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En Grèce, en quatre ans le nombre de suicides pour raisons économiques a quadruplé.

Contre la ségrégation et l’exploitation : la tragicomédie, arme politique.

Yangos Andreadis est Universitaire, directeur du Centre de Drame et de Spectacle Classique de l’Université Panteion d’Athènes.

Il a bien voulu confier au Grand Soir le texte de son intervention du 3 décembre 2011 à Paris au colloque international « Pour une civilisation de l’émancipation humaine, Trans-Révolutions, Révolutions individuelles et collectives » organisé par le psychiatre Hervé Hubert, animateur du TRIP (Travaux de Recherche sur l’Inconscient et la Pulsion).

LGS

De nouvelles armes destructrices, sont mises à l’essai : celles d’une dictature néofasciste préférant pour le moment aux blindés la terreur des medias et des marchés.

La Guerre - qui cette fois démarre comme guerre économique menaçant de devenir une guerre globale- est déjà en train de se propager en Europe et dans le monde. Les instigateurs de cette guerre n’ont pas de patrie et, comme les personnages agents du destin dans la Tragédie ils aiment les masques, les jeux de mots macabres et les énigmes. Qu’ils s’appellent « forces du Marché », maison d’évaluation, banques centrales, leur objectif reste le même : Subjuguer le monde entier.

Peut-on encore faire de l’art, théâtral ou autre, au milieu de la crise actuelle ? Et quel genre, dans quel contexte et quel but ? La réponse oui. Peut être plus que jamais. Exemple. Les ouvriers de la « Zone du métal », prés d’Athènes, chômage à 95%, suicides pour motifs économiques, demandent du travail. Du pain, mais aussi la présence d’artistes qui produisent des créations. Seulement voila, la compétition est énorme. Qu’on veuille faire de la tragédie, de la comédie, du drame, du gothique ou de la farce, du grotesque et du happening, la présence, le discours et les actes des politiciens, des banquiers dépassent l’imagination la plus féconde ou la plus perverse. Vous savez bien que les blagues ont toujours servi d’armes contre les régimes totalitaires. Le problème c’est que la production de situations surréelles, je ne dis pas le surréalistes est en quelque sorte devenue le style dominant du néolibéralisme.

On appelle » aide économique » le moyen pour subjuguer politiquement et surexploiter économiquement des nations entières ou des continents.

Pourquoi je dis cela ? C’est plutôt parce que les mots invoqués semblent signifier le contraire du contexte de ce qu’ils annoncent et les actes produisent un effet inverse à celui qu’ils promettent. Le capitalisme, qui se vante d’avoir vaincu ses adversaires, est maintenant prêt à succomber à sa "réussite" , qui menace d’entraîner la Terre entière dans le gouffre. La crise Européenne en est témoin. Certes, le monde ne se limite pas à l’Occident, mais ce qui se passe en ce moment en Europe et en Méditerranée acquiert une signification globale. Vivons-nous ce qu’on appelle un moment tragique ? Objectivement oui, car une catastrophe, au sens banal (et non aristotélicien) du mot est en réalité déjà survenue. Pourtant, si on prend note des discours officiels, depuis des décennies déjà , le refus du tragique, en tant que refus de l’esthétique lié au politique est devenu la façon dominante de penser et sentir de ceux qui réclament le monopole de la décision sur la politique, l’économie ou la culture. On appelle négociateur celui qui prépare la nouvelle guerre. On appelle aide économique le moyen pour subjuguer politiquement et surexploiter économiquement des nations entières ou des continents. C’est embellir ce qui est ignoble ou mortel, refuser de penser tragique, ouvre la voie royale pour causer des tragédies dans la vie…

L’irrésistible ascension est aujourd’hui celle d’une minorité qui aspire à la domination du Globe.

Pouvons-nous repenser le tragique ? Pour le moment, la situation se prête plutôt à la tragicomédie grotesque à un genre hautement ironique ou tout veut dire le contraire. Pensons un moment aux guerres et à la crise : La rhétorique anti-tragique des forces dominantes nous explique que guerre et crise constituent quelque chose comme des erreurs ou des accidents de parcours auxquels le système doit et peut apporter remède. Un regard, même superficiel, aux événements en cours nous assure au contraire qu’il s’agit de phénomènes structurels indispensables à ce qui était naguère le développement et aujourd’hui la survie pure et simple du système. Je vais insister sur le Moyen-Orient et surtout la Grèce, parce que je crois qu’ils peuvent servir de paradigmes en ce qui concerne cette thématique de la destruction globale ou particulière évoquée dans la lettre d’ invitation de ce colloque ainsi que celle de la ségrégation qui, comme nous enseigne l’expérience horrible de la deuxième guerre mondiale, mais aussi le comportement actuel des forces économiques et politiques dominantes et de pas mal de médias Européens envers la Grèce, peut concerner pas uniquement des individus, mais des nations ou ce que certains appellent des races. Le moment semble d’ailleurs propice aux associations d’idées cauchemardesques qui, peu de temps avant, sembleraient exagérées. L’ascension irrésistible n’est plus celle de Hitler/Arturo Ui mais plutôt celle d’une ultra minorité économique et politique qui aspire à la domination du Globe. Minorité en quelque sorte sophistique car elle est caractérisée par son souci permanent de masquer et de travestir son visage ses buts et ses moyens.

Dans une tragédie, Antigone ou Hamlet, Créon ou Claudius énoncent le contraire de ce qui ils pensent ou font. En Grèce d’aujourd’hui, l’occupation quasi totale du pays par les puissances du marche et la perte manifeste de l’indépendance économique et politique nationale ont été imposées par ce qui était appelé des plans de sauvetage. Plans qui malgré les catastrophes qu’ils ont produites, vont en avant bien que leurs auteurs Grecs et autres ont gentiment admis qu’ils étaient erronés. Aujourd’hui des ministres ouvertement néo-fascistes et racistes se trouvent côte à côte avec des sociaux-démocrates et des centristes au sein d’un gouvernement soi disant de salut national qui, en réalité, exerce une dictature économique et concrétise la dépendance totale. Rien de grave pourtant si on fait confiance à la grande majorité des médias, naguère se distinguant pour leurs tirades patriotiques et antifascistes, et aujourd’hui, soulignant le caractère technocratique du gouvernement.

Ce double discours n’est pas du tout un privilège Grec. La prochaine guerre chaude qui peut éclater d’un moment à l’autre en Moyen-Orient va de pair avec les interminables initiatives de paix refusant d’affronter la réalité. Faire face à ce péril mortel serait un objectif prioritaire pour l’Europe, mais l’Europe prétendument Unie a manqué de politique internationale ainsi que de politique concernant la défense, l’économie et la culture, ou plutôt elle a fait depuis longtemps sienne la politique de ceux qui de plus en plus la détruisent.

En réalité une autre guerre est déjà en cours en Europe. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une guerre "chaude" , il y a déjà des dizaines de millions de victimes sur le plan moral, économique et culturel et encore des morts au sens propre. La Grèce a eu depuis 2009 la chance d’être le premier champ de bataille, ou les nouvelles armes destructrices, sont mises à l’essai.

Elles sont celles d’une dictature néofasciste préférant pour le moment aux blindés la terreur des médias et des marchés. Mais la Grèce n’est qu’un ballon d’essais. La Guerre - qui cette fois démarre comme guerre économique menaçant de devenir une guerre globale- est déjà en train de se propager en Europe et dans le monde. Les instigateurs de cette guerre n’ont pas de patrie et, comme les personnages agents du destin dans la Tragédie ils aiment les masques, les jeux de mots macabres et les énigmes. Qu’ils s’appellent forces du Marché, agences d’évaluation, banques centrales, leur objectif reste le même : Subjuguer le monde entier.

Je viens de dire que cette guerre a fait déjà des morts. En Grèce, en quatre ans le nombre de suicides pour raisons économiques a déjà quadruplé. Le nombre des cas enregistres par les institutions d’hygiène psychique suit la même courbe. Mais la situation ne peut pas être comprise uniquement à travers ces chiffres concernant des cas extrêmes. Pour tuer des individus ou des sociétés mieux vaut tuer avant l’espoir, la perspective qui est oeuvre du culturel. Dans le champ de la culture, en Grèce comme ailleurs, l’attaque contre la création autonome, sa soumission aux règles des marches et du consumérisme est advenue avant l’éclatement de la crise économique et se développe de plus en plus. La production de biens culturels visant a la critique politique et sociale, ce qui fut l’oeuvre de tout art et de toute littérature depuis l’Iliade et le Mahabharata est bloquée de multiples façons. Du côté de l’éducation la nouvelle loi du Juillet 2011, assure la soumission systématique et complète de la recherche et de l’enseignement aux volontés du pouvoir économique international. La langue promue par le contexte de cette loi n’est plus le grec mais le franglais, tant chéri par le gouvernement social-démocrate déchu, emblème linguistique de la perte d’indépendance dans les champs de l’expression et de la pensée. Ce qui semble être en Grèce comme ailleurs l’objectif réel de ces mesures prises au nom du développement et de la modernisation est un changement radical anthropologique, qui transformerait le citoyen, interlocuteur te agent du drame Grec, Elisabéthain ou autre, en outil et en esclave.

Comment penser culture, faire de l’art théâtral ou autre dans une situation pareille ? En réalité revenir au politique dans les conditions présentes est une priorité pour toute création culturelle. Peut-on faire appel à la production tragique pour pouvoir s’inspirer ? Il est bien probable bien que le rire amer de la tragi-comédie, le rire d’Aristophane et celui de Brecht, narrant naguère l’ascension irrésistible d’Arturo Ui semblent plus convenable. C’est dans cette perspective que, le printemps passé, nous avons, au sein du Centre de Drame et de Spectacle Classique produit la pièce musicale politique J’adore mémorandum présenté (entre autres locaux) à la place Syntagma. 1) Entrée. Sauvetage de la famille- société =mort. 2) Le streap-teese du connard. Comment on paie la dette. Gilda/ Heigworth. La troïka enlève tout à la famille/ état. Mais on enlève aussi le sexe. Celui qui fait le streap-tease c’est un père de famille traditionnel / macho. Crète, l’homme Crétois ne pouvant plus nourrir la famille qu’il protège et domine (Sicile, Corse) Etre incapable de gagner d’argent égal ne plus être homme. 3) Une présentatrice de la télévision danse le zeibekiko avant d’être violée par la Troïka. 4) Les Caryatides de l’Acropole d’Athènes voyagent à Londres pour payer les intérêts de la dette en devenant des travailleurs sexuels à Soho. Cauchemar de Seféris/ Junte 1972, colonnes en tubes de pâte dentifrice. Vendre la mémoire/ Acropole. Se prostituer. Nous essayons de promouvoir une collaboration bipartite ou pluripartite sur le Théâtre et la crise. Dans quel idiome ou code artistique ? Notre problème actuel c’est que ce qui, il y a quelques mois, paraissait grotesque et digne d’être satirisé est devenu aujourd’hui tellement banal, par le spectacle même offert par les représentants du pouvoir qu’il ne semble plus capable de inspirer la scène. On songe à faire un texte concernant les suicides, bien que les événements nus me semblent plus éloquents que toute réélaboration artistique. Ce qui nous semble aussi digne de réflexion c’est une série d’autres éléments comme la Ségrégation :

Calomnier avant d’exterminer fut naguère une recette hitlérienne et stalinienne.

La Grèce comme auparavant d’autres états ou cultures est considérée come un " rogue state" , un pays, pour se rappeler de Huntington, anormal, ni Occidental ni oriental, ni démocratique ni totalitaire, ayant besoin d’être corrigé dans tous les sens du mot. La recette est connue : Dénigrer ceux qui doivent être corrigés. Pour ce faire il faut employer en virtuoses la calomnie dans les meilleures traditions racistes : Les Grecs sont paresseux, menteurs, voleurs, leur mets et leurs vins sont immangeables et dégoûtants.

Calomnier avant d’exterminer fut naguère la bonne vieille recette hitlérienne et stalinienne. Elle le reste aujourd’hui. L’humour noir serait éventuellement une voie possible. Humour noir vieux d’au moins quelques millénaires. Pour rénover des codes il faut avant tout se rappeler. Pourtant la difficulté est la. Le discours dominant dans les medias et la culture institutionnelle est dominé par cette stratégie de choc qui vise à l’effacement de la mémoire.

Cette Démarche partielle s’inscrit dans une perspective bien plus ample qui ne concerne pas exclusivement les artistes, les intellectuels, mais aussi les sans abris, chômeurs, grévistes, etc. Elle ne concerne pas qu’un seul peuple.

Comment faire trou, comment devenir capable de respirer, de réagir ? Espérons que nous, Grecs, nous Européens et citoyens du monde serons capables de former les réseaux humains indispensables pour créer, jouir, agir. Mettre en relief et mobiliser les gens autour de la question suicides peut est un de nos objectifs à présent : La difficulté de la tache consiste au passage des statistiques aux témoignages humains des proches et aux formes de communication et d’action qui feront comprendre que ces suicides économiques sont des meurtres perpétrés par le néolibéralisme. Mais comme je l’ai déjà dit, le problème n’étant pas uniquement Grec, nous aspirons à ce que les réseaux en question deviennent européens et mondiaux.

Yangos Andreadis

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