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Colombie : le fléau des disparitions forcées dans une grande ville portuaire

Des enquêteurs de police transportent un corps retrouvé dans le quartier de Ciudadela Comfamar, dans la ville portuaire de Buenaventura, en novembre 2013. © 2013 Stephen Ferry

(Bogotá, le 20 mars 2014) – Des bandes armées ayant succédé aux paramilitaires en Colombie ont enlevé et fait disparaitre un grand nombre, peut-être des centaines, d’habitants de Buenaventura, une ville portuaire dont la population est majoritairement afro-colombienne, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch dans un nouveau rapport ainsi qu’une vidéo diffusée simultanément. Chaque année, des milliers de résidents fuient en abandonnant leurs habitations, faisant aujourd’hui de Buenaventura l’agglomération ayant le taux de déplacement forcés le plus élevé du pays.

Ce rapport de 30 pages, intitulé « The Crisis in Buenaventura : Disappearances, Dismemberment, and Displacement in Colombia’s Main Pacific Port » (« La crise de Buenaventura : Disparitions, démembrements et déplacements forcés dans le plus grand port de Colombie sur la côte Pacifique »), documente comment de nombreux quartiers de la ville sont passés sous la domination de puissants groupes criminels qui commettent de multiples violations des droits humains, notamment des enlèvements de personnes qu’ils découpent ensuite à coups de hachoir, parfois alors qu’elles sont encore en vie, avant de les jeter à la mer. Ces groupes disposent de véritables « maisons-abattoirs » (casas de pique) où ils tuent et démembrent leurs victimes, selon les dires de témoins, d’habitants de ces quartiers, de l’église catholique locale et de certains responsables.

« La situation à Buenaventura est l’une des pires que nous ayons pu constater en de nombreuses années de travail en Colombie et dans la région », a déclaré José Miguel Vivanco, directeur de la division Amériques à Human Rights Watch. « Le simple fait d’emprunter la mauvaise rue peut vous valoir d’être enlevé et démembré, et il n’est donc pas surprenant que les habitants fuient par milliers. »

Des bandes issues de groupes paramilitaires de droite sont apparues à Buenaventura à la suite de la démobilisation très mal réalisée de ces groupes il y a une décennie. Actuellement, les Urabeños et l’Empresa sont les deux principales bandes de ce type qui sévissent dans la ville portuaire. Ces bandes restreignent les mouvements des habitants, attaquant notamment ceux qui franchissent des frontières invisibles établies entre les zones contrôlées par des factions rivales. En outre les bandes enrôlent de force des enfants dans leurs rangs, soumettent les entreprises à l’extorsion de fonds, et se livrent régulièrement à des actes de violence horribles contre quiconque s’oppose à leur volonté.

Plus de 150 personnes portées disparues à Buenaventura entre janvier 2010 et décembre 2013 - un nombre deux fois plus élevé que dans n’importe quelle autre ville de Colombie - sont considérées par les responsables de l’État comme des victimes d’enlèvements et de « disparitions forcées ». En outre, des entretiens avec des autorités et des habitants, ainsi que l’étude de comptes-rendus officiels, reflètent la forte probabilité que le nombre exact des personnes enlevées et tuées par les bandes ayant succédé aux groupes paramilitaires est largement supérieur. L’une des principales causes de la sous-estimation de ce nombre est la crainte très répandue de représailles.

Des habitants de Buenaventura ont affirmé à Human Rights Watch avoir entendu des personnes hurler et implorer pour avoir la vie sauve, alors qu’elles étaient démembrées dans des « maisons-abattoirs » En mars 2014, après la découverte par des inspecteurs de la police criminelle de taches de sang dans deux locaux suspectés d’être des « maisons-abattoirs », la police a annoncé avoir découvert plusieurs lieux à Buenaventura dans lesquels des victimes avaient été hachées alors qu’elles étaient encore en vie.

« À Buenaventura, il y a des maisons-abattoirs », a déclaré Mgr Héctor Epalza Quintero, l’évêque catholique de Buenaventura. « Les gens disent qu’au milieu de la nuit, on peut entendre des personnes hurler : ‘Ne me tuez pas ! Ne me tuez pas ! N’incarnez pas le mal !’ Ces personnes sont pratiquement découpées alors qu’elles sont encore en vie. »

En 2013, la violence a poussé plus de 19.000 personnes à fuir en abandonnant leurs domiciles à Buenaventura, soit plus que dans toutes les autres villes du pays, selon des statistiques officielles. Des décennies de violence et de conflit armé ont forcé plus de 5 millions de Colombiens à fuir leurs propres foyers, ce qui place ce pays au deuxième rang mondial en ce qui concerne le nombre de personnes déplacées à l’intérieur des frontières. Buenaventura est aussi la ville colombienne qui détient le record du nombre de personnes nouvellement déplacées en 2011 et en 2012. Les déplacements provoqués par les activités des guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont également constitué un grave problème dans les zones rurales moins peuplées autour de Buenaventura, selon des statistiques officielles.

Des habitants de quartiers de la ville dont les bandes issues de groupes paramilitaires ont pris le contrôle ont indiqué que la présence de la police y était très réduite. Plusieurs d’entre eux ont même affirmé avoir vu des policiers rencontrer des membres de ces bandes dans ces quartiers.

Les procureurs ont ouvert plus de 2.000 enquêtes sur des cas de « disparition » et de déplacement forcé survenus à Buenaventura au cours des deux dernières décennies, dans lesquels divers groupes ou individus sont soupçonnés, mais aucune de ces affaires n’a donné lieu à la moindre condamnation. Aucune inculpation officielle n’a même été prononcée dans 509 des 512 enquêtes sur lesquelles les procureurs ont fourni des informations à Human Rights Watch.

« Un sentiment d’impuissance semble largement répandu parmi les habitants de Buenaventura, qui ont vu les autorités continuellement manquer à leur devoir de les protéger des atrocités, ou de traduire en justice les individus responsables », a déclaré José Miguel Vivanco.

Le 6 mars, après l’annonce par un commandant régional de la police de la découverte de plusieurs « sites-abattoirs » à Buenaventura, le président colombien, Juan Manuel Santos, a déclaré que le gouvernement interviendrait pour chercher à résoudre les problèmes de sécurité de la ville. Outre l’accroissement de la présence des forces de sécurité, le président Santos a promis de prendre des mesures pour améliorer la situation socio-économique de Buenaventura.

Human Rights Watch a recommandé au gouvernement colombien de prendre plusieurs mesures pour s’assurer de l’efficacité d’une intervention à Buenaventura.

Ces mesures consisteraient notamment à :

  • Établir une présence policière continue dans les quartiers où les bandes issues de groupes paramilitaires sont les plus actives ;
  • Créer une commission indépendante pour évaluer le problème des « disparitions » à Buenaventura et mettre au point un plan visant à réduire ces abus et punir leurs responsables ;
  • Mettre sur pied une équipe spéciale de procureurs chargée exclusivement d’enquêter sur les « disparitions » à Buenaventura ; et
  • Ouvrir des enquêtes approfondies sur les fonctionnaires sur qui pèsent des accusations crédibles d’avoir toléré ou d’avoir été en collusion avec ces bandes.

« Le président Santos a pris l’important engagement de s’occuper de la situation désastreuse des droits humains à Buenaventura », a conclu José Miguel Vivanco. « Pour réussir, le gouvernement devra s’assurer que les responsables des atrocités en répondent devant la justice, et démanteler les bandes criminelles qui ont succédé aux paramilitaires et qui terrorisent la ville. »

Extraits de témoignages d’habitants de Buenaventura contenus dans le rapport et la vidéo :

« En dépit de tous les hurlements que vous entendez, la peur vous empêche de faire quoi que ce soit.... Les gens savent où sont les ‘maisons-abattoirs’ mais ils ne font rien car la terreur est absolue. » – Un habitant de Buenaventura.

« Ils font descendre des jeunes des bus pour les emmener et les découper en morceaux.... Vous vivez enfermé, comme un prisonnier. » – Un habitant de Buenaventura âgé de 17 ans.

« Ce que je veux, c’est que quelqu’un me dise ‘Voici la dépouille de votre fils.’ C’est vraiment une épreuve très dure, que je ne souhaite à aucune mère. » – La mère d’un « disparu » à Buenaventura.

« Ils s’emparent des maisons et se les approprient. Et qui va se plaindre ? Si vous vous plaignez, ils vous tuent. » – Un habitant de Buenaventura déplacé.

« Ici à Buenaventura dans la région Pacifico, nous avons perdu tout espoir.... La violence nous affecte tous. » – Mario Riascos, un responsable de la communauté afro-colombienne à Buenaventura.

»» http://www.hrw.org/fr/news/2014/03/...
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Karl Marx, Le Capital, chapitre 22

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