont incapables de trouver leur propre ville sur une carte.

Quoi qu’il en soit, je me trouvais parmi plus d’un million de musulmans iraniens qui chantaient à l’unisson «  Marg Bar Isre-hell ! » et «  Marg Bar Am-ri-ca ! » Je suis sûre que tu sais ce que cela signifie, Tony : «  A bas Israël, à bas l’Amérique ». Les hommes, femmes et enfants autour de moi ont passé la journée sans manger ni boire (Ca s’appelle le Ramadan, Tony, c’est un jeûne). Ils endurent la faim et la soif dans une chaleur étouffante, comme si de rien n’était. Dans le monde musulman, ils sont capables de supporter les privations, et ils sont fiers de souffrir pour exprimer leur colère contre le massacre des Palestiniens qui se poursuit. Pour protester contre le vol par les colons du peu qui reste des territoires palestiniens. Pour protester contre le blocus de Gaza qui provoque d’immenses souffrances pour des millions de gens.

A présent, les Chrétiens Sionistes aux États-Unis et les Juifs Sionistes en Israël voudraient te faire croire que je suis en danger ici, surtout lors d’une journée de protestation comme celle-ci. Eh bien, là encore Tony, on t’a servi et fait avaler un gros mensonge. Le mensonge selon lequel lorsque les Musulmans manifestent, ils manifestent contre les «  infidèles » (comme moi, je suppose) dans une sorte de répétition moyen-orientale des anciennes croisades.

En réalité, c’est toi qui mène une croisade, Tony, pas «  eux ».

Aujourd’hui j’ai parlé à de nombreuses femmes dans la manifestation à Téhéran. Une mère qui pleurait, non pas par haine de «  l’Occident » mais par empathie avec les mères de Rafah, de Khan Younis, de Nablus et de Jenin. Reconnais-tu ces noms, Tony ? En tant qu’émissaire de la paix au Moyen-Orient, tu devrais. Au cours des dernières années, Israël y a massacré des enfants. Tu ne le savais pas ?

Quoi qu’il en soit, les femmes que j’ai rencontrées étaient douces et frustrées par le refus de la communauté internationale de faire cesser les arrestations d’enfants palestiniens, d’arrêter les bombardements réguliers des tunnels (principaux voies d’acheminement encore ouverts pour la nourriture et les denrées de première nécessité à Gaza). Nous nous sommes embrassées dans les rues de Téhéran comme des soeurs. Pas comme des soeurs dans l’Islam, Tony, mais comme des soeurs dans le combat contre ton extrémisme et tes préjugés.

Et aujourd’hui lorsque les rues de Londres résonneront des cris de «  Allahuakbar ! » et «  A bas Israël » des Chrétiens et des Juifs se joindront à ces cris aux côtés des Musulmans «  politiques » que tu déclares craindre tant, et que tu aimerais me faire craindre aussi, si tu pouvais.

Ayant passée pas mal de temps en Palestine ces dernières années, certainement plus que toi, le supposé «  émissaire de la paix », j’ai été révulsée par ton discours aligné sur celui d’Israël au sujet de la Palestine et le peuple palestinien.

Selon toi, le «  conflit » entre la Palestine et Israël est une affaire de religion et n’aurait rien à voir avec le nettoyage ethnique de la population arabe, ni avec l’avilissement par les occupants israéliens de ceux qui restent. Tu dis que les Arabes voient et verront toujours les «  Juifs » comme des ennemis. Nom de Dieu, Tony, révise un peu ton histoire. Si tu as l’intention de créer une «  Fondation pour la Foi », alors tu ferais mieux de lire l’Islam pour les Nuls, tu ne crois pas ? Est-ce que tes potes à Tel-Aviv ont oublié de te dire combien de milliers de Juifs vivaient dans la Palestine Historique en parfaite harmonie avec leurs voisins Arables avant 1948 ? Est-ce tu ignores réellement qu’aujourd’hui même des dizaines de milliers de Juifs vivent paisiblement en Iran ?

J’ai discuté avec des dizaines et des dizaines de familles musulmanes, celles dont les enfants ont été brûlés par les bombes aux phosphore américano-israéliennes. Celles qui souffrent encore de la faim à cause du siège de Gaza par Israël. Celles qui ont vécu l’époque des premières sanctions contre l’Iran lorsqu’il fallait des bons d’alimentation pour se nourrir. Et chacun de ces Musulmans, de chacune de ces familles qui souffraient, disait la même chose : «  Nous ne détestons personne pour sa race ou sa religion. Nous ne pouvons pas détester les Juifs parce qu’ils font partie de notre livre sacré et des enseignements du Coran. » Tony, laisse moi te poser une question. Pourquoi un peuple, Musulman ou pas, ne devrait-il avoir AUCUN droit à la justice et AUCUN droit à se défendre contre le mal qui lui est infligé ainsi qu’à ses enfants ? N’as-tu donc aucune idée de ce qu’est la vie à Gaza ? Soumis à un blocus, attaqué par des armes chimiques, les écoles de vos enfants rasées par des missiles israéliens, vos hôpitaux bombardés, votre électricité coupée, sans eau potable ?

Ou est-ce que tu «  comprends » que ce que subissent des millions de gens au Moyen-Orient est le résultat direct de ton soutien à Israël mais que tu penses aussi qu’ils le méritent ?

Dans ton livre tu dis que tu savais parfaitement combien de maisons à Beyrouth avaient été rasées, combien de civils étaient morts, au Liban en 2006. Et pourtant tu estimes que la colère libanaise contre le vol par Israël des «  Fermes de Sheba » (territoire libanais occupé par Israël - NdT) est exagérée pour une si «  minuscule » portion de terre. Tu n’arrives pas à comprendre qu’il s’agit d’une agression contre le Liban tout entier de la part d’un voisin lourdement armé. Tu le vois comme «  Israël est attaqué. Israël riposte », comme si Israël vivait tranquillement, en dispensant ses gentillesses autour de lui, entre deux massacres.

Lorsque d’autres dirigeants mondiaux ont exigé qu’Israël cesse immédiatement ses bombardements en 2006 sur les villes libanaises, toi tu es resté silencieux.

«  Si j’avais condamné Israël  » écris-tu, «  j’aurais été malhonnête. Pire encore, j’aurais trahi ma vision globale ».

Ta vision globale est que les Musulmans sont fous, dangereux et qu’il vaut mieux les éviter. Une épidémie qui requiert une quarantaine. Les derniers chapitres de ton livre remportent un gros succès ici, Tony, félicitations ! Car ils exposent la vision dichotomique entre «  eux » et «  nous » prêchée par tes amis à Washington et à Tel-Aviv, et par David Milliband (ministre britannique des affaires étrangères - NdT), grand ambassadeur du Sionisme s’il en est un.

Dans le dernier chapitre, tu écris : «  il nous faut une contre-offensive religieuse » contre l’Islam. Et par «  Islam » tu entends les rassemblements d’Al Quds, l’Intifada palestinienne (qui se mène sur la base d’une lutte contre l’Apartheid, Tony, pas au nom d’un fanatisme religieux), contre tout Arabe qui refuse d’agiter un drapeau blanc au passage des F16 qui larguent leurs bombes sur les maisons et les camps de réfugiés, et qui refuse d’entonner «  Imaginez si tous les gens... » (paroles de la chanson pacifiste «  Imagine » de John Lennon - NdT)

Lorsque tu dis que «  l’extrémisme » doit être «  contré et battu » tu veux parler en fait du message de solidarité exprimé aussi bien par les Musulmans que par les non-Musulmans dans les rues de Londres et à travers le monde et qui se joignent aux protestations d’Al Qods.

«  Non seulement l’extrémisme doit être battu » dis-tu mais «  c’est sa narrative qu’il faut contrer. »

L’Iran est effectivement le lieu où la tradition de l’Islam et l’action politique se rencontrent.

Mais je n’ai pas peur ici, Tony. Les gens sont gentils, accueillants et de bonne humeur.

Ils sont aussi très conscients de l’histoire de la région, des méfaits perpétrés par Israël contre la Palestine et des machinations politiques des gouvernements des États-Unis et de la Grand-Bretagne.

Ton livre est très recherché ici à Téhéran. C’est de cela, et non de l’Islam, que toi et tes potes israéliens devraient avoir peur parce que ton livre te révèle dans toute la splendeur de ton ignorance.

Lauren Booth (*)

Original :
http://www.intifada-palestine.com/2010/09/an-al-quds-day-letter-to-tony-blair-from-lauren-booth-in-iran/

Traduction VD pour le Grand Soir

(*) Lauren Booth, journaliste et militante, est la belle-soeur de Tony Blair.

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