Conformément à la volonté affichée par François Hollande, l’« exception culturelle » a été « sauvée ». Les productions cinématographiques et musicales sont exclues des marchandages visant à libéraliser les échanges.
On voudrait y croire. Hélas, à Bruxelles, l’interprétation est quelque peu différente. Le Commissaire Karel Van Gucht, chargé du commerce international, a rappelé qu’une « clause d’ouverture » permet aux négociateurs d’évoquer tous les sujets, y compris donc l’audiovisuel. Certes, les Etats-membres devront, au final, donner unanimement leur aval. Mais, dès lors qu’un accord global sera présenté comme imminent et porteur de « millions d’emplois », il n’est pas tout à fait certain que les dirigeants français – ceux-là ou d’autres – camperont sur un veto héroïque. Le succès médiatique empoché aujourd’hui ne garantit en rien la fermeté politique de demain.
Du reste, aussi important que soit l’« exception culturelle », celle-ci ne représente qu’un détail dans un ensemble particulièrement vaste et redoutable. Le battage autour cette exception a fait passer au second plan l’essentiel : le lancement des négociations, prévues pour démarrer le 8 juillet à Washington. En jeu : l’abolition la plus radicale possible des droits de douane, mais aussi des règles, normes et procédures qui permettent aux pays de contrôler les marchandises qu’ils importent. Cette déréglementation concerne aussi les services et les capitaux. Barack Obama n’a pas caché qu’il a dans ce domaine un « agenda hyper-ambitieux ».
Le principe du libre-échange a d’abord été promu par l’empire britannique, qui y avait intérêt comme puissance dominante au XIXème siècle. Aujourd’hui, les dirigeants américains et européens entendent maintenir la domination du « monde occidental » en poussant plus avant le libre-échange, entre eux en particulier, afin de créer une « masse critique » déterminant des choix mondiaux : qui édicte la norme contrôle la circulation des richesses – et, pour une part, des idées. Au-delà des biens et des services – et des profits afférents – ce sont bien des rapports de force économiques, idéologiques et géopolitiques qui sont en jeu.
Economiques ? Quand on ouvre – comme l’a fait l’UE au nom de ses Etats membres – les marchés européens au déferlement des véhicules sud-coréens, on sape l’activité et l’emploi. Idéologique ? Quand on accueille MacDo et Disneyland, on importe par là-même le concept du fast food (la malbouffe) et la logique de Picsou. Géopolitique ? Quand on veut fixer des normes industrielles et technologiques mondiales via le futur TTIP, c’est pour damer le pion à la Chine et aux « émergents ». Le libre-échange est bel et bien l’expression d’une aspiration hégémonique.
Au moment même où Barack Obama se rendait à Berlin pour célébrer l’ouverture des frontières (avec force références à la chute du Mur), le réseau de surveillance planétaire mis en place par les services de sécurité américains se retrouvait sous les projecteurs de l’actualité. Puis, la « révélation » selon laquelle l’Oncle Sam espionnait aussi les institutions et gouvernements européens – ce qu’aucun responsable ne pouvait raisonnablement ignorer, si ce n’est dans le détail, du moins dans le principe – a suscité une vague d’hypocrite indignation officielle… qui ne remettra nullement en cause le projet de TTIP.
Devant un parterre trié sur le volet de partisans de l’effacement des Etats (notamment européens) rassemblés à la Porte de Brandebourg, le locataire de la Maison-Blanche s’est proclamé « citoyen du monde ». Ce faisant, il a finalement fort bien éclairé la cohérence de sa démarche.
Qu’on pourrait ainsi résumer : Big Business, Big Brother.
Pierre Lévy
Éditorial paru dans l’édition du 30/05/13 du mensuel
Bastille-République-Nations
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Pierre Lévy est par ailleurs l’auteur d’un roman politique d’anticipation dont une deuxième édition est parue, avec une préface de Jacques Sapir : L’Insurrection