5 octobre 2022
Si – comme Mickael Correia, Camille Étienne et la plupart des figures de l’écologisme médiatique, du militantisme « pour le climat » – tu t’étonnes ou t’indignes du fait que Coca-Cola soit un des principaux sponsors, aux côtés d’IBM, Microsoft, Vodafone et Egyptair, entre autres, de la prochaine COP organisée en novembre en Égypte, c’est que tu n’as (toujours) pas réalisé dans quoi nous vivons. Les bénéficiaires du RSA ou du chômage ne financeront jamais les COP. Enfin si, ils les financent toujours, indirectement, en donnant de l’argent aux entreprises et aux États qui les financent. Mais techniquement, ce ne sont pas eux qui ont l’argent. Le principe même du capitalisme, c’est de produire de la valeur (de l’argent) en détruisant le monde au travers de l’exploitation des êtres humains (on appelle ça « production », « développement », « croissance », « progrès », etc.). Ceux qui ont l’argent, c’est donc les pires destructeurs et exploiteurs du monde, États ou entreprises. C’est donc très logiquement, très naturellement, que ceux-là (États ou entreprises) se retrouvent à financer les COP (et les ONG « écologistes », et une foultitude de choses), et à posséder les médias, etc.
Les COP n’ont jamais eu pour objectif de mettre un terme à la destruction du monde. Les « acteurs » qui s’y réunissent visent uniquement à assurer la pérennité du capitalisme industriel, à le rendre plus durable, à réfléchir à une manière d’assurer sa perpétuation malgré les désastres qu’il génère inexorablement et nécessairement. Les COP sont financées et organisées par les puissants, par les riches, par les organismes qui oppriment et exploitent les populations. Les États et les entreprises n’existent pas pour servir les populations. C’est l’inverse.
La « transition » à laquelle aspirent les écologistes (les écologistes formés à l’écologie par les médias de masse et l’école de la République), c’est l’impossible et indésirable verdissement du capitalisme industriel. Aucune industrie n’est écologique et aucune ne le sera jamais, par définition. Toutes les industries impliquent des destructions, des dégradations ou des pollutions, y compris les industries de production d’énergie prétendument verte, propre, renouvelable ou décarbonée. Comme l’ont fait remarquer il y a déjà des années deux chercheurs australiens dans un livre sur le sujet, la meilleure chose qu’une entreprise puisse faire pour mettre un terme à la destruction de la nature, c’est « mettre la clé sous la porte ». Un État, idem.
Bref, l’écologie, ça ne devrait pas consister à demander aux dirigeants du monde, chefs d’États ou d’entreprises, de bien vouloir faire ce qu’il faut pour assurer l’avenir du capitalisme industriel. L’écologie devrait être une lutte contre ces dirigeants, contre ces chefs d’États ou d’entreprises, contre ces États et ces entreprises. Une lutte visant à les destituer tous et à démanteler les structures sociales et technologiques de la civilisation industrielle, afin de redistribuer le pouvoir politique (retrouver de l’autonomie, individuellement et collectivement) et de mettre un terme aux activités techno-industrielles qui ravagent la planète.
Nicolas Casaux
Pour aller plus loin
Leur écologie et la nôtre : technologistes contre naturiens (par Nicolas Casaux)
Il y a 37 ans, en 1985, le philosophe étasunien Theodore Roszak, célèbre théoricien de la « contre-culture », donnait une présentation à San Francisco, intitulée « Du satori à la Silicon Valley », dans laquelle il soulignait une caractéristique du mouvement écologiste, ou contre-culturel, tel qu’il s’était développé depuis les années 60 : l’existence, en son sein, de deux perspectives antagonistes au sujet de la technologie.
Réversionnaires et technophiles
Une première qu’il qualifiait de « réversionnaire », dont la filiation intellectuelle remonte « à John Ruskin, William Morris et aux romantiques en général », pour laquelle « l’industrialisation constitue l’état extrême d’une maladie culturelle devant être soignée avant qu’elle ne nous tue tous ». Les réversionnaires « attendent avec impatience le jour où les usines et les machines lourdes seront laissées à l’abandon, et où nous pourrons revenir au monde du village, de la ferme, du camp de chasse, de la tribu. Cela nous ramènerait à une vie proche de la terre et des éléments, faite de plaisirs simples et communautaires, en mesure d’offrir un véritable épanouissement. » C’est pourquoi les réversionnaires articulent une critique radicale de l’industrie, du capitalisme [1], de la technologie et de l’État.
« En contrepoint de ce courant visant un retrait radical, une sorte de réversion, ajoutait ensuite Roszak, nous trouvons la vision technophile de notre destin industriel, un courant de pensée moderne qui remonte à Saint-Simon, Robert Owen et H. G. Wells. Pour ces utopistes industriels, comme pour Buckminster Fuller après eux, le remède aux maux industriels ne se trouve pas dans les choses du passé, mais dans des développements futurs, dans le perfectionnement du processus industriel. Ce qu’il faut, par conséquent, n’est certainement pas une repoussante réversion, mais une persévérance courageuse. Nous devons nous adapter avec ingéniosité à l’industrialisation en tant qu’étape nécessaire de l’évolution sociale, en surveillant et contrôlant minutieusement son procès afin de favoriser ses potentialités salvatrices. Tandis que nous approcherons de la crise qui menacera de virer à la catastrophe, nous devrons saisir les opportunités qui se présenteront et les utiliser en vue de corriger le système de l’intérieur. Afin de nous sortir de la mauvaise passe actuelle, il nous faut continuer sans peur à creuser jusqu’à atteindre la lumière du jour. On reconnaît immédiatement, dans cette vision, la vieille croyance marxiste dans le développement historique. »
Et non seulement la vieille croyance marxiste dans le développement historique, mais plus généralement l’idéologie dominante du culte du « progrès », propagée et défendue par la classe dominante, les capitaines d’industrie et leurs collègues gouvernementeux.
Roszak remarquait aussi qu’une troisième perspective, mélange des deux précédentes – sorte d’utopie high-tech primitiviste (ou inversement) – se manifestait dans le mouvement contre-culturel.
Le titre de sa conférence, le titre du livre éponyme, Du satori à la Silicon Valley, évoque la filiation qu’il existe entre d’une part le mouvement contre-culturel et ses aspirations à l’émancipation, à la sagesse (le satori, terme japonais, désignant une forme d’éveil dans le bouddhisme), et d’autre part le capitalisme technologique de la Silicon Valley. Comme le note Fred Turner, professeur en sciences de la communication de l’université Stanford, dans son livre Aux sources de l’utopie numérique : de la contre-culture à la cyberculture, certains membres de la contre-culture (les technophiles dont parle Roszak) « tournèrent le dos à l’action politique et adoptèrent la technologie et la transformation de la conscience comme tremplins naturels du changement social ». C’est ainsi que nombre de magnats de la Silicon Valley sont issus de la mouvance contre-culturelle, parmi lesquels les plus connus sont Steve Jobs et Steve Wozniak d’Apple, et, plus généralement, que le capitalisme numérique, hautement technologique, s’enracine dans le mouvement hippie [2].
Et ce qui devrait être quasiment indéniable, aujourd’hui, en 2022, après franchissement d’une « cinquième limite planétaire » – la noyade de la planète dans un déluge de produits chimiques et plastiques diversement toxiques [3], désormais que l’on sait combien la civilisation étiole le corps humain – bientôt tous crétins, obèses et myopes [4] ?! – et nous prive de liberté [5], c’est que les réversionnaires avaient raison et que les technophiles fantasmaient complètement.
Aux origines de la perspective réversionnaire
On rappellera, pour mieux comprendre ce qui se joue ici, que le courant « réversionnaire » décrit par Roszak s’inscrit dans la veine de la critique primitiviste, inhérente à la civilisation depuis sans doute son avènement, relativement récent au regard de l’histoire de l’humanité, en tout cas depuis, au moins, les taoïstes anarchistes de l’antiquité chinoise – dont les premiers écrits remontent à il y a près de 3000 ans [6]. Entre-temps, la critique primitiviste s’est manifestée au travers des cyniques grecs, des stoïciens romains puis de divers groupes et individus (Julien Pomère, Maxime de Turin, Isidore de Séville, etc.) durant le Moyen Âge [7], des romantiques au début du XIXème siècle puis des anarchistes naturiens [8] fin XIXème, début XXème siècle. Plus proches de nous, les « précurseurs » du mouvement écologiste en France que sont Bernard Charbonneau et Jacques Ellul, Alexandre Grothendieck et ses camarades de Survivre... et vivre, Pierre Fournier [9] et les autres de La Gueule Ouverte, les anarchoprimitivistes et les anti-industriels (ou luddites, néoluddites, etc.) des Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances [10] et d’autres groupes et individus gravitant aujourd’hui autour des éditions La Lenteur, L’Échappée, des Éditions de la Roue, les Grenoblois de Pièce et Main d’Œuvre (PMO), l’organisation Deep Green Resistance dont je fais partie, des collectifs comme le média Floraisons, les écoféministes de la « perspective de subsistance » théorisée par les sociologues Maria Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen de concert avec Vandana Shiva [11] – savamment présentées dans un ouvrage de la sociologue française Geneviève Pruvost paru l’an dernier, intitulé Quotidien politique – peuvent, entre autres, être considérés comme appartenant au courant « réversionnaire » dont parlait Roszak.
Autrement dit, le clivage est ancien entre, d’un côté, les partisans d’une vie décente, respectueuse du sensible, de la mesure de l’être humain, de sa nature évoluée et de la nature, opposés aux autorités et hiérarchies illégitimes, à toute forme de pouvoir séparé – l’idéal des taoïstes anarchistes était la communauté à échelle humaine, autogouvernée, autosuffisante et égalitaire, aussi respectueuse que possible du monde sauvage, et de l’autre les adeptes du Progrès (technique), de la civilisation, de l’industrie.
Le Parti technologiste
Aujourd’hui, la plupart de ceux qui se prétendent – ou sont présentés comme – « écologistes », qu’ils soient employés d’ONG (Greenpeace, WWF, 350.org, Alternatiba, ATTAC, etc.), de partis politiques (EELV, LFI, parti de Gauche, NPA, « écosocialistes », etc.), membres de « laboratoires d’idées », personnalités médiatiques diversement liées au « mouvement climat » ou encore écologistes soi-disant « décoloniaux [12] », appartiennent à la mouvance « technophile » décrite par Roszak – aussi appelée « technologiste », dans le vocabulaire de PMO.
Les technologistes partagent essentiellement une même perspective, soit une même analyse de la situation, une même lecture de l’histoire et une même aspiration. Selon eux, le progrès dont on nous rebat les oreilles est bien réel. L’avènement de l’État, le développement du capitalisme et de l’industrie, des « forces productives », l’usage des combustibles fossiles, nous ont permis de passer de modes de vie misérables au confort heureux de la modernité technologique. Certes, aujourd’hui, la civilisation industrielle s’avère très inégalitaire et lourdement destructrice du monde naturel, en tout cas du climat. Il s’agit donc de la décarboner, d’effectuer une « transition écologique » (ou « technologique », car comme le souligne notre cher président, c’est idem [13]) en direction d’une civilisation industrielle « bas-carbone » (et basse consommation, pour les plus hardis), et si possible d’y infuser un peu de « justice sociale » au passage, de la rendre « plus démocratique ».
Exemple. Dans un article pour Reporterre, Dion déclare qu’un de ses principaux objectifs consiste à « conserver le meilleur de ce que la civilisation nous a permis de développer », qui comprend notamment « la capacité de communiquer avec l’ensemble de la planète [14] », principalement au travers de l’Internet, cette « incroyable innovation permettant de relier l’humanité comme jamais précédemment ». En effet, selon lui, le « web et les outils numériques pourraient nous aider à réinventer nos sociétés [15] [...] ».
Cyril Dion défend donc l’« écologie industrielle » de son amie Isabelle Delannoy, dont le livre L’Économie symbiotique a été publié chez Actes Sud dans la collection qu’il dirige :
« L’économie symbiotique d’Isabelle Delannoy imagine une société où nous parviendrions à potentialiser la symbiose entre l’intelligence humaine (capable d’analyser scientifiquement, d’organiser, de conceptualiser), les outils (manuels, thermiques, électriques, numériques...) et les écosystèmes naturels (capables d’accomplir par eux-mêmes nombre de choses extraordinaires). [...] Le récit d’Isabelle Delannoy reprend et articule de nombreuses propositions portées par les tenants de l’économie du partage, de la fonctionnalité, circulaire, bleue, de l’écolonomie... [16] »
Aux côtés de Dion et Delannoy, le cénacle des technologistes, (parfois) présentés comme des écologistes, autorisés et même bienvenus dans les médias – en raison du caractère inoffensif et même seyant de leur propos aux yeux du pouvoir, des puissances dominantes, du capitalisme, de l’État, de la technocratie, comprend de nombreuses personnalités aux opinions aussi superficiellement variées que Maxime de Rostolan, Camille Étienne, Yann Arthus-Bertrand, Naomi Klein, George Monbiot, Nicolas Hulot, Baptiste Morizot, Bruno Latour, Bertrand Piccard, Jean-Marc Jancovici, Gaël Giraud, etc.
Les technophiles ne réalisent pas que l’idée de Progrès est une mythologie – un tissu de mensonges et de distorsions – raciste et suprémaciste. Ni que le développement de l’industrie et de la technologie est allé – et va nécessairement – de pair avec celui de terribles formes de dominations impersonnelles (bureaucratique, étatique, capitaliste, technoscientifique), de vastes structures sociales hiérarchiques, avec une dépossession existentielle et une séparation sociale massives (entre producteurs et consommateurs, experts et profanes, etc.) ni qu’il implique, là encore nécessairement, diverses dégradations écologiques. Au contraire, les technologistes prétendent que la « transition écologique » qu’ils appellent de leurs vœux permettra de rendre « durable », écologique en quelque sorte, la civilisation techno-industrielle. Notamment grâce aux technologies de production d’énergies dites « renouvelables », « vertes », « propres » ou « bas-carbone » et aux technologies dites « vertes » ou « propres » en général – qui ne sont, en vérité, jamais rien de tout cela [17]. C’est pourquoi les combustibles fossiles constituent le principal, voire l’unique ennemi des technologistes.
Quelques exemples. Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace France, a tout récemment affirmé, après l’abandon par Total de son projet d’implantation à Polytechnique, qu’il s’agissait d’une « victoire au sein d’une bataille plus large : réduire à néant l’influence de l’industrie fossile partout dans la société [18] ». Dans une interview récemment parue dans le journal CQFD, Mickaël Correia, journaliste à Mediapart, « spécialiste des questions climatiques » et auteur d’un ouvrage récemment paru, intitulé Criminels climatiques, en appelle à la formation d’un « vaste front anti-énergies fossiles », soutient que « toute firme, banque ou État qui continue à mettre de l’argent dans les énergies fossiles relève forcément du criminel climatique puisqu’ils le font en toute connaissance de cause », et résume ainsi l’essentiel des problèmes actuels selon le mouvement climat : « En bref, nous sommes face à une poignée d’entreprises qui attisent sciemment les flammes qui brûlent notre planète pour engranger toujours plus de profit en extrayant les ressources des entrailles de la Terre. » L’ennemi, le problème, donc : « une poignée d’entreprises » et « les énergies fossiles ». Notre salut – en réalité celui de la civilisation industrielle ou du capitalisme industriel, c’est idem – exige alors que firmes, banques et États investissent exclusivement dans le développement des industries de production d’énergies dites « renouvelables », « vertes », « propres » ou « bas-carbone ». Non merci.
Technologistes contre naturiens
À rebours d’une optique aussi absurde, les réversionnaires – ou naturiens, pour reprendre l’appellation de ce groupe d’anarchistes de la fin du XIXème siècle —, au même titre que les écoféministes de la « perspective de subsistance » mises en avant par Geneviève Pruvost, « réévaluent les notions de modernisation, d’autonomie et d’émancipation [...] à l’aune de l’autogouvernement des sociétés de chasseurs-cueilleurs et des sociétés paysannes. La lutte pour l’égalité entre les sexes, sur le plan du droit, de l’accès à l’éducation et au travail, est à leurs yeux indissociable d’une critique radicale de la société de consommation, de l’industrialisation et du capitalisme. L’attention portée à l’autonomie que confère le travail de subsistance les conduit à proposer une tout autre lecture de l’Histoire [19]. » En d’autres termes, les naturiens défendent la « quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance », comme l’énonce le sous-titre du livre Terre et Liberté d’Aurélien Berlan paru fin 2021[20].
& tandis que les naturiens perpétuent une ancienne – plurimillénaire – aspiration populaire de contestation du pouvoir, ce dernier constitue en revanche le principal instigateur du courant technologiste. Depuis les premières COP, les premiers « sommets de la terre », depuis que les problèmes écologiques engendrés par la civilisation techno-industrielle sont trop massifs pour être niés et en viennent à inquiéter, le pouvoir – le capitalisme, ses dirigeants étatiques et entrepreneuriaux, la classe dominante, constituée par les plus riches – s’efforce de coopter les préoccupations écologistes et de les intégrer [21]. Le philosophe André Gorz – qui, paradoxalement, malgré une critique relativement lucide des implications de la technologie [22], pencha toute sa vie durant du côté des technologistes, ne cessant jamais de croire en une utopie autogestionnaire hautement technologique, notamment rendue possible grâce au potentiel émancipateur qu’il percevait dans les technologies numériques – Gorz, donc, le soulignait en 1974 dans un texte intitulé « Leur écologie et la nôtre » :
« La prise en compte des exigences écologiques conserve beaucoup d’adversaires dans le patronat. Mais elle a déjà assez de partisans capitalistes pour que son acceptation par les puissances d’argent devienne une probabilité sérieuse. Alors mieux vaut, dès à présent, ne pas jouer à cache-cache : la lutte écologique n’est pas une fin en soi, c’est une étape. Elle peut créer des difficultés au capitalisme et l’obliger à changer ; mais quand, après avoir longtemps résisté par la force et la ruse, il cédera finalement parce que l’impasse écologique sera devenue inéluctable, il intégrera cette contrainte comme il a intégré toutes les autres [23]. »
C’est désormais chose faite : aujourd’hui, les grandes ONG environnementales et les partis écologistes sont aux écologistes ce que les syndicats et les partis de gauche sont aux travailleurs [24]. Des moyens insidieux de récupérer et désamorcer le potentiel véritablement subversif, dérangeant, problématique, de leurs revendications, de leurs colères. En d’autres mots – ceux de l’Encyclopédie des Nuisances de Jaime Semprun :
« Les écologistes [ou, plutôt, technologistes] sont sur le terrain de la lutte contre les nuisances ce qu’étaient, sur celui des luttes ouvrières, les syndicalistes : des intermédiaires intéressés à conserver les contradictions dont ils assurent la régulation, des négociateurs voués au marchandage (la révision des normes et des taux de nocivité remplaçant les pourcentages des hausses de salaire), des défenseurs du quantitatif au moment où le calcul économique s’étend à de nouveaux domaines (l’air, l’eau, les embryons humains ou la sociabilité de synthèse) ; bref, les nouveaux courtiers d’un assujettissement à l’économie dont le prix doit maintenant intégrer le coût d’un “environnement de qualité”. On voit déjà se mettre en place, cogérée par les experts “verts”, une redistribution du territoire entre zones sacrifiées et zones protégées, une division spatiale qui réglera l’accès hiérarchisé à la marchandise-nature [25]. »
Et l’on comprend pourquoi le seul écologisme ayant voix au chapitre dans les médias est le technologisme des Dion, Delannoy et consorts. Pourquoi l’immense majorité des Français ignorent l’existence des anarchistes naturiens, d’Alexandre Grothendieck ou de PMO, mais pas celle de Nicolas Hulot.
C’est enfin à dire que, contrairement à ce que croient nombre de ceux qui se pensent écologistes, l’écologie n’est pas une grande famille d’individus désirant à peu près la même chose. Aujourd’hui comme dans les années 1960, l’écologie est constituée de courants antagonistes dont un seul, à nos yeux, est digne de ce nom. D’ailleurs, la plupart de ceux qui s’imaginent l’existence d’un « nous » écologiste aspirant à une seule et même chose ont étrangement tendance à ne pas bien savoir la définir, ou à s’empêtrer dans des aspirations contradictoires.
Il importe de savoir ce qu’on veut – commencer par savoir ce qu’on ne veut pas peut aider. Nous concernant, nous continuerons de défendre la perspective naturienne (que l’on peut aussi nommer réversionnaire, anti-industrielle, primitiviste, luddite, etc.) contre les mensonges et les idées délétères des technologistes.
Nicolas Casaux
Notes :
1) Non seulement réduit à l’existence d’une classe de riches, de grands patrons, ou assimilé aux seuls excès de la finance, mais compris comme la forme de vie sociale organisée sur la base, notamment, de l’argent, du travail, de la propriété privée, sur le principe de la marchandise, de la production de valeur, ainsi qu’une vaste division et spécialisation du travail. ↑
2) Lire, par exemple, outre le livre susmentionné de Turner, L’Évangélisme technologique : de la révolte hippie au capitalisme high-tech de la Silicon Valley, de Rémi Durand (2018, Fyp éditions). ↑
3) https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/01/28/la-pollution-chimique-cinquieme-limite-planetaire-franchie_6111378_3244.html ↑
4) Cf. « Une brève contre-histoire du “progrès”, de la civilisation et de leurs effets sur la santé » : https://www.partage-le.com/2017/09/03/une-breve-contre-histoire-du-progres-et-de-ses-effets-sur-la-sante-de-letre-humain/ ↑
Cf. « Sommes-nous plus libres que nos ancêtres préhistoriques ? » : https://www.partage-le.com/2022/01/14/sommes-nous-plus-libres-que-nos-ancetres-prehistoriques-par-nicolas-casaux/ ↑
Cf. « Le taoïsme anarchiste contre la civilisation » : https://www.partage-le.com/2021/01/10/le-taoisme-anarchiste-contre-la-civilisation-par-nicolas-casaux/ ↑
Cf. Primitivism and Related Ideas in Antiquity, Arthur Lovejoy et George Boas, et Primitivism and Related Ideas in the Middle Ages, George Boas (1948). ↑
Cf. « Les naturiens, précurseurs d’une critique de la civilisation » : https://www.partage-le.com/2019/03/02/les-naturiens-precurseurs-dune-critique-de-la-civilisation-par-nicolas-casaux/ ↑
Pour en savoir plus sur Pierre Fournier, nous vous proposons ici quelques extraits d’une anthologie de textes de sa plume publiée en 1975 : https://www.partage-le.com/2016/08/31/yen-a-plus-pour-longtemps-la-civilisation-industrielle-et-son-desastre-ecologique-par-pierre-fournier/ ↑
« Qu’est-ce que l’anti-industrialisme et que veut-il ? » (Miguel Amoros) : https://www.partage-le.com/2016/02/23/quest-ce-que-lanti-industrialisme-et-que-veut-il-par-miquel-amoros/ ↑
https://sniadecki.wordpress.com/2018/09/30/mies-perspective-subsistance/ ↑
Dans son livre Une écologie décoloniale – Penser l’écologie depuis le monde caribéen (2019), Malcom Ferdinand, principal théoricien de « l’écologie décoloniale », exprime clairement son appartenance à la sphère des technologistes, par exemple en embrassant l’idéologie cyborgienne de Donna Haraway : « L’écologie-du-monde suppose une ontologie relationnelle qui reconnaisse que nos existences et nos corps sont entremêlés des rencontres avec une pluralité d’humains et une pluralité de non-humains. Une ontologie gestalt créolisée ou une créolisation gestalt de l’espèce humaine. L’ontologie du Chthulucène proposée par Donna Haraway qui trouble les frontières entre animaux humains et non humains et technologie, tout en rendant compte des discriminations de genre et de race, est un pas possible en ce sens. » Écologie « pseudo-décoloniale » serait plus juste tant on y retrouve la plupart des idées dominantes concernant le progrès technique, etc. ↑
https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/30/pour-emmanuel-macron-la-transition-ecologique-est-avant-tout-une-transition-technologique_6100407_3232.html ↑
https://reporterre.net/Pour-changer-la-societe-nous-devons-etre-des-millions-pas-une-poignee-de ↑
Cyril Dion, Petit manuel de résistance contemporaine, 2018. ↑↑
Quelques documentaires sont récemment sortis qui exposent ces grands mensonges verts, qui exposent les illusions vertes que constituent les énergies dites vertes, propres ou renouvelables, parmi lesquels Planet of The Humans de Zehner, Gibbs et Moore (« Planète des humains », à voir ici : https://www.partage-le.com/2020/04/24/planete-des-humains-ou-comment-le-capitalisme-a-absorbe-lecologie-par-michael-moore-jeff-gibbs-ozzie-zehner/), La face noire des énergies vertes réalisé pour la chaîne M6 (à voir ici : https://www.partage-le.com/2021/12/16/la-face-noire-des-energies-vertes-par-nicolas-casaux/), La face cachée des énergies vertes de Guillaume Pitron, coproduit par Arte (à voir ici : https://www.partage-le.com/2021/05/10/a‑propos-de-la-face-cachee-des-energies-vertes-par-nicolas-casaux/), Blue Heart, réalisé par Patagonia, sur les impacts des barrages (https://www.youtube.com/watch?v=OhmHByZ0Xd8), et Bright Green Lies (« De grands mensonges verts ») de Julia Barnes (à voir ici : https://vimeo.com/ondemand/brightgreenlies). Quelques livres existent aussi sur le sujet dont La Guerre des métaux rares de Guillaume Pitron. Enfin, de nombreux textes publiés sur le site Le Partage (www.partage-le.com) l’abordent aussi, parmi lesquels « Confusion renouvelable et transition imaginaire », « L’étrange logique derrière la quête d’énergies “renouvelables” », « Sur les illusions renouvelables », « L’écologie™ du spectacle et ses illusions vertes (espoir, “progrès” & énergies “renouvelables”) ». Sur les barrages, spécifiquement, voir « Comment les barrages détruisent le monde naturel (et non, le Costa Rica n’est pas un paradis écologique) » et « Dans la famille des fléaux technologiques, voici les barrages ». ↑
https://twitter.com/ClemSenechal/status/1487092279991021571 ↑
Geneviève Pruvost, Quotidien politique (2021). ↑
Pour lire quelques extraits de cet excellent livre d’Aurélien Berlan, c’est par ici : https://www.partage-le.com/2021/11/16/a‑propos-de-terre-et-liberte-daurelien-berlan/ ↑
Lire, par exemple, « Comment les riches ont façonné et neutralisé le mouvement écologiste grand public » (Michael Barker) : https://www.partage-le.com/2017/06/03/comment-les-riches-ont-faconne-et-neutralise-le-mouvement-ecologiste-grand-public-par-michael-barker/ ↑
Dans Écologie et Liberté (1977), il écrivait notamment que « la technique n’est pas neutre : elle reflète et détermine le rapport du producteur au produit, du travailleur au travail, de l’individu au groupe et à la société, de l’homme au milieu ; elle est la matrice des rapports de pouvoir, des rapports sociaux de production et de la division hiérarchique des tâches. Des choix de société n’ont cessé de nous être imposés par le biais de choix techniques. Ces choix techniques sont rarement les seuls possibles. Ce ne sont pas nécessairement les plus efficaces. Car le capitalisme ne développe que les techniques conformes à sa logique et compatibles avec sa domination. Il élimine les techniques qui ne consolideraient pas les rapports sociaux en vigueur, même quand elles sont plus rationnelles au regard des buts à atteindre. Les rapports capitalistes de production et d’échange se sont inscrits dans les technologies que le capitalisme nous lègue. Sans la lutte pour des technologies différentes, la lutte pour une société différente est vaine : les institutions et les structures de l’État sont, dans une large mesure, déterminées par la nature et le poids des techniques. Le nucléaire par exemple, qu’il soit capitaliste ou socialiste, suppose et impose une société centralisée, hiérarchisée et policière. » ↑
À lire ici : https://www.monde-diplomatique.fr/2010/04/GORZ/19027 ↑
Lire « Qui a tué Ned Ludd ? Petite contre-histoire du syndicalisme » (par John Zerzan) : https://www.partage-le.com/2015/05/01/qui-a-tue-ned-ludd-petite-contre-histoire-du-syndicalisme-john-zerzan/ & les discussions sur le syndicalisme dans les extraits du livre Métro, boulot, chimio publiés dans cet article : https://www.partage-le.com/2022/01/22/vive-la-guerre-vive-lemploi-vive-dassault-par-nicolas-casaux/ ↑
« Adresse à tous ceux qui ne veulent pas gérer les nuisances mais les supprimer » : https://www.partage-le.com/2018/12/23/adresse-a-tous-ceux-qui-ne-veulent-pas-gerer-les-nuisances-mais-les-supprimer-par-ledn/ ↑
Image de couverture : à gauche : Cyril Dion, à droite : Alexandre Grothendieck. Il y a 37 ans, en 1985, ...