EntreTodos France (ET) : Les communautés noires en Colombie sont-elles nombreuses ? Sont-elles assimilées ou, au contraire, conservent-elles certaines différences culturelles vis-à-vis de la majorité métisse ?
José Santos (JS) : Bon, le recensement de 2005 indique que la population noire totale en Colombie est de 10% ou plus ou moins 4.5 millions de personnes. Mais les documents officiels précédents disent que nous sommes plus ou moins 25% de la population. Ce qui apparaît dans le recensement de 2005 c’est la population qui a réussi à obtenir l’auto-reconnaissance car toutes les communautés n’ont pas été interrogées et dans certains cas, comme à Bogotá, les intervieweurs ont refusé de poser la question de l’appartenance ethnique. A ces difficultés de reconnaissance s’ajoute que la majorité de la population noire [3] n’est pas organisée. Les groupes les plus organisés sont situés dans les zones rurales de ce pays, en particulier dans les zones rurales de la côte Pacifique. Notez que si vous allez au Ministère de l’Intérieur et au bureau des Affaires Ethniques, ils vous montreront une base de données de 1200 organisations afro-colombiennes ayant un statut juridique, mais en réalité leur processus d’organisation est très faible, en particulier dans les zones urbaines. Une grande majorité de ces organisations n’ont pas un degré d’organisation politiquement active, c’est-à-dire qu’elles ont été créées pour recueillir des fonds et des projets financés par l’État, mais ne développent pas une activité autour des droits ethniques et culturels du peuple noir.
Il y a aussi une question de langage. Pour certains, nous sommes « afro-descendants » ou « afro-colombiens », nous disons « oui, mais pas que ». Avant tout, nous sommes des hommes et des femmes noires parce que la traite, l’esclavage, l’humiliation, ont été vécus par les personnes noires qui ont été traités comme des animaux de trait. La reconnaissance et la réparation collective historique appartiennent à ces hommes et femmes noirs et la notion d’afro-Colombiens paraît le fruit d’une discussion entre académiques noirs de la ville parce qu’il y aurait un aspect péjoratif à dire noir. « Comme si maintenant étant sortis de la campagne, on parle d’afro-colombiens ». Cependant, cela dépend des gens eux-mêmes, parce que si vous allez dans la région Pacifique, la personne se considère « noire », ils disent même « Je suis paysan noir ». Si vous allez dans le nord du Cauca, les gens, en particulier les anciens, disent : « Nous sommes bruns [morenos] ». La différence ne vient pas du mot parce que « peu importe la couleur de la peau » ce qui importe c’est l’identité. On peut avoir la peau la plus foncée, on dit « noir de charbon », mais réaliser des actes bien pires que les gens blancs ou métis. Alors, quelle est mon identité ? On peut l’observer avec les députés de la communauté afro au Parlement en Colombie. Il y a eu une organisation de Noirs qui a donné leur aval. Qu’ont-ils fait ces représentants pour le peuple noir ? Rien ! Quelle identité de noir, d’afro-colombien, d’insulaire ou de palenquero ont-ils ? Aucune. Seulement les intérêts de leurs partis de parvenir à une communauté, un peuple ethniquement distinct pour capter des votes.
ET : Pouvez-vous dire s’il y a de la discrimination ethnique en Colombie ?
JS : Il y a de la ségrégation, de la discrimination, du racisme dans ce pays. Et les organisations, les leaders l’expriment depuis longtemps. Mais seulement quand l’Université de los Andes a commencé à le dire, là le pouvoir institutionnel a dit qu’il y avait du racisme dans ce pays. Parce qu’il s’agit de l’un des centres où les élites sont formées et qu’elle le dit. Donc, en tant que PCN, nous avons rejoint l’Université, pour qu’ils disent ce que nous étions en train de clamer. Qu’on nous empêche d’entrer dans des discothèques, que certains magasins nous refusent l’entrée, que les chauffeurs de taxi ne s’arrêtent pas ou qu’on ne nous loue pas d’appartement parce que « nous faisons beaucoup de bruit ». Ces choses se produisent dans ce pays et dans de nombreuses villes.
Je pense qu’on peut illustrer la discrimination avec un exemple concret. Si je suis un garçon de 15 ans qui a vécu toute sa vie dans des petites villes comme Tumaco ou Roble et que je me sois diplômé du baccalauréat à 17 à 18 ans, je dois aller étudier à Pasto, une université où la grande majorité de la population est blanche-métisse et se croit aristocrate. Comme noir j’arrive et quelle opportunité vais-je avoir quand on me dit « tu es laid, tu marches mal », pourquoi tu dis « allú » (NdE : forme africanisée de là, allá) ou encore « noir qui effraie-la-Vierge » et « noir cul de marmite ». Si je dois vivre cela et j’ai des enfants, je vais leur apprendre à se comporter de manière à s’assimiler à l’autre. Dans la région Pacifique, les images qu’ils me montrent dans les livres de classe primaire pour le mot « maman » sont des images de femmes blanches-métisse. Pas une mère noire. Par conséquent, ce conditionnement a lieu depuis petit : ce qui est joli est blanc. Le noir ne peut être montré. Et si je n’ai pas une identité familiale forte, je vais vouloir paraître blanc. C’est le processus de blanchiment qu’il y a eu dans ce pays. Beaucoup à cause des curés, pour qui « les femmes doivent se marier à un homme blanc pour améliorer la race ».
Les organisations politiquement claires devraient clairement mettre l’accent sur de telles choses, dans le renforcement de la propre identité et pas dans le fait de vouloir que celui qui m’accueille au guichet d’Avianca [NdE : ligne aérienne colombienne] soit noir.
ET : Quels sont les problèmes actuels des communautés noires colombiennes ?
JS : Je pense que la dispersion est le plus gros problème du peuple afro-colombien : il y a de nombreuses organisations et beaucoup d’entre elles n’existent que sur le papier. La seconde est la complicité qu’ont beaucoup de personnes noires avec les institutions de ce pays et qui a généré de la corruption. Peut-être qu’elles n’ont pas volé d’argent, mais c’est de la corruption car elles sont complices de ce qui se passe et ont pu se prêter à ce que les institutions fassent du mal à d’autres organisations noires.
D’autre part, il y a la question de la pauvreté. Les communautés noires aujourd’hui peuvent être pauvres, mais il y a 10, 15 ou 20 ans, elles ne l’étaient pas. Elles ont été appauvries. Ce que nous devrions nous demander c’est comment comprendre le fait d’être riche ou pauvre. De nombreuses communautés pauvres déplacées vivant actuellement dans les grandes villes ont la nostalgie de leur lieu d’origine. Pourquoi ? Parce qu’il y avait la banane, la pomme de terre chinoise, le palmier « chontaduro », le poisson, le gibier, le guatín, le crabe... Et pour eux être riche c’était d’avoir ces produits parce que pour nous, être riches, ce n’est pas avoir de l’argent dans la poche. Et je pense que la richesse est aujourd’hui mesurée par le montant des ressources financières et non par les ressources naturelles. Beaucoup de gens noirs disent : Comment donc me dire que je suis pauvre, quand j’ai de l’eau, la forêt, l’or ?
Le capitalisme nous a mis dans la tête qu’être riche ou pauvre se mesurait par la quantité d’argent dans la poche ou que l’on a à la banque qui d’autant plus me vole car encaisse pour garder mon argent. Alors que si j’ai du bois, des cultures, de l’or sans exploiter et de l’eau, pour moi, cela peut être la banque.
ET : Et avec tous ces problèmes, comment est-il possible que les communautés noires aient pu préserver leur identité ? Quelles sont les particularités historiques de leurs processus de résistance qui leur ont permis de le faire ?
JS : Résister passe par faire que les gens de la ville se rencontrent. Nous avons créé des colonies (NdE : associations basées sur l’origine géographique), avec des maisons qui ont gardé la relation avec leur village ou municipalité. Par exemple, les gens du Chocó vivant à Bogota sont étroitement liés à la capitale du département Quibdó parce que chaque semaine, ils commandent des aliments de la région, les femmes enceintes vont accoucher là-bas et ils font venir de la région leurs médicaments traditionnels. Cela permet de conserver au moins une partie de cette identité multiculturelle vivante et en vigueur. D’autre part, il y a la musique. La musique a contribué à maintenir ces racines. Surtout pour ceux qui sont du Pacifique Sud, Buenaventura et plus bas, juste le fait d’entendre un bombo ou un cununo (NdE : instruments de percussion) nous fait bouillir le sang. Aussi nous essayons de garder la tradition à la maison, avec les repas par exemple. Je pense que cet ensemble nous permet de maintenir les racines en quelque sorte.
Notre histoire nous inspire également. Le peuple noir qui est venu ici en esclavage, dès l’instant de sa capture a commencé à résister à ses chaînes. Et ici, où le processus de résistance marronne a été vécu, à travers la fondation des palenques ou dans le cas du Brésil des quilombos, la mémoire est beaucoup plus forte et les communautés conservent cet héritage historique de liberté.
En outre, entre 1991 et 1993, la discussion avec les institutions a été très dure. Afin d’octroyer une reconnaissance officielle du peuple noir comme groupe ethnique, la première chose que le gouvernement a demandée était de prouver que nous avions une langue maternelle autre que l’espagnol. Mais ils savaient que nous ne l’avions pas, parce que le système éducatif lui-même a fait que ces différentes langues qui sont venues d’Afrique ont été ici perdues. Quand les enfants allaient se socialiser à l’école, l’enseignant était le premier en charge de couper cette partie de leurs racines africaines.
Ensuite, il y a nos référents historiques. Des gens comme Benkos Biohó (NdE : héros et martyr marron, né en Guinée-Bissau et assassiné en Colombie luttant pour la liberté des noirs en 1630), José Cinecio Mina (NdE : leader noir paysan, colonel pendant la guerre des Mille Jours en 1900) ou Apolonia (NdE : leader marronne qui a dirigé une armée de 150 femmes, combattu et vaincu l’armée espagnole au cours des premiers soulèvements contre l’esclavage en 1581), qui à l’époque n’avaient pas la possibilité d’écrire des choses. Nous, les dirigeants d’aujourd’hui, avons cette possibilité pour laisser des traces écrites aux gens. Je dirais aux personnes impliquées dans les processus organisationnels de laisser cet héritage. Je dirais aujourd’hui à des gens comme Carlos Rosero (NdE : leader et cofondateur de PCN) de « s’asseoir et écrire » ... Sûrement beaucoup de jeunes pensent au hip-hop, au rap, au reggaeton, à la bachata ou à la salsa urbaine. Je dis allons-y ! Mais il faut inclure du contenu politique, de l’histoire de la population noire et la transmettre. Parce que dans 20 ou 30 ans, les enfants d’aujourd’hui auront besoin de savoir ce qui s’est passé à Buenaventura...
ET : Quel est l’impact du conflit armé sur vos communautés ?
JS : L’impact du conflit armé dans ce pays a été disproportionné vis-à-vis des communautés noires et une partie de notre théorie est que la communauté noire n’a pas eu de pouvoir, donc le conflit armé l’a touché plus gravement. En outre, le gouvernement fait usage du conflit armé comme d’une excuse pour ne pas investir dans l’amélioration de la qualité de vie des communautés, soi-disant parce qu’il y a la guérilla. Par exemple, l’Etat n’explique pas pourquoi dans la zone urbaine de Buenaventura, ils ne peuvent pas investir dans les besoins sociaux de la population mais qu’il est parfaitement possible pour eux d’investir dans l’élargissement et la modernisation du port. D’une part, le gouvernement investit dans une entreprise portuaire et crée le meilleur port de la Colombie sur le Pacifique, qui déplace la grande majorité des marchandises produites dans le pays, mais, d’autre part, les habitants de la municipalité, pour la plupart des communautés noires, doivent stocker l’eau tous les 3 ou 4 jours, car il n’y a même pas un aqueduc.
La déterritorialisation et la déculturation ont également été des résultats du conflit. Dans mon expérience, le déplacement forcé affecte l’identité culturelle. De nombreux conseils communautaires qui voulaient faire valoir leurs droits sur leurs territoires, ont dû se déplacer
[4]. Il s’agit d’impacts extrêmement forts. Et quand nous parlons de la réparation, il doit être clair qu’il ne s’agit pas seulement de rendre la terre, mais de rétablir les droits territoriaux avec tout ce que cela implique. C’est la discussion que nous avons avec l’Unité de restitution de terres (NdE : institution étatique). Le conflit armé a fait, par exemple, que je ne puisse plus aller accompagner le voisin qui est mort parce le gouvernement a imposé le temps de transit entre 9h et 16h. Ou je ne peux plus aller à la chasse parce que si je vais chasser, je vais rencontrer des gens armés et ils vont me poser des questions et peuvent même me tuer. Alors nous devenons méfiants. Cet impact on le regarde bien sûr de manière différente, car plusieurs d’entre nous ont perdu la terre, d’autres ont mis les pieds sur une mine antipersonnel, mais l’impact va bien au-delà de cela. Par exemple, comment croyez-vous que le conflit a impacté les personnes vivant actuellement dans les quartiers de Buenaventura ? Pour ceux qui ont dû vivre avec les « maisons-abattoirs » [5] (NdE : maisons de torture et mutilation opérant dans le port de Buenaventura), le préjudice psychologique est énorme, le fait d’avoir à entendre les cris des victimes, leur souffrance, et de découvrir un bras ou une main jeté au hasard...
Le conflit a également fait partie d’une stratégie pour détruire les communautés noires et nous dresser contre les autres communautés. A un point tel que, sous couvert du conflit, ils envoient des groupes de noirs tuer des gens des communautés autochtones ou paysannes et ces gens-là comment vont-ils percevoir les gens noirs ? Ils diront : « c’étaient les noirs qui sont venus pour nous tuer » ...
ET : La violence a-t-elle cessé ou diminué dans les territoires des communautés afro-colombiennes grâce aux négociations de paix qui sont en cours ?
JS : Je pense qu’elle s’est transformée, mais n’a pas diminuée. Et l’on observe cela dans le cas du département de Nariño. L’on attendrait du processus de paix qu’il diminue les actions des guérillas et des paramilitaires. Mais elles se sont transformées. Par exemple, aujourd’hui les territoires collectifs sont revendiqués par les insurgés comme des zones de contrôle territorial. Et ils disent aux gens « vous devez nous donner vos plans de vie » (NdE : diagnostic et planification collectifs de l’avenir de la communauté) et les conseils communautaires (NdE : les leaders) doivent apporter la personnalité juridique et nous apportons le conseil. Comment ça ? Il n’y a même pas de dialogue, ’vous devez ou vous devez’. Ils disent : ’vous devez aller à la manifestation… la famille qui n’y va pas doit payer une amende de 100 mil pesos’. Et ne sont-ils pas dans un processus de paix et de dialogue ? Et en même temps, ils me forcent à me mobiliser ? La même chose arrive avec les paramilitaires. Ce sont les contradictions que l’on ne comprend pas.
Au-delà de cela, nous devons continuer à résister, mais il est difficile d’être entre le marteau et l’enclume. Car l’on se dit : je dois dénoncer mais si je le fais ce sera un outil pour que le gouvernement attaque la guérilla, alors je le supporte en silence. Beaucoup le subissent en silence, même quand ils ne comprennent pas de quel droit ils minent leurs territoires et ils ne peuvent même pas veiller leurs morts de honte que le voisin qui est venu de Tumaco ou d’une zone rurale va découvrir le cercueil et ne trouvera que des morceaux (NdE : corps démembrés). Cela se passe dans les territoires, à Tumaco et au-delà...
ET : Quelles sont les conséquences possibles d’un processus de paix réussi pour les communautés noires ? Y a t-il encore des groupes paramilitaires ou ce ne sont que des « bandes criminelles » comme l’affirme le gouvernement colombien ?
JS : Je ne sais pas, on n’a pas la baguette magique pour le dire. Je pense que nous devrions en discuter au sein des communautés et voir comment les accords pour une paix durable contiennent une approche ethnique différenciée... Et ce que l’on devrait se demander est si à La Havane, ils discutent cette approche dans un processus de « post-conflit ». Car il semble qu’ils n’ont même pas abordé le sujet, même s’ils ont parlé du territoire. Mais sur l’accent différentiel ethnique dans le contenu de ces dialogues et la négociation en vue d’une une paix stable et durable, rien. Surement parmi les commandants des guérillas des FARC ou de l’ELN il y a des noirs, et se pourrait-il qu’ils aient un point de vue ethnique clair pour faire valoir les droits déjà établis des personnes noires et indigènes en vue de les appliquer ? Ou ce sont ces propres commandants qui seront contre la mise en œuvre de ces droits pour les groupes ethniques ?
Beaucoup peuvent penser que nous rêvons tous allégrement de la réconciliation, mais il ne faut pas espérer une réconciliation à tout prix. On se demande, pour les victimes de Bojayá à Bellavista [6] ... plus de 100 noirs morts.
Et puis, en ce qui concerne les bandes criminelles (Bacrim), pour nous, ce sont des paramilitaires. Ils peuvent avoir changé le nom, mais les exactions restent celles de paramilitaires. Ils sortaient des listes de condamnés à mort accusés d’être des collaborateurs de la guérilla et de s’opposer au développement... Est-ce que ce ne sont pas exactement le même type de listes qui est publié par les ’Bacrim’ dans le nord du Cauca ? Ce fut le problème du supposé processus de paix avec eux. Avant on avait identifié le commandant paramilitaire avec son nom spécifique. Et maintenant, ils se sont dispersés. S’il y en avait 50 dans un bloc militaire, maintenant il s’agit de 50 blocs différents. Et vous ne pouvez pas vraiment identifier qui commande...
ET : Dans ce contexte, quels sont les mécanismes utilisés par les communautés noires pour défendre leurs droits et comment vous articulez-vous avec les autres espaces et processus de lutte ?
JS : Parmi les choses que les gens ont soulevées comme essentielles, il y a l’accomplissement du droit fondamental à la consultation préalable. Nous agissons surtout à travers des actions juridiques : tutelles (NdE : référé de droits fondamentaux), plaintes collectives, en vue de provoquer la décision de la Cour (NdE : Cour constitutionnelle). Parce que beaucoup de gens n’ont pas les conditions pour se mobiliser. Plusieurs se sont mobilisés, ont parlé, ont publié des déclarations, mais ce qui a plus ou moins fonctionné ce sont les actions en justice. C’est plus facile de se mobiliser dans la région andine, parce que pour se déplacer vers Buenaventura ce sont des milliers de gallons d’essence, par exemple. Nous avons également obtenu une solidarité internationale, à travers des appels à l’attention du gouvernement.
En outre, nous sommes en train d’appuyer le Sommet Agraire, afin de construire l’unité sociale et, à l’échelle internationale, nous étions dans le Réseau afro-descendant de l’Amérique latine et des Caraïbes, mais ce réseau est un peu fragile. La difficulté que nous avons toujours eue, c’est que la dimension ethnique noire ne se comprend pas dans toute sa multiplicité. Au sein du Sommet Agraire aujourd’hui l’on comprend cette dimension à la fois indigène et noire. Voyons, continuer à avancer le plus loin possible et faire de la pédagogie au sein de la paysannerie. Ceci est notre effort quotidien. Et à l’échelle internationale, nous avons résisté un peu à intégrer Via Campesina même si nous y avons été invités parce que nous comprenons que la dimension ethnique va se perdre.
ET : Le Sommet Agraire, Ethnique et Populaire aide-t-il à renforcer vos luttes ? Quelles sont les revendications « ethniques » du Sommet ?
JS : Il a été très utile pour nous car, même si au départ, PCN était la seule organisation afro participante, cela a ouvert un peu l’espace pour inclure aussi l’Autorité Nationale Afro-colombienne. Nous notons que même la Marche Patriotique qui a en son sein des afro, est en train de dire « nous avons nous aussi une Coordination afro ». Etant clairs et objectifs, c’est un avantage d’être là en tant qu’organisation noire pour motiver le reste du mouvement paysan à mettre en valeur son composant noir qui existe aussi.
Ainsi, nous sommes en train de stimuler un fort débat sur la reconnaissance politique de la paysannerie, pour que les paysans voient reconnus leurs droits et notamment un droit à la consultation préalable, non pas comme un groupe ethnique, mais comme étant un groupe culturellement distinct. Nous avons dû être flexibles sur plusieurs choses, revenir sur certains thèmes et rediscuter les décisions, afin d’obtenir un consensus.
Dans l’avenir immédiat, nous sommes en train de discuter les revendications du Sommet, nous serons en train de les construire. Nous avons déjà eu un tour de conversations avec le gouvernement sur la question de l’exploitation minière et de l’énergie ainsi que sur les droits économiques les 30 et 31 Octobre derniers. Et vers le sein de notre organisation, nous continuons à bâtir la confiance. Nous avons de nombreux débats, de nombreux problèmes et quelques contradictions sur le terrain en matière de droits à la terre et la notion territoriale mais nous sommes en train de planifier ces discussions. Il s’agit d’un travail double : vis-à-vis des institutions, mais aussi vers l’intérieur avec les organisations appartenant au Sommet.
ET : Pour terminer, il existe un intérêt commercial international indéniable dans la fin du conflit armé colombien. Quels sont les intérêts des capitaux étrangers et en particulier des accords de libre-échange (TLC) dans vos territoires ?
JS : Seulement pour mentionner un exemple, voyons le cas de Buenaventura : Que va apporter un processus de paix à Buenaventura ? Il va renforcer le port afin de mettre en œuvre l’Accord de libre-échange (TLC) avec les États-Unis, avec la Chine – même si le gouvernement n’a pas dit ce qu’ils ont négocié et s’ils ont déjà signé ou non – ou encore le Japon. Nous voyons cela avec l’exemple du Canada. Tout est exploitation minière. Le Canada a même participé à la création du code de mines colombien, afin de permettre la mise en œuvre complète, avec plus de liberté, de leurs projets d’exploitation sans avoir à se soucier des guérillas. Avec un processus de paix, qui arrête ces locomotives du développement ? On peut dire tout simplement au revoir aux ressources naturelles. Le post-conflit ne cherche que l’application pure et simple des TLC. Il peut s’agir d’une erreur, mais on le perçoit de cette manière.
Propos recueillis par Ludivine Brussat à Bogota pour l’association EntreTodos France
Retrouvez les deux premiers entretiens :
– “De défenseur des droits de l’homme à député en Colombie, entretien avec Alirio Uribe” : http://www.legrandsoir.info/de-defenseur-des-droits-de-l-homme-a-depute-en-colombie-entretien-avec-alirio-uribe.html
– “ Luttes paysannes en Colombie : Entretien avec Luzmila Ruano, dirigeante de la Coordination Nationale Agraire (CNA)’ : http://www.legrandsoir.info/luttes-paysannes-en-colombie-entretien-avec-luzmila-ruano-dirigeante-de-la-coordination-nationale-agraire-cna.html