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Ceuta, Melilla, Amsterdam, Lampedusa : ce n’est qu’un début, Alessandro dal lago, Geraldina Colotti - il manifesto.



il manifesto, 28 octobre 2005.


Tôt ou tard, un massacre d’une telle ampleur devait arriver. Seule l’hypocrisie contemporaine diffuse peut attribuer ces morts en Hollande à un accident, comme on l’a fait pour les morts en Sicile, il y a quelques années, ou pour les cas d’étrangers étouffés dans des avions, à cause de techniques de « contention ». Si on crée un système d’internement administratif soustrait à tout contrôle judiciaire et confié à des spécialistes de la violence, à quoi peut-on s’attendre ? Il n’est quand même pas nécessaire d’être méchant de façon déclarée comme Cheney pour approuver la torture. Il suffit de la pratiquer et de faire ensuite semblant de rien. Le fait est que le système des centres d’internement devient un monstre qui étend ses tentacules sur toute l’Europe et sur bon nombre de pays limitrophes. Les centres connus sont aujourd’hui environ 250, parmi adhérents à Schengen, Turquie, Croatie, Ukraine, Libye, Maroc et ainsi de suite. Nous parlons seulement de ceux qui sont officiels, mais il y doit y en avoir beaucoup plus quand on sait qu’en Russie on en ouvre avec entrain de tous les côtés. L’Allemagne à elle seule en a 45, puis vient la Pologne, 25, la France, 20, etc. ...Souvent les centres sont camouflés en commissariats, aéroports ou, comme il advient dans certains pays de l’Est européen, en baraquements temporaires où personne ne peut mettre les pieds.

Combien sont les étrangers qui y circulent ? Certainement plusieurs centaines de milliers, si, rien qu’en Italie, on interne 25.000 personnes par an dans les Cpt.

Si un massacre est possible en Hollande, qui jusque récemment avait l’air d’une oasis de tolérance, qu’arrive-t-il en Ukraine, Russie, Libye, Maroc ? Avons-nous déjà oublié les morts de Ceuta et Melilla ? Si on distribue impunément claques et coups à Lampedusa, combien de violences mortelles sont-elles pratiquées dans des pays qui sont aux derniers rangs des classifications internationales en matière de droits humains ?

Le monstre se nourrit d’une culture qui n’est peut-être pas celle de tous ses citoyens, mais qui semble désormais enracinée de façon stable dans la classe politique et administrative européenne. Il ne s’agit pas ici de faire flèche de tout bois, mais de comprendre que si on commence avec les litanies de la sécurité, aux frontières, dans les quartiers, dans les centres historiques des villes, on enclenche des processus qui tôt ou tard débouchent sur la violence et, disons le aussi, sur le délit.

Quel sera le destin d’un roumain, d’un laveur de vitres, d’un marocain que tu jettes à la porte des salles d’abri urbaines, quand ce qui l’attend ce sont ces procédures inhumaines, dont personne ne veut assumer la responsabilité en se réfugiant dans des lieux communs et dans le terrible vocabulaire de commissariat (en ajoutant bien sûr, l’immanquable solidarité ?). L’autre soir, sur la troisième chaîne, on a transmis une enquête sur les enfants des rues à Manille, internés par milliers dans des « prisons » en tout et pour tout semblables à des porcheries. A la fin, on montrait un groupe de citadins qui exigeait, littéralement, « la peine de mort pour les enfants » (même si jusqu’à maintenant, un seul étranger a été arrêté aux Philippines pour abus sexuel contre eux). Sommes-nous si certains d’être vraiment loin de tout ça ?

Arrivés à ce point, n’importe quel passionné de sécurité devrait me demander : et toi qu’est-ce que tu ferais, extrémiste des droits de l’homme, qui te désintéresse du besoin légitime de tranquillité et sécurité des citadins ? Et je lui dirais : les 900 millions d’euros que l’Italie dépense chaque année pour ces maudits Cpt ne seraient-ils pas mieux dépensés pour accueillir ces gens ? Le chiffre invraisemblable, des dizaines de milliards, consumé par les européens avisés pour brimer les migrants, ne serait-il pas mieux dépensé pour les faire vivre sur un continent qui s’étend désormais jusqu’au Pacifique ? Misère de l’Europe, qui répond au déclin démographique et à sa marginalité mondiale par des expulsions et des centres de détention temporaire. Et misère d’une pensée politique qui ne sait rien inventer d’autre que décrets, matraques et barreaux aux fenêtres. Et qui incite ouvertement à « tirer », au « niveau zéro ».

Et pour défendre quoi, en fait ? L’esthétique des centres-villes historiques, l’attention des automobilistes aux feux rouges, l’odorat délicat des citadins qui promènent. Si on pense que ces préoccupations sont celles, en fin de compte, d’administrateurs, sociologues et amateurs de la sécurité urbaine, on ne peut qu’éprouver de la nostalgie envers le maître taoïste qui avisait, il y a plus de deux mille ans, que le bon gouvernement réduit les lois, s’il veut réduire les délits.

Alessandro dal lago


 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.


Du Mali, la voix des survivants de Ceuta et Melilla


Par Geraldina Colotti


Pour présenter la rencontre avec les femmes maliennes de la Caravane de la dignité (à Rome le 27 octobre), Raffaela Bollini (Arcis) part des chiffres : depuis l’an 2000, 4000 migrants sont morts dans la tentative de rejoindre l’Europe. Morts en mer, dans le désert ou dans les « non lieux », toujours plus nombreux, comme celui de l’aéroport d’Amsterdam.

Des chiffres que l’écrivain Aminata Traoré, militante alter mondialiste, éclaire d’analyses et de témoignages, après la rencontre de sa délégation avec les survivants de Ceuta et Melilla. La marche de la dignité, que le Forum pour un autre Mali (Foram) et la Réseau des artistes et intellectuels africains ont entreprise et qui se conclut en Italie, est un voyage de solidarité avec ces survivants, et « un hommage à tous ceux qui ont payé de leur vie le voyage de l’espoir vers l’Europe ». En Italie, elles sont 6 à être venues : artistes, paysannes, tisserandes, enseignantes universitaires.

Le dossier que les femmes présenteront au prochain Forum social de Bamako (du 19 au 24 janvier 2006), contient des récits terrifiants : morceaux de peau restés accrochés aux fils de fer barbelé, hommes sans plus aucune envie de vivre après la perte du dernier de leurs proches : « Ta peau est comme ton passeport - raconte un survivant- et tu ne passes pas si tu es noir et pauvre. Tu dois disparaître. Sans identité ». Témoignages de jeunes paysans semi analphabètes, « implaçables » ni dans leur pays ni ailleurs. C’est sur ce point , de la gestion des « déchets », sur ces « derniers » qui ne peuvent même pas se payer le billet pour s’enfuir - que se focalise l’analyse de l’écrivain malienne. Ces victimes -dit-elle dans le sillon de Samir Amin- sont des « martyrs de la guerre économique ». Et : « Nous sommes revenus à l’époque de la traite. Hier on choisissait les esclaves sur la base de leur constitution physique, aujourd’hui, les chasseurs de têtes sélectionnent nos enfants sur la base de leur formation, négociable à bas prix sur le marché du travail : infirmiers, informaticiens, ingénieurs ». Et leurs rétributions, « comme le prix du coton - produit en surabondance selon les diktats du Fond monétaire international, et qui reste aujourd’hui invendu - sont déterminés par le marché mondial ».

L’ex-ministre de la Culture du Mali ne cache pas les responsabilités des gouvernements locaux, mais refuse de se faire enfermer dans le discours néo libéral. « De quelle manière, demande-t-elle, un système inique qui piétine les droits des peuples du Nord capitaliste pourrait-il garantir une démocratie dans notre continent ? » Et quels avantages ces régimes qui se sont montrés de « bons élèves » du FMI apporteraient-ils aux classes populaires africaines ? « En Afrique, dit Aminata Traoré, des leaders comme le président vénézuélien Hugo Chavez aurait eu une vie brève ou auraient été détruits politiquement : comme c’est le cas pour Mugabe qui, malgré toutes les erreurs qu’il ait pu commettre, est diabolisé parce qu’il s’est attelé au problème agraire, crucial dans notre continent ».

Un j’accuse donc, sans détours, pour les « mesures soporifiques » proposées par l’Europe blairienne, parce qu’ « elles ne portent pas atteinte aux causes des problèmes et aident les pays qui se montrent bons élèves ». Une invitation, surtout, à « regarder l’Afrique du bon côté », en y reconnaissant des problèmes qui nous sont communs qui requièrent le même engagement.

 Source : il manifesto www.ilmanifesto.it , vendredi 28 octobre 2005.

 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


Geraldina Colotti est rédactrice à il manifesto. Elle a été militante des Brigades rouges et purge une peine de prison de 27 années pour cet engagement. En fin de peine maintenant, elle travaille depuis quatre ans à il manifesto : les deux premières années en rentrant le soir à la prison, et depuis deux ans en liberté conditionnelle, c’est-à -dire en rentrant chez elle le soir. Avec des conditions de déplacement et résidence drastiques, déchue de ses droits civiques à vie, interdite d’enseignement et de tout travail dans la fonction publique. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages de poésie (Sparge rosas, Versi cancellati, Per caso ho ucciso la noia) livres pour « enfants » dont Scuolabus, illustré par Vauro, le dessinateur des vignettes de première page du quotidien, et Il segreto, (édité par Mondadori - qui appartient maintenant au groupe Berlusconi !) et de recueils de nouvelles dont « Certificato di esistenza in vita  » (Tascabili Bompiani). Elle est l’une des brigatistes interviewées par le journaliste Giovanni Bianchoni dans le livre « Mi dichiaro prigionero politico » chez Einaudi (« Je me déclare prisonnier politique »). Diplômée en philosophie et psychologie, elle a pratiqué plusieurs sports avant d’être condamnée et collabore à la rubrique Sports du quotidien. Parlant couramment français, elle s’occupe maintenant auprès de Guglielmo Ragozzino de l’édition du Monde Diplomatique en italien. Malgré et avec sa « peine », c’est une des personnes les plus vivantes et drôles que je connaisse... Non per caso ha ucciso la noia.

Geraldina Colotti

(Auteur et traductrice cherchent éditeur de langue française)


Partenze

Ora
voglio
un bagaglio leggero
per sempre
tele di ragno
recise in gola


Muri

L’inferno è qui
temperato dal nulla
perchè i muri non ridono
perchè i ferri non gridano
le sbarre non gemono
le chiavi non tremano

Sparge rosas (Ed. Piero Manni, pretesti, 2000. pieromannisrl@clio.it. )


Juan Goytisolo par delà les murs de l’illusion, par Marco Dotti.



 Illustration :

- Christian Pigeon www.sudptt.fr

- Manuel Loayza



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Pourquoi les riches sont-ils de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ?
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Un ouvrage documentaire jeunesse engagé de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, illustré par Étienne Lécroart Parce qu’il n’est jamais trop tôt pour questionner la société et ses inégalités, les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, passés maîtres dans l’art de décortiquer les mécanismes de la domination sociale, s’adressent pour la première fois aux enfants à partir de 10 ans. Avec clarté et pédagogie, ils leur expliquent les mécanismes et les enjeux du monde social dans (…)
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Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de « consoler » les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire.

Lénine

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