(Décembre 2001) - Cela a été mentionné dans la brève de New York Transfer au sujet du décès du Père Walsh, mais je crois que cela mérite d’être rappelé :
Il existe une relation étroite entre l’Opération Peter Pan de la CIA et le Père Walsh, qui dirigeait Charités Catholiques dans le diocèse de Miami, et l’affaire Elian.
En quoi consistait l’Opération Peter Pan ? La CIA avait fait imprimer sur des tracts le texte d’une prétendue "Loi sur la Naturalisation des Enfants", soi-disant "tiré du bureau du premier Ministre [Cubain]". Cette loi était sensée stipuler que tous les enfants de trois ans et plus devaient passer sous le contrôle de l’État et être élevés dans des institutions de l’état, principalement des orphelinats.
Cette fausse-information reçut un large écho à la Havane à partir de l’automne de l’année 1960. Depuis, dans leurs autobiographies, plusieurs "héros" de la CIA ont décrit en détail comment, quand, et où l’opération fut menée. Mais les gens ont vraiment cru à cette histoire. Prétendre que cela n’avait été qu’une pure invention de quelques agents de la CIA sera balayé d’un revers de la main comme étant de la "propagande communiste" ridicule et maladroite.
Le climat politique à l’époque était le suivant : en Avril ou Mai de l’année 1960, les compagnies pétrolières, aux ordres de la CIA, avaient fait connaître leur refus de raffiner le pétrole "communiste" dans leurs raffineries à Cuba. La révolution avait conclu un accord avec les Soviétiques sur un troc de sucre contre du pétrole. Les Cubains ont riposté à l’attitude des impérialistes en votant une loi qui rendait OBLIGATOIRE le raffinage du pétrole appartenant à l’État Cubain. Tout refus était sanctionné par une nationalisation.
Les compagnies pétrolières refusèrent, et les raffineries furent nationalisées.
Les Etats-Unis ripostèrent par toute une nouvelle série de mesures économiques, et les Cubains ont rendu coup pour coup en expropriant tous les biens impérialistes sur l’île.
La bourgeoisie "nationale" Cubaine, en voyant leurs semblables, non, leurs maîtres, se faire tailler des croupières, se mirent à saboter l’économie avec frénésie, à faire fuir les capitaux, à enfreindre les lois sur le contrôle des changes. Ce n’est pas ainsi qu’ils voyaient les choses. Ils voulaient juste sauver ce qui pouvait encore l’être de leurs affaires, propriétés et richesses. Mais du point de vue des Cubains ordinaires, il s’agissait bien d’un sabotage de la part des capitalistes.
Dans le même temps, les travailleurs Cubains voyaient qu’ils s’en sortaient très bien sans les patrons impérialistes, et décidèrent qu’il seraient aussi bien sans patrons locaux. Alors ils se sont mis à demander au gouvernement révolutionnaire de procéder à l’expropriation des capitalistes nationaux, et pas seulement les étrangers. Et, bien sûr, les dirigeants de la révolution étaient, dans un certain sens, derrière tout ça, en canalisant les revendications des travailleurs vers une expropriation de l’ensemble de la bourgeoisie, permettant ainsi l’émergence de la question du contrôle des moyens de production comme question centrale de la révolution.
Et en octobre le gouvernement révolutionnaire décréta l’expropriation des capitalistes. Fidel les avait prévenus que s’ils persistaient à saboter l’économie, on nationaliserait jusqu’à leur dernier bouton de chemise et, comme l’a dit un révolutionnaire Américain à l’époque, il s’avéra que Fidel voulait bien dire "jusqu’au dernier".
Et vous savez quoi ? Le lendemain, le soleil s’est levé à l’est pour se coucher ensuite à l’ouest, comme d’habitude. Ce ne fut pas la fin du monde. Cuba n’a pas été balayée par une attaque nucléaire étasunienne. La vie a continué.
Les "communistes" avaient gagné - c’est ainsi que les riches, les patrons, les avocats et leur entourage voyaient les choses. Puis sont arrivés les prêtres et les ordres religieux et les gens de "Christ Roi" et leurs semblables, les "periodiquitos" et journaux de Miami, la "radio Swan" de la CIA, et tous les autres, avec cette rumeur que la révolution allait aussi nationaliser les enfants. La bourgeoisie pro-impérialiste "pitiyanqui" (comme ils disent à Puerto Rico) et les classes moyennes supérieures y ont cru, profondément, sincèrement, de tout leur coeur. Si Fidel avait été capable d’exproprier Standard Oil et Shell, qu’est-ce qui pouvait l’empêcher de leur enlever leurs enfants ?
Il est important de se rappeler la propagande anticommuniste et l’hystérie de l’époque, chose plus facile à faire peut-être avec l’expérience du post-11 Septembre. La différence est que ce que nous vivons aujourd’hui dure depuis environ trois mois, et malgré tout quelques faibles voix peuvent être entendues, nous pouvons communiquer par Internet et les forums, nous avons accès aux journaux d’autres pays qui sont moins assoiffés de sang que ceux de chez nous. Mais à cette époque là, le bombardement incessant durait depuis une dizaine d’années. Il n’y avait pas d’Internet et pratiquement aucun accès à des informations autres que celles dispensées par la presse locale, les 15 minutes d’informations sur les deux chaînes (NBC et CBS), et les mêmes discours sur les quelques stations de radio. Il n’y avait pas d’édition nationale du New York Times ou d’un autre journal.
Alors, dans la panique, les couches les plus favorisées de la société Cubaine ont désespérément cherché une porte de sortie. Il y avait un problème : obtenir un visa n’était pas facile et devenait de plus en plus difficile.
Puis la providence divine est intervenue, sous les traits de Monseigneur Walsh et de la hiérarchie Papiste Cubaine. Ils avaient de petits bouts de papier magiques appelés "dispenses de visa", qui furent introduits en cachette dans le pays par les réseaux de la CIA. Le truc, c’est qu’ils concernaient uniquement les enfants – pas les parents. Avec la rupture des relations diplomatiques (janvier 1961), l’obtention d’un visa devenait impossible. Mais on pouvait obtenir une "dispense de visa" pour ses enfants à travers les réseaux clandestins de l’église et de la CIA.
Certains racontent que l’idée à l’origine était de faire sortir les enfants des collaborateurs de la CIA et de leurs agents, mais que l’affaire prit une tout autre envergure.
Alors des milliers de parents se retrouvèrent face au dilemme d’envoyer leurs enfants aux Etats-Unis ou de voir le Gouvernement Cubain les confisquer, ou pour le moins leur faire subir un lavage de cerveau et les transformer en communistes païens et (pour les filles) en femmes aux mœurs légères.
Il y avait même des rumeurs selon lesquelles le gouvernement prévoyait de faire hacher les enfants pour les transformer en saucisses et les envoyer en Russie pour payer certaines dettes. Je ne pas combien de personnes ont cru à cette histoire, parce que je n’avais que neuf ans à l’époque et je répète ce que l’on m’a raconté plus tard. Mais le fait qu’une telle rumeur ait pu circuler montre bien le degré d’hystérie qui régnait à l’époque.
Alors vers Noël de l’année 1960, le vol des enfants a commencé. Poussés par les mensonges de la CIA et submergés par la réalité qu’il y avait quelque chose de plus puissant que les Etats-Unis – la puissance d’une classe ouvrière consciente et organisée, bien qu’ils ne raisonnaient pas en ces termes – les parents ont commencé à emmener leurs enfants à l’aéroport pour les envoyer vers le père Walsh à Miami.
Certains avaient de la famille là-bas ou des amis de la famille pour les accueillir à leur arrivée. D’autres furent expédiés dans tout le pays, la plupart vers des orphelinats ou des familles d’accueil bien-pensantes qui n’avaient cependant pas la moindre idée de qui étaient ces enfants ni d’où ils venaient mais qui ont quand même essayé d’en faire de bons petits américains. Beaucoup d’autres enfants se sont retrouvés dans des camps, le plus tristement célèbre était le camp de Matacumbe, près de Miami.
Ma propre famille accueillit le fils d’un comptable qui travaillait pour mon père. Il avait quatre ans de plus que moi et deux ans de moins que mon frère ainé. Alors nous étions tous là au début des années 60, cinq enfants (j’ai aussi deux frères cadets), deux parents et une grand-mère presque aveugle et victime de la maladie d’Alzheimer – on disait sénilité à l’époque – dans une minuscule maisonnette avec deux chambres à coucher en Floride, où mes parents vivent toujours.
Ce garçon, qui nous avait été confié par ses parents, était devenu un homme au cours de toutes ces années qui se sont passées avant leurs retrouvailles. Et ceux qui avaient été des parents pour lui pendant ses années au lycée furent remplacés. Et ceux qui avaient été ses frères, et le considéraient comme leur frère aîné quand ils sont devenus adolescents, ne l’ont plus vu revenir à la maison pendant les vacances scolaires. Les parents de ce garçon avaient choisi de s’installer dans un autre coin du pays et aucun de nous n’avait d’argent pour voyager, ni même pour donner des coups de fils trop fréquents.
Cela fait chaud au coeur de lire dans le Miami Herald les témoignages de reconnaissance de deux enfants Peter Pan qui remercient le ciel de les avoir fait rencontrer le père Walsh, mais je connais une autre version de l’histoire.
Près de 15 000 enfants furent séparés de leurs parents par le père Walsh et l’Opération Peter Pan de la CIA. Pour empêcher les communistes de briser les familles, la CIA et l’église ont brisé des familles. Pour les empêcher d’être expédiés vers un pays étranger, de se faire endoctriner et d’être forcés à assimiler une autre culture et une autre mode de vie, ils furent expédiés vers un pays étranger, ils furent endoctrinés, ils furent forcés à assimiler une autre culture et un autre mode de vie.
Beaucoup ont été profondément affectés par ces événements, beaucoup plus que ces 15 000 enfants et leurs parents. Ce fut un traumatisme pour le pays tout entier, laissant derrière lui des plaies qui se cicatriseront peut-être lorsque tous ceux qui ont été touchés d’une manière ou d’une autre par cette affaire auront rejoint le père Walsh six pieds sous terre, mais certainement pas avant.
Même du point de vue étasunien, l’idée était cruelle et calculée. L’idée était que les parents, libérés des soucis de s’occuper des enfants, deviendraient des militants plus actifs dans la campagne de la CIA qui visait à renverser la révolution. En les empêchant de rejoindre leurs enfants – par l’absence de visas – les parents finiraient par comprendre que la seule chance qu’ils avaient de revoir un jour leurs enfants serait de renverser la révolution.
Je dois ajouter aussi que nous comprenons ces parents, car ce n’étaient pas des parents indignes ou cruels. Ils avaient imaginé une séparation de quelques semaines ou de quelques mois, mais pas de plusieurs années. Les Etats-Unis préparaient activement une invasion de l’île, et il ne leur a pas traversé l’esprit à ces parents que les Etats-Unis allaient échouer dans leur tentative. Mais les Etats-Unis ont échoué. Et les semaines et les mois sont devenus des années.
En vérité, le gouvernement des Etats-Unis avait fait une promesse aux Cubains pro-impérialistes, une promesse solennelle, avant la Baie des Cochons, de les soutenir à 100 %. Et après la Baie des Cochons, de faire mieux la prochaine fois. Mais les Etats-Unis ont reculé quand la question n’était plus simplement d’écraser un petit pays de six millions d’habitants, mais de confronter la puissance du camp socialiste, qui avait clairement fait savoir que Cuba constituait une portion inviolable du monde socialiste au même titre que Moscou, Kiev ou Pékin.
Alors le gouvernement des Etats-Unis a changé de stratégie pour se consacrer à la limitation de la propagation du communisme dans l’Asie du Sud-est. Cuba – et l’éclatement des milliers de familles qu’il avait provoqué – n’était plus sa priorité.
Dire que je ne suis pas croyant serait probablement un euphémisme. En fait, non seulement je suis athée, mais je crois qu’il serait juste de dire que je suis un anti-clérical militant, et même enragé. Oui, je sais, ce n’est pas politiquement correct. C’est une attitude gauchiste et sectaire. Et lorsque j’y pense à tête reposée, je n’écris pas des textes pour dire "qu’il brûle en enfer" comme je l’ai fait pour le père Walsh l’autre jour. Mais parfois, malgré tous mes efforts, je ne peux pas m’en empêcher, même si je sais que ce n’est pas "correct", parce que cela va au-delà de considérations politiques. Il ne s’agit pas d’un choix, mais de ma nature profonde.
Mais si je devais, par un miracle quelconque, devenir religieux, devenir un catholique, je suis certain que je prierais tous les jours pour que Dieu garde le père Walsh dans un coin bien chaud en enfer. Et je demanderais au Pape de canoniser et à Dieu de garder auprès de Lui l’homme qui, contre ses propres intérêts immédiats, mit fin à la séparation de toutes ces familles Cubaines.
Cet homme, c’est Fidel.
L’Opération Peter Pan s’est déroulée entre Noël 1960 et la crise des missiles de 1962. Lorsqu’elle prit fin, il y avait encore environ 50 000 enfants en possession d’une "dispense de visa" qui attendaient leur évacuation. Tout ceci se déroulait en coulisses. Sans publicité. Deux enfants sur un vol via le Mexique, encore quelques uns sur des vols directs, quelques uns par la Jamaïque. La presse états-unienne, qui eut vent de l’histoire assez rapidement, se fit un plaisir de la censurer.
Dans le dénouement de la crise de missiles, les Etats-Unis ont été obligés de renoncer à leurs plans d’invasion et le renversement de la révolution Cubaine. Au moins à court terme. Ils ont démantelé les unités militaires spéciales composées de Cubains qui avaient été rassemblées dans le Sud de la Floride au lendemain de la Baie des Cochons en vue d’une invasion directe de l’île. La station de la CIA à Miami, forte de 5 000 hommes, fut réduite. A Cuba, la révolution avait gagné en expérience et en puissance et avait détruit les réseaux urbains et ruraux que la CIA avait organisés. En 1965, les Etats-Unis s’enlisaient au Vietnam et n’étaient pas en position de consacrer leurs ressources à une invasion franche et massive de Cuba.
A ce stade, il y avait à Cuba ces dizaines de milliers de parents, et pas seulement des parents mais aussi ceux qui avaient de la famille aux Etats-Unis, qui voulaient quitter l’île. En gros, il s’agissait de personnes qui avaient une profession, des médecins, des avocats, des chefs d’entreprises, des ingénieurs. Fidel aurait pu les forcer à rester et à travailler pour la révolution. Et ils l’auraient fait, car tout acte de sabotage dans les conditions d’un siège économique et militaire, d’un état de guerre, leur aurait valu, j’en suis certain, une punition exemplaire.
Et pourtant la révolution a décidé de traiter le problème autrement.
La position de la révolution Cubaine, érigée en principe, a TOUJOURS été que la construction du socialisme était une tâche qui devait être librement accomplie. Certes, en forçant les gens on peut fabriquer énormément d’usines et de maisons et de camions, mais on ne peut pas construire le socialisme comme ça, en tous cas pas le socialisme voulu par les Cubains.
Alors Fidel a manœuvré pour obliger les Etats-Unis à ouvrir les portes aux Cubains sur l’île qui avaient de la famille aux Etats-Unis et qui voulaient aller à Miami.
Beaucoup d’entre nous ont vécu ou entendu parler de l’affaire "Mariel" de 1980, ou de la crise des "balseros" au milieu des années 90, lorsque Cuba, très consciencieusement, décida de faciliter l’émigration pour tous ceux qui désiraient partir en levant tous les obstacles et en les dispensant des formalités habituelles.
Mais ces incidents n’étaient pas les premiers. Ce genre de tactique très peu orthodoxe a vu le jour au milieu des années 60, lorsque la révolution cherchait un moyen de guérir les blessures profondes que l’Opération Peter Pan avait provoqué dans les esprits Cubains.
A l’automne de 1965, "quelqu’un" à Miami a dit, ceci est intolérable. Trop, c’est trop. Ces enfants ont besoin de leurs parents. Et ils ont annoncé qu’ils se rendaient à Cuba en bateau pour récupérer les parents de ces enfants, quelles qu’en soient les conséquences. Et aujourd’hui encore, la vielle garde Cubaine à Miami raconte que ce fut un complot orchestré par des agents de la révolution Cubaine. Et pour vous dire la vérité, je ne suis pas certain qu’ils aient tort, bien que cela n’ait plus tellement d’importance aujourd’hui.
L’important, c’est que le gouvernement révolutionnaire Cubain annonça que si des bateaux venaient de Miami dans un but pacifique et humanitaire, ils ne seraient pas arraisonnés. Le port de Camarioca fut choisi, et le pont naval commença le 10 octobre 1965.
Environ 5 000 personnes traversèrent le détroit de Floride au cours des trente jours que dura l’opération, d’abord sur des bateaux privés, ensuite sur des navettes du gouvernement étasunien, résultat d’un accord entre Cuba et l’Administration Johnson. Les navettes furent rapidement remplacées par deux vols quotidiens entre Miami et La Havane, drainant quelque 250 000 cubains vers les Etats-Unis jusqu’à ce que le président Nixon décide unilatéralement et brutalement d’y mettre fin en 1971.
Les premiers à toucher le sol des Etats-Unis, ceux qui avaient la plus haute priorité, étaient les parents d’enfants mineurs aux Etats-Unis, les parents des enfants Peter Pan, ainsi que de nombreux autres parents qui avaient organisé leurs propres "opérations Peter Pan" avec des amis ou de la famille de l’autre coté du détroit.
Aux Etats-Unis, les vols entre Miami et La Havane furent surnommés les "vols de la liberté" et salués comme une brillante victoire de la démocratie. Néanmoins, les amis gusanos du Président Nixon ont réussi à le convaincre d’annuler les vols avec l’argument que les Etats-Unis ne pourront jamais renverser la révolution Cubaine s’ils n’obligeaient pas les gens déçus de rester sur place. (De manière assez ironique, Nixon s’est ensuite fait baiser par quelques uns des ses copains mafieux cubains lorsque ceux-ci se sont fait prendre en train de cambrioler les bureaux du Parti Démocrate au cours de l’été 1972. Et même si le scandale du Watergate n’avait pas encore pris une ampleur suffisante pour empêcher la réélection de Nixon en 1972, il finit par faire tomber une bonne partie de son administration et pas mal de gens autour.)
Mais, bien sur, ces années de séparation ne pouvaient pas être effacées. Et, comme je l’ai déjà dit, les réunifications entraînaient d’autres séparations et chocs émotionnels. Le sentiment de culpabilité de regretter sa famille d’accueil alors qu’on était de nouveau avec ses parents. L’incapacité des parents Cubains à s’adapter au pays et qui vous traitaient comme un enfant Cubain alors que vous étiez devenu un adolescent Américain.
Mais l’alternative – ne pas résoudre le problème – aurait été pire. Et Fidel a fait ce qu’il fallait faire.
J’ai dit que NY transfer (agence de presse progressiste étasunienne - NDT) a eu raison d’établir un lien entre l’affaire Elian, le père Walsh et l’Opération Peter Pan.
Je crois que les Etats-uniens de tous bords politiques ont été réellement surpris par la charge émotionnelle que représentait le cas de ce jeune garçon pour les Cubains des deux cotés du détroit. Et bien peu parmi ceux qui ont suivi l’affaire en ont réellement compris toute la portée.
L’affirmation selon laquelle le garçon devait rejoindre son père après la mort de sa mère, au lieu de rejoindre un vague oncle qu’il n’avait vu qu’une fois, semble indiscutable. Et ceci est vrai quelle que soit l’opinion que vous ayez du système social ou économique du pays dans lequel vit le père.
Mais pour les Cubains de Miami qui dominent la vie sociale, politique et culturelle du pays, le fait de dire qu’il était normal que le garçon rejoigne son père revenait à dire que les parents qui avaient envoyé leurs enfants au début des années 60 avec l’opération Peter Pan avaient tort ; que les peines et les sacrifices endurées l’avaient été à tort ; qu’ils avaient été les victimes des manipulations cyniques du gouvernement de leur pays d’adoption et des représentants sur terre du Dieu auquel ils croient et qu’ils vénèrent. C’était affirmer que, pour un enfant, la famille est plus importante que la politique. Que vous avez le droit de penser du mal de la révolution mais qu’elle n’est pas l’incarnation absolue du Mal. Que Fidel n’est pas Satan. Que pour un enfant il y a pire que de ramasser des fruits et de chanter des chants patriotiques. Comme, par exemple, être privé de l’amour des ses parents.
La Mafia gusano, la fondation [Fondation Nationale Cubano-Américaine – ndt] et ses politicards et les commentateurs de la radio l’ont compris d’instinct sans même y avoir réfléchi. Elian fut sauvé des eaux le jour de Thanksgiving, et le dimanche suivant des affiches avaient été imprimées et collées partout en ville et Lazaro et Marisleysis racontaient au Miami Herald qu’à présent c’était eux la nouvelle famille du garçon et qu’il devait rester. Et que si le père aimait réellement Elian, il viendrait ici aussi, pour élever son fils dans la liberté.
Ils ont joué sur toutes les cordes rendues sensibles par les séparations entre parents et enfants, un phénomène si répandu qu’il ne s’agissait plus de malheurs individuels, mais d’un traumatisme à l’échelle nationale.
Et les cordes ont vibré, non seulement pour les Cubains de Miami, mais aussi pour les Cubains sur l’île qui ont eu une réaction exactement opposée.
Ce n’est pas un ordre provenant de Fidel qui a provoqué la mobilisation massive et historique des Cubains sur l’île pour Elian. Encore moins un ordre du Parti ou du gouvernement. Ce fut la propagande émise par les radios gusanos de Miami. Avant même que Fidel ou les média Cubains aient mentionné l’affaire, les Cubains dans la rue bouillonnaient de rage. Quelques jours plus tard, Fidel parla pour la première fois de l’affaire et dit, en substance, qu’il fallait laisser quelques jours à l’Administration Clinton pour voir si elle pouvait arranger les choses. La réaction du peuple Cubain, en l’occurrence des étudiants qui tenaient un congrès à la Havane le même weekend, fut de marcher sur l’ambassade des Etats-Unis. C’est comme ça que la bataille a commencé.
Pourquoi les Cubains ont-ils réagit ainsi ? Parce que tout le pays ne parlait que de ça depuis des jours, même si les média n’avaient pas encore prononcé un seul mot. Ils étaient imprégnés de l’expérience de leurs parents et grands-parents et de celles de la nation Cubaine toute entière. Et ils étaient déterminés à NE PAS permettre la répétition des exploits du père Walsh et de la CIA. Même pas pour un seul enfant.
L’affaire Elian a rouvert toutes les blessures qui n’avaient jamais vraiment cicatrisé.
J’ai pris le temps d’insister sur le fait que les actions de Walsh et de la CIA ont eu un impact non seulement sur les Cubains sur l’île, mais aussi sur ceux de Miami, parce que ce qu’ils ont fait n’était pas seulement un crime contre la révolution Cubaine, mais un crime contre la nation Cubaine, le peuple Cubain, au-delà des questions idéologiques et politiques.
Bien entendu, la Mafia de Miami ne voit pas les choses de la même manière. Walsh était un héros, un grand humaniste, et ils refusent d’aborder la question parce que cela reviendrait à admettre la cruauté avec laquelle ils ont été eux-mêmes manipulés et à reconnaître les dégâts immenses provoqués à leurs vies.
Mais je crois que dans l’avenir, lorsque nous serons tous morts et enterrés, lorsque les historiens tenteront de comprendre les raisons de tout ce remue-ménage, les livres qu’ils écriront présenteront l’Opération Peter Pan pour ce qu’elle fut : un crime monstrueux.
José
Traduction par VD pour Cuba Solidarity Project - décembre 2001
EN COMPLEMENT :
Le documentaire de Radio Canada : Les Enfants de Pedro Pan http://ici.radio-canada.ca/actualite/zonelibre/03-11/pedro_pan.asp