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Cuba face à la nouvelle administration Bush.

3 décembre 2004

La réélection de M. George W. Bush, le 2 novembre 2004, constitue sans doute l’une des plus importantes préoccupations actuelles. En effet, la nouvelle administration étasunienne représente l’un des plus graves dangers pour la stabilité et la sécurité du monde. L’unilatéralisme arrogant qui a caractérisé le premier gouvernement de M. Bush va se renforcer de manière considérable, dû au sentiment d’impunité et de puissance qui habite les néo-conservateurs de la Maison blanche. Cuba, déjà victime du fanatisme outrancier des faucons impérialistes et de l’inimitié du clan extrémiste de l’exil batistien allié à la famille Bush, reste l’une des cibles prioritaires de Washington.

Juste après l’investiture de M. Bush, le Département d’Etat, par le biais de M. Richard Boucher, son porte-parole, a une nouvelle fois condamné Cuba pour ses « abus contre les défenseurs du changement et de la réforme pacifiques ». [1]Un acte symbolique réalisé par ces « défenseurs » en question est hautement illustratif des intérêts qu’ils défendent et représentent. En effet, à la veille des élections présidentielles étasuniennes, une centaine de « dissidents » cubains se sont rendus auprès de l’entité diplomatique des Etats-Unis de La Havane - la Section des intérêts nord-américains (SINA) - à la demande de M. James Cason, chef de la SINA, pour participer emblématiquement au vote. Les résultats ont été éminemment éloquents : 83% de ces « militants des droits de l’homme » se sont prononcés en faveur de M. Bush. [2]

Ce chiffre ne devrait aucunement surprendre si l’on daigne accorder une once d’attention à la réalité objective. Certains, à juste titre, pourraient se demander comment des personnes se réclamant de la « société civile » peuvent accepter de se réunir en compagnie des représentants de la puissance étrangère qui ne cesse de harceler la population cubaine ; qui est responsable de la plus longue campagne terroriste contre Cuba ; qui a mis en place un réseau législatif de sanctions économiques destiné à renvoyer le peuple cubain à l’Age de pierre et qui a installé un système de propagande inouï ayant pour but de justifier une invasion armée. Comment peuvent-elles participer, même symboliquement, aux élections étasuniennes comme si Cuba constituait un 51ème Etat ? La réponse est simple : ces individus sont au service de Washington, pour la bonne et simple raison que près de 40 millions de dollars sont alloués à la « dissidence », un commerce florissant. Ils défendent par conséquent l’objectif des Etats-Unis, à savoir l’annihilation de la souveraineté de Cuba et sa réintégration dans la sphère de domination étasunienne. [3] Naturellement, cette évidence factuelle est considérée comme illégitime, voire inconcevable, au vu du cadre de pensée imposé par l’idéologie dominante.

Les premières nominations effectuées par M. Bush au sein de son nouveau gouvernement n’augurent rien de bon pour l’équilibre du monde et Cuba, et illustrent la ligne directrice unilatéraliste qu’entend poursuivre la Maison blanche. M. Colin L. Powell, considéré comme un « modéré » par la communauté internationale, a quitté son poste de secrétaire d’Etat qui est revenu à Mme Condoleeza Rice, conseillère personnelle du président Bush. [4] M. Powell, le « modéré », a élaboré et appliqué les plus importantes sanctions économiques contre Cuba depuis la loi Helms-Burton de 1996. Il a également toujours refusé d’infirmer la possibilité d’une intervention militaire à Cuba. [5] Quant à Mme Rice, son arrogance et intransigeance ne vont qu’exacerber les tensions entre Washington et La Havane et accroître la menace qui pèse sur la population cubaine.

L’autre nomination concerne le poste de ministre de la Justice. M. Alberto R. Gonzales, conseiller juridique du président qui a personnellement fait l’apologie de la torture en Irak, a hérité de cette responsabilité et remplace ainsi M. John Ashcroft. [6] Les exactions commises contre la population civile irakienne vont s’intensifier comme le montrent les massacres perpétrés à Falloujah par les troupes militaires étasuniennes, passés sous silence par les transnationales de l’information. L’impunité des Etats-Unis n’en est que plus renforcée.

A cela s’ajoute l’entrée au Sénat de M. Mel Martà­nez, une personnalité politique d’origine cubaine et d’obédience fasciste, qui vient d’y être élu. Il a notamment participé à l’élaboration de la Commission for Assistance to a Free Cuba (Commission de soutien à une Cuba libre), destinée à anéantir l’existence de Cuba en tant que nation indépendante. Lors d’une interview accordée à un quotidien de Floride, il a souffert d’un lapsus révélateur concernant la politique d’immigration envers l’Ile, en admettant que la grande majorité des candidats cubains à l’émigration ne réunissaient pas les conditions requises pour pouvoir être accueillis sous le statut de réfugié politique. Selon lui, la plupart d’entre eux « ne risquent pas de persécution politique » dans la mesure où la situation économique, gravement affectée par les sanctions imposées par les Etats-Unis, reste le principal moteur des flux migratoires. M. Martà­nez a qualifié la réélection de M. Bush et sa présence au Sénat de « véritable opportunité historique » de renverser le gouvernement cubain. [7]

Quelques jours après les élections, M. James Cason s’est également réuni avec les groupuscules mafieux de l’exil cubain à Miami pour discuter des modalités de « transition vers un nouveau gouvernement » à La Havane. « Nous réfléchissons aux moyens de faciliter la transition à Cuba » et « nous comptons sur nos collègues européens. Après tout, huit anciens pays communistes ont réuni les conditions nécessaires...pour intégrer l’Union européenne » a-t-il affirmé. Il a également déploré la dégradation des systèmes de santé et d’éducation cubains, en omettant évidemment de signaler que le taux de mortalité infantile de Cuba est le plus bas parmi les pays du Tiers-monde et même inférieur à celui des...Etats-Unis. Quant au niveau d’éducation, même s’il ne satisfait pas M. Cason, il reste néanmoins le plus efficient du monde selon les organisations internationales et le taux d’analphabétisme est, là encore, le plus bas parmi les nations sous-développées et moins élevé que celui des...Etats-Unis. [8]

Fidèle à sa stratégie hégémonique, le nouveau gouvernement Bush n’accordera que très peu d’intérêt à l’opinion de la communauté internationale. En effet, le 28 octobre 2004, l’Assemblée générale des Nations unies a voté, à une écrasante majorité et pour la 13ème année consécutive, contre l’imposition des sanctions économiques étasuniennes à l’égard de Cuba. 179 nations ont condamné cette politique qui occasionne de terribles difficultés morales et matérielles à la population cubaine. Quatre pays seulement ont voté en faveur du maintien des sanctions : les Etats-Unis, Israël pour des raisons stratégiques, les Iles Marshall (un paradis fiscal dont la monnaie est le dollar) et Palau (également un paradis fiscal qui compte presque plus de sièges de multinationales que d’habitants). [9] Le représentant du Mexique auprès des Nations unies a regretté que ces « résolutions que l’on présente année après année ne génèrent pas un effet transformateur sur la réalité qu’elles prétendent modifier. Cela revient à dire que la position majoritaire de la communauté internationale n’est pas écoutée ». [10]

Condamné par toutes les institutions internationales et l’ensemble du monde des affaires, le blocus imposé à Cuba reste pourtant en vigueur. Mis à part le gouvernement étasunien et les pays cités, seul un secteur s’est prononcé en faveur du châtiment économique qui afflige les Cubains. Il s’agit des « dissidents » que la presse a érigés en symbole de la démocratie. Ces « militants des droits de l’homme » demandent encore plus de souffrance pour leur peuple qu’ils prétendent représenter. En effet, Mme Martha Beatriz Roque, membre de la « société civile » cubaine a tenu les propos suivants : « Je pense que pour la première fois nous avons senti l’impact de l’embargo. C’est le seul moyen d’obtenir la transition vers la démocratie ». [11] Peu importe que de jeunes enfants malades meurent faute de pouvoir se procurer un vaccin dont le brevet est déposé aux Etats-Unis, la « démocratie » a ses raisons que Mme Beatriz Roque place au-dessus de la vie humaine.

La raison d’être des sanctions économiques a été dévoilée par le ministre des Affaires étrangères cubain, M. Felipe Pérez Roque :

Pourquoi le gouvernement des Etats-Unis ne lève pas le blocus contre Cuba ? Je vais vous répondre : parce qu’il a peur. Il craint notre exemple. Il sait que s’il lève le blocus, le développement économique et social de Cuba sera vertigineux. Il sait que nous démontrerons, encore plus, les possibilités du socialisme cubain, les potentialités pas encore totalement déployées d’un pays sans discrimination d’aucun type, avec une justice sociale et des droits humains pour tous les citoyens et non pas pour quelques uns seulement. C’est le gouvernement d’un empire grand et puissant mais il craint l’exemple de la petite île insurgée ». [12]

Face à la recrudescence des sanctions économiques, Cuba a décidé, depuis le 14 novembre 2004, de ne plus utiliser le dollar comme l’une de ses monnaies nationales. En effet, Washington interdit à Cuba de faire usage du billet vert comme monnaie pour le commerce international et a, à maintes reprises, porté préjudice aux intérêts cubains. [13] Par exemple, la banque suisse UBS s’est vue infliger une amende de 100 millions de dollars par le gouvernement étasunien pour avoir reçu des transferts de fonds cubains. [14] Dorénavant, le peso et le peso convertible seront les seules monnaies acceptés. Le gouvernement de La Havane a ainsi effectué un grand pas vers une plus ample souveraineté monétaire et a, par la même occasion, réaffirmé son indépendance nationale. La quantité et la circulation de la monnaie sont de sorte rationalisées alors qu’auparavant, il était difficile de maîtriser le flux monétaire au sein du pays. [15] Cette action permettra d’augmenter les réserves monétaires et ainsi assurer la valeur du peso cubain, tout en résistant à la constante agression économique et financière étasunienne.

Quant au Parlement européen contrôlé par le Parti populaire de l’ancien Premier ministre José Marà­a Aznar, il est resté fidèle à la politique étasunienne envers Cuba, en adoptant une résolution reprenant les arguments de Washington et condamnant Cuba. [16] M. Aznar, féal de M. Bush lors de l’agression contre l’Irak est un ennemi farouche de tout processus social progressiste. Il a soutenu la junte fasciste qui avait pris le pouvoir au Venezuela pendant 48 heures, après le coup d’Etat contre le président Chávez le 11 avril 2002, comme l’a souligné M. Moratinos, actuel ministre des Affaires étrangères espagnol. Durant sa visite en Espagne, M. Chávez l’a confirmé lors d’une déclaration : « Je n’ai aucun doute là -dessus. Ce fut une très grave erreur de la part du gouvernement antérieur parce que je suis sûr que le peuple espagnol, les institutions démocratiques et le Roi sont de bons amis du Venezuela ». [17]

Seule l’Espagne, par le biais de son Premier ministre, M. José Luis Rodrà­guez Zapatero, a esquissé une critique à l’égard de la politique de l’Union européenne envers Cuba. Le gouvernement de M. Zapatero a souligné les limites diplomatiques de la stratégie de l’UE qui consiste à inviter les « dissidents » à ses ambassades, en admettant explicitement que la réunion avec personnes stipendiées par Washington était contreproductive. Cette action avait réduit à néant les contacts entre l’Europe et les autorités cubaines. L’Espagne a donc décidé de s’écarter de la position étasunienne en renouant les relations officielles avec La Havane. [18]

Pour Washington et l’extrême droite cubaine, le projet révolutionnaire cubain est un échec à tous les niveaux. Ces éléments n’ont de cesse de le claironner et ce chant est allègrement repris par la presse internationale. En d’autres occasions, ils se font plus discrets lorsqu’ils jugent qu’ils peuvent profiter des conquêtes de la Révolution cubaine. Par exemple, M. José Pardo Llada est retourné à Cuba après plus de 43 années d’exil. Atteint d’une cécité progressive, les traitements qu’il a subis en Colombie (son pays de résidence pour lequel il a été parlementaire et ambassadeur), en Argentine et aux Etats-Unis n’ont pas eu les effets escomptés. Il s’est donc rendu à La Havane où les spécialistes de la Clinique internationale pour le traitement de la rétine lui ont fourni une médication qui lui a permis de stabiliser sa vue. [19] Sans doute certains estimeront que les réussites cubaines méritent un meilleur sort que celui d’être confinées aux poubelles de l’histoire.

Une autre information spectaculaire a été relatée par la presse cubaine mais ignorée par la « presse démocratique ». La Nouvelle-Zélande, une nation ultra-développée, a fait appel aux services des professionnels cubains qui ont mis en place un système d’alphabétisation encensé par les plus influentes institutions internationales, pour venir en aide à sa propre population illettrée. La méthode cubaine avait déjà permis d’alphabétiser plus d’un million de Vénézueliens en à peine six mois (de juin à décembre 2003). [20] Ce genre de nouvelle ne sied pas à la presse occidentale, qui la juge idéologiquement irrecevable. Un folliculaire d’un important quotidien français préfère s’ébaudir de la réélection de M. George Bush et de l’état de siège qu’impose Washington au peuple cubain. La légitimité d’une telle iniquité n’est nullement remise en cause par les flagorneurs de la pensée unique. [21] Mais l’obséquiosité de la presse « libre » envers les puissants du monde est désormais quasiment institutionnelle et ferait pâlir de jalousie l’autocrate le plus despotique.

Salim Lamrani est doctorant à l’université La Sorbonne Paris.

Il a publié :

- Le Lobby cubain aux Etats-Unis de 1959 à nos jours.

- Enron et libéralisme

- 1898 : l’intervention des Etats-Unis dans la guerre d’indépendance de Cuba

- L’invasion de l’Amérique : de Colomb à Wounded Knee

[1El Nuevo Herald, « Una nueva condena a Cuba », 5 novembre 2004. www.miami.com/mld (site consulté le 5 novembre 2004).

[2El Nuevo Herald, « Disidentes "votan’ por Bush », 4 novembre 2004. www.miami.com/mld/elnuevo (site consulté le 5 novembre 2004).

[3Colin L. Powell, Commission for Assistance to a Free Cuba, (Washington : United States Department of State, mai 2004). www.state.gov/documents/organization/32334.pdf (site consulté le 7 mai 2004), p. 22. Lire en français : "Accélerer la fin du régime castriste à Cuba" et aussi Recrudescence de l’agression étasunienne contre Cuba. NDLR .

[4Mike Allen, « Powell Successor Must Be Confirmed by Senate », The Washington Post, 17 novembre 2004 : A01.

[5El Nuevo Herald, « Preocupa a Washington papel de Castro en Venezuela y Colombia », 10 octobre 2004. www.miami.com/mld (site consulté le 11 octobre 2004).

[6Ignacio Ramonet, « Bush II », Le Monde Diplomatique, décembre 2004 : 1 ; Dan Eggen, « Ashcroft Decries Court Rulings », The Washington Post, 13 novembre 2004 : A06.

[7Oscar Corral, « Mel Martinez Says Goal as Senator Is a Free Cuba », The Miami Herald, 15 novembre 2004 : 1A ; El Nuevo Herald, « Un bloque sólido contre el régimen », 5 novembre 2004. www.miami.com/mld/elnuevo (site consulté le 5 novembre 2004).

[8Madeline Baró Diaz, « Seminar Tackles Cuba Transition », The Sun Sentinel, 10 novembre 2004. www.sun-sentinel.com.news (site consulté le 12 novembre 2004).

[9Granma, « 179 paà­ses votan en la ONU contra el bloqueo », 28 octobre 2004. www.granma.cu/espanol (site consulté le 29 octobre 2004).

[10El Nuevo Herald, « La ONU condena una vez más el embargo comercial de EEUU », 29 octobre 2004. www.miami.com/mld (site consulté le 30 octobre 2004).

[11Vanessa Bauza, « Bush Expected to Stay Course », The Sun Sentinel, 7 novembre 2004. www.sun-sentinel.com.news/local (site consulté le 12 novembre 2004).

[12Felipe Pérez Roque, « Declaración del compañero Felipe Pérez Roque, Ministro de Relaciones Exteriores, en el tema 28 de la agenda de la Asamblea General de la ONU "Necesidad de poner fin al bloqueo económico, comercial y financiero impuesto por los Estados Unidos de América contra Cuba », Granma, 28 octobre 2004. http://granmai.cubaweb.com (site consulté le 30 octobre 2004).

[13Vanessa Bauza & Rafael Lorente, « Castro Bets on Dollar Ban », The Sun Sentinel, 27 octobre 2004. www.sun-sentinel.com.news (site consulté le 28 octobre 2004) ; Pablo Bachelet, « White House Stemming Flow of Remittances », The Miami Herald, 26 octobre 2004. www.miami.com/mld (site consulté le 27 octobre 2004).

[14Felipe Pérez Roque, op. cit.

[15Nancy San Martin, « Cuba to Take 10% of Exiles’ Cash », The Miami Herald, 26 octobre 2004. www.miami.com (site consulté le 27 octobre 2004).

[16Paulo A. Paranagua, « L’Europe se divise sur le maintien de sanctions contre Fidel Castro », Le Monde, 19 novembre 2004 : 4 ; Damian Castaño, « El Parlamento Europeo a favor de la mano dura », El Nuevo Herald, 18 novembre 2004. www.miami.com/mld (site consulté le 19 novembre 2004).

[17Granma, « Ratifica Chávez que Aznar apoyó fallido golpe de Estado en Venezuela », 23 novembre 2004. www.granma.cu/espanol/2004 (site consulté le 24 novembre 2004).

[18El Nuevo Herald, « Se reanudan los contactos oficiales con España », 26 novembre 2004. www.miami.com/mld (site consulté le 26 novembre 2004).

[19Pablo Alfonso, « Periodista cubano vuelve a la isla tras 43 años de exilio », El Nuevo Herald, 18 novembre 2004. www.miami.com/mld (site consulté le 19 novembre 2004).

[20Lilliam Riera, « Cuba colabora con programa de alfabetización en Nueva Zelanda », Granma, 2 novembre 2004. www.granma.cu/espanol/2004 (site consulté le 3 novembre 2004).

[21François Hauter, « A Cuba, Fidel Castro est dans la nasse », Le Figaro, 4 novembre 2004. www.lefigaro.fr/etatsunis2004 (site consulté le 4 novembre 2004).


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