27 mars 2020 - Doctors4Assange condamne fermement la décision prise mercredi par la juge de district britannique Vanessa Baraitser de refuser la liberté sous caution à Julian Assange. Malgré notre déclaration antérieure sans équivoque [1] [voir version française - NdT] selon laquelle M. Assange court un risque accru de maladie grave et de décès s’il contracte un coronavirus, et les preuves fournies par les experts médicaux, Baraitser a écarté ce risque, citant les directives britanniques pour les prisons en réponse à la pandémie mondiale : "Je n’ai aucune raison de ne pas me fier à ces conseils, qui sont à la fois fondés sur des preuves et fiables et appropriés" [2].
Toutefois, M. Baraitser n’a pas abordé la question du risque accru pour M. Assange par rapport à la population carcérale générale du Royaume-Uni, sans parler des prisonniers du HMP Belmarsh où Assange est incarcéré. Elle n’a pas non plus abordé le consensus médical et juridique qui se dessine rapidement, selon lequel les prisonniers vulnérables et à faible risque devraient être libérés immédiatement.
Comme la Cour l’a entendu, M. Assange court un risque accru de contracter et de mourir du nouveau coronavirus (COVID-19), une évolution qui a conduit l’Organisation mondiale de la santé à déclarer une urgence de santé publique de portée internationale [3] et une pandémie mondiale [4]. Les raisons du risque accru de M. Assange comprennent sa torture psychologique continue, ses antécédents de négligence médicale et de santé fragile, et une maladie pulmonaire chronique.
Edward Fitzgerald, Avocat, représentant M. Assange, a déclaré : "Ces experts [médicaux] considèrent qu’il est particulièrement exposé au risque de développer un coronavirus et, s’il le fait, que cela entraîne de très graves complications pour lui... S’il développe des symptômes critiques, il serait très douteux que Belmarsh soit capable de faire face à son état" [5].
Le renvoi fortuit de M. Baraitser de la situation désastreuse de M. Assange face à l’urgence COVID-19 contraste fortement non seulement avec les preuves médicales des experts, mais aussi avec la procédure elle-même. L’audience a eu lieu le troisième jour de l’instauration du confinement. Parmi les deux avocats représentant M. Assange, Edward Fitzgerald QC portait un masque facial et Mark Summers a participé par liaison audio. Les avocats américains se sont joints à la procédure par téléphone.
M. Assange lui-même a comparu par liaison vidéo, qui a été interrompue au bout d’une heure environ, ce qui l’a empêché de suivre le reste de sa propre audience, y compris le résumé de la défense et la décision du juge de district. Les partisans de M. Assange présents ont observé des mesures de distanciation sociale. Au total, seules 15 personnes étaient présentes, y compris le juge, les avocats et les observateurs.
Baraitser a également commis une erreur en déclarant que, comme aucun prisonnier du HMP Belmarsh n’est actuellement atteint de coronavirus, M. Assange n’était pas encore en danger. L’avocat de M. Assange a par contre noté qu’ils ont eu des difficultés à lui rendre visite après avoir appris par le personnel de Belmarsh que plus de 100 employés de Belmarsh sont actuellement "auto-confinés". En outre, il n’est pas certain que les prisonniers de Belmarsh aient même été testés pour le coronavirus.
L’assurance de Baraitser que les mesures gouvernementales étaient adéquates pour protéger M. Assange a également sonné creux le jour même où le gouvernement britannique a annoncé que le Prince Charles avait été testé positif au COVID-19. Si le gouvernement britannique ne peut pas protéger sa propre famille royale contre la maladie, comment peut-il protéger de manière adéquate ses prisonniers les plus vulnérables dans les prisons, qui ont été décrites comme des "lieux de reproduction" du coronavirus ?
De plus, le jour de l’audience, on a appris que 19 prisonniers dans 10 prisons du Royaume-Uni avaient été testés positifs pour le coronavirus, soit une augmentation de 6 prisonniers en 24 heures [6]. Depuis l’audience et jusqu’à ce jour, deux détenus britanniques sont morts de la COVID-19, tous deux, comme Assange, sont des hommes appartenant à des groupes à haut risque [7].
Cette nouvelle, et la décision de refuser la libération sous caution de M. Assange, sont alarmantes à la lumière des nombreuses déclarations et rapports qui ont dénoncé le risque pour les prisonniers, recommandant d’urgence la libération des prisonniers non violents, ainsi que les actions prises par d’autres nations pour atténuer le risque.
Plus précisément, un rapport du 17 mars [8] du professeur de santé publique, Richard Coker de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, a constaté que les "lieux de rassemblement" tels que les prisons offrent des conditions idéales pour la "transmission explosive" du coronavirus. "Les heures comptent" en termes de confinement, prévient le professeur Coker. Le rapport recommande que "si la détention n’est pas nécessaire, elle devrait être assouplie. Cela devrait être fait avant que le virus n’ait la possibilité d’entrer dans un centre de détention".
En conséquence, le jour même de l’audience de libération sous caution de M. Assange, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a publié une déclaration [9] appelant les autorités à libérer les prisonniers qui sont particulièrement vulnérables à COVID-19, ainsi que les détenus à faible risque. "Maintenant, plus que jamais, les gouvernements devraient libérer toute personne détenue sans base légale suffisante, y compris les prisonniers politiques et autres détenus simplement pour avoir exprimé des opinions critiques ou dissidentes", a-t-elle déclaré.
Le Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a averti que dans une crise sanitaire telle que celle provoquée par COVID-19, les droits des personnes détenues doivent être protégés en vertu des "Règles de Mandela" des Nations unies régissant les droits des prisonniers, notant que les prisons abritent des populations vulnérables telles que les personnes âgées, les détenus malades ou handicapés, et les détenues enceintes ou mineures. Ces populations sont souvent détenues dans des établissements "surpeuplés" et "peu hygiéniques", parfois "dans des conditions dangereuses", a-t-elle souligné.
"L’éloignement physique et l’auto-isolement dans de telles conditions sont pratiquement impossibles", a écrit le Haut Commissaire. "Avec l’apparition de la maladie, et un nombre croissant de décès, déjà signalés dans les prisons et autres institutions dans un nombre croissant de pays, les autorités devraient agir maintenant pour prévenir de nouvelles pertes de vie parmi les détenus et le personnel".
Conformément à ce conseil, dans le pays d’origine de M. Assange, l’Australie, le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud a annoncé le 24 mars [10] la libération anticipée de certains prisonniers, en fonction de leur "vulnérabilité sanitaire" et de leur statut de détention et de condamnation, à la lumière de la pandémie COVID-19.
Aux États-Unis, le médecin en chef de Rikers Island, dans l’État de New York, a exhorté les juges et les procureurs à libérer les détenus, dans la mesure du possible, pour les protéger contre le coronavirus, et 600 prisonniers incarcérés pour des délits mineurs et non violents ont été libérés à Los Angeles. Plus de 3 000 médecins et travailleurs médicaux ont également signé une lettre ouverte exhortant les autorités d’immigration américaines à libérer les détenus afin d’atténuer l’épidémie de COVID-19 [11].
Ajoutant leur voix juridique à celle de ces autorités médicales et des droits de l’homme, au lendemain de l’audience de libération sous caution de M. Assange, trois professeurs de droit et de criminologie ont recommandé "d’accorder une libération sous caution aux prisonniers non condamnés pour arrêter la propagation du coronavirus" [12].
Julian Assange est justement un prisonnier non condamné qui présente une grande vulnérabilité sur le plan de la santé. Il est détenu en détention provisoire, sans peine de prison ni inculpation au Royaume-Uni, et encore moins condamnation.
Doctors4Assange craint en outre que le maintien d’Assange à Belmarsh n’augmente non seulement son risque de contracter un coronavirus, mais aussi son isolement et son incapacité à préparer sa défense pour l’audience d’extradition à venir, en violation de son droit fondamental à préparer sa défense. Les avocats de M. Assange ont été de plus en plus empêchés de lui rendre visite car les prisons réduisent les visites pour empêcher la propagation du coronavirus.
Ces deux facteurs contribuent déjà largement à la torture psychologique de M. Assange, et nous sommes alarmés par le fait que la combinaison de la décision de Baraitser et des restrictions carcérales de plus en plus strictes en réponse à la pandémie va intensifier cette torture. Cela accroît encore sa vulnérabilité au coronavirus.
En outre, il est peu probable que les témoins d’Assange puissent se rendre à son audience d’extradition en mai, en raison des restrictions de voyage mises en place par le Royaume-Uni ou leur pays d’origine. Cela pourrait retarder davantage son audience d’extradition, prolongeant ainsi les sévices médicaux dangereux qu’il a subis sous forme de torture psychologique et de négligence médicale à motivation politique, comme nous l’avons expliqué dans notre lettre publiée dans le numéro du 7 mars de The Lancet [13]. [voir version française - NdT]
Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de WikiLeaks, a résumé la décision de Baraitser d’une manière conforme au consensus médical et juridique écrasant et à l’éthique médicale de longue date : "Exposer un autre être humain à une maladie grave, et à la menace de perdre la vie, est grotesque et tout à fait inutile. Ce n’est pas de la justice, c’est une décision barbare" [14].
Contact : info@doctorsassange.org
Twitter : https://twitter.com/doctors4assange
Traduction "tout part à la dérive" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.