RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
Montpellier : M. Chirac s’adresse à la Conférence contre la faim.

De la posture à l’imposture

En marge de la Conférence mondiale sur la faim se déroulant à Montpellier (1), M. Chirac a cru bon, de nous faire part de ses propositions personnelles. Que nous dit M. Chirac dans l’article qu’il accorde au journal régional « Midi Libre » (2) ? Comme souvent il commence par une déclaration de bonne intention : « Nourrir une population croissante sans détruire les écosystèmes, tirer le meilleur parti des technologies et des marchés internationaux sans condamner la paysannerie et la diversité, voilà quels sont les enjeux d’une action globale. » (3). Déclaration de bonne intention s’il en est ! Cependant, comme fréquemment, concernant M. Chirac, le scepticisme est vite alimenté par la suite de son propos. En effet, dans la même interview, une autre affirmation, quant à elle, frise carrément l’imposture : « Depuis 50 ans, des résultats impressionnants ont été obtenus. La planète a réussi à nourrir une population multipliée par quatre en un siècle, les agriculteurs et les agronomes parvenant à démentir ainsi le Club de Rome qui, dans les années 70, prédisait un état de famine chronique. » (4). Ah bon M. Chirac, le Club de Rome s’était trompé ? La FAO ment ? Les ONG ne racontent que des balivernes ? Malheureusement non, M. Chirac, la planète ne nourrit pas tous ses enfants et les affamés sont toujours plus nombreux. Les chiffres claquent, ils vous démentent et sont horrifiants : en 1969, on comptait 878 millions de personnes sous-alimentées, aujourd’hui, avec ce que vous considérez comme « progrès » on est passé à … 1,02 milliard (5) ! Quelle curieuse conception du progrès ! Sachant par ailleurs, qu’un enfant meurt toutes les 5 secondes, les populations concernées apprécieront.

Une révolution verte ?

Tel, « l’homme qui tombe à pic », imperturbable, M. Chirac, aligne ses solutions.
Premier lapin sorti du chapeau : la « nouvelle révolution verte » (6).

Qu’en est-il de ce concept qu’on voit tourner en boucle, depuis un certain temps, de congrès officiels en réunions internationales ?

Qu’en pense donc le très sérieux supplément économique « Le Figaro » : « En revanche
l’Inde, malgré sa révolution verte, compte 30 millions d’affamés en plus. Le Pakistan, l’Éthiopie, le Congo, la Sierra Leone, le Guatemala s’enfoncent dans la crise. Au total, trente et un pays éprouvent de grandes difficultés, surtout dans la Corne de l’Afrique.
 » (7). Bizarre, bizarre…

En réalité, tout bêtement, derrière cette révolution verte, on trouve surtout les plus grands spécialistes de l’agrobusiness comme DuPont/Pioneer Hi-Bred, le plus de grand détenteur mondial de brevets de semences OGM, Syngenta, multinationale suisse spécialisée dans les OGM et les semences agro-industrielles, Monsanto Corporation, entreprise américaine dont le nom est associé à l’agent orange, la Rockfeller Foundation qui a investi plus 100 millions de dollars dans la recherche génétique ces 30 dernières années, la Bill & Melinda Gates Foundation… tous regroupés dans la « Svalbard Seed Vault », la banque de semences basée en Norvège et parrainée par le gouvernement norvégien (8).

OGM, agro-industrie, agrochimie, agrobusiness ... Qui donc, honnis M. Chirac, pouvait attendre de ces acteurs autre chose que l’extension de la misère et l’aggravation de la faim ?

De la sécurité alimentaire ...

Deuxième lapin surgit du chapeau chiraquien : la « sécurité alimentaire » (9).

Connaissant la culture de M. Chirac comme sa maitrise de la sémantique, nul ne saurait imaginer qu’utilisant le mot « sécurité » en lieu et place de « souveraineté » il commet une erreur.

Non, M. Chirac ne se trompe pas et utilise cette définition à dessein : Référons nous au Larousse.

Sécurité : « Situation de quelqu’un qui se sent à l’abri du danger, qui est rassuré. ».
Souveraineté : « Pouvoir suprême reconnu à l’État, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe). »

Que peut-on dire de plus mis à part que « souveraineté » signifie indépendance et que « sécurité » apportée par un tiers, induit la dépendance. Non, M. Chirac, les pays pauvres n’ont nul besoin de cette sécurité là , celle qui induit la dépendance et la soumission économique. Ils ne demandent que l’accès à leur juste droit à l’indépendance et à l’autosuffisance alimentaire.

… A la sécurité foncière

Concernant la « sécurité foncière (10) », dernier lapin que nous réserve M. Chirac, c’est-à -dire « Je crois indispensable d’établir une sécurité foncière et de faire reconnaitre les droits des populations locales sur leurs terres » (11) sachant que M. Chirac s’adresse aux principaux accapareurs de terres, on ne peut que rester stupéfait. Sont en effet présents à Montpellier : le CGAIR (12) qui regroupe les majors parmi les acheteurs de terres (IRRI (13), IFPRI (14), Rockfeller Foundation), Bill & Melinda Gates Foundation, des représentants officiels de gouvernement chinois, jordanien, égyptien, saoudien, eux aussi très actifs dans l’accaparement des terres.

Poudre aux yeux, voeux pieux, mensonges ... pendant ce temps la faim continue de tuer.

Pourtant, des solutions existent mais elles ne sont pas celles de M. Chirac. Elles passent évidemment par une politique de souveraineté alimentaire et de réforme agraire très simples à réaliser : cultures vivrières à destination des populations locales, stricte limitation des importations à vil prix, abandon des exportations agricoles vendues moins chères que le coût de revient.

Enfin, n’en déplaise à M. Chirac et à ses amis, pour sauver tout de suite des vies humaines, il convient, évidement, d’envisager l’interdiction totale et immédiate de l’accaparement des terres et la restitution de toutes les terres achetées-volées aux paysans.

Nathalie PAYET
Membre fondatrice d’Afrique Indo Solidaire (AIS)
www.afriqueinfosolidaire.com
Montpellier, le 2 avril 2010

[1] Conférence mondiale sur la recherche agricole pour le développement (GCARD, en anglais) du 28 au 31 mars 2010 tenue à Montpellier

[2] Tribune du Midi Libre du 29 mars 2010, intitulée « Sécurité alimentaire : pour une nouvelle révolution verte » de Jacques Chirac

[3] [4] [6] [9] [10] [11] Ibid.

[5] Chiffres donnés par la FAO (Food and Agriculture Organisation of the United Nations)
http://www.fao.org/hunger/hunger-home/fr/

[7] Le Figaro du 16/11/2009, article de Richard Heuzé « Pas d’objectif chiffré pour réduire la faim dans le monde » A l’occasion du Sommet de la F AO de Rome
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2009/11/16/04016-20091116ARTFIG00331-la-faim-dans-le-monde-au-sommet-.php

[8] Annonce officielle du Ministère de l’agriculture norvégien le 13/01/2006 :
http://www.regjeringen.no/en/dep/lmd/campain/svalbard-global-seed-vault.html&anno=2
Financeurs du "Svalbard Seed Vault" : article de F. William Engdahl « Bill Gates, Rockefeller
and the GMO giants know something we don’t », 05/12/2007
http://www.globalresearch.ca/PrintArticle.php?articleId=7529

[12] Site officiel du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR en
anglais) http://www.cgiar.org/languages/lang-french.html
Pour aller plus loin sur le CGIAR, lire article « Le CGIAR impliqué dans l’accaparement des
terres au niveau mondial » publié par GRAIN, le 8/10/2009
http://www.grain.org/articles/?id=53

[13] Site officiel de l’Institut International de Recherche sur le Riz (IRRI)
http://beta.irri.org/index.php/Home/Welcome/Frontpage.html
Pour aller plus loin sur l’IRRI, lire article « L’« arche de Noé végétale » en Arctique » par F.
William Engdahl, le 15/02/ 2008

[14] Site officiel de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) http://www.ifpri.org/

Pour aller plus loin sur l’IFPRI, lire article « Le CGIAR impliqué dans l’accaparement des
terres au niveau mondial » publié par GRAIN, le 8/10/2009
http://www.grain.org/articles/?id=53

URL de cet article 10378
   
Même Thème
We Feed The World (documentaire)
DIVERS
Synopsis Un film pour éveiller les consciences sur les absurdités et les gachis de la production, la distribution et la consommation des produits alimentaires. Chaque jour à Vienne, la quantité de pain inutilisée, et vouée à la destrction, pourrait nourrir la seconde plus grande ville d’Autriche, Graz... Environ 350 000 hectares de terres agricoles, essentiellement en Amérique latine, sont employés à la culture du soja destiné à la nourriture du cheptel des pays européens alors que près (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Je ne sais pas ce qu’est un homme, je ne connais que son prix.

Bertolt Brecht

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.