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De quoi Barack Obama représente-t-il la victoire ?

Pendant des mois, de nombreux médias nous ont parlé d’obamania comme d’une maladie typiquement française fonctionnant dans le déni de la réalité américaine, profondément raciste, obscurantiste, anti-sociale et anti-intellectuelle, acquise par nature et par culture aux causes de Sarah Palin autant qu’à celles de John McCain. Les mêmes aujourd’hui sont, ou bien gagnés par la maladie ou bien se consolent déjà avec l’idée que Obama, McCain et Bush sont blanc bonnet et bonnet blanc. C’est surtout dans la gauche « critique » que le deuil est déjà fait, à peu de frais puisqu’il précédait l’évènement. Certes, Barack Obama n’est pas un révolutionnaire, il n’est pas hostile au capitalisme, il ne se déclare ni communiste ni même socialiste. Pourtant il a obtenu 47% des voix nationales sur la base de ces propositions : à l’intérieur, augmentation des impôts pour les hauts revenus, couverture médicale universelle, engagement de l’Etat en faveur de l’éducation, de la recherche et de l’écologie énergétique, davantage de protectionnisme de l’économie américaine, en un mot : plus d’Etat fédéral dans l’union des Etats américains. A l’extérieur : la paix plutôt que la guerre, plus de multilatéralisme, retrait des troupes US d’Irak en 16 mois, discussion sans conditions avec l’Iran, la Russie, le Pakistan et même avec les organisations islamistes comme le Hamas ou les Talibans afghans, relations d’ouverture et de collaboration avec l’Amérique latine (malgré l’anachronisme que représente toujours l’embargo sur Cuba, le dernier vestige de la guerre froide).

Pourquoi se réjouir au M’PEP de l’élection de Barack Obama puisqu’il n’est pas anticapitaliste et peut-être même pas antilibéral, et bien qu’il appelle à « changer l’Amérique » et même le monde, il ne dénonce pas pour autant le système capitaliste comme étant la racine de tout ce qui va mal ?

Première raison et non des moindres : G.W. Bush est battu plus qu’aucun président américain ne l’a jamais été

Son impopularité croissante depuis sa ré-élection en 2004, aux USA et dans une grande partie du monde, s’est traduite en chiffres par la voie électorale dans son pays ; si depuis plusieurs années « le monde n’aimait pas les USA », aujourd’hui 53% d’Américains n’aiment pas la politique de leur président et surtout la rejettent. Que la victoire d’Obama s’avère « historique » ou non, la disqualification de l’administration Bush, de son idéologie et de ses politiques est déjà un évènement de première importance. Peu importe que Obama soit ou non antilibéral, qu’il soit socialiste ou centriste de gauche ou même du centre : c’est l’idéologie en actes des néo-conservateurs et des néo-libéraux, des « Faucons de la Maison blanche » qui a perdu.

D’abord sur ses prévisions des merveilleux effets de l’autonomie des marchés, de la dérégulation et du moins d’Etat comme le prouve l’actuel effondrement de l’économie mondiale ; ensuite sur les résultats avérés désastreux du Patriot Act et de la guerre préventive en Irak et en Afghanistan, voire plus récemment en Géorgie. Enfin, et c’est peut-être le plus important pour les années qui viennent, l’idéologie en action depuis plus de 20 ans a perdu du crédit dans l’opinion d’une majorité d’Américains. Evidemment, il ne faut pas en déduire que la doctrine Bush aurait magiquement disparu aux USA ou chez ses partisans dans le monde : il ne s’agit que d’un résultat électoral. Mais à lui seul il est riche d’enseignements positifs.

- D’abord par la mobilisation massive des électeurs, en particulier celle de catégories sociales, générationnelles ou ethniques qui n’avaient jamais voté. Il est clair aujourd’hui d’après les analyses du scrutin que cette repolitisation, exceptionnelle depuis un siècle, a profité à Obama au détriment de son adversaire.

- Ensuite si on considère la répartition des votes « bleus » et « rouges » : il était classique que les côtes est et ouest votent démocrate, tout le centre et le sud du pays étant de longue date le plus sûr soutien des vieux conservateurs et des néos, des fondamentalistes religieux, des va-t-en guerre défensive, des nostalgiques de la ségrégation raciale. Or dans cette élection, le paysage a très sensiblement changé ; il montre deux ceintures nord-est et sud-est qui pénètrent certains des bastions les plus traditionnellement réactionnaires (Iowa, Ohio, Colorado, Nevada, Virginie, Caroline du Nord, Nouveau Mexique et presque Missouri). La sociologie politique des Etats-Unis est en grand bouleversement et pour la première fois, il en existe une traduction politique nationale.

- Enfin par un paradoxe des plus encourageants : 53% d’Américains (qu’on dit volontiers en France dépolitisés, mal informés sinon complètement ignares), sont les premiers a avoir rejeté un modèle de développement derrière lequel l’Union européenne des 27 court de plus en plus (malgré la crise), avec au premier rang, le président Sarkozy moralisateur du capitalisme financier. Au lendemain des résultats, François Fillon a célébré la « fin définitive des pages sombres de la ségrégation. » Ce sont d’abord les sombres pages de l’ère Bush qui se trouvent aujourd’hui largement rejetées. Que la page soit tournée et surtout définitivement est une autre affaire, on ne tourne pas les pages de la réalité comme celles d’un album de photos. Par exemple la page où Sarkozy annonçait qu’il sortira enfin la France de l’archaïsme en matière d’accès à la propriété en favorisant les prêts hypothécaires aux plus démunis, n’est sûrement pas tournée. Car chez nous, les plus injustes des mesures sont toujours recouvertes d’un vernis de souci pour les pauvres. Le double discours ne fait pas partie des moeurs politiques américaines, la violence faite aux pauvres et aux catégories en voie de paupérisation accélérée ne se donne pas les apparences de la vertu. Sarkozy n’a donc aucun mal à fustiger le capitalisme pour son immoralité, tout en détruisant consciencieusement les acquis sociaux dont sont privés les Américains. Un chef d’Etat qui prend des mesures sociales inédites dans son pays est préférable à tous ceux qui pérorent tout d’un coup contre le capitalisme parce que l’argent se fait rare.

Deuxième raison : la révolution que constitue déjà l’élection d’Obama, en elle-même paradoxale

C’est dans un pays où les communautarismes sont les plus manifestes et sont même garantis dans leurs droits par la Constitution, que s’affirme majoritairement et contre toute attente un « rêve » anti-communautariste. L’appel à l’unité du peuple américain par Obama n’a rien à voir avec l’union sacrée réclamée par Bush pour la lutte « contre le terrorisme » ou celle que réclame aujourd’hui Sarkozy pour moraliser le capitalisme financier. Il s’agit bel et bien d’une révolution culturelle citoyenne prenant à rebours les deux siècles de l’histoire américaine. Obama ne réformera certainement pas la Constitution qui attribue une si grande quantité de droits aux individus et aux communautés (dont celui de posséder des armes pour « se » défendre). Mais bien que son appel à l’unité n’ait de sens que dans le constitutionnalisme américain, il nous interpelle aussi en tant que citoyens, Français, Anglais, Allemands, Européens, Russes, Vénézuéliens, Sénégalais, Israéliens, Iraniens, Afghans, etc.

Autrement dit : partout où les hommes et les femmes ont le droit de voter pour leurs dirigeants ; il n’est pas étonnant que ce résultat soulève un si grand espoir chez les peuples les plus exploités d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.

Un autre enseignement concerne la campagne menée par Obama ; certes de façon traditionnelle par meetings et débats contradictoires avec son adversaire, mais pour la première fois dans l’histoire par la mobilisation de millions de militants pendant des mois par le moyen d’Internet. Ce phénomène s’est déjà produit en France au moment de la campagne pour le Non au Traité constitutionnel européen en 2005 : un nouveau type d’action militante qui s’adresse directement à des millions de personnes et leur permet une participation démocratique d’un nouveau type.

Pour un nombre croissant de personnes dans le monde y compris les plus déshéritées, la Toile est devenue un média plus crédible et plus efficace que les médias traditionnels. Si la presse française a tellement critiqué l’obamania (en particulier Libération), c’est aussi parce que son monopole en matière d’information est fortement menacé, on l’a vu en France pendant la campagne du référendum.

Troisième raison : l’élection d’un président noir à la « Maison Blanche » ?

Oui et non. Oui, parce que l’événement était inimaginable, bien davantage que dans aucun pays européen contrairement à ce que répètent les médias aujourd’hui. Non, parce que sa négritude n’a jamais été par lui-même présentée comme une revanche ni même comme une justice réparatrice, mais au contraire comme une nouvelle conception de la citoyenneté où les différences d’origine ne compteraient plus dans la vie publique. Bien que le terme ne soit pas approprié pour les Etats-Unis, la victoire d’Obama est celle d’une citoyenneté laïque au sens d’une séparation entre les appartenances de fait et les compétences des citoyens (A lire : son discours sur les races à Philadelphie en mars et son discours à Berlin au cours de sa tournée mondiale.). A l’heure où l’Europe et en particulier la France s’engagent de plus en plus dans des politiques de quotas d’ « immigration choisie » et de « discrimination positive des minorités » selon le modèle américain d’après les années 1970, c’est ce modèle qui a été battu, et qui plus est, par 70 % des minorités ethniques et 65% de la classe d’âge 18-25 ans.

Il faut expliquer un peu le terme « laïcité » qui peut surprendre à propos d’un pays où toutes les autorités publiques élues prêtent serment sur la Bible, geste que Obama fera sans le moindre doute en janvier. La Constitution américaine (inchangée depuis 150 ans…) n’est pas une Constitution laïque comme l’est par principe celle de la France lorsque le régime politique y est républicain. Du reste, le principe de la laïcité de l’Etat est une exception française très loin de régner dans les autres pays européens ni d’y être approuvé. Sans trop entrer ici dans des analyses historiques et philosophiques, la laïcité « à la française » n’est pas ce que beaucoup croient aujourd’hui y compris chez les responsables politiques de droite comme de gauche.

Depuis plusieurs années on a assisté en France à un découpage de la laïcité selon qu’elle serait « positive » (en faveur des religions dans la vie publique) ou « négative » (hostiles à leur influence). Bien que président d’une république laïque, Sarkozy n’a pas hésité à faire publiquement et pas seulement en France, l’éloge du rôle des religions en politique (Latran en décembre 2007, Ryad en janvier 2008, Paris en septembre). Or le principe de laïcité à la française n’implique ni positivité ni négativité à l’égard des religions, il repose sur la seule séparation du politique (public) et du religieux (privé), en un mot sur la neutralité de l’Etat en matière de religions. A ce point de vue, la Constitution américaine n’est pas laïque ; elle prône la tolérance religieuse, ce qui n’est pas du tout la même chose ni en principe ni dans les faits.

Un seul fait indéniable dans les régimes de tolérance peut être évoqué ici, y compris en Angleterre patrie de naissance de la tolérance : le renforcement des communautarismes et des particularismes et partant, la confusion croissante entre le lien social d’appartenance et le lien citoyen (Voir le texte du M’PEP Comment lutter contre la dépolitisation ? mars 2008).

Il n’est pas exclu que, à titre personnel et compte tenu de son histoire propre, Obama soit partisan de la laïcité à la française comme le sont plusieurs composantes de la gauche américaine. Il n’en reste pas moins que son appel présidentiel à l’unité du peuple américain indépendamment des murs qui séparent les citoyens dans leurs nombreuses singularités, ressemble de très près à un appel pour la laïcité en politique. On ne peut pas en dire autant d’une partie de la gauche française y compris au PS et au PCF. Rappelons que les députés communistes et plusieurs socialistes ont voté en 2004 contre la loi sur le port ostensible de signes religieux dans les établissements d’enseignement public. Enfin parmi les motions en vue du congrès du PS, les deux seules à se prononcer clairement pour la laïcité sont celles de Ségolène Royal et de Benoit Hamon.

Quatrième raison : l’élection d’Obama donne tort à tous les cyniques et les conformistes pour qui l’adaptation à la « modernité » de la mondialisation néolibérale serait devenue une nécessité hors de laquelle il n’y aurait que stagnation et mort

Or le pays moderne par excellence, censé être le modèle « du » développement pour le monde entier, vient de se prononcer sans équivoque pour une autre « modernité ». Dans son premier discours présidentiel, Obama a fait une déclaration surprenante en affirmant que la force des Etats-Unis n’est pas dans leur puissance mais dans la capacité de ses citoyens à avoir des idées nouvelles quand ils y travaillent ensemble. Certes il a aussi parlé de réhabiliter le leadership américain dans le monde, et il est tentant d’y voir un engagement à continuer la politique de Bush avec plus d’élégance et moins de brutalité. Mais au lieu de supposer a priori une continuité que rien n’atteste, nous pouvons aussi retenir ce qu’il a effectivement annoncé : on peut être moderne autrement qu’en développant de la puissance. La force des nations et des hommes serait mieux employée en essayant d’améliorer l’état économique, politique, social, écologique de la planète.

Ce sont tous ces paradoxes qui font la valeur de l’élection de B. Obama à la tête de la plus grande puissance mondiale. Marx disait : « l’histoire ne se répète pas, elle bégaie » ; mais parfois elle produit des surprises quand les peuples s’en mêlent.

»» ARTICLE ORIGINAL - MOUVEMENT POLITIQUE D’EDUCATION POPULAIRE (M’PEP)
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