Peripheries, 4 octobre 2006. (Extrait)
Des relations humaines sur le modèle du casting
Ce qui est crapuleux, c’est de faire croire à des gens, hommes ou femmes, que c’est par l’obtention d’une plastique parfaite qu’ils pourront accéder à l’amour et au bonheur, et non par leur personnalité, leur spontanéité, leur goût de la vie, leur capacité à s’intéresser à ce et ceux qui les entourent et à développer avec eux des relations riches. « En tant que professionnel de santé mentale, témoigne Gérard Apfeldorfer, je suis confronté à toutes ces idées reçues et à leurs conséquences. Idolâtrer le corps, croire à la minceur, la beauté, la jeunesse et la santé au mérite sont des marchés de dupes. Croire que le bonheur est une denrée qui s’obtient par l’activisme, qu’il soit méditatif ou de l’ordre du business, aboutit en fait au désespoir. Et s’imaginer que le Grand Amour nous tombera dessus, que la personne en question correspondra forcément à un idéal, parce que, n’est-ce pas, on le vaut bien, conduit à concevoir les relations humaines sur le modèle du casting de cinéma ou du monde de la publicité. »
Une animatrice de télévision aperçue un jour au « Zapping » de Canal Plus déclarait en substance que, quand on voyait passer certains très beaux hommes ou très belles femmes dans la rue, on était parfois un peu mélancolique « au vu de ce dont on était obligé de se contenter à la maison ». Il y a quelque chose de terrifiant dans cette manière de conditionner les gens au mépris et à la haine d’eux-mêmes et de leurs proches, et dans le peu de protestations que cela soulève. Tout ça au nom d’une conception de la beauté naïve et infantile, qui ignore la double nature du physique humain : l’apparence de quelqu’un se complète toujours d’une large part qui est laissée à sa discrétion, qui tient à sa présence, à sa manière de se comporter, de parler, d’agir, de laisser transparaître sa personnalité, son histoire, sa conception de la vie.
Cette part mouvante, insaisissable, tellement liée au physique qu’on ne peut jamais distinguer clairement ce qui relève de l’un ou de l’autre, peut soit venir confirmer une beauté ou une laideur physique par une beauté ou une laideur morale, soit susciter un intérêt que le physique seul n’avait pas éveillé, soit, au contraire, dissiper brutalement le respect suscité au premier abord par la beauté.
Et c’est elle qui est décisive. (...)
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