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Le Journal du Jeudi

Cher village...

A l’heure où il est de bon ton pour les dirigeants Burkinabe de parler de leurs vacances, il faut aussi se rappeler les contraintes qu’imposent les difficultés économiques au reste du pays. Les soins, certes génériques, continuent à coûter chers, le temps est aussi dévalué que le franc CFA, et la solidarité villageoise en vient même à trouver ses limites.

L’heure de la rentrée gouvernementale a sonné. Le chef de classe, Ernesto Che Yonli, rassemble ses troupes pour retourner au fourneau, sous l’oeil vigilant du maître de céans, le docteur Honoré. Dehors, l’opération Saaga continue de combler les poches de sécheresse, tandis que les Burkinabè se tâtent les poches comme on se tâte le pouls.

C’est que, de nos jours, c’est votre santé financière qui détermine tout le reste. Même à l’heure du médicament générique, le moindre éternuement coûte la peau du bédou, car il faut passer par les cabinets médicaux avant d’arriver à la pharmacie. Bien sûr, le service public n’est pas totalement agonisant, mais le temps qu’on y perd à attendre, entre autres, que le médecin revienne de ses consultations... privées, on gagne à l’économiser, vu que le temps c’est de l’argent. Mais, paradoxalement, gagner du temps ne vous fait pas toujours gagner de la tune. Sans doute parce que, avant le franc CFA, le temps lui-même a été dévalué. La preuve, les anciens n’hésitent pas à vous parler de leur temps : "à notre temps, les choses étaient comme ci..." Évidemment, on n’a pas les moyens de remonter le temps pour vérifier. La blancheur de leurs cheveux nous commande de leur donner carte blanche, de les croire sur parole donc.

Autres temps, autres moeurs. Autrefois, on partait en congé. Seuls les écoliers - et le corps enseignant, of course - avaient des vacances. A présent, c’est le gouvernement qui donne le ton. Et quand les gouvernants (qui ne foutent pas grand-chose d’ordinaire pour la plupart) partent en vacances, tout le monde entre dans le jeu. "Tu ne prends pas de vacances ?" s’entend-on demander à tout bout de champ... ou plutôt à tout bout de bureau, car ceux qui triment au champ tentent plutôt de mettre la saison hivernale à profit.

Il est indéniable que, de plus en plus, les Burkinabè prennent des vacances... comme les Blancs. Avant, on se contentait de ramener les enfants au village, histoire de les enraciner peu à peu dans le fief d’origine du paternel. Bon gré mal gré, les moutards s’y rendaient tout en se demandant pourquoi le "vieux" est si attaché à ce trou perdu où il n’y a pas la moindre distraction. Puis, au fil du temps, par la force de l’habitude, ils finissaient par trouver cela normal. Mais, les temps ont changé et le village avec.

Aujourd’hui, à part quelques irréductibles qui n’ont pas réussi à convaincre leur vieille mère de rester auprès d’eux en ville (ça fait moins de dépenses), personne n’y va plus comme avant.

Une des causes majeures de ce changement d’habitude, c’est que les villageois "voient dans l’eau" ; le citadin n’est perçu que comme un bailleurs de fonds. Du coup, une visite chez les parents du village est synonyme de dépenses, car les doléances y pleuvent plus qu’un 1er mai. A ce rythme de sollicitations, l’attachement aux racines fout le camp et l’on se résout, peu à peu, à vivre exclusivement en ville, en se contentant de quelques balades alentour pour grailler du poulet flambé dans la broussaille, au bord d’une voie bitumée. Comme ça, on a l’ambiance du village sans les emmerdements.

Mais, à force de déserter le village, c’est le village qui vient à vous. Les parents défilent à tour de rôle sans se préoccuper de votre capacité d’hébergement. Et pour les citadins qui commettent l’erreur stratégique de loger sur l’axe de leur bled, à la sortie de la ville, leur domicile devient progressivement le pied-à -terre de tous les nouveaux arrivants, en attendant de localiser le parent chez qui ils envisagent de "descendre". Si en plus madame est tolérante, les neveux du village qui ont réussi au CEP arriveront à leur tour pour "fréquenter" en ville, comme on dit.

Quand vous êtes embarqué dans ce schéma de solidarité oppressante, plus rien ne peut vous sauver car, tôt ou tard, vos propres enfants vous en voudront d’avoir sacrifié leur confort pour "des gens qui vont immanquablement vous insulter un jour". Seule consolation, vous vieillissez sans le faire exprès en vous disant que, finalement, vous avez respecté la volonté de votre vieux père qui est aux cieux, avec tous les autres anciens du village. Amen.

Article original sur le site du Journal du Jeudi


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