Hier, mardi 16 février, j’ai rencontré les familles des cinq prisonniers politiques cubains emprisonnés aux États-Unis depuis plus de 11 ans. D’entrée, j’ai pu évaluer le drame que traversaient ces familles. Et ce que j’ai entendu confirme l’information que j’avais déjà .
Le 16 et 17 juin 1998, le gouvernement cubain avait invité deux importants responsables du FBI afin de leur remettre de nombreux documents où figuraient les preuves des actions dangereuses de certaines personnes résidant en Floride sérieusement impliquées dans le terrorisme contre cuba. Jusqu’à présent, aucune d’entre-elles n’a été interrogée par les autorités étatsuniennes malgré les preuves fournies au FBI.
Trois mois après, le 12 septembre 1998, cinq jeunes cubains sont arrêtés par le FBI : Antonio Guerrero, Fernando González, Gerardo Hernández, Ramón Labañino et René González. Pour quel crime ? Celui d’avoir infiltré au péril de leur vie, des groupes d’origine cubaine responsables de nombreux attentats violents qui ont coûté la vie à de nombreux innocents. Depuis 1959, le terrorisme contre le peuple cubain a causé la mort à 3478 personnes et 2099 autres ont été handicapées pour le restant de leur vie.
Suite à un procès contenant de nombreuses violations juridiques, les cinq avaient été condamnés à un total de 4 condamnations à perpétuité plus 77 ans pour avoir combattu le terrorisme. Cela fait plus de 11 ans qu’ils sont emprisonnés à l’intérieur de cinq prisons différentes à sécurité maximale.
Ces cinq cubains ont été soumis plusieurs fois à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Dès leur arrestation jusqu’au 3 février 2000, c’est-à -dire durant 17 mois, ils ont été enfermés dans des cellules d’isolement, sans aucun contact ni avec les autres détenus ni avec les gardiens.
Le 27 mai 2005, le groupe de travail Détentions Arbitraires des Nations Unies avait dénoncé que la détention des cinq cubains était « arbitraire », et soulignait qu’elle violait les normes internationales. Il exigeait de fait que soit effectué un nouveau procès.
Le 9 août 2005, trois juges de la Cour d’Appel du Onzième Circuit d’Atlanta, ayant à eux trois plus de 80 ans d’expérience, décidèrent à l’unanimité d’annuler le verdict de la première instance et réclamèrent un nouveau jugement.
Le 28 septembre 2005, le gouvernement des États-Unis avait demandé à toute la Cour d’Appel, composée de 12 juges, de reconsidérer la décision du 9 août 2005, ce qui selon des experts juridiques étatsuniens est une action très rare et peu commune.
Le 9 août 2006, après avoir subi de très fortes pressions politiques, la Cour d’Appel rejeta la décision des 3 juges et renvoyait, une fois de plus, le cas devant un panel de juges.
Le 20 août 2007, la défense lançait un nouveau procès en appel. En 2008, le panel composé de trois juges de la Cour d’Appel d’Atlanta ratifiait les verdicts de culpabilité des cinq, en confirmant les peines contre Gerardo et René et annulant celles de Ramón, Antonio et Fernando considérées par les juges comme incorrectes. Ceux-ci renvoyaient donc de nouveau les cas des trois derniers devant la Cour du District de Miami pour qu’ils soient rejugés.
A cette occasion, la Cour d’Appel dans son intégralité, avait reconnu qu’il n’existait aucune preuve d’une quelconque récupération ni transmission de renseignements secrets ou de défense nationale.
En 2009, la Cour Suprême des États-Unis, à la demande de l’administration Obama, a refusé de revoir le cas.
Les témoignages des familles démontrent la torture psychologique et morale auxquelles elles ont été soumises par le gouvernement et les autorités judiciaires étatsuniennes. Olga Salanueva, épouse de René González, ainsi qu’Adriana Pérez épouse de Gerardo Hernández, n’ont toujours pas été autorisées à rendre visite à leur époux. Le 25 juin 2002, après cinq ans d’attente, Adriana Pérez avait enfin obtenu un visa US pour aller voir son époux emprisonné à Los Angeles. Mais dès son arrivée aux États-Unis, le FBI l’a arrêté, puis interrogée pendant 11 heures, ils l’ont expulsé vers Cuba sans avoir pu rendre visite à son compagnon. Cela fait plus de 11 ans qu’Adriana n’a pas vu Gerardo et 10 ans qu’Olga ne voit pas René. Une telle cruauté est inacceptable.
Aujourd’hui, après avoir rencontré les familles des cinq cubains, je suis en mesure d’évaluer la dignité et le courage de mères et d’épouses qui souffrent avec force de caractère de cette violence inhumaine depuis plus d’une décennie.
Je veux joindre ma voix à la demande de justice pour ces cinq cubains innocents. J’en appelle au gouvernement du président Obama pour qu’il les libère immédiatement. Je lance également un appel aux citoyens du monde : Il est temps maintenant de mettre un terme à la souffrance des cinq cubains et de leur famille.
Nadine Gordimer
La Havane, le 17 février 2010
(Traduction par Esteba Garcàa)
Biographie de Nadine Gordimer
Romancière, nouvelliste, critique, éditeur, prix Nobel de littérature en 1991, Nadine Gordimer a plus d’une corde à son arc. Issue d’une famille bourgeoise, elle a vécu à Springs, près de Johannesburg, en Afrique du Sud. Elle grandit dans l’environnement privilégié de la communauté anglophone blanche, mais n’en demeure pas moins sensible aux inégalités raciales et aux problèmes sociopolitiques de son pays. C’est par le biais de l’écriture qu’elle choisit de s’engager peu à peu contre le système de l’apartheid. L’essentiel de son oeuvre, de facture classique, en témoigne largement aujourd’hui, et la lecture de ses écrits enseigne une douloureuse page d’histoire. Cependant, sa talentueuse célébration des paysages sud-africains et son amour pour cette terre ’odorante et colorée’ - qu’elle n’a pas quittée - ajoutent humanité et chaleur à ses écrits.
En 2007, Nadine Gordimer publie son roman ’Bouge-toi !’ et demeure une figure morale et non moralisatrice en son pays.
Ses romans sont d’une pénétration psychologique saisissante, d’où la bien-pensance est exclue. Après la fin de l’Apartheid, elle sut renouveler profondément sa vision et l’adapter à la nouvelle situation de l’Afrique du Sud, sans continuer à puiser son inspiration dans une période passée. Elle a publié treize romans, deux cents nouvelles et plusieurs recueils d’essais et de textes critiques. En 2007, Nadine Gordimer publie son roman ’Bouge-toi !’ .
Elle demeure une figure morale et non moralisatrice en son pays.
Elle a été décorée le 31 mars 2007 de la Légion d’honneur française, lors d’une cérémonie à l’ambassade de France à Pretoria. Elle est en outre Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres.