Après le greenwashing et le pinkwashing, le « sportswashing » serait-il en train de s’imposer comme la nouvelle pratique favorite des entreprises désireuses de se racheter une conduite aux yeux du public ? Si le sponsoring, ou l’art d’accoler sa marque à une équipe ou un sportif en vogue, est depuis longtemps entré dans les mœurs, certaines sociétés n’hésitent pas à y recourir de manière massive.
Au risque, comme la banque Crédit Mutuel Arkéa, dont la direction est par ailleurs engagée dans un conflit avec sa maison-mère, le Crédit Mutuel, dont elle souhaite se séparer, d’allègrement — et opportunément — confondre campagne de communication et opération de diversion, de manipulation, voire de dissimulation d’information auprès des premiers concernés : ses clients, ou « sociétaires », dans le jargon mutualiste.
Arkéa multiplie les opérations de sponsoring
Depuis plusieurs mois, les dirigeants du Crédit Mutuel Arkéa multiplient en effet les investissements dans des actions de sponsoring. Revendiquant leur ancrage breton — le siège de la banque se situe à Brest — Jean-Pierre Denis (le PDG) et Ronan Le Moal (son DG) ont au début du mois d’août jeté leur dévolu sur la voile, en misant sur le bateau du jeune skipper Sébastien Simon.
Chaperonné par l’expérimenté Vincent Riou, le monocoque aux couleurs du Crédit Mutuel Arkéa devrait s’aligner sur la ligne de départ du prochain Vendée Globe : la promesse d’une « formidable exposition » médiatique, selon la banque qui, tout en se targuant d’une paradoxale « assise maritime » (sic), assume selon Jean-Pierre Denis la « part intrinsèque de risque » propre à la discipline.
Sans doute trop conscients du caractère élitiste de la voile au long cours, les dirigeants du Crédit Mutuel Arkéa diversifient leurs investissements sportifs, en misant par exemple sur la petite reine. C’est ainsi qu’ils ont récemment décidé de débaptiser l’équipe cycliste Fortuneo — l’une de leurs nombreuses filiales de banque numérique, à laquelle Ronan Le Moal jugeait, en 2017, qu’il était opportun « d’amener de la chaleur » — pour la renommer « Arkéa-Samsic ». Un simple « passage de relais », selon le DG de la banque, lié au « très fort développement du groupe Arkéa ». À moins qu’il ne s’agisse d’installer la marque sécessionniste, relativement méconnue des consommateurs français, dans le paysage bancaire tricolore...
Les ambitions des dirigeants du Crédit Mutuel Arkéa ne s’arrêtent pas là. La banque, également présente dans le Sud-Ouest, a récemment conclu, pour la saison 2018-2019, un partenariat de sponsoring avec le club de rugby de l’Union Bègles-Bordeaux (UBB), et réussi à accoler son nom à l’ancienne Bordeaux Métropole-Arena, qui s’appelle aujourd’hui l’Arkéa Arena — un contrat de « naming » (dénomination) rendu possible par le fait qu’au contraire de ses produits et services bancaires, l’activité de sponsoring admet le raccourcissement du nom de la marque ; et donc, de fait, la disparition pure et simple de la mention « Crédit Mutuel ».
« Hold-up »
Problème : le sponsoring coûte cher, et dans le cas du Crédit Mutuel Arkéa, ce sont plusieurs millions d’euros qui ont été déboursés. Une somme rondelette, a fortiori pour une banque de taille modeste. Une somme, surtout, puisée dans les caisses de l’établissement, et donc, indirectement, dans les poches de ses clients et sociétaires.
Clients et sociétaires auxquels ces activités de réputation et de communication ne rapportent pas un sou, comme le relève l’ancienne ministre Marylise Lebranchu qui, à la tête du collectif « Restons mutualistes », sillonne les routes de Bretagne pour informer les citoyens sur le projet d’indépendance de la banque : « les dirigeants du Crédit Mutuel Arkéa dépensent beaucoup (d’argent et d’énergie) pour effacer le sigle Crédit Mutuel et imposer la marque Arkéa, constate l’ancienne membre du gouvernement Jospin. Est-ce bien utile aux sociétaires ? N’est-ce pas un hold-up d’une marque construite par beaucoup de Bretons ? », fait-elle encore mine de s’interroger.
Si hold-up il y a bien chez Arkéa, celui-ci se déroule en interne, où tous les moyens semblent justifiés pour arracher la désaffiliation du Crédit Mutuel. Comme cette inédite « manifestation de banquiers », montée de toute pièce par la direction du Crédit Mutuel Arkéa en mai 2018, et qui a vu défiler plusieurs milliers de salariés « volontaires » sous les fenêtres parisiennes du ministère de l’Économie. Ou encore la rétention d’informations sur le projet d’indépendance, les syndicats de la banque estimant, à leur quasi-unanimité, qu’on demande aux sociétaires de « sauter dans l’inconnu ».
À moins, enfin, que ces gesticulations médiatiques ne servent à dissimuler les destructions d’emplois, comme la direction du Crédit Mutuel Arkéa en a décidé en rachetant, début août, Socram Banque, ne reprenant que 150 des 210 salariés de l’entreprise niortaise, ou en supprimant 114 postes dans ses points de vente entre 2015 et 2018. De l’art de faire diversion tout en prétendant conserver l’emploi...