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Chine. Barrage des Trois-Gorges : la catastrophe potentielle officiellement admise

solidaritéS, 10 octobre 2007.


Le symbole est trop beau pour y croire. Un mois après que l’organe de référence de tous les boursicoteurs du monde entier, le Wall Street Journal, a publié un article relevant tous les dangers apparus depuis la mise en eau du barrage, l’officialité chinoise reconnaît enfin que « si des mesures préventives ne sont pas prises, le projet pourrait déboucher sur une catastrophe ». Cet aveu doit cependant moins aux interrogations de la Bourse de New York qu’à la crainte de la bureaucratie centrale devant l’accumulation des problèmes sociaux et écologiques.



Les risques environnementaux et écologiques du barrage des Trois Gorges sur le Fleuve bleu (Yangzi Jiang ou Yang Tsé Kiang selon les transcriptions) sont connus depuis longtemps (voir à ce propos solidaritéS no 37 du 3.12.2003) et nombre d’écologistes chinois se sont époumonés à les faire savoir, entre deux phases répressives. Ce qui a changé, c’est la position officielle, jusqu’alors toute empreinte d’un optimisme de commande, allant répétant qu’il n’y avait pas de problèmes, que tout avait été prévu et que tout était sous contrôle. Comme toujours dans les régimes bureaucratiques, la reconnaissance d’une évidence élémentaire tient moins à une avancée épistémologique qu’à un changement de rapport de force au sommet. Dans la perspective du XVIIe congrès du Parti communiste, le président Hu Jintao, dont les doutes quant à la maîtrise du projet pharaonique sont connus, lance un avertissement aux partisans de l’ancien président Jiang Zemin (la « bande de Shanghai »), qui a quitté la présidence de la puissante Commission militaire centrale en 2004.

Développementistes à tout crin, ils sont susceptibles, par la brutalité de leur action, de déséquilibrer « l’harmonie sociale » que tente de préserver Hu. Qui sait, comme le titre le Quotidien du Peuple, que « la situation environnementale chinoise continue de se détériorer » et que, par exemple, la qualité des eaux des cours d’eau laisse plus qu’à désirer : dans la moitié d’entre eux, elle n’est plus potable, quand les poissons n’y meurent pas tout simplement. Dans les grandes villes, seules 69,3% d’entre elles disposent d’une eau qualifiée simplement d’« agrée », en recul de 5% par rapport à l’année précédente.


« Tous les problèmes sont plus sérieux que ce que nous avions prévu »

C’est la déclaration faite par Weng Lida, ancien responsable de l’organisme gouvernemental chargé de protéger l’eau et l’environnement du bassin du Yang Tsé Kiang et actuel secrétaire général du Forum du fleuve qui le constate. L’aggravation de la réalité en regard des prévisions des experts touche plusieurs points sensibles. Lors du séminaire de Wuhan, qui vit les responsables gouvernementaux plancher sur le problème, Wang Xiaofeng (directeur du projet près du gouvernement) les avait énumérés : « Les risques de glissement de terrain, d’érosion des sols, de pollution de l’eau, de conflits causés par les pénuries d’eau et de terrain ou tout autre dommage dû à un développement déraisonné ont été amplifiés, en aucun cas réduits ». Le même ajoutait, bien dans la nouvelle ligne politique : « nous ne pouvons pas sacrifier notre environnement à des perspectives de prospérité à court terme ».

Parmi les nombreuses sous-estimations des experts, on notera celle de la rapidité avec laquelle les sédiments s’accumulent dans le lac de rétention. L’érosion, accrue par la déforestation et la culture intensive, du proche plateau du Tibet entraîne chaque année plus de 500 millions de tonnes de vase dans les gorges du fleuve. Si la sédimentation entraînée est trop rapide, le barrage ne pourra plus contenir les risques d’inondation (écrêtage). En aval, en revanche, l’absence de ces sédiments, qui jouaient un rôle d’engrais naturel lors des crues, amènera les paysans à recourir à l’agrochimie (comme dans la vallée du Nil). D’où une intense pollution de l’eau du fleuve, déjà transformé en cloaque en amont : les niveaux de phosphores et d’azote sont aujourd’hui dix fois supérieurs à ce qu’ils étaient il y a dix ans ; le déversement des eaux usées dans l’eau retenue par le barrage a doublé entre 2000 et 2005.


Le poids de l’eau

Le plus inquiétant réside toutefois dans l’erreur commise à propos des effets physiques et géologiques de l’énorme masse d’eau accumulée dans le lac de retenue de près de 600 km de long. Le niveau de l’eau variant en fonction des impératifs de contrôle des crues et de production de l’électricité, les bords du lac et de ses affluents sont soumis à de constantes variations de pression. Selon la nature des sols, leur résistance s’amenuise plus ou moins. L’instabilité des terrains était donc prévisible, selon un rapport de scientifiques anglais du Collège impérial de Londres, qui la qualifie de « risque le plus répandu dans les gorges ». Mais ajoute aussitôt qu’il ira en s’aggravant, vu la situation actuelle.

Ces mouvements de terrain ont déjà fait des victimes. Le reportage du Wall Street Journal explique ainsi que « le 14 juillet, une langue de terre d’environ un kilomètre de long et autant de large et d’une hauteur de 18 mètres, s’est détachée d’une montagne située sur un affluent des Trois-Gorges. Treize fermiers ont été balayés par la boue et les débris. La masse de terre, en frappant l’eau, a provoqué une vague haute de deux étages, brisant 20 bateaux et noyant onze pêcheurs. Les fonctionnaires ont accusé les pluies diluviennes, les géologues ont expliqué que la différence de pression minait les roches le long des rives du fleuve. » Tan Qiwei, vice-maire de la métropole de Chongquin, qui jouxte le barrage, a expliqué que les bords du réservoir se sont écroulés à 91 endroits et qu’au total 36 km s’étaient ainsi effondrés.

Cette mésestimation des effets de la masse d’eau est inquiétante pour une autre raison. Le barrage a en effet été construit dans une zone moyennement sismique (risques de séismes de 6 sur l’échelle de Richter). Sachant que le poids de la retenue accroît ces risques, les ingénieurs chinois ont calculé que le barrage devait être résistant à un séisme de 7. Il faut espérer que cette prévision est plus correcte que celle touchant aux glissements de terrains. Sans quoi la catastrophe qui toucha la ville de Zhumadian dans la province de Henan en 1975 - où les barrages s’effondrèrent les uns après les autres entraînant la mort de 200 000 personnes - risque de n’être qu’une vétille à côté de ce qui pourrait se passer dans la vallée du Yang Tsé Kiang.

Daniel Süri


- Source : solidaritéS
www.solidarites.ch




Pollution Chine : l’ eau des fleuves Huai et Liao est impropre au toucher. L’eau est trop polluée pour un sixième de la population chinoise.

La fin de "baiji", déesse du fleuve, Christiane Galus.


Inde. Tehri : un barrage surréaliste, par Andrée-Marie Dussault.

Méga-chantiers et contrôle de l’eau ... Jouer à Dieu avec les fleuves indiens, par Andrée-Marie Dussault.






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