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Chers grévistes français

J’ai vu trop souvent les gens de mon peuple du Québec se plier devant l’austérité forcée. J’ai vu trop souvent mes voisins débattre de la légitimité d’une grève à coup de « ce sont tous des fainéants ! », tout en ignorant la misère qui s’approche dans l’ombre de cette désolidarisation. Alors, aux Français qui se battent toujours, n’abandonnez pas. La docilité nous a peut-être apporté le sigle de la « gentillesse et de la chaleur québécoise », mais elle nous a aussi bandé les yeux devant l’éminente érosion sociale.

Chers grévistes français, et tous ceux qui les encouragent,

Ne cessez pas votre combat. Il est légitime, et il est un front majeur contre les attaques du gouvernement visant le service public. La blessure est déjà là. Entre vos infirmières qui s’éreintent et vos services de psychiatrie qui s’approchent dangereusement d’une situation de maltraitance, les effets de l’austérité se font déjà sentir dans l’un des domaines qui ne devrait pas être négociable : la santé. La subtilité de votre gouvernement n’est pas son plus grand talent, et il est facile de voir qu’il essaie d’essouffler les services publics pour vous faire tendre vers les services privés. Comme les pouvoirs précédents, il fantasme sur les États-Unis et salive devant Trump.

Ne les laissez pas toucher à votre santé, votre éducation, votre intégrité, votre dignité, en tant qu’ouvriers.

Voyez ce que cet abandon a créé au Québec.

Nos services de santé gratuits ont des listes d’attentes effarantes. Aux urgences, il faut être patient. Les meilleurs jours, on peut attendre entre 3 et 8 heures, et pour les pires, j’ai déjà vu du 27 heures d’attente. Les Québécois n’ont pas tous un médecin généraliste (médecin de famille) (environ 21% seulement avec 341 000 individus sur des listes d’attentes), alors la plupart font affaire avec des cliniques où c’est « premier arrivé, premier servi » avec un quota maximum de patients.

Nos infirmières sont constamment au bord de l’épuisement professionnel, et il en manquerait un peu moins de 2000 pour pallier à la quantité de travail. Pourtant, 1600 infirmières diplômées sont toujours sans emploi, mais ne réussissent pas à se placer faute de budget. Dans ma région du Québec, c’est environ 5000 patients en attente de chirurgie, avec un peu plus de 800 qui attendent depuis plus de 6 mois. Beaucoup se tourne vers le privé, quand ils ont les ressources financières adéquates. La réforme régressive de notre système de santé a été un coup de trop pour cette situation déjà précaire. Environ 8,6 millions de dollars investis pour améliorer l’accessibilité aux services mais où sont les changements ? Sur un budget d’environ 38,5 milliards de dollar, ces maigres 9 millions semblent peu, et ont eu peu d’effet. On est rendu au point où environ 200 médecins spécialistes ont voté contre leur augmentation de salaire, car ils jugent que l’argent devrait être mieux réparti dans le système de santé et être versé à ceux qui en ont le plus besoin, comme les infirmières.

Mais au Québec, ça fait partie de la vie de voir des infirmières épuisées. La culture a fait en sorte qu’on considère que l’épuisement professionnel des infirmières, c’est l’ordre naturel des choses ! Les étudiants et étudiantes s’inscrivent en soin infirmier avec l’idée déjà fermement ancrée que ce sera un métier harassant. Et c’est normal ! Même moi, je me suis laissé prendre par cette idée préconçue : si t’es infirmière et que tu te plains de la quantité de travail, c’est que tu n’es pas une vraie infirmière. Comme si ton choix de carrière devait définir si oui ou non tu signais pour la garantie d’un burnout dans ta vie.

Pourquoi et comment sommes-nous parvenus à cette désolidarisation, voire résignation ? Pourquoi et comment nous sommes nous rendus à cette idée que les grévistes sont des fainéants, par définition ? Je sais que vous faites face à cette problématique en France aussi. Cependant, au Québec il y a rarement des grèves à large échelle, et encore moins de manifestations. C’est presque comme si on nous avait appris à tuer nous-même l’idée d’une grève à l’instant même où elle prend naissance dans notre esprit.

«  Les Québécois sont dociles. Les Québécois se laissent marcher dessus.  » Pas tous heureusement, mais j’ai tellement entendu cette phrase qu’elle me paraît illustrer une partie de notre réticence à nous battre pour notre qualité de vie.

Vous devriez voir la réaction des gens quand je leur parle des 5 semaines de vacances que vous avez en France. Nous, on en a deux en tout et pour tout durant l’année en débutant un emploi, parfois 3. Mon père travaille depuis environ 30 ans pour la même entreprise, et il a 3 semaines de vacances par an. C’est horrible ! Mais pour la plupart des gens à qui je dis ça, les Français sont des fainéants. Pourtant, vous vous êtes battus pour avoir ces semaines supplémentaires ! Via la grève justement ! Je ne vois pas ce qu’il y a de normal à travailler 50 semaines sur 52, mais bon... Ici, t’es un ouvrier donc tu fermes ta gueule. C’est normal de ne pas avoir une bonne qualité de vie, c’est normal de n’avoir que deux semaines de vacances, et quand tu fais la grève, attache ta tuque (ou attache ta ceinture en équivalent français de France) car tu vas devenir la pire des hontes pour ton entourage.

Notre éducation aussi, ils ont tenté de la toucher. Ils ont voulu augmenter les frais de scolarité d’une éducation qu’ils appellent « gratuite ». Ma facture de 1500 $ pour une session universitaire de 4 mois dit le contraire mais bon, comme dirait la plupart des Québécois pendant le Printemps Érable : « Aux States, ils payent parfois le triple de ce prix-là pour une session, alors je ne vois pas pourquoi vous vous plaignez pour une augmentation progressive. »

Et là, on s’est battu bec et ongles. On s’est tellement battu que les Québécois en ont eu plein de le cul du gouvernement et de sa gestion de la crise, alors ils ont voté pour l’autre parti aux élections suivantes. (Bon, ils ont à nouveau élu les Libéraux aux élections d’après mais c’est qu’ils ont la mémoire courte et ont peur d’essayer d’autres partis, alors on vogue entre Parti Libéral et Parti Québécois depuis trop longtemps.) Par contre, nous, les Carrés rouges (ceux qui militaient contre la hausse), on a été couverts d’insultes. J’en connais qui nous injuriaient sans même savoir pourquoi on se battait. On nous a traités de lâches, en nous disant que si on avait de l’argent pour s’acheter un cellulaire et se payer de la bière au bar, on avait sûrement de l’argent pour payer des frais supplémentaires.

Ce n’est pas justifié de se battre pour que le gouvernement n’augmente pas les frais d’éducation ? On s’est battu pour que l’égalité des chances ne devienne pas encore plus un mythe qu’il ne l’est déjà. On s’est battu pour défendre un droit, pas pour avoir de nouveaux avantages, tout comme rares sont les grèves qui ne sont pas en défense d’un droit qu’on essaie de retirer ou fragiliser. Comme si c’était mal de défendre une chose à laquelle on tient !

Alors, de la part d’une Québécoise qui vous soutient avec fierté, ne vous laissez pas marcher dessus ! Pour beaucoup, vous êtes la dernière ligne de défense avant une réforme dévastatrice des services publics français. Ne désespérez pas et protégez ce qui devrait appartenir au peuple !

Melina Cyrenne

»» https://limmediatblog.wordpress.com/2018/05/21/chers-grevistes-francais/
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Michael PARENTI
Analyste politique progressiste de tout premier plan aux États-Unis, Michael PARENTI, docteur en Sciences Politiques de l’Université de Yale, est un auteur et conférencier de renommée internationale. Il a publié plus de 250 articles et 17 livres. Ses écrits sont diffusés dans des périodiques populaires aussi bien que dans des revues savantes, et ses textes engagés l’ont été dans des journaux tels que le New York Times et le Los Angeles Times. Ses livres et ses conférences, informatives et (…)
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