Sarkozy de Nagy-Bocsa va reprendre sa batmobile pour naviguer dans les parages de Pluton, nous apprennent les médias, alors que la lutte contre sa réforme bat le pavé et les usines massivement. Il devrait s’intéresser, plutôt donner leçon au bas peuple par voie de discours ici ou là , entouré comme il se doit par sa phalange personnelle de quatre-vingt robocops, slalomant en secret entre les manifestants qui souhaitent lui parler du pays. Jamais il n’est prévu dans son agenda qu’il prononce le moindre propos sur une de ces régressions dont il nous assomme depuis qu’il est au pouvoir, la « réforme des retraites.
Comme d’ordinaire, il s’efforcera de concurrencer Don Quichotte en multipliant les pauses matamoresques et les proses grandiloquentes. Et qui veut l’entendre saura qu’il faudrait lui passer sur le corps pour obtenir qu’il arrête de cingler le pays déjà exsangue avec ses réformes économiquement stupides, politiquement suicidaires pour sa caste UMP et moralement indignes...
Qu’à cela ne tienne. Les trois-quarts des français, consultés par sondage BVA piétinent sa popularité, sa réforme des retraites en particulier et ses réformes en général. L’ensemble du pays ne veut plus ni les idées, ni les actes, ni la personne même de Sarkozy de Nagy-Bocsa.
Pour réplique à cette inqualifiable audace, l’autiste autocrate dégaine Hortefeux, avant de s’en aller en terre de mission. Hortefeux déboule donc aujourd’hui, avec une formule dum-dum : « « Nous ne laisserons pas bloquer le pays et nous ne laisserons pas les voyous impunis. »
Fouilles en territoire sémantique miné.
« Nous » renvoie naturellement à une dichotomie usée que le Sarkoland chérie. Il y aurait le pays réel, la France majoritaire, silencieuse, bosseuse et obéisseuse qui profiterait des bienfaits de l’ultra-libéralisme et une poignée d’agitateurs, feignants et subversifs, la face sombre du pays, qui méconnaîtrait les efforts des gouvernants pour lui améliorer la vie.
Dichotomie proprement hallucinante au regard de ce que l’on sait du pays réellement réel. Un pays où huit millions des français sont en deçà du seuil de pauvreté et dix pour cent des habitants possèdent vingt-quatre pour cent des richesses, soit huit fois plus que les dix pour cent les plus pauvres. Ce, sans affiner et comparer avec les dix plus grosses fortunes de France, qui cumulent à elles seules un patrimoine de cent milliards d’euros, soit cinq millions cinq cent soixante-sept mille années de SMIC, soit un quinzième de toute la dette publique de la France, soit cinq fois le « trou de la Sécu », qui oblige nos aimés gouvernants à dérembourser des médicaments indispensables aux malades de longue durée.
« Nous ne laisserons pas bloquer le pays ». Un couperet qui tombe après deux ans de manifestations de plus en plus massives contre une réforme, une seule. Une seule réforme qui s’inscrit, trop fortement pour passer le cap de la résignation, dans la logique de dizaines d’autres visant à instaurer la pensée et l’ordre ultra-libéral, sans entamer les profits des multinationales bancaires qui gouvernent Sarkozy de Nagy-Bocsa et nous derrière, ou empêcher celles-ci de s’emparer de l’éducation, de l’audio-visuel, de l’énergie, du transport, de la santé, de la sécurité, et bientôt, exemple américain oblige, de la défense.
Rupture, donc, avec un modèle social conquis à la Libération, pour le bien-être citoyen, économique et social des français et, accessoirement, l’héritage gaulliste donc Sarkozy de Nagy-Bocsa e eu le front de se revendiquer alors qui le piétine aujourd’hui en nous livrant aux firmes capitalistes et nous bradant aux USA pour un strapontin à l’OTAN.
Rupture frénétique et majeure qui creuse sans cesse la crise, pour consacrer la fin de la politique au sens noble, radicaliser les communautarismes, étouffer pensées, libertés et avenir dans sa poigne d’or fin, devant les socialistes agenouillés dans le palais où les rois célébraient leur gloire, Versailles temple honni de l’aristocratie qu’ils acceptent, cautionnent, encouragent, en attendant 2012 et l’oubli des français.
Non, décidément non, circulez y a rien à contester. Par cette destruction des retraites en forme de lettre de cachet, les nobliaux au pouvoir nous apportent décidément le Bien, qu’on se le dise !...On refuse non seulement de retirer la réforme, de transiger, et même d’écouter. On renvoie le pays au rang d’individus qui empêchent la France de fonctionner, entre gangsters et saboteurs, dans une vision fonctionnaliste et dictatoriale d’une société conçue comme une hiérarchie inébranlable entre décideurs et décidés, rendus à l’état de choses à manipuler, qui convoque fatalement l’ancien paradigme aristocratique où les sujets n’avaient que le droit d’exécuter le bon-vouloir de maîtres par Dieu destinés à gouverner.
Nous sommes là dans les fantasmes préférés de l’extrême-droite - à propos de l’extrême-droite déclarée, on voit combien le FN prétendu « social », au service des pauvres, est absent dans l’affaire, tout à fait silencieux sur la légitimité d’un bouleversement éminemment populaire - qui ne connaît ce qui l’interpelle et la conteste que sous la forme dégradante et diabolisante de l’adversaire à frapper, à contraindre. Et valorise une hiérarchie où le chef à toute la figure du monarque, dont la supériorité est essentielle, le pouvoir naturellement non partagé et les décisions corrélativement si incontestables que toute mise en cause est vécue comme insupportable.
Il faut évidemment penser que des considérations plus larges sont au rendez-vous de ces diktats façon colonels. Les volontés d’une UE prompte à techniciser les tentations totalitaires de l’Empire dont elle est le plus empressé des alliés courent aussi sous cette acharnement hystérique à maintenir une réforme impensable. L’attente des banquiers spéculateurs n’est pas mince non plus devant cette source de profits conséquents que ce sera l’allongement de la durée du travail, et la recherche de compléments de retraite en capitalisation par les rares qui en auront la possibilité.
Tout cela s’inscrivant dans la double logique d’un refus planétaire, d’une part, des politiques d’assumer leurs responsabilités sociétales devant une mondialisation qui leur échappe mais alimente leur nécessité, leurs liens, leur endogamie, et d’autre part d’une montée du mal générique qui guette toute structure de pouvoir, celui d’exercer en multipliant les hiérarchies et modalités de ce même pouvoir, pour n’être plus qu’une machine ultra-complexe métastasant pour délégitimer sans retour ce qui fonde sa nécessité et sa permanence, les peuples.
Il n’en reste pas moins que cette nouvelle braise jetée au visage du peuple par Hortefeux désigne toujours une méthode de gouvernement singulière du pouvoir français actuel. Un pouvoir ou l’ADN extrême-droite téléguide les comportements et les décisions depuis fort longtemps. Sarkozy n’a pas cessé depuis le temps où il menaçait en pleine Assemblée les députés adverses, de pratiquer l’outrance verbale au service d’un gouvernement autoritaire, relayé avec zèle par l’entier paradigme des soutiens, alliés et obligés. Les exemples en sont légions.
Le plus significatif étant qu’il n’est jamais revenu sur aucune des lois et mesures proposées par lui et son gouvernement, ne les a jamais mises en question a priori ou a posteriori et n’a jamais cherché à en faire le diagnostic - même pour le scandale H1N1 dont les conclusions et les corrections n’ont été que marginales -, contrairement à ce qu’il professe, exige des autres et leur reproche volontiers de ne pas faire. Le pouvoir impose, le pouvoir dispose, le pouvoir tire sa puissance de son inflexibilité, dans une spirale sans fin où l’unique est magnifié et servi, car ce qu’il impose est son admirable réalité.
Dans cette fuite que le propos d’Hortefeux représente, nous glissons insensiblement du management du « holding France » au management de la terreur d’une France qui en a soupé des volontés et coupes franches pratiquées par le sarkozysme dans sa chair.
« Nous ne laisserons pas les voyous impunis », clame-t-il, Hortefeux, droit dans ses boots. A l’évidence, la radicalité qu’il dénonce, comme son collègue Woerth et autres, est indiscutablement au coeur de son propos. Les « voyous », voilà l’ennemi. L’ennemi ne se résout pas à une poignée de lycéens excités par les forces policières et les nervis de service téléguidés par le pouvoir. Nous tous, nous les membres du pays réel, voilà la poignée qu’Hortefeux assimile, dans une compression digne de César, à ces casseurs qui hantent sans doute ses nuits.
« Casseurs » ou « voyous », termes génériques qui essentialisent la contestation. Les casseurs sont indéfinis, indéfiniment extensibles comme l’est la peur, la peur qui a vu son ombre bouger, dans la cour de son immeuble digicodé et cerné de caméras. Il n’y a évidemment aucun « voyou » qui pourrait arriver à la hauteur de la horde monstrueuse et possiblement étrangère que convoque le verbe ministériel. Nous sommes encore dans le registre du fantasme tout à fait bas de gamme et populiste.
Six manifestations ont rassemblées des millions de personnes depuis deux ans. Quasiment aucun incident à déplorer. Des milliers de jeunes manifestent encore depuis quelques jours, avec quelques traces d’énervement qui les conduisent à bruler une poubelle ou lancer un caillou sur des CRS. Pour mémoire douze personnes par jour environ sont tuées dans un accident de la route, deux cent blessées, pour ne citer que cet élément de comparaison.
Le phénomène « voyou » est une vieille invention rhétorique infondée et hargneuse qu’on nous a ressorti de la naphtaline, avec les « casseurs ». Seule innovation récente, l’expression « guérilla urbaine » qui étend le domaine de la menace. Hortefeux est en guerre. Nous ne sommes plus des manifestants désormais, au mieux nous nous voyons relégués dans la zone de la voyoucratie, au pire dans les acteurs d’une guerre civile que la rhétorique performative du ministre livre déjà à soixante millions de « voyous ».
Nous ne sommes pas entrés en guerre, les médias du pouvoir nous l’auraient triomphalement annoncés. Et notre casier judiciaire, du moins pour la plupart d’entre nous, est vierge. Il y a donc quelqu’un qui renvoie potentiellement une juste et générale revendication de justice sur les retraites, comme sur le reste, au rang d’acte délictueux, par l’indéfini qu’il impose, par la généralité qu’il instaure, en ne précisant ni la nature exacte des « voyous », ni les comptes qu’il en tient. Bref, nous sommes du côté du crime et de la subversion. Le réconfort étant que nous sommes quand même quelques millions ainsi rejetés dans cette marge où le simple fait d’exister et d’exercer son rôle citoyen est un acte de guerre aux autorités.
Il se pourrait bien que le pays, lassés de ces invectives dictatoriales décide de continuer, de pousser plus fort et de passer rapidement d’une guerre fantasmatique qu’on lui attribue à une réelle révoltes, si les fauteurs de troubles ne veulent entendre raison, tant on sait que l’humiliation est sans doute au moins aussi difficile à accepter que la contrainte, surtout quand il n’y a pas de limites posées, ni d’espérances raisonnables qui perdurent devant les acteurs de notre dépossession.
Taimoin