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Communisme : un Sève et çà repart !...

Le vieux philosophe (92 ans), sur la table, a remis l'ouvrage. Près de 700 pages pour décrire les ballotements d'un gros bouchon sur les eaux agitées des 19 et 20°siècles. Ca se lit facilement, même si le guide nous amène dans des profondeurs jusque là bien peu visitées. Quelques historiens patentés, qu'on ne plaindra pas, en gros ceux qui ont cru pouvoir tirer quelques profits des évènements moscovites de 1991 en s'alignant hostensiblement sur la musique bourgeoise soudain exclusive, devront soigner quelques échymoses.Les autres, nous les cocos et ceux qui ne chérissent pas le capitalisme vont y apprendre que si la révolution peut, comme en 71 à Paris, et 17 à Pétrograd, être facile, l'abolition des classes est autrement plus complexe.

Je ne reviens pas sur Lénine qui est, ici, traité comme il n’aurait jamais dû cesser de l’être par des communistes français. Après avoir consacré 300 pages pour distinguer la "visée marxienne du communisme" des divers socialismes du XIXe siècle, et démontré que pour Marx, le communisme n’est pas un projet, mais un mouvement dialectique qui "dépasse l’état des choses existant". Donc que, pour lui, le communisme est la mesure de toute politique, Lucien Sève attaque, sur 350 pages, le procès de Staline.

La charge est à la hauteur des fautes, et du bilan de celui qui a manœuvré dans le dos de Lénine, malade, pour accaparer un pouvoir, sur la Révolution, dont Lénine ne disposait qu’avec parcimonie, et en fonction des états de services, reconnus de tous, qui étaient les siens en ce début 1923. C’est la capacité de travail du géorgien, qui avait amené Lénine à le proposer pour le poste de secrétaire général, c’est la ruse, et l’intelligence, qui vont lui permettre d’échapper à la dernière décision de Lénine, celle de demander son éjection d’un poste où sa brutalité était devenue intolérable.

Mais Sève va beaucoup plus loin, Il explique, à sa façon, c’est à dire par le menu, comment Staline se sert de la dépouille de Lénine, qu’il a fait momifier contre l’avis de la famille, pour dévier discrètement et progressivement, sur deux ans, la politique de la NEP, pour "plusieurs générations" avait dit Lénine vers "le socialisme dans un seul pays". Une politique volontariste, autarcique, basé sur de la main d’oeuvre à bas coût, forcée dans de larges proportions, Sève est discret sur cet aspect, préférant insister sur l’aliénation de ces travailleurs qui ne peuvent se sentir, quelque part, propriétaires de ces gigantesques entreprises, qu’un État-léviathan contrôle avec une bureaucratie pléthorique, dominée par des pontes qui, en 91, pilleront ces avoirs sous l’oeil impavides de milliers de prolos aliénés, persuadés qu’il n’avaient rien à perdre, et peut-être même à y gagner....

Sur l’aliénation, Séve me parait léger. L’aliénation du salariés ne dépends pas que du sentiment de propriété. Un bon salaire fait reculer l’aliénation, tout comme de bonnes conditions de travail et de vie, de bonnes relations de travail, l’efficacité du travail réalisé, des magasins correctement achalandés etc... Or sur tous ses terrains l’URSS de 91 est à la ramasse, et depuis longtemps. On sait maintenant que la mortalité normale aussi bien qu’infantile étaient reparties à la hausse...

Sève passe, évidemment, du temps sur les crimes, que le dictateur n’assumera jamais, mais qui sont là, et qui démontrent sa volonté de gouverner hors de tout débat, et, bien sûr, hors de toute critique. Il en déduit qu’à partir de l’arrivée de Staline, et jusqu’en 91, ni le socialisme, ni le communisme ne sont, à Moscou, passés des discours dans la réalité. J’ai dans mes tiroirs une cinquantaine de cartes du PCF et je dois, avec Sève, et pas sans douleurs, constater cette réalité, mais aussi que le vieux philosophe a mis, selon moi, le doigt au bon endroit !

Ceci dit, il y a d’autres points qui, avec Sève, coincent un peu. Par exemple, il confirme, laborieusement, la position qu’il a adopté en 1976 en suivisme de l’opération "dictature du prolétariat" lancée par le trio Juquin-Fiterman-Marchais pour contrarier le glissement électoral vers Mitterrand. Ce fût un échec et un facteur de division dans le PCF. A quoi peut donc servir un parti communiste si ce n’est pour prioriser les intérêt du prolétariat (immense majorité) au dépends de ceux de la bourgeoisie (infime minorité) ? Certes, le mot "dictature" ne sonne plus exactement comme au XIXe siècle, mais la sémantique ne peut justifier l’amputation du raisonnement marxiste d’un concept de cette importance.

Sur le "dépérissement de l’État" dont il regrette qu’il n’ait pas été enclenché en URSS, j’ai aussi du mal à le suivre. Tant que les intérêts bourgeois seront dominants dans le monde je vois mal comment une nation pourrait faire l’impasse sur une politique de défense étatique.

Autre divergence sur le qualificatif "stalinien" accolé à Deng Xiao Ping, alors que ses réformes en Chine s’apparentent bien plus à la NEP de Lénine qu’au "socialisme dans un seul pays" de Staline. Sur la Chine actuelle, Sève fait très court, sans doute craint-il, comme n’importe quel chat échaudé, l’eau froide. Ou peut-être compte-il sur la Chine pour meubler la troisième partie de son texte (le communisme au XXIe siècle) qu’il annonce pour dans quelques temps ? Cependant, même si, en Occident, la connaissance de la Chine reste superficielle, on ne peut pas ne pas noter l’extraordinaire différence entre les rues de Pékin en 2019, et celles de Moscou en 1991...et même en 2019 ! Et Sève se tait ; attente ? Surprise ? Doute ? Ou prise d’élan avant de sauter ?

Enfin Sève considère Staline comme un bien piètre dialecticien. C’est possible, mais mourir dans son lit après 26 ans de pouvoir absolu et de chausses-trappes de toutes espèces est un exploit qui n’est pas à la portée du premier venu. Et, il a, quand même, réussi à travestir, de fond en comble, la démarche léninienne au point de leurrer des millions de crédules, dont moi, persuadés que, comme lui, les héritiers la poursuivait consciencieusement.

Les soviétiques ont partagé leur temps entre deux dirigeants géniaux, pour le meilleur avec Lénine et pour le pire avec Staline.

Mais je referme le livre de Sève, avec l’agréable sensation que les conclusions tirées de mes derniers voyages chez Marx et Lénine sont confirmées. A savoir que la sortie définitive vers la société sans classe ne peut intervenir qu’après le capitalisme, jamais avant ! Tout simplement parce que le "à chacun selon ses besoins" ne peut se construire que sur "l’accumulation primitive du capital" que Sève nomme "développement des forces productives", et que, pour le moment, seul le capitalisme, naturel, ou d’État (Lénine-Deng), s’est avéré capable de produire. Certains vont déprimer, pourtant c’est d’optimisme qu’il s’agit là.

En Occident le capital est partout, et largement, accumulé. Reste à réaliser l’union des prolos, immense majorité qui doit travailler pour vivre, souvent chichement, contre la bourgeoisie, infime minorité qui ne pèse que son poids, c’est à dire rien devant l’unité du prolétariat.... (Communisme ? 40€)

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Abrégé du Capital de Karl Marx
CAFIERO, Carlo
« Le capitalisme n’est et ne sera pas là de toute éternité. » Cet Abrégé, rédigé en 1878, nous livre l’essentiel de l’analyse contenue dans le Livre I du Capital de Karl Marx. Ce compendium de la critique du système capitaliste - « où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais bien le travailleur qui se trouve au service des moyens de production » - a été rédigé à destination d’un public populaire. Écrit dans un style simple et sans l’appareil (…)
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Le déficit de l’Etat était l’objet même de spéculations. A la fin de chaque année, nouveau déficit. Au bout de quatre ou cinq ans, nouvel emprunt. Or chaque emprunt fournissait à l’aristocratie une nouvelle occasion de rançonner l’Etat, qui, maintenu artificiellement au bord de la banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers dans des conditions toujours plus défavorables.

Karl Marx
La lutte des classes en France. 1850

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